Un prélat a récemment réaffirmé que Vatican II était un passage obligé, en donnant une leçon d’obéissance insolite. Quant à nous, en souriant comme lui, nous éconduisons ce Concile, qui n’a pas qualification pour nous assujettir. Et qui reste calamiteux et cataclysmique.
Mgr Ocariz, vicaire général de l’Opus Dei, a écrit, le 5 décembre dernier, dans l’Osservatore Romano, pour exhorter à accepter les enseignements de Vatican II. Selon lui, tout catholique doit accepter ce concile.
S’il cherche à nous en persuader, c’est sans doute parce que, après le refus qu’ont opposé Mgr Marcel Lefebvre et la Fraternité Saint-Pie X au Concile, d’autres voix se sont récemment élevées, même dans la « partie officielle » du clergé.
Que dit son article ? Que les enseignements du Concile réclament, de la part des catholiques, des attitudes diverses, selon l’autorité de ces enseignements ; et que, en ce qui concerne les enseignements qui relèvent de la religion, on est tenu d’y adhérer. Reprenons ces trois points.
Un concile doctrinal ?
Mgr Ocariz n’est pas d’accord avec une idée qui, proteste-t-il, circule, et qui voudrait que, parce que Vatican II est un concile pastoral, il n’entend rien enseigner quant à la doctrine catholique. Non ! s’insurge le vicaire général de l’Opus Dei. Et il explique : le concile a été pastoral, c’est vrai. Mais ce n’est pas pour autant qu’il n’a rien voulu dire quant à la doctrine ; pastoral ne s’oppose pas à doctrinal. Mgr Ocariz a ici raison. Mais qui aurait compris les choses autrement ? Les forces de la Tradition ? Certainement pas !
Il est en effet indubitable que Vatican II s’est voulu pastoral. Jean XXIII l’a dit plusieurs fois : le Concile correspond à un magistère « dont le caractère est surtout pastoral [1] ».
D’un autre côté il est certain que Vatican II a voulu enseigner des points de doctrine catholique, lorsqu’il a, par exemple, rappelé que le Christ a envoyé, d’auprès du Père, le Saint-Esprit [2].
Il est enfin hors de doute, comme le dit Mgr Ocariz, que l’enseignement de la doctrine « est partie intégrante de la pastorale ». C’est facile à comprendre : ce qui est pastoral, c’est ce qui appartient à la charge de pasteur. Or, qu’est-ce qu’être pasteur, dans le nouveau Testament ? C’est être prêtre en charge des âmes. Pastoral est donc synonyme de sacerdotal [3]. Or le sacerdoce, dans l’Église catholique, s’exerce dans trois directions au service des âmes : l’enseignement de la doctrine ; la direction des consciences ; la sanctification par les sacrements. L’enseignement de la doctrine est donc la première tâche du pasteur ! Ce n’est donc pas la Fraternité qui peut se sentir visée par la critique de Mgr Ocariz.
Qui est-ce alors ? Les Pères conciliaires, pensons-nous. Car ils ont orienté les esprits vers la confusion en déclarant, le 6 mars 1964 : « Étant donné le caractère pastoral du Concile, il a évité de prononcer d’une manière extraordinaire des dogmes comportant la note d’infaillibilité [4]. » Le concile a été pastoral, soit. Il a évité de définir des dogmes, soit [5]. Mais en quoi le fait d’être pastoral peut amener à ne pas prononcer de dogmes ? Si être pastoral, c’est être orienté vers les brebis, et qu’il est utile aux brebis de leur montrer ce qu’il faut croire, alors disons le contraire : être pastoral réclame parfois de définir des dogmes !
Division dans le concile…
Mgr Ocariz continue en divisant le contenu du Concile en trois catégories. Il y a d’abord les enseignements relevant de la doctrine catholique :
1. Enseignements déjà définis comme dogmes auparavant par le Magistère infaillible de l’Église : Vatican II ne fait que les rappeler, comme lorsqu’il déclare que les évêques catholiques sont les successeurs des apôtres [6]. Le catholique doit les faire siens par la vertu de foi. Ce point ne fait pas de difficulté [7].
2. Enseignements qui n’ont pas été définis auparavant et qui ne sont pas non plus définis par le Concile (qui n’use pas de l’infaillibilité). Il y a ensuite une troisième catégorie :
3. Considérations qui ne relèvent pas de la doctrine, par exemple des « descriptions de l’état de la société, suggestions, exhortations, etc. », comme lorsque le Concile observe que « les conditions de vie de l’homme moderne, au point de vue social et culturel, ont été profondément transformées [8] ». Mgr Ocariz avoue que l’on n’est pas obligé d’y adhérer.
De ces trois catégories, nous retiendrons la deuxième (2°), sur laquelle le prélat s’étend et donc qu’il faut discuter.
Les « nouveautés »
Il est clair que le Concile enseigne, dans le domaine religieux, de nombreux points qui n’ont jamais été définis par le Magistère infaillible avant Vatican II. Il y en a de deux sortes :
1. Ce qui, sans avoir été défini, a été tout de même enseigné avant le Concile.
2. Ce qui n’a été, ni défini, ni même enseigné avant Vatican II, et que Mgr Fernando Ocariz appelle des « nouveautés d’ordre dotrinal » [9]. La liberté religieuse entre dans cette catégorie.
À propos de ces enseignements qui appartiennent à ce qu’on appelle le Magistère non infaillible mais authentique, Mgr Ocariz se demande quelle doit être l’attitude des fidèles. Doivent-ils y croire, par la vertu de foi ? Non, puisque l’adhésion de la foi exige que l’on soit absolument certain de la vérité de ce qui est enseigné, et cette absolue certitude ne peut avoir lieu que si, précisément, le Magistère est infaillible. Alors, comment doit-on se comporter ?
On doit le recevoir en y apportant un « assentiment religieux de l’intelligence ». Comme l’exprime Mgr Ocariz : « Cette adhésion ne se présente pas comme un acte de foi, mais plutôt d’obéissance (…).»
Ce point est exact : ce n’est pas parce que l’Église enseigne quelque chose sans exercer son privilège de l’infaillibilité, que les fidèles doivent considérer cet enseignement pour peu de chose ! Les âmes doivent recevoir cet enseignement comme certainement vrai, mais pas d’une certitude absolue : d’une certitude seulement conditionnée, en ce sens que l’on doit adhérer à cet enseignement « à la condition que l’Église ne décrète pas quelque chose d’autre, avec une autorité égale ou même supérieure », selon Joachim Salaverri [10].
Or, si l’on suit Mgr Ocariz – et c’est sur ce point qu’il ne dit pas tout ce qu’il faudrait dire –, on doit dans tous les cas adhérer à cet enseignement et le considérer comme vrai. Selon lui, lorsque ces points enseignés de façon non infaillible semblent causer des difficultés quant à leur continuité avec la Tradition, il convient de « repousser » toute tentative d’interprétation qui reviendrait à une incompatibilité avec la Tradition.
Suivez mon regard : si, par exemple, Vatican II enseigne que tout homme a droit à la liberté de culte, quelle que soit sa religion (même si c’est l’islam), alors les catholiques, même s’ils ne sont pas tenus d’y croire de foi divine (ouf !), et même si cet enseignement leur paraît inconciliable avec les enseignements de Pie IX, de Léon XIII ou de Pie XII, ces catholiques, donc, doivent repousser toute tentation intérieure de juger cette théorie de la liberté religieuse comme fausse. Dès lors que Rome, interprète « authentique » du Concile, a interprété ces passages comme conformes à la Tradition, alors il convient de chasser toute idée contraire.
L’erreur ne peut être imposée
L’exigence que nous impose ainsi Mgr Ocariz est injuste. Les théologiens qui, avant lui, ont approfondi la question de ce fameux « assentiment interne » de l’esprit, ont envisagé l’hypothèse d’une erreur dans les décrets du Magistère authentique d’une tout autre façon.
Selon Forget, par exemple : « C’est un principe général qu’on doit obéissance aux ordres d’un supérieur, à moins que, dans un cas concret, l’ordre n’apparaisse manifestement injuste ; pareillement, un catholique est tenu d’adhérer intérieurement aux enseignements de l’autorité légitime, aussi longtemps qu’il ne lui est pas évident qu’une assertion particulière est erronée [11]. » Edmond Dublanchy explique : « Si, dans un cas particulier, des doutes qui paraissent bien fondés arrêtent l’intelligence et empêchent son adhésion à l’enseignement proposé, on doit, pour mettre un terme à cette situation d’esprit, soumettre ses doutes à des guides capables d’éclairer l’intelligence ou les soumettre à l’autorité elle-même [12].»
Selon Antoine Straub, vis-à-vis de ce genre de décrets non infaillibles, le « fils de l’Église, qui sait que ce décret n’est pas péremptoire » doit être « disposé de telle façon, qu’il ne voudrait pas maintenir son assentiment, si l’Église, par une sentence infaillible, jugeait autrement que ce décret affirme, ou bien si lui-même s’apercevait que la chose affirmée par le décret répugne à la vérité. En effet il se peut, par accident, que l’édit apparaisse à quelqu’un [1°] ou bien certainement faux [2°] ou bien opposé à la solide raison, de telle sorte que la force de la raison ne soit nullement écrasée sous le poids de l’autorité sacrée [de l’Église]. Eh bien, puisque c’est une obéissance raisonnable qui est demandée, si la première hypothèse [1°] se produit, il sera licite de ne pas assentir au décret, et si c’est la seconde [2°], il sera licite de douter, ou même d’estimer que la thèse qui s’éloigne de l’édit sacré est encore probable, mais il ne sera pas pour autant permis de la contredire publiquement, en raison de la révérence qui est due à l’autorité sacrée… mais il faudra garder le silence qu’on appelle « obséquieux », ou exposer avec humilité la difficulté au tribunal sacré, ou recourir au jugement infaillible d’un tribunal supérieur [13]…»
Pour résumer la parole de ces théologiens, si le catholique s’aperçoit qu’un enseignement non infaillible de l’Église est manifestement faux :
1. Il est licite de « suspendre son assentiment ». C’est le choix de la Fraternité.
2. Il faut en référer à l’autorité en émettant ses doutes. C’est également ce à quoi la Fraternité s’est employée encore tout récemment.
3. Ce recours à l’autorité doit se faire en privé et avec respect. Le recours date des sessions du Concile (dont le caractère est privé), pendant lesquelles Mgr Lefebvre s’est dépensé sans compter pour faire valoir, auprès du pape, l’inspiration libérale des textes conciliaires. Mais l’autorité refusant de se justifier sur l’incompatibilité du concile avec le Magistère antérieur (elle ne fait qu’appeler à l’obéissance), notre résistance est devenue publique et si, à telle ou telle occasion, le respect n’a pas été parfaitement sauf, cela laisse intact le droit de ne pas assentir aux exotismes du Concile. Et après tout que l’on honore aussi le mérite de la contestation !
4. Le Magistère actuel, chaque fois qu’il a réaffirmé le caractère traditionnel de tout le Concile, ne l’a jamais fait dans des conditions d’infaillibilité : par suite, appuyés sur le Magistère traditionnel et infaillible d’avant Vatican II, nous continuons de refuser les nouveautés.
Mgr Fernando Ocariz, en excluant la possibilité que le Magistère authentique, quand il s’exprime sur la Révélation ou bien quand il interprète des enseignements qu’il a lui même proférés par ailleurs, puisse se tromper, fait de ce Magistère authentique un Magistère infaillible et demande une obéissance aveugle synonyme de péché.
Parce que le Magistère non infaillible peut errer, il n’est pas impossible qu’il dise que la société doit être non confessionnelle, ou bien que Dieu bénit l’islam. Alors non seulement nous avons le droit de ne pas le recevoir, mais en outre il nous est « physiquement » impossible de faire autrement !
Abbé Philippe Toulza †, Directeur des Editions Clovis-Fideliter
Extrait du Fideliter n° 206 de mars-avril 2012
Lire aussi : une question cruciale. l’abbé Jean-Michel Gleize répond à Mgr Fernando Ocariz
- Allocution au Sacré-Collège, 23 décembre 1962, Documentation catholique n° 1931, col. 101.[↩]
- Ad Gentes, § 4.[↩]
- Et donc tous les conciles, dans l’Église, sont pastoraux.[↩]
- DC n° 1466 (6 mars 1966), col. 418–420.[↩]
- Le propos n’est pas ici de critiquer le refus de définir.[↩]
- Lumen Gentium, § 20.[↩]
- Certaines analyses anticonciliaires assez récentes soutiennent que Vatican II ne relève aucunement du Magistère de l’Église (ni infaillible ni authentique). C’est une thèse. Mais même en ne se rangeant pas à elle, le refus des nouveautés est justifiable, comme cet article s’efforce de le manifester.[↩]
- Gaudium et Spes, § 54.[↩]
- Il les légitime en rappelant que le Magistère ne fait pas que répéter la Révélation, mais qu’il a aussi la faculté d’approfondir la connaissance de celle-ci par développement homogène. À partir du moment où l’on approfondit, on découvre des profondeurs jusqu’ici cachées. C’est pourquoi l’auteur parle de nouveautés. Mais, répondons-nous, cette opération consiste à rendre plus clair ce qui était confus, ou plus explicite ce qui était implicite, ou plus actuel ce qui était virtuel. Cela ne constitue pas, à proprement parler, des « nouveautés ». Le mot de « nouveauté », par lui-même, exprime une « nouvelle chose », et non l’aspect méconnu d’une « ancienne chose ».[↩]
- De Ecclesia Christi, BAC, Madrid, 1962, § 666 (traduction par nos soins).[↩]
- « Congrégations romaines », Dictionnaire de théologie catholique, col. 1108. Nous citons volontiers cet ouvrage, plus accessible que d’autres aux lecteurs.[↩]
- « Infaillibilité du pape », DTC, 1709–1714. Voir également Louis Billot, De Ecclesia Christi, Université pontificale grégorienne, Rome, 1827, p. 448, en particulier la fin de la note 1.[↩]
- In Salaverri, op. cit. Lucien Choupin et Salaverri admettent qu’il puisse y avoir des « raisons contre le décret absolument évidentes », et demandent d’en référer « avec la révérence due à la sainte Congrégation ». Choupin admet qu’en un tel cas, on suspende son assentiment et qu’on s’en tienne au « silence obséquieux ».[↩]