Les catholiques chinois, de Benoît XVI à François

1. Par un com­mu­ni­qué daté de ce same­di 22 sep­tembre 2018, le Saint-​Siège a annon­cé la signa­ture, à Pékin, d’un « accord pro­vi­soire » entre le Vatican et la République popu­laire de Chine, « concer­nant la nomi­na­tion des évêques ». Et voi­ci que le mer­cre­di sui­vant, 26 sep­tembre, le Pape François adresse un Message aux catho­liques chi­nois et à l’Église uni­ver­selle. « J’ai déci­dé », y dit-​il [1], « d’ac­cor­der la récon­ci­lia­tion aux sept évêques offi­ciels res­tant, ordon­nés sans man­dat pon­ti­fi­cal et, ayant sup­pri­mé toute sanc­tion cano­nique rela­tive à leurs cas, de les réad­mettre dans la pleine com­mu­nion ecclé­siale. » Les réac­tions ne se sont pas faites attendre. Celle du car­di­nal Zen, arche­vêque émé­rite de Hong Kong, a été la plus remar­quée. Qualifiant cet acte comme une « tra­hi­son incroyable », le pré­lat com­mente : « Les consé­quences seront tra­giques et durables, non seule­ment pour l’Église en Chine, mais pour toute l’Église car cela nuit à la cré­di­bi­li­té [2]

2. La Chine est sou­mise à un régime com­mu­niste depuis 1949. Depuis, les catho­liques y subissent la per­sé­cu­tion, en rai­son même de leur fidé­li­té au Pape. L’article 36 de la Constitution de la République pose en effet le prin­cipe selon lequel toute reli­gion doit être assu­jet­tie au contrôle du gou­ver­ne­ment, afin d’é­vi­ter toute domi­na­tion étran­gère. Pour assu­rer ce contrôle, en 1957, les auto­ri­tés mettent en place une Association catho­lique patrio­tique de Chine, qui équi­vaut en pra­tique à une église schis­ma­tique natio­nale, dont les évêques sont non seule­ment choi­sis par le gou­ver­ne­ment mais encore consa­crés selon ses ordres, en toute indé­pen­dance de Rome. L’Association patrio­tique doit même offi­ciel­le­ment désa­vouer le Pape. Le cler­gé catho­lique sou­cieux de demeu­rer fidèle au Saint-​Siège est obli­gé de se consti­tuer de manière clan­des­tine et illé­gale. Distinction est donc faite entre d’une part des évêques dits offi­ciels, membres de l’Association patrio­tique, en réa­li­té schis­ma­tiques et condam­nés comme tels par Rome, et d’autre part des évêques dits clan­des­tins, en réa­li­té vrais catho­liques romains, fidèles au pape et injus­te­ment persécutés.

3. Telle est la situa­tion clai­re­ment décrite par Pie XII, dans sa Lettre Ad apos­to­lo­rum Principis du 29 juin 1958 [3]. « Suivant un plan soi­gneu­se­ment éla­bo­ré », explique le Pape, « on a fon­dé chez vous une Association dite patrio­tique et par tous les moyens on pousse les catho­liques à y adhé­rer. Le but de cette Association, comme on l’a répé­té plu­sieurs fois, serait d’u­nir le cler­gé et les fidèles au nom de l’a­mour de la patrie et de la reli­gion, pour pro­pa­ger l’es­prit patrio­tique, pro­mou­voir la paix par­mi les peuples, coopé­rer à la construc­tion du socia­lisme déjà éta­bli dans le pays, aider les auto­ri­tés civiles à défendre ce qu’ils appellent la poli­tique de liber­té reli­gieuse. Mais il est clair que, sous ces expres­sions vagues de paix et de patrio­tisme qui peuvent induire en erreur les gens simples, ce mou­ve­ment défend des objec­tifs et pro­page des ini­tia­tives détes­tables. » Pourquoi ? Parce que « sous pré­texte de patrio­tisme, l’as­so­cia­tion veut conduire gra­duel­le­ment les catho­liques à don­ner leur adhé­sion et leur appui aux prin­cipes du maté­ria­lisme athée, néga­teur de Dieu et de toutes les valeurs spi­ri­tuelles. » Bref, cette Association se fait le relais du pou­voir com­mu­niste, en place dans la République popu­laire de Chine, depuis 1949. Ce pou­voir ambi­tionne de « sou­mettre com­plè­te­ment l’Église aux auto­ri­tés civiles et mépri­ser ses droits ». Pour répandre et impo­ser plus faci­le­ment les prin­cipes néfastes de cette Association patrio­tique, le pou­voir com­mu­niste a eu recours à l’op­pres­sion et à la vio­lence. Entre 1949 et 1953, les mis­sion­naires pré­sents en Chine sont chas­sés et ceux qui veulent échap­per à cet exil sont empri­son­nés ou mis à mort. Cette per­sé­cu­tion pro­pre­ment dite s’est pour­sui­vie jusque dans les années 1990. Elle per­siste encore aujourd’­hui, à l’é­tat endé­mique, dans le cadre d’une poli­tique auto­ri­taire de contrôle et de res­tric­tions. Les catho­liques chi­nois res­tent dont per­sé­cu­tés, sinon phy­si­que­ment du moins mora­le­ment et l’Église romaine ne béné­fi­cie en Chine d’au­cune vraie liberté.

4. Non content de pro­tes­ter contre cette per­sé­cu­tion injuste, Pie XII réagit en son temps avec vigueur contre l’at­teinte qu’elle porte à l’u­ni­té de l’Église. « Il revient uni­que­ment au Siège apos­to­lique », rappelle-​t-​il, « de juger de l’ap­ti­tude d’un ecclé­sias­tique à rece­voir la digni­té et la mis­sion épis­co­pales et il revient au Pontife Romain de nom­mer libre­ment les évêques. Et même comme il arrive en cer­tains cas, lors­qu’il est per­mis à d’autres per­sonnes ou groupes de per­sonnes d’in­ter­ve­nir en quelque manière dans le choix d’un can­di­dat à l’é­pis­co­pat, cela n’est légi­time qu’en ver­tu d’une conces­sion – expresse et par­ti­cu­lière – faite par le Saint- Siège à des per­sonnes ou à des groupes bien déter­mi­nés, dans des condi­tions et des cir­cons­tances par­fai­te­ment défi­nies. Ceci éta­bli, il s’en­suit que les évêques qui n’ont été ni nom­més ni confir­més par le Saint- Siège, qui ont même été choi­sis et consa­crés contre ses dis­po­si­tions expli­cites, ne peuvent jouir d’au­cun pou­voir de magis­tère ni de juri­dic­tion ; car la juri­dic­tion ne par­vient aux évêques que par l’in­ter­mé­diaire du Pontife romain. » De là suit « qu’au­cune auto­ri­té autre que celle du Pasteur suprême, ne peut inva­li­der l’ins­ti­tu­tion cano­nique don­née à un évêque ; aucune per­sonne ou assem­blée, de prêtres ou de laïcs, ne peut s’ar­ro­ger le droit de nom­mer des évêques, per­sonne ne peut confé­rer légi­ti­me­ment la consé­cra­tion épis­co­pale sans la cer­ti­tude préa­lable du man­dat pon­ti­fi­cal. Une consé­cra­tion ain­si confé­rée contre tout droit et qui est un très grave atten­tat à l’u­ni­té même de l’Église, est punie d’une excom­mu­ni­ca­tion « réser­vée d’une manière très spé­ciale au Saint-​Siège », et encou­rue ipso fac­to non seule­ment par celui qui reçoit cette consé­cra­tion arbi­traire mais aus­si par celui qui la confère. » […] « Les actes rela­tifs au pou­voir d’Ordre, posés par ces ecclé­sias­tiques, même s’ils sont valides – à sup­po­ser que la consé­cra­tion qu’ils ont reçue ait été valide – sont gra­ve­ment illi­cites, c’est-​à-​dire pec­ca­mi­neux et sacrilèges. »

5. Le dis­cours offi­ciel­le­ment adres­sé par le Saint- Siège à l’Église catho­lique de Chine est res­té constant, jus­qu’à la Lettre aux catho­liques chi­nois du Pape Benoît XVI (27 mai 2007). Celui-​ci conti­nue à contes­ter la main­mise « de cer­tains orga­nismes, vou­lus par l’État et étran­gers à la struc­ture de l’Église » sur les nomi­na­tions et les consé­cra­tions épis­co­pales, ain­si que sur le gou­ver­ne­ment de l’Église. « Même la fina­li­té décla­rée des­dits orga­nismes », dit-​il, « de mettre en œuvre « les prin­cipes d’in­dé­pen­dance et d’au­to­no­mie, d’au­to­ges­tion et d’ad­mi­nis­tra­tion démo­cra­tique de l’Église » [4] est incon­ci­liable avec la doc­trine catho­lique qui, depuis les antiques Symboles de foi, pro­fesse que l’Église est une, sainte, catho­lique et apos­to­lique » [5]. De ce fait, Benoît XVI rap­pelle que « la nomi­na­tion des évêques de la part du Pape est la garan­tie de l’u­ni­té de l’Église et de la com­mu­nion hié­rar­chique » et que par consé­quent « le Code de Droit cano­nique (au canon 1382) éta­blit de graves sanc­tions soit pour l’é­vêque qui confère libre­ment l’or­di­na­tion épis­co­pale sans man­dat apos­to­lique, soit pour celui qui la reçoit : une telle ordi­na­tion repré­sente en effet une dou­lou­reuse bles­sure à la com­mu­nion ecclé­siale et une grave vio­la­tion de la dis­ci­pline cano­nique » [6].

6. Cependant, pour rap­pe­ler ces conclu­sions, Benoît XVI s’ap­puie sur les faux prin­cipes de la nou­velle ecclé­sio­lo­gie et de la col­lé­gia­li­té, où l’in­sis­tance est mise sur le pou­voir de l’é­vêque dio­cé­sain et des confé­rences épis­co­pales, beau­coup plus que sur le Primat du Pape. Cela est mani­feste, par exemple, au n° 7 de la Lettre. « Considérant le des­sein ori­gi­nel de Jésus [7] », y est-​il dit, « il appa­raît évident que la pré­ten­tion de cer­tains orga­nismes, vou­lus par l’État et étran­gers à la struc­ture de l’Église, de se pla­cer au-​dessus des évêques eux-​mêmes et de gui­der la vie de la com­mu­nau­té ecclé­siale ne cor­res­pond pas à la doc­trine catho­lique selon laquelle l’Église est « apos­to­lique », comme l’a aus­si rap­pe­lé le Concile Vatican II. L’Église est apos­to­lique « par son ori­gine, parce qu’elle a pour fon­da­tions les Apôtres (Éph, II, 20) ; par son ensei­gne­ment, qui est celui des Apôtres ; par sa struc­ture, parce qu’elle est édi­fiée, sanc­ti­fiée et gou­ver­née, jus­qu’au retour du Christ, par les Apôtres, grâce à leurs suc­ces­seurs, les évêques en com­mu­nion avec le suc­ces­seur de Pierre » [8]. Par consé­quent, dans toute Église par­ti­cu­lière, seul « l’é­vêque dio­cé­sain paît au nom du Seigneur le trou­peau qui lui est confié comme son pas­teur propre, ordi­naire et immé­diat » [9] et, au niveau natio­nal, seule une Conférence épis­co­pale légi­time peut for­mu­ler des orien­ta­tions pas­to­rales, valables pour la tota­li­té de la com­mu­nau­té catho­lique du Pays concer­né. [10] » Ce pas­sage de la Lettre n’in­dique pas avec toute la clar­té et la fer­me­té requises le véri­table enjeu de la ques­tion. La dif­fi­cul­té pré­ci­sé­ment posée par la hié­rar­chie offi­cielle chi­noise, mise en place par l’Association patrio­tique, n’est pas que les évêques n’y exer­ce­raient pas le pou­voir sur les dio­cèses. Elle tient à ce que cette hié­rar­chie désa­voue le prin­cipe même du Primat du Pape. Dans la Lettre de Benoît XVI, ce motif fon­da­men­tal n’est guère mis en lumière. La réfé­rence à Rome n’est plus qu’im­pli­cite et elle n’ap­pa­raît plus comme l’ex­pres­sion d’une dépen­dance des évêques vis-​à-​vis du pou­voir suprême et uni­ver­sel de juri­dic­tion du suc­ces­seur de saint Pierre ; elle s’ex­plique en rai­son de la « com­mu­nion hié­rar­chique avec la tête et les membres du Collège », néces­saire seule­ment à l’exer­cice du triple pou­voir de sanc­ti­fier, d’en­sei­gner et de gou­ver­ner, et non à son exis­tence, laquelle est suf­fi­sam­ment pro­duite par la consé­cra­tion épis­co­pale valide [11].

7. Mais il y a pire encore. D’un point de vue pas­to­ral, « les fidèles doivent donc recher­cher, dans la mesure du pos­sible, pour la célé­bra­tion eucha­ris­tique et pour les autres sacre­ments, des évêques et des prêtres qui sont en com­mu­nion avec le Pape ; cepen­dant, lorsque cela n’est pas réa­li­sable sans de graves dif­fi­cul­tés pour eux, ils peuvent, pour ce que leur bien spi­ri­tuel exige, s’a­dres­ser aus­si à ceux qui ne sont pas en com­mu­nion avec le Pape » [12]. Voilà qui est grave : eût-​on ima­gi­né le Pape Pie VI encou­ra­geant les catho­liques ven­déens à recou­rir « pour leur bien spi­ri­tuel » au minis­tère des prêtres asser­men­tés à la Constitution Civile du Clergé, à défaut de pou­voir béné­fi­cier des sacre­ments des prêtres res­tés fidèles à Rome ? Il ne s’a­git pas seule­ment de rece­voir vali­de­ment les sacre­ments. Il s’a­git de demeu­rer fidèle à la sainte Église en demeu­rant atta­ché à son chef visible, l’é­vêque de Rome, seul repré­sen­tant légi­time du Christ ici-​bas – et non point seule­ment « Tête » d’un hypo­thé­tique « Collège ». Il s’a­git de refu­ser le schisme pour demeu­rer dans l’u­ni­té de l’Église. Mais à la défi­ni­tion claire de cette uni­té catho­lique et romaine, fon­dée sur le Primat de juri­dic­tion du Pape, les faux prin­cipes de la nou­velle ecclé­sio­lo­gie ont sub­sti­tué le mirage d’une sup­po­sée « com­mu­nion », à géo­mé­trie variable, fon­dée sur une concep­tion faus­sée de la sacra­men­ta­li­té de l’é­pis­co­pat [13]. En rai­son de ces prin­cipes, le Pape Benoît XVI lui-​même vou­drait admettre, au béné­fice des catho­liques demeu­rés fidèles à Rome, une forme d’hos­pi­ta­li­té eucha­ris­tique chez les évêques offi­ciels schis­ma­tiques [14]. Pie XII rap­pe­lait pour­tant que les actes du pou­voir d’ordre accom­plis par ces ministres (donc la célé­bra­tion de l’eu­cha­ris­tie) sont « gra­ve­ment illi­cites, c’est-​à-​dire pec­ca­mi­neux et sacri­lèges ». S’adresser à des évêques qui ne sont pas en com­mu­nion avec le Pape serait en l’oc­cur­rence com­mettre le grave délit de la « com­mu­ni­ca­tio in sacris » [15].

8. Voilà pour­quoi nous sommes bien obli­gés de recon­naître que ce dis­cours de Benoît XVI n’est pas sim­ple­ment édul­co­ré ; il est déjà vicié dans son fond par les faux prin­cipes de Vatican II, et bien éloi­gné, en tout cas, de la fer­me­té doc­tri­nale d’un Pie XII. Celui-​ci rap­pe­lait à juste titre que les évêques consa­crés sans man­dat pon­ti­fi­cal ne l’a­vaient pas été pour pour­voir des dio­cèses vacants, mais sou­vent pour occu­per des sièges épis­co­paux dont les titu­laires légi­times avaient été expul­sés ou lan­guis­saient en pri­son, ou étaient empê­chés de diverses manières d’exer­cer libre­ment leur juri­dic­tion ; et qu’en outre avaient été éga­le­ment empri­son­nés et expul­sés ou écar­tés les ecclé­sias­tiques que les pas­teurs légi­times – selon les pres­crip­tions du droit canon et les ins­truc­tions spé­ciales reçues du Saint-​Siège – avaient dési­gnés pour les rem­pla­cer dans le gou­ver­ne­ment du dio­cèse [16]. Comment alors conce­voir un légi­time recours, par défaut, aux évêques offi­ciels de l’Association patrio­tique ? Pie XII était très clair. « Il est vrai­ment pénible », disait-​il, « qu’au moment où des pas­teurs zélés souffrent de telles tri­bu­la­tions, on pro­fite de leur épreuve pour éta­blir à leur place de faux pas­teurs, pour ren­ver­ser l’or­ga­ni­sa­tion hié­rar­chique de l’Église, pour se rebel­ler contre l’au­to­ri­té du Pontife romain [17]. » Quel « bien spi­ri­tuel » des fidèles pour­rait moti­ver les fidèles catho­liques pour qu’ils s’a­dressent à ces faux pas­teurs ? Songeons à tous ceux qui ont même pré­fé­ré ver­ser leur sang plu­tôt que de recon­naître comme pas­teurs ces loups entrés dans la ber­ge­rie. Le vrai bien spi­ri­tuel des fidèles consiste ici à évi­ter le scan­dale d’une démis­sion ou d’une moindre résis­tance au pou­voir com­mu­niste. Car le com­mu­nisme, rap­pe­lait Pie XI, dans l’Encyclique Divini Redemptoris, est « intrin­sè­que­ment pervers ».

9. L’indignation du car­di­nal Zen, face aux pré­sentes manœuvres du Pape François, se fait direc­te­ment l’é­cho de celle de Pie XII. Elle est juste et louable. Mais soyons sans illu­sions : pour être consé­quente avec elle­même, au-​delà de ce que fait aujourd’­hui François, cette indi­gna­tion devrait s’en prendre déjà aus­si au dis­cours pré­cé­dent de Benoît XVI, le Pape qui a créé car­di­nal l’an­cien arche­vêque de Hong Kong. Car François achève aujourd’­hui ce que son pré­dé­ces­seur a com­men­cé il y a dix ans.

10. Le Message du 26 sep­tembre 2018 annonce la réad­mis­sion des évêques offi­ciels « dans la pleine com­mu­nion ecclé­siale », et laisse entendre que le Pape pour­rait s’en­tendre avec le gou­ver­ne­ment chi­nois pour pro­cé­der de concert avec lui à la nomi­na­tion des évêques. Certes, oui, le Pape a ce pou­voir de pro­cla­mer une amnis­tie, de lever les cen­sures encou­rues (par exemple l’ex­com­mu­ni­ca­tion) et de réin­té­grer les schis­ma­tiques dans la com­mu­nion de l’Église. C’est ce que fit le Pape Pie VII (1800–1823) au len­de­main de la Révolution fran­çaise. Et comme le rap­pelle Pie XII, cité plus haut [18], dans l’Encyclique Ad Apostolorum Principis, une conces­sion expresse du Saint-​Siège peut tou­jours don­ner aux gou­ver­nants la pos­si­bi­li­té d’in­ter­ve­nir dans le choix des futurs évêques. C’est pour­quoi, prise en tant que telle, l’i­ni­tia­tive de François, pen­sée et vou­lue comme un accord pas­to­ral, ne va en rien contre le dogme et la dis­ci­pline de l’Église. Néanmoins, il y a sans aucun doute là une faute gra­vis­sime contre la pru­dence, qui devrait gar­der ici comme ailleurs tous ses droits, et prendre en compte les cir­cons­tances dans les­quelles doit se faire l’ac­cord. La situa­tion des catho­liques chi­nois eût récla­mé de la part du Pape une fer­me­té dénuée de conces­sions. C’est ici que la pro­tes­ta­tion du car­di­nal Zen trouve sa rai­son d’être, car il y a là « un aban­don total de notre foi » [19], non pas au sens où le Pape apos­ta­sie­rait direc­te­ment mais au sens où il renonce à tenir tête à la per­sé­cu­tion com­mu­niste, en recher­chant des accom­mo­de­ments trop faciles. Par cet accord, le Pape espère que la Chine et le Siège Apostolique pour­ront mettre tout en œuvre pour pro­mou­voir le déve­lop­pe­ment inté­gral de la socié­té, assu­rant un plus grand res­pect de la per­sonne humaine y com­pris dans le domaine reli­gieux » et tra­vailler pour « édi­fier un ave­nir de paix et de fra­ter­ni­té entre les peuples »[20]. Mais qui ne voit que le vrai res­pect des per­sonnes, non plus que la vraie paix et la vraie fra­ter­ni­té, sont impos­sibles tant que s’exer­ce­ra l’emprise du com­mu­nisme, au mépris des exi­gences du Règne social du Christ Roi ? L’espérance du Pape n’est qu’un leurre, un de plus à l’ac­tif de Vatican II et de sa nou­velle doc­trine sociale ins­pi­rée de Gaudium et spes.

11. Le chro­ni­queur vati­ca­niste du Figaro conclut pour sa part : « C’est sur le mil­lé­naire en cours que François réflé­chit. Et non plus sur les consé­quences du com­mu­nisme au XXe siècle [21]. » Le mil­lé­naire en cours est pour­tant celui où la per­sé­cu­tion com­mu­niste connaît en Chine une recru­des­cence notable. Au sur­plus, la réflexion du Pape resterait-​elle limi­tée au cours éphé­mère d’une période tem­po­relle de l’his­toire ? La Parole de Dieu, dont il devrait pour­tant se faire le garant et l’in­ter­prète, ne devrait-​elle pas le conduire à réflé­chir plu­tôt à la lumière de l’é­ter­ni­té, dans l’é­clai­rage de ces véri­tés qui ne pas­se­ront pas et qui dominent de bien haut le cours des vicis­si­tudes humaines ? C’est en tout cas à cette hau­teur de vue que les mar­tyrs de l’Église sou­ter­raine chi­noise ont choi­si de se pla­cer pour réflé­chir à la lumière de l’Évangile et demeu­rer fidèles, mal­gré les com­pro­mis­sions hon­teuses de l’ac­tuel suc­ces­seur de saint Pierre.

Abbé Jean-​Michel Gleize, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

Sources : Courrier de rome n° 613 de sep­tembre 2018 /​La Porte Latine du 9 octobre 2018

Notes de bas de page
  1. Au n° 3.[]
  2. « Déclaration » à l’Agence de presse Reuters, reprise par JEAN-​MARIE GUÉNOIS dans Le Figaro du lun­di 24 sep­tembre 2018, p. 7.[]
  3. AAS, T. L, p. 601 et sq. La tra­duc­tion fran­çaise se trouve dans les Documents pon­ti­fi­caux de Sa Sainteté Pie XII, Éditions Saint-​Augustin, Saint Maurice (Suisse), vol​.de l’an­née 1958, p. 327–338 (réfé­rence abré­gée en DP).[]
  4. Statuts de l’Association patrio­tique catho­lique chi­noise, 2004, article 3.[]
  5. BENOÎT XVI, Lettre aux catho­liques chi­nois du 27 mai 2007, n° 7.[]
  6. Cf. le n° 9 de la Lettre.[]
  7. Cf. BENOÎT XVI, « Audience géné­rale du mer­cre­di 5 avril 2006 » dans la Documentation catho­lique n° 103, p. 418. Dans la ligne des dis­cours tenus lors des Audiences pré­cé­dentes des 15, 22 et 29 mars, celui-​ci défi­nit l’Église comme une com­mu­nion sus­ci­tée par l’Esprit au contact du Christ et dont les Apôtres sont les gar­diens et les témoins auto­ri­sés. L’Église n’ap­pa­raît plus d’a­bord comme une socié­té fon­dée sur Pierre. Les suc­ces­seurs des Apôtres viennent avant le suc­ces­seur de Pierre, qui est seule­ment la « tête » de leur Collège.[]
  8. Abrégé du Catéchisme de l’Église catho­lique, n° 174.[]
  9. JEAN-​PAUL II, Lettre apos­to­lique Apostolos suos en forme de Motu pro­prio du 21 mars 1998, n° 10.[]
  10. Code de Droit Canonique de 1983, canon 447.[]
  11. Cf. le numé­ro 8 de la Lettre.[]
  12. Cf. le n° 10 de la Lettre.[]
  13. Cf. l’ar­ticle « Évêque de Rome » dans le numé­ro de mai 2014 du Courrier de Rome.[]
  14. C’est une chose qu’un schis­ma­tique demeu­ré dans l’i­gno­rance invin­cible et de bonne foi puisse rece­voir des grâces de sanc­ti­fi­ca­tion par le moyen des sacre­ments valides que lui dis­pensent les ministres aca­tho­liques ; mais c’en est une autre qu’un catho­lique par­fai­te­ment conscient de la gra­vi­té du schisme fomen­té par les évêques offi­ciels de l’Association patrio­tique et de l’illé­gi­ti­mi­té de leurs actes minis­té­riels puisse en rece­voir légi­ti­me­ment les sacre­ments. La pre­mière situa­tion fait par­tie du plan de la Providence divine ; la deuxième serait gra­ve­ment contraire à la volon­té de Dieu et à la loi de l’Église.[]
  15. Code de Droit Canonique de 1917, canon 1258, § 1.[]
  16. PIE XII, Ad Apostolorum Principis, DP, p. 337.[]
  17. PIE XII, Ibidem.[]
  18. Cf. le n° 4 du pré­sent article.[]
  19. « Déclaration » à l’Agence de presse Reuters.[]
  20. FRANÇOIS, Message du 26 sep­tembre 2018 aux catho­liques de Chine, n° 10.[]
  21. JEAN-​MARIE GUÉNOIS, « Les rai­sons de la déci­sion his­to­rique du Pape » dans Le Figaro du lun­di 24 sep­tembre 2018, p. 7.[]

FSSPX

M. l’ab­bé Jean-​Michel Gleize est pro­fes­seur d’a­po­lo­gé­tique, d’ec­clé­sio­lo­gie et de dogme au Séminaire Saint-​Pie X d’Écône. Il est le prin­ci­pal contri­bu­teur du Courrier de Rome. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions doc­tri­nales entre Rome et la FSSPX entre 2009 et 2011.