Le pape François veut-​il détruire l’Ordre de Malte ?, par R. de Mattei


Note de la rédac­tion de La Porte Latine :
il est bien enten­du que les com­men­taires repris dans la presse exté­rieure à la FSSPX
ne sont en aucun cas une quel­conque adhé­sion à ce qui y est écrit par ailleurs.

« Bien avant que les nations civiles soient par­ve­nues à éta­blir un droit inter­na­tio­nal ; bien avant qu’elles aient pu for­mer le rêve – qui ne s’est pas encore réa­li­sé – d’une force com­mune pour la défense de la saine liber­té humaine, de l’indépendance des peuples, d’une équi­té paci­fique dans leurs rela­tions mutuelles, l’Ordre de Saint Jean avait réuni en une fra­ter­ni­té reli­gieuse et sous une dis­ci­pline mili­taire, des hommes de huit « langues » dif­fé­rentes, voués à la défense des valeurs spi­ri­tuelles, qui consti­tuent l’apanage com­mun de la chré­tien­té : la foi, la jus­tice, l’ordre social et la paix ».

C’est par ces paroles adres­sées, le 8 jan­vier 1940, par Pie XII aux Chevaliers de l’Ordre Souverain mili­taire de Saint Jean de Jérusalem, dit de Rhodes, que le Professeur Roberto de Mattei, après avoir écrit que le voyage du pape François à Lund chez Luther était un jour funeste, pose la ques­tion de la dis­pa­ri­tion pro­gram­mée de l’Ordre de Malte.

Qui est visé par cette attaque fron­tale si ce n’est le car­di­nal Leo Burke, actuel « Patron » de l’Ordre de Malte, qui lors d’un entre­tien à Lifesitenews, site web pro-​vie amé­ri­cain, est reve­nu sur les dubia envoyés au pape et a lan­cé un sem­blant d’ul­ti­ma­tum en décla­rant que si le pape ne répon­dait pas aux cinq dubia sur l’ex­hor­ta­tion Amoris Laetitia, il serait pro­cé­dé à une « cor­rec­tion for­melle » – ou « fra­ter­nelle » – du pape ?

Lors de son pas­sage à Paris, same­di 14 jan­vier où il a conclu sa très belle confé­rence au XIIIe congrès théo­lo­gique du Courrier de Rome par un appel à retrou­ver l’es­prit contre-​révolutionnaire du Coetus et de Mgr Lefebvre, le Professeur a confir­mé à un audi­teur que « mal­heu­reu­se­ment il res­sort des der­nières affaires concer­nant l’Ordre de Malte que le pape Bergoglio a bien l’in­ten­tion de détruire cette ins­ti­tu­tion, gloire de la Chrétienté ».

La Porte Latine du 16 jan­vier 2017

Article du Professeur de Mattei à propos de l’attaque du Pape contre l’Ordre de Malte


Le Pape François et Fra Matthew FESTING, 79ème Grand Maitre de l’Ordre Souverain de Malte

Corrispondenza Romana, le 24 décembre 2016, a appor­té une pre­mière recons­ti­tu­tion des faits. Edward Pentin, dans le National Catholic Register du 7 jan­vier 2017, a appro­fon­di et enri­chi le scé­na­rio de nou­veaux détails. Voici, en résu­mé, la situa­tion : le 6 décembre, le Grand Maître de l’Ordre de Malte, Fra Matthew Festing, en pré­sence de deux témoins, dont le car­di­nal patron Raymond Leo Burke, a deman­dé au Grand Chancelier Albrecht Freiherr von Boeselager de remettre sa démis­sion. Une affaire avait en effet écla­té au grand jour : le Grand Chancelier Boeselager, dans la période où il était Grand Hospitalier de l’Ordre, avait abu­sé de son pou­voir, en pro­mou­vant la dis­tri­bu­tion, dans cer­tains pays du Tiers-​monde, des mil­liers de pré­ser­va­tifs et de contra­cep­tifs, y com­pris abor­tifs. Malgré le vœu d’obéissance qui le lie au Grand Maître, le Grand Chancelier a refu­sé de se démettre. A donc été enga­gée à son encontre une pro­cé­dure de sus­pen­sion de toutes les charges qu’il recou­vrait. Boeselager a deman­dé l’aide de la Secrétairerie d’Etat du Vatican, qui a nom­mé une com­mis­sion d’enquête afin de « recueillir des élé­ments pour infor­mer comme il se doit et briè­ve­ment le Saint-​Siège », sur cette affaire.

Le 23 décembre, le Grand Maître de l’Ordre a qua­li­fié d’ « inac­cep­table » la déci­sion de la Secrétairerie d’Etat, en rap­pe­lant que le limo­geage de Boeselager est un« acte d’administration interne du gou­ver­ne­ment de l’Ordre Souverain de Malte et que, par consé­quent, il est exclu­si­ve­ment de son res­sort ».Par une décla­ra­tion ulté­rieure du 10 jan­vier, le Grand Maître a rap­pe­lé son inten­tion de ne pas col­la­bo­rer avec la com­mis­sion d’enquête vati­cane, « éga­le­ment dans le but de pré­ser­ver sa sphère de sou­ve­rai­ne­té par rap­port à des ini­tia­tives qui prennent des formes objec­ti­ve­ment des­ti­nées (et donc au-​delà des inten­tions, qui n’ont pas d’importance en matière juri­dique) à mettre en dis­cus­sion ou de toute façon à limi­ter ladite sphère ».

L’initiative du Vatican est appa­rue immé­dia­te­ment comme une gaffe reten­tis­sante. Le sys­tème juri­dique de l’Ordre de Malte est régi par la charte consti­tu­tion­nelle de 1997. L’article 3 de cette charte, au para­graphe 1, sti­pule que « l’Ordre est sujet de droit inter­na­tio­nal et exerce des fonc­tions de sou­ve­rai­ne­té ». Ces fonc­tions sont : le pou­voir exé­cu­tif, répré­sen­té par le Grand Maître, assis­té par le Souverain Conseil ; le pou­voir légis­la­tif, repré­sen­té par le Chapitre géné­ral ; le pou­voir judi­ciaire, repré­sen­té par les Tribunaux Magistraux. L’Ordre de Malte émet des pas­se­ports diplo­ma­tiques et jouit de sièges extra­ter­ri­to­riaux à Rome, où il reçoit offi­ciel­le­ment les repré­sen­tants des plus de cent Etats avec les­quels il entre­tient des rela­tions d’égal à égal. L’Ordre a des rap­ports pri­vi­lé­giés avec le Saint-​Siège, mais en toute auto­no­mie. Le Saint-​Siège nomme un car­di­nal Patron et l’Ordre un ambas­sa­deur, selon les normes du droit inter­na­tio­nal. Comme le fait obser­ver le pro­fes­seur Paolo Gambi, tout en jouis­sant de la nature reli­gieuse propre des ordres dépen­dants de l’autorité ecclé­sias­tique, l’Ordre a une posi­tion tout à fait par­ti­cu­lière « béné­fi­ciant d’une auto­no­mie presqu’unique dans le pay­sage ecclé­sias­tique et limi­tant les inci­dences de cette nature aux membres qui ont émis des vœux » (La sobe­ra­na mili­tar Orden de Malta en el orden juri­di­co ecle­sial e inter­na­cio­nal, Ius Canonicum, XLIV, n° 87 (2004), p. 203). L’article 4 para­graphe 6 de la Charte Constitutionnelle de l’Ordre Souverain de Malte est clair, quand il éta­blit que « la nature reli­gieuse de l’Ordre n’exclut pas l’exercice des pré­ro­ga­tives sou­ve­raines lui reve­nant en sa qua­li­té de sujet de droit inter­na­tio­nal recon­nu par les Etats ». On trouve la confir­ma­tion de ce sta­tut de droit inter­na­tio­nal éga­le­ment à l’égard du Saint-​Siège dans l’Annuaire Pontificale, où l’Ordre est cité une seule fois et non par­mi les ordres reli­gieux, mais plu­tôt dans les Ambassades des Etats accré­di­tées auprès du Saint-​Siège. La Charte consti­tu­tion­nelle de 1997 a même éli­mi­né diverses inter­ven­tions ecclé­sias­tiques qui était aupa­ra­vant pré­vues, comme l’approbation du Saint-​Siège pour la vali­di­té de l’élection du Grand Maître et l’accord express du Saint-​Siège pour que la pro­fes­sion solen­nelle des vœux soit valide. 

La com­pé­tence du Saint-​Siège sur la vie reli­gieuse des Chevaliers concerne uni­que­ment ceux qui appar­tiennent à la pre­mière classe, les Chevaliers de Justice, qui émettent, de façon solen­nelle, les trois vœux monas­tiques. Les membres de la seconde classe, les Chevaliers en obé­dience, dont la pro­messe n’a rien à voir avec le vœu d’obéissance pro­non­cé par les Chevaliers de Justice, ne sont subor­don­nés qu’à leurs supé­rieurs dans l’Ordre. L’ex Grand Chancelier, Albrecht von Boeselager, marié et père de cinq enfants, est un laïc qui appar­tient à la seconde classe et ne dépend aucu­ne­ment du Saint-​Siège. Par ailleurs, les Chevaliers de Justice, qui doivent être consi­dé­rés comme « des reli­gieux à tous les effets » (art.9 para­graphe 1, Charte Constitutionnelle), n’ont pas de vie com­mune et repré­sentent un cas unique dans la vie de l’Eglise. Fra Ludovico Chigi Albani del­la Rovere (1866–1951), prince et Grand Maître de l’Ordre de 1931 à 1951, après la mort de sa femme (1898) pro­non­ça des vœux reli­gieux en tant que Chevalier de Justice, mais conti­nua à vivre au palais Chigi, qui jusqu’en 1916 était de la pro­prié­té de sa famille, menant une vie de grand sei­gneur, comme il conve­nait à son rang. 

Naturellement, l’Eglise a sur l’Ordre de Malte le même droit que celui qu’elle pos­sède à l’égard de tout Etat, quand sont en jeu des pro­blèmes qui touchent direc­te­ment la foi et la morale. Le Pape a en effet le droit et le devoir d’intervenir sur toute ques­tion poli­tique et sociale en rap­port avec la réa­li­sa­tion de la fin suprême de l’homme, la vie éter­nelle. Si un Etat léga­lise l’union sexuelle contre nature, le pape a le devoir d’intervenir, en dénon­çant la très grave vio­la­tion de la loi divine et natu­relle. Et si l’Ordre de Malte encou­rage la contra­cep­tion et l’avortement, le pape a le devoir de s’exprimer. Il se trouve qu’aujourd’hui l’Eglise au contraire s’abstient de se pro­non­cer sur les pro­blèmes moraux qui lui sont propres, et inter­vient sur des ques­tions poli­tiques et admi­nis­tra­tives qui ne sont pas de sa com­pé­tence. Christopher Lamb, dans le Tablet du 5 jan­vier, cite une lettre envoyée le 21 décembre à Fra Matthew Festing par le Secrétaire d’Etat, le car­di­nal Pietro Parolin, dans laquelle il expose que le pape François désire que le limo­geage de von Boeselager n’ait pas lieu. « Comme je l’avais déjà expri­mé dans ma lettre pré­cé­dente du 12 décembre 2016 : sur l’usage et la dif­fu­sion de méthodes et moyens contraires à la loi morale, Sa Sainteté a deman­dé un dia­logue de façon à ce que d’éventuels pro­blèmes puissent être affron­tés et réso­lus. Mais il n’a jamais dit de chas­ser quelqu’un !».

Donc, à l’égard de ceux qui violent la loi divine et natu­relle, la voie est celle du dia­logue et de la main ten­due. Pour ceux qui, en revanche, défendent la foi et la morale catho­lique, le bâton du com­mis­sion­ne­ment poli­tique et de la com­mis­sion d’enquête est prêt. Le groupe des Chevaliers pla­cé sous l’autorité d’Albrecht von Boeselager, repré­sente le cou­rant sécu­la­riste qui vou­drait trans­for­mer l’ordre de Malte en une ONG huma­ni­taire. La classe diri­geante actuelle repré­sente au contraire la fidé­li­té aux racines reli­gieuses de l’Ordre. Mais peut-​être est-​ce là son péché grave, auquel vient s’en ajou­ter un autre. Au cours de ses neuf siècles d’histoire, l’Ordre Souverain de Malte n’a jamais per­du sa phy­sio­no­mie propre aris­to­cra­tique, che­va­le­resque et sou­ve­raine. Cette phy­sio­no­mie repré­sente l’antithèse du misé­ra­bi­lisme et de l’égalitarisme pro­fes­sés par qui gou­verne aujourd’hui l’Eglise. Et c’est ain­si qu’on dénonce le clé­ri­ca­lisme, mais qu’on l’applique de fait, avec des consé­quences désas­treuses. En effet, la rude inter­ven­tion de la secré­tai­re­rie d’Etat, au nom du pape François, est en train de pro­duire chaos et divi­sions à l’intérieur de l’Ordre.

L’Ordre Souverain Militaire de Malte, a tou­jours, au cours de son his­toire, sur­mon­té les vicis­si­tudes. Pendant deux siècles en Palestine, deux siècles à Rhodes, deux siècles et demi à Malte, sa mis­sion sem­bla plu­sieurs fois se ter­mi­ner, mais l’institution res­sus­ci­ta tou­jours, même lorsque défer­la sur l’Europe le tour­billon de la Révolution fran­çaise et de Napoléon. Il est à sou­hai­ter que le Grand Maître Fra Matthew Festing et le Souverain Conseil qui l’assiste, sachent résis­ter avec fer­me­té aux fortes pres­sions qu’ils subissent aujourd’hui. Nu n’aurait pu mettre en doute l’amour pour la Papauté du Grand Maître Ludovico Chigi Albani, qui, en sa qua­li­té de Maréchal de la Sainte Eglise Romaine, prit part à trois élec­tions pon­ti­fi­cales. Et pour­tant, ce der­nier s’opposa fer­me­ment à toute ten­ta­tive ecclé­sias­tique d’ingérence dans la vie de l’Ordre.

Le Saint-​Siège dut recon­naître la nature sou­ve­raine de l’Ordre de Malte, « sans inter­fé­rence de la part d’autres auto­ri­tés laïques ou reli­gieuses », comme l’a rap­pe­lé Benoît XVI, en rece­vant les Chevaliers, à l’occasion du neu­vième cen­te­naire du pri­vi­lège Pie pos­tu­la­tio volun­ta­tis du 15 février 1113. Par cet acte solen­nel, a rap­pe­lé le pape Benoît, « Pascal II pla­çait la toute jeune ‘fra­ter­ni­té hos­pi­ta­lière’ de Jérusalem, dédiée à Saint Jean-​Baptiste, sous la tutelle de l’Eglise, et la ren­dait sou­ve­raine ». (

Professeur Roberto de Mattei.

Sources : Il Tempo/​Correspondance Européenne/​Traduction de Marie Perrin/​La Porte Latine du 16 jan­vier 2017