M. l’abbé de La Rocque et les « Jeunes Pro » de Saint-Nicolas-du-Chardonnet
en plein apprentissage du rugby pour les enfants irakiens de Mangesh.
Curieuse destination que d’aller passer ses vacances de Noël en Irak, pays en guerre, alors qu’il est coutume de se retrouver en famille pour les fêtes. C’est pourtant le choix qu’ont fait six « Jeunes Pro » parisiens accompagnés du curé de Saint-Nicolas, en partenariat avec l’association SOS Chrétiens d’Orient.
Après un premier épisode l’été dernier consacré à l’encadrement d’un groupe de jeunes chrétiens issus des camps de réfugiés dans le village de Mangesh, nos volontaires ont passé Noël dans ce même village de montagne, au milieu des chrétiens, habitants ou réfugiés. Ils y ont partagé leur vie, leur foi, en écoutant leurs souffrances et en essayant de leur insuffler l’espérance surnaturelle de Noël. Quelle joie surprenante de chanter ensemble « Il est né le divin enfant », qui en français, qui en chaldéen !
D’un point de vue humain, l’objectif réclamait bien sûr de découvrir la réalité sur le terrain, en rencontrant ces Irakiens qui subissent la guerre depuis des années, afin d’avoir leur vision de la situation et de découvrir leur quotidien. Les matinées étaient consacrées à la visite des familles du village, les après-midis à des activités avec les enfants du camp de réfugiés. L’écoute de leur histoire et notre présence, nos sourires, nos prières, en un mot le partage de ces moments communs, ont été le principal secours moral pour ces populations malmenées depuis si longtemps, au-delà des aides matérielles périssables qui, bien que nécessaires, n’apportent qu’un réconfort ponctuel.
Le jour de Noël, l’équipe se rend dans une minuscule « maison » un peu en retrait des autres habitations. Deux semblants de pièces constituent l’intérieur ; aucune isolation, un simple réchaud au pétrole pour l’ensemble ; ni cuisine ni salle de bain, seulement des toilettes sommaires à l’extérieur. La maîtresse de maison nous accueille, gênée, intimidée, elle répond doucement à nos questions traduites. La famille très pauvre a émigré lorsque Daesh a pris leur village proche de Mossoul. Ils y ont laissé leur maison et tous leurs biens, et leur pauvreté actuelle ne permet plus de soigner l’un de leur fils qui doit subir des traitements médicaux importants en raison d’une maladie rare. Autant que nous le pouvons, nous les aidons à la poursuite de ces soins indispensables.
À quelques pâtés de maisons, un camp de réfugiés a été dressé. On y compte une quarantaine de bungalows, d’une douzaine de mètres carrés. En chacun s’y entasse une famille de 3 ou 4 personnes, parfois plus. Il est difficile de fixer un chiffre, que les autorités du village sont incapables de communiquer. En effet, le recensement effectué dans ces communautés comptabilise le nombre de familles – cellule souche de la société – et non l’individu, comme c’est le cas en nos pays atomisés. Il y a quelque chose de sain en cette conception de la société que nous avons pour notre part perdu depuis longtemps, et qu’ils protègent au sien même de leurs épreuves. Malgré l’éclatement des communautés, on y retrouve une hiérarchie, un ordre naturel, sous l’égide du curé, de la maire, du mokhtar. Ils ont gardé le sens du bien commun, vivant de manière très communautaire. Et si tout s’y négocie, il s’agit surtout d’une question d’honneur, peu importe in fine le prix retenu.
Pourtant, ces populations n’ont aucune gestion des priorités, chacun disposant du superflu (dernier téléphone, télévision), alors que l’indispensable manque. Mais le poids des épreuves, le manque de vision d’un avenir meilleur qui leur paraît inaccessible, le découragement qui y est lié, tout cela rend compliqué, et même parfois impossible, l’ordonnancement des actions. Seule la main secourable, l’écoute attentive, le respect de leur liberté et de leur culture, des explications et des actes de bienveillance destinés à rendre la confiance peuvent permettre une reconstruction. C’est à cette reconstruction que nous voulons les aider. Devant leur situation et leur avenir obscurci depuis la chute de Saddam en 2003, puis l’arrivée de l’État Islamique en 2014, ces minorités chrétiennes se sentent condamnées à la migration, autrement dit à l’abandon de leurs terres, de leur identité, de leur histoire. Le manque de travail semble faire force de loi, la survie réclamant alors l’exil.
Pourtant ce village de Mangesh, lieu de notre séjour, est plein de potentiel, surtout dans le domaine agro-alimentaire. Les rencontres constructives entre le père Nadjeeb (qui sauva les manuscrits historiques de Mossoul) et l’abbé de La Rocque, puis avec les autorités de Mangesh, comme le mokhtar, la maire, ou le curé, permirent peu à peu d’identifier les véritables besoins. Relancer ce potentiel économique permettrait à cette chrétienté de subsister, et même de se développer. Cela devient une priorité, qu’ils ne peuvent réaliser par eux-mêmes, faute de moyens. Plus qu’une priorité, c’est une question de survie pour cette chrétienté menacée.
Notre devoir est de les aider à se maintenir, à se battre sans fatalisme, tout en prenant les riches enseignements qu’ils nous apportent. Leur exemple nous invite à refonder une véritable communauté catholique solidaire, en luttant contre notre individualisme ambiant, contre cette guerre de tous contre tous, en recherchant dans la charité le bien de l’autre et le bien commun par la hiérarchie des priorités dans la foi.
Ces dix jours irakiens permirent encore un passage sur des lieux chargés d’histoire : grotte de l’apôtre saint Thomas à Mangesh – c’est de là qu’est vraiment partie l’évangélisation de la Mésopotamie – tombeau du prophète Nahum dans l’ancienne synagogue d’al Qosh, monastère de Rabban Hormizd… Seul le monastère de Mar Mati nous fut inaccessible, de par une poussée de Daesh jusqu’à ses pieds. Ce séjour, désormais gravé dans nos mémoires, nous a finalement permis de renouer avec les bases de notre propre civilisation.
Jean-Baptiste Blanco
Source :Le Chardonnet n° 315 de février 2016