Conférence de Mgr de Galarreta à Villepreux – L’utile leçon de l’épreuve passée

Le same­di 13 octobre 2012, à l’oc­ca­sion des Journées de la Tradition, à Villepreux (France), Mgr Alfonso de Galarreta a don­né cette confé­rence (écou­ter la ver­sion audio ici) où il ana­lyse l’é­tat des rela­tions de la Fraternité Saint-​Pie X avec Rome.

Chers confrères, chers reli­gieux, très chers fidèles, chers amis,

Mon inten­tion est de vous par­ler des qua­li­tés de la milice spi­ri­tuelle, chré­tienne, catho­lique, des condi­tions que doit revê­tir le com­bat pour la foi et évi­dem­ment de vous dire quelques mots sur la situa­tion de la Fraternité vis à vis de Rome.

Dans le livre de Job il est dit : « Militia est vita homi­nis super ter­ram et sicut dies mer­ce­na­rii dies ejus » (Job 7,1). La vie de l’homme sur la terre est un temps de ser­vice, et ses jours sont comme ceux du mer­ce­naire. C’est l’Ecriture, c’est Job qui donne cette figure très intéressante.

Si la vie de tout homme sur terre est un com­bat, à plus forte rai­son la vie du catho­lique, du chré­tien bap­ti­sé, confir­mé et donc enga­gé dans ce com­bat pour le Christ-​Roi. Et je dirais que si la vie de tout chré­tien est un com­bat, la vie du chré­tien d’aujourd’hui est par excel­lence une lutte, un com­bat, un temps de service.

Dans cette phrase nous trou­vons énon­cée la néces­si­té du com­bat, il est néces­saire, c’est notre condi­tion, et cela n’est pas nou­veau, c’est par­tout et tou­jours qu’il a fal­lu se battre. Il y a un com­bat dans la vie, mais sur­tout un com­bat pour conqué­rir l’éternité, ce qui implique beau­coup de choses.

C’est pour­quoi il faut un esprit com­ba­tif. Qu’est-ce qui est requis de la part d’un sol­dat ? Bien sûr qu’il soit capable de lut­ter, de se battre, qu’il soit cou­ra­geux, vaillant.

Ce texte très court fait réfé­rence à une Providence, car aus­si bien un sol­dat qu’un mer­ce­naire sont au ser­vice d’un maître, donc nous com­bat­tons pour Dieu, nous com­bat­tons pour Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. Notre-​Seigneur Jésus-​Christ est notre Chef, Il est notre Maître, mais Il est aus­si le maître de l’histoire, et sa Providence gou­verne toutes les cir­cons­tances particulières.

Saint Jean de la Croix dit que tout est Providence, dans le sens que tout ce qui nous arrive nous est envoyé d’une façon tout à fait consciente et vou­lue par la Providence.

Une vue surnaturelle du combat de la foi

Ensuite un sol­dat, un mer­ce­naire luttent et com­battent pour une vic­toire, et si la vie ici-​bas est un com­bat, cela veut dire que la vic­toire n’est pas sur cette terre. Si toute notre vie est un com­bat, cela veut dire que notre vic­toire est dans l’Eternité.

Je pense qu’il faut que nous gar­dions cette vue de Foi sur­na­tu­relle du combat.

Nous lut­tons dans cette vie sur terre pour une cou­ronne éter­nelle. Mais ce n’est pas pour vous démo­bi­li­ser, car un chré­tien, un catho­lique sait que le com­bat se mène dans cette vie, qu’il est très réel, qu’il faut se battre. Mais en sachant que la vic­toire défi­ni­tive se situe dans l’Eternité, nous n’avons pour ain­si dire pas vrai­ment besoin d’avoir de vic­toire dans cette vie, si Dieu ne le veut pas, puisque notre vic­toire, en der­nière ins­tance, est de conqué­rir l’Eternité et pour nous et pour les nôtres.

Et outre, ce petit ver­set de Job nous montre d’autres aspects de ce com­bat, par exemple : Il est pénible – pénible, dans le sens éty­mo­lo­gique du mot –, le com­bat pour la Foi, le com­bat spi­ri­tuel, sur­na­tu­rel, sup­pose des souf­frances et des épreuves, des contra­dic­tions, et même dans cette vie des défaites.

Sainte Thérèse de Jésus a un texte très beau où elle dit que ce qui est deman­dé au chré­tien ce n’est pas de vaincre mais de lut­ter, ou plu­tôt elle montre que le fait de com­battre pour la Foi est déjà la vic­toire du chrétien.

Et un auteur disait : En fait Dieu n’exige pas de nous la vic­toire, mais il exige de nous de ne pas être vain­cus. C’est fort inté­res­sant comme réflexion, vous voyez que vous pou­vez très bien appli­quer tout cela à cette crise de l’Eglise.

Dieu ne nous demande pas de vaincre, c’est lui qui donne la vic­toire, s’Il veut, quand Il veut, comme Il veut. Cela ne lui coûte abso­lu­ment rien. Mais ce qu’Il nous demande à nous, c’est de défendre le bien que nous avons et de ne pas être vaincus.

L’enseignement du cardinal Pie

Il y a un texte du car­di­nal Pie que je vou­drais vous lire ; il est empli de Foi, d’enseignement, et c’est admi­ra­ble­ment bien expri­mé : « Le sage de l’Idumée a dit : » La vie de l’homme sur la terre est un com­bat » (Job, VII, 1), et cette véri­té n’est pas moins appli­cable aux socié­tés qu’aux indi­vi­dus. Composé de deux sub­stances essen­tiel­le­ment dis­tinctes, tout fils d’Adam porte dans son sein, comme l’épouse d’Isaac, deux hommes qui se contre­disent et se com­battent (Genèse, XXV, 22). Ces deux hommes, ou, si vous le vou­lez, ces deux natures ont des ten­dances et des incli­na­tions contraires. Entraîné par la loi des sens, l’homme ter­restre est en per­pé­tuelle insur­rec­tion contre l’homme céleste, régi par la loi de l’esprit (Galates, V, 17) : anta­go­nisme pro­fond, et qui ne pour­rait finir ici-​bas que par la défec­tion hon­teuse de l’esprit, ren­dant les armes à la chair et se livrant à sa dis­cré­tion. » [1]

Ainsi donc la seule manière d’arriver à la paix dans ce com­bat, donc au paci­fisme, c’est la vic­toire de la chair, et si nous ne vou­lons pas de cette paix-​là, nous sommes obli­gés de com­battre jusqu’à notre mort ; car le triomphe est au-​delà. C’est bien ce que le car­di­nal Pie veut nous dire :

« Disons-​le donc, mes Frères, la vie de l’homme sur la terre, la vie de la ver­tu, la vie du devoir, c’est la noble coa­li­tion, c’est la sainte croi­sade de toutes les facul­tés de notre âme, sou­te­nue par le ren­fort de la grâce, son alliée, contre toutes les forces réunies de la chair, du monde et de l’enfer : Militia est vita homi­nis super ter­ram. »

C’est un com­bat pour nous, mais c’est aus­si un com­bat social, public. « Or si l’on vient à consi­dé­rer ces mêmes élé­ments rivaux, ces mêmes forces enne­mies, non plus dans l’homme indi­vi­duel mais dans cet assem­blage des hommes qui s’appelle la socié­té, alors la lutte prend de plus grandes pro­por­tions ». Et l’évêque de Poitiers de citer l’Ecriture, la Genèse : « Les deux enfants qui se heurtent et s’entrechoquent dans ton sein, dit le Seigneur à Rébecca, ce sont deux nations ; tes deux fils seront deux peuples, dont l’un sera domp­té par l’autre et devra lui obéir » (Gen., XXV, 23). Ainsi, mes Frères, le genre humain se com­pose de deux peuples, le peuple de l’esprit et le peuple de la matière ; l’un, en qui semble se per­son­ni­fier l’âme avec tout ce qu’elle a de noble et d’élevé ; l’autre, qui repré­sente la chair avec tout ce qu’elle a de gros­sier et de ter­restre. Le plus grand mal­heur qui puisse fondre sur une nation, c’est la ces­sa­tion d’armes entre ces deux puis­sances adverses. Cet armis­tice s’est vu dans le paganisme.

Et l’Esprit-Saint, qui nous a tra­cé la pein­ture de toutes les tur­pi­tudes sociales et domes­tiques qui résul­taient de cette mons­trueuse capi­tu­la­tion (Sap., XIV) achève son tableau par ce der­nier trait : c’est que les hommes, vivant, sans y pen­ser, dans ce marasme plus meur­trier mille fois que la guerre, s’abusaient jusqu’à don­ner le nom de paix à des maux si nom­breux et si grands. » – C’est bien la situa­tion actuelle, n’est-ce pas ? La paix, la paix, la paix !

« Insensibilité funeste, pour­suit le car­di­nal Pie, qui n’était autre que celle de la mort, paix lugubre qu’il fau­drait com­pa­rer au silen­cieux et tran­quille tra­vail des vers qui rongent le cadavre dans son sépulcre. »

« Le genre humain lan­guis­sait dans cet état d’abaissement et de pros­tra­tion morale, quand le Fils de Dieu vint sur la terre, appor­tant non pas la paix, mais le glaive (Matth., X, 34). Ce glaive de l’esprit que le Dieu créa­teur avait remis aux mains de l’homme pour com­battre contre la chair et que l’homme avait igno­mi­nieu­se­ment lais­sé tom­ber de ses mains, Jésus-​Christ, ain­si qu’on l’a dit avant moi [2], l’a ramas­sé dans l’ignoble pous­sière où il avait long­temps dor­mi ; puis, après l’avoir retrem­pé dans Son sang, après l’avoir comme essayé sur Son propre corps, Il le ren­dit plus tran­chant et plus péné­trant que jamais au nou­veau peuple qu’Il était venu fon­der sur la terre. Et alors recom­men­ça au sein de l’humanité, pour ne plus finir qu’avec le monde, l’antagonisme de l’esprit et de la chair : Non veni pacem mit­tere, sed gla­dium. »

C’est un long texte du car­di­nal Pie, mais vous voyez qu’on pour­rait dire que tout y est, tout est dit, et fort bien dit. La néces­si­té de ce com­bat dont parle Job, la parole de Dieu, n’est pas un com­bat seule­ment inté­rieur, indi­vi­duel, ren­fer­mé dans le foyer domes­tique, ou à l’école, c’est un com­bat essen­tiel­le­ment aus­si social, poli­tique et religieux.

Et il y a les deux esprits, il y a les deux cités. Ce com­bat iné­luc­table, nous devons nous y enga­ger et nous devons le continuer.

A mon avis, ce cadre vous per­met de bien com­prendre en quoi consiste le com­bat de la Foi, le com­bat catho­lique, le com­bat chré­tien dans la cité, le com­bat de la tra­di­tion dans cette crise effroyable de l’Eglise, dans cette apos­ta­sie. Aussi je vais pas­ser main­te­nant à quelques réflexions sur notre récente bataille, celle que nous avons tra­ver­sée l’année pas­sée, extrê­me­ment dif­fi­cile, non pas à cause à vrai dire de l’ennemi qui est le même que tou­jours, mais à cause des dif­fé­rences qui ont exis­té entre nous, dif­fé­rences tout à fait logiques, expli­cables, humaines, car il ne faut pas se déchi­rer les vête­ments parce que nous décou­vrons que nous sommes des hommes. Nous avons les mêmes limites que les autres, je veux dire à la racine, depuis le péché ori­gi­nel : l’ignorance, la malice, la faiblesse.

Ce qui a fait toute la dif­fi­cul­té de ce qui est arri­vé pen­dant l’année sco­laire pas­sée, c’est bien cela en pra­tique : les dif­fi­cul­tés ou les épreuves entre nous, qui sont d’ailleurs les plus dif­fi­ciles et les plus dou­lou­reuses. C’est pour­quoi il ne faut pas les prendre à la légère, et encore moins les résoudre à la légère. C’est comme un petit conflit fami­lial, il faut bien le résoudre avec beau­coup de déli­ca­tesse, beau­coup de cha­ri­té, beau­coup de pru­dence, beau­coup de finesse, mais il faut le résoudre, bien sûr !

Bref historique de nos relations avec Rome

Je veux vous dire ma pen­sée, puisque dans cette crise on entend beau­coup d’opinions dif­fé­rentes, de voix diver­gentes, et il se peut qu’il y ait encore des retom­bées, aus­si je me suis dit qu’il fal­lait que vous connais­siez au moins ma pen­sée. Je vais donc reprendre rapi­de­ment quelques faits pour m’expliquer, faire un petit peu l’historique, à par­tir de la fin de la croi­sade du rosaire, cette croi­sade de prières dont l’objet était d’offrir 12 mil­lions de cha­pe­lets, croi­sade qui s’est ter­mi­née à la Pentecôte de cette année. C’est après la fin de la croi­sade que nous avons reçu trois réponses coup sur coup de la part de Rome. A ce moment-​là, il y avait la pro­po­si­tion (d’une décla­ra­tion doc­tri­nale) de la Fraternité pré­sen­tée au mois d’avril, et c’est après la Pentecôte que nous avons reçu une pre­mière réponse de la Congrégation pour la doc­trine de la Foi.

Et dans cette réponse, les auto­ri­tés romaines nous disaient clai­re­ment qu’elles reje­taient, qu’elles n’acceptaient pas notre pro­po­si­tion, et elles fai­saient plu­sieurs cor­rec­tions qui reve­naient à nous dire : il faut accep­ter le concile Vatican II, il faut accep­ter la licéi­té de la nou­velle messe, il faut accep­ter le magis­tère vivant, c’est-à-dire elles qui sont les inter­prètes authen­tiques de la Tradition, donc elles qui disent ce qui est Tradition et ce qui n’est pas Tradition ; il faut accep­ter le nou­veau Code, etc. Voilà leur réponse.

Ensuite, et j’estime que ce fut une réponse de la Providence, il y a eu la nomi­na­tion de Mgr Müller. Ils ont nom­mé à la tête de la Congrégation pour la doc­trine de la Foi, et aus­si comme pré­sident de la com­mis­sion Ecclesia Dei – celle qui a la charge de tous ceux qui sont rat­ta­chés à Ecclesia Dei et qui est en contact avec la Fraternité Saint-​Pie X. Eh bien ! Cet évêque qui a été nom­mé à la tête de ce dicas­tère et de la com­mis­sion Ecclesia Dei, – outre le fait qu’il met­tait en ques­tion plu­sieurs véri­tés de Foi –, est aujourd’hui le gar­dien de la Foi. C’est, disons, une vieille connais­sance de la Fraternité, puisqu’il était évêque de Ratisbonne, dio­cèse où se trouve notre sémi­naire de Zaitzkofen, et que nous avions eu déjà avec lui des dif­fi­cul­tés, des affron­te­ments. Il y a trois ans même, il avait mena­cé l’évêque qui allait faire les ordi­na­tions à Zaitzkofen de l’excommunier, en l’occurrence c’était moi. Il m’a ain­si mena­cé d’excommunication ain­si que les diacres qui allaient rece­voir le sacer­doce, les nou­veaux prêtres. Ensuite il a ter­gi­ver­sé, mais c’est quelqu’un qui ne nous estime pas, qui ne nous aime pas, c’est clair, et il a déjà dit que les évêques de la Fraternité n’ont qu’une chose à faire : dépo­ser leur épis­co­pat entre les mains du Saint Père et aller s’enfermer dans un couvent. C’est quand même assez cruel, n’est-ce pas ? Puis il a tout sim­ple­ment dit que nous n’avions qu’à accep­ter le Concile, et c’est tout. Il n’y avait plus rien à discuter.

Alors que nous atten­dions la lumière du Saint-​Esprit, nous avons eu cette réponse.

Ensuite, avant le Chapitre géné­ral, notre Supérieur géné­ral avait écrit au pape pour savoir si vrai­ment c’était sa réponse, puisque en grande par­tie le pro­blème que nous avons connu venait du fait qu’il y avait un double mes­sage de Rome.

Certaines auto­ri­tés nous disaient : la réponse de la Congrégation de la Foi est offi­cielle, ils font leur tra­vail, mais vous n’en tenez pas compte, il faut la clas­ser ; de toute façon nous vou­lons un accord, nous vou­lons vous recon­naître tels que vous êtes.

Mais la réponse de la Congrégation de la Foi et la nomi­na­tion de Mgr Müller n’allaient pas dans ce sens, dans le sens du deuxième mes­sage. Aussi pour en avoir le cœur net, Mgr Fellay a écrit au pape afin de savoir si c’était vrai­ment sa réponse, sa pen­sée. Et juste avant le Chapitre, pen­dant la retraite qui a pré­cé­dé, Monseigneur a reçu une réponse, – c’était la pre­mière fois qu’il y avait une réponse du pape à Mgr Fellay –, et il nous a dit à table dimanche, à la fin de la retraite : voi­là j’ai reçu une lettre du pape où il confirme que la réponse de la Congrégation de la Foi est bien sa réponse, qu’il l’a approu­vée. Et il rap­pelle, en les rame­nant à trois points, leurs exi­gences, leurs condi­tions sine qua non pour une recon­nais­sance canonique :

1) recon­naître que le magis­tère vivant est l’interprète authen­tique de la Tradition, c’est-à-dire les auto­ri­tés romaines ;

2) que le concile Vatican II est en par­fait accord avec la Tradition, qu’il faut l’accepter ;

3) que nous devons accep­ter la vali­di­té et la licéi­té de la nou­velle messe.

Ils ont mis licéi­té, – pro­ba­ble­ment qu’en fran­çais ce mot a un sens un peu ambi­gu –, pour eux cela veut dire sim­ple­ment légal, qui a les formes légales, mais dans le lan­gage cano­nique, c’est beau­coup plus pro­fond, cela veut dire que c’est une vraie loi, que cela a force de loi. Pourtant l’Eglise ne peut pas avoir de loi contraire à la foi catho­lique. Et nous avons tou­jours contes­té, en ce sens, la léga­li­té de la réforme litur­gique et de la nou­velle messe, car elle ne peut pas avoir force de loi dans l’Eglise, c’est impos­sible parce que contraire à la Foi, parce qu’avec elle ils démo­lissent la Foi, et ils ont bien mis vali­di­té et licéité.

Autrement dit, vous voyez que sur tout l’essentiel de notre com­bat – ce com­bat des deux cités, des deux esprits – il fal­lait céder et tra­hir. Alors évi­dem­ment, sur ce point, la divine Providence nous avait tra­cé le che­min du Chapitre. C’était Rome qui disait : non, on reste sur le plan doc­tri­nal, et vous accep­tez tout ce que vous avez reje­té jusqu’à présent.

Le Chapitre général (9–14 juillet 2012)

Ensuite il y a eu le Chapitre, je ne peux pas vous don­ner trop de pré­ci­sions, on est tenu au secret, mais Mgr Fellay lui-​même a déjà fait connaître cer­taines choses, et il y a des élé­ments qui ont été indi­qués dans la Déclaration finale, ce sont les condi­tions que vous connais­sez. Ce que je peux vous dire, c’est que la divine Providence nous a assis­tés pen­dant le Chapitre d’une façon claire et tangible.

Cela s’est très bien pas­sé, je vous le dis tout sim­ple­ment, nous avons pu par­ler tran­quille­ment, libre­ment, ouver­te­ment, nous avons pu abor­der les pro­blèmes cru­ciaux, même si nous avons dû lais­ser les autres, les ques­tions qui étaient pré­vues au pro­gramme ini­tial. Nous avons pris tout le temps néces­saire pour dis­cu­ter et nous avons confron­té les points de vue, comme il sied entre membres d’une même congré­ga­tion, d’une même armée. Cela ne fait pas de pro­blème, la Fraternité n’est pas une école de jeunes filles, n’est-ce pas ? Alors si quelque fois il y a des dis­cus­sions entre nous, il ne faut pas non plus en faire une his­toire. Lisez le car­di­nal Pie quand il sou­tient des dis­cus­sions publiques avec des évêques, en France, au XIXe siècle. Il les jus­ti­fie, il explique pour­quoi, il dit que c’est un com­bat, et puis voi­là tout ! C’est pour dire qu’il ne faut pas non plus faire un drame. Le drame serait d’abandonner la Foi, mais qu’il y ait des dis­cus­sions des ques­tions d’opportunité pru­den­tielle sur ceci ou cela, c’est nor­mal. Il y a des aspects dif­fé­rents, il y a des tem­pé­ra­ments, il y a des situa­tions… C’est extrê­me­ment com­pli­qué, et on ne peut pas sor­tir l’épée pour tran­cher le nœud gor­dien, en disant : voi­là je résous la ques­tion d’un seul coup, non ! Le cha­pitre s’est pas­sé comme je vous le dis, et je pense que nous avons vrai­ment tiré des leçons utiles des épreuves que nous avons eues, même si ce n’est pas par­fait, ce qui est un autre aspect dont il faut tenir compte. Dans notre vie, tout se passe dans l’imperfection ; lisez l’histoire de l’Eglise ! Il ne faut pas deman­der une per­fec­tion qui n’est pas de ce monde, mais il faut avoir les yeux fixés sur l’essentiel, sur ce qui compte ; après on peut pas­ser sur beau­coup de choses. Dans la vie, vous ne faites pas cela en famille ? Oui, vous le faites. Sinon rien ne tient dans ce monde, dans cette vie, et même par­mi nous.

Certains s’inquiètent : Ah ! Oui, mais là ! – Il faut voir la com­plexi­té du pro­blème, de la situa­tion. Et n’oublions pas qu’il y a aus­si la part des pas­sions. Elles existent même chez nous. Tout cela pour vous dire qu’à mon avis il ne faut pas pinailler sur ces ques­tions. Il faut voir si l’essentiel est là ou non.

Selon moi, nous avons vrai­ment sur­mon­té la crise, nous l’avons dépas­sée, et comme il fal­lait, sur­tout dans les mesures pra­tiques, grâce aux dis­cus­sions qui nous ont per­mis de cla­ri­fier entre nous des points, de bien peser les argu­ments, sous tous les aspects, de les trier, d’arriver à une plus par­faite clair­voyance, luci­di­té sur la situa­tion, ce qui est l’avantage des épreuves si l’on en tire des leçons. A par­tir de ces dis­cus­sions extrê­me­ment impor­tantes et riches, nous avons éta­bli des condi­tions qui pour­raient per­mettre d’envisager hypo­thé­ti­que­ment une nor­ma­li­sa­tion cano­nique et à ce pro­pos, si vous réflé­chis­sez bien, ce qui a été fait reve­nait à prendre toute la ques­tion doc­tri­nale et litur­gique, pour en faire une condi­tion pratique.

Les conditions à une éventuelle normalisation canonique

C’est sûr, que comme je vous le disais, ce n’est pas par­fait, et nous-​mêmes nous avons vu assez rapi­de­ment après, que la dis­tinc­tion entre condi­tions sine qua non et condi­tions sou­hai­tables n’était pas très juste, ni… sou­hai­table. En fait, pour nous, par­mi les condi­tions que nous avons indi­quées comme sou­hai­tables, il y a des condi­tions sine qua non, mais plu­tôt dans l’ordre pra­tique, cano­nique, concret. Ces condi­tions, la Maison géné­rale de la Fraternité les avait déjà deman­dées à Rome, et pour la plu­part – après des démê­lés mul­tiples, des allers et retours nom­breux –, Rome était prête à les concé­der, et même actuel­le­ment. Mais le but du cha­pitre, son sou­ci était de bien défi­nir non pas ce qui est une consé­quence, ce qui va s’ensuivre, mais l’essentiel préa­lable que nous n’avions pas bien défi­ni jusqu’à pré­sent. Autrement dit, dans le cas de figure d’un pape, d’un pro­chain pape qui vou­drait vrai­ment faire un accord avec la Fraternité, quelles sont les condi­tions d’ordre doc­tri­nal, qui touchent à la doc­trine, à la fidé­li­té à la Foi, à la Tradition, à la confes­sion publique de la Foi, et même à la résis­tance publique oppo­sée à ceux qui dif­fusent les erreurs, même s’agissant d’autorités ecclé­sias­tiques. C’est sur ce point que nous avons défi­ni avec beau­coup de pré­ci­sion les deux pre­mières condi­tions sine qua non.

Et il est évident que tout est là. Je peux vous les relire.

La pre­mière : « Liberté de gar­der, trans­mettre et ensei­gner la sainte doc­trine du magis­tère constant de l’Eglise et de la Vérité immuable de la Tradition divine ». Cela vous semble sans doute un lan­gage un peu dif­fi­cile, en fait il est extrê­me­ment pré­cis. « Garder », cela veut dire que nous en ayons la garan­tie dans une nor­ma­li­sa­tion de la part du pape qui nous recon­naî­trait. Autrement dit : nous assu­rer dans un accord par écrit, de pou­voir gar­der, trans­mettre et ensei­gner la sainte doc­trine, la sainte doc­trine, du magis­tère constant. Parce que les auto­ri­tés romaines ont une notion évo­lu­tive du magis­tère, et si l’on dit ‘magis­tère’ cela ne suf­fit pas, si l’on dit ‘magis­tère de tou­jours’ c’est encore dou­teux dans leur lan­gage, aus­si nous avons pré­ci­sé ‘Vérité immuable de la Tradition divine’. Pourquoi ‘Vérité immuable’ ? Parce que pour eux la tra­di­tion est vivante… Ainsi vous voyez que c’est très pré­cis, forts de l’expérience des dis­cus­sions que nous avons eues pen­dant presqu’une année et demi avec la com­mis­sion romaine. Poursuivons avec ce pre­mier point : « Liberté de défendre la véri­té, cor­ri­ger, reprendre, même publi­que­ment les fau­teurs d’erreurs ou nou­veau­tés du moder­nisme, du libé­ra­lisme du concile Vatican II et de leurs consé­quences ». Je pense qu’on peut dif­fi­ci­le­ment ajou­ter quelque chose. Tout y est. Il s’agit d’une liber­té de confes­ser et d’attaquer publi­que­ment les erreurs, une liber­té d’enseigner publi­que­ment les véri­tés niées ou dis­soutes, mais aus­si de nous oppo­ser publi­que­ment à ceux qui dif­fusent les erreurs, même des auto­ri­tés ecclésiastiques.

Quelles erreurs ? Les erreurs moder­nistes, libé­rales, celles du concile Vatican II et des réformes qui en sont issues ou de ses consé­quences dans l’ordre doc­tri­nal, litur­gique ou cano­nique. Tout y est. Même une résis­tance publique, jusqu’à un cer­tain point, au nou­veau Code de droit cano­nique, dans la mesure où il est péné­tré de l’esprit col­lé­gial, œcu­mé­nique, per­son­na­liste, etc. Tout y est.

Ensuite, deuxiè­me­ment point : « User exclu­si­ve­ment de la litur­gie de 1962 », donc toute la litur­gie de 1962, pas seule­ment la messe, tout, même le Pontifical. Garder la pra­tique sacra­men­telle que nous avons actuel­le­ment, y com­pris par rap­port à l’Ordre, à la Confirmation et au Mariage. Vous voyez là nous avons inclus cer­tains aspects de la pra­tique sacra­men­telle et cano­nique qui nous sont néces­saires pour avoir vrai­ment, dans le cas d’un accord ou d’une recon­nais­sance, la liber­té pra­tique et réelle dans une situa­tion qui conti­nue­rait à être plus ou moins moder­niste. Nous réor­don­nons s’il le faut, nous recon­fir­mons, et puis les mariages nous n’acceptons évi­dem­ment pas cer­taines nou­velles causes de nullité.

Puis, tou­jours dans les condi­tions sine qua non : garan­tie d’au moins un évêque, voi­là je vous disais que ce n’est pas par­fait, car nous sommes tous d’accord dans la Fraternité sur le fait qu’il faut deman­der plu­sieurs évêques auxi­liaires, une pré­la­ture, nous sommes tous d’accord, il n’y a pas de pro­blème, ce n’était pas le pro­blème avant, il ne l’est pas main­te­nant. Il ne faut donc pas pinailler sur cela.

En revanche, nous avons bien défi­ni ce qui a été un pro­blème parce que jus­te­ment ce n’était pas net­te­ment défi­ni de notre côté, et aus­si parce qu’il y avait un double mes­sage de la part de Rome.

Egalement il a été déci­dé dans ce Chapitre que si jamais la Maison géné­rale par­ve­nait à quelque chose de valable et d’intéressant avec ces condi­tions, il y aurait un Chapitre déli­bé­ra­tif, ce qui veut dire que sa déci­sion lie néces­sai­re­ment (les membres de la Fraternité). Lorsqu’il y a un cha­pitre consul­ta­tif, on demande conseil, mais après l’autorité décide libre­ment. Un cha­pitre déli­bé­ra­tif signi­fie que la déci­sion prise par la majo­ri­té abso­lue – la moi­tié plus un, ce qui nous a sem­blé rai­son­nable –, cette déci­sion sera sui­vie par la Fraternité.

Comme l’a prou­vé le récent cha­pitre, le jour où nous avons pu par­ler entre nous, comme il fal­lait, nous avons sur­mon­té le pro­blème des mésen­tentes que nous avions connues. Il est évident qu’un cha­pitre déli­bé­ra­tif consti­tue une mesure très sage et suf­fi­sante pour éven­tuel­le­ment approu­ver ce qui aura pu être obte­nu de Rome. Car il est presqu’impossible qu’à la majo­ri­té, le Supérieur de la Fraternité – après une dis­cus­sion franche, une ana­lyse à fond de tous les aspects, de tous les tenants et abou­tis­sants –, il est impen­sable que la majo­ri­té se trompe dans une matière prudentielle.

Dans cette vie, il n’y a aucune garan­tie abso­lue, parce que cha­cun – à com­men­cer par soi-​même –, n’a pas toutes les garan­ties sur ce qu’il va faire demain. Aussi un Chapitre est lar­ge­ment suf­fi­sant pour sor­tir de l’impasse dans laquelle nous étions, car si vous l’examinez bien notre der­nier Chapitre a mis exac­te­ment les mêmes condi­tions que Rome mais dans le sens contraire : ils exigent de nous cela, nous le contraire. Evidemment la pos­si­bi­li­té d’un accord s’éloigne et sur­tout le risque d’un mau­vais accord est, à mon avis, défi­ni­ti­ve­ment écar­té. Définitivement, cela veut dire pas pour tou­jours mais pour cette fois-ci.

Nous avons aus­si évi­té une divi­sion entre nous, et ce n’est pas peu de chose, il fal­lait quand même y pen­ser et com­prendre que nous allions nous divi­ser tous, dans la Fraternité, dans les Congrégations, dans les familles, et comme nous sommes plu­tôt redou­tables dans le com­bat, nous nous serions entre­dé­chi­rés avec une force, une constance, vous ima­gi­nez ! La réa­li­té c’était bien celle-​là. Mais grâce à cette com­pré­hen­sion entre nous, grâce à cette déci­sion, même si elle est impar­faite, nous avons sur­mon­té une divi­sion qui aurait été une forme de déshon­neur pour ce que nous défen­dons, pour la vraie Foi, pour notre com­bat, pour ceux qui nous ont pré­cé­dés, Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer.

Des conditions en vue du bien que nous pourrions faire dans l’Eglise

Ensuite, comme je vous le dis, c’est grâce à ce que nous avons vécu, les épreuves, les dis­cus­sions, quel­que­fois les contra­dic­tions, que nous sommes arri­vés à une meilleure com­pré­hen­sion de la réa­li­té, à une meilleure défi­ni­tion. La posi­tion de la Fraternité est beau­coup plus pré­cise et lucide main­te­nant qu’il y a six mois, elle est bien meilleure, car nous n’excluons pas la pos­si­bi­li­té que la voie choi­sie par la Providence pour un retour à la Foi s’opère par la conver­sion d’abord, par le retour à la doc­trine d’un pape et d’une par­tie de car­di­naux, nous n’excluons pas du tout cela. Ce n’est pas plus dif­fi­cile que l’autre voie, la voie pra­tique. Mais tout sim­ple­ment nous nous sommes dit : met­tons qu’il n’y ait pas d’abord un retour de la part de Rome, d’un pro­chain pape à la Tradition, dans la théo­lo­gie, dans les prin­cipes, dans la Foi, dans l’enseignement, dans ce cas où ce pape vou­drait seule­ment per­mettre la Tradition, quelles sont les condi­tions qui nous auto­ri­se­raient à accep­ter une nor­ma­li­sa­tion cano­nique, en vue du bien que nous pour­rions faire dans l’Eglise et qui est consi­dé­rable, – cela il ne faut pas le nier non plus.

A mon avis, c’est une amé­lio­ra­tion dans le même sens. Nous avons bien défi­ni quelles seraient les condi­tions qui pour­raient nous pro­té­ger tota­le­ment dans la foi et dans le com­bat inté­gral pour la foi. Mais conjec­tu­rer sur l’avenir relève de la pro­phé­tie ou de la divi­na­tion, nous ne savons pas ce que le Bon Dieu va nous envoyer. Je vous pré­sente un cas de figure, une hypo­thèse, sup­po­sons que demain il y ait un pape dans la situa­tion actuelle mais qui lui-​même n’est pas moder­niste dans sa pen­sée, comme c’est le cas aujourd’hui, sup­po­sons qu’il ne soit pas moder­niste dans sa théo­lo­gie, dans sa pen­sée, dans son cœur, et qu’il veuille vrai­ment reve­nir à la Tradition, mais qu’il lui manque un peu de convic­tion, car si pour résis­ter, et vous le savez bien, il faut beau­coup de convic­tion pour résis­ter dans la vrai Foi et per­sé­vé­rer, pour faire face à tout le moder­nisme qui infeste l’Eglise, il faut une convic­tion vrai­ment héroïque. Supposons qu’il n’ait pas cette convic­tion, ou qu’il soit assez convain­cu mais faible, crain­tif, condi­tion­né par son entou­rage – je vous pré­sente là des cas qu’offre l’histoire de l’Eglise, il y a eu des évêques et des papes de ce type. Il y a eu des papes très bons en doc­trine mais qui étaient très mau­vais dans leurs mœurs, et vice ver­sa des papes faibles, de même qu’il y a eu de très bons papes qui se sont trom­pés, main­te­nant nous disons qu’ils se sont trom­pés dans cer­taines déci­sions his­to­riques qui ont eu des consé­quences énormes.

Aussi dans l’éventualité d’un pape qui n’aurait pas la convic­tion, la force ou les moyens de redres­ser lui-​même la situa­tion actuelle de l’Eglise, dans cette crise de la Foi il pour­rait très bien se ser­vir de nous comme fer de lance, il pour­rait très bien nous don­ner les condi­tions requises pour que nous puis­sions, nous, être le fer de lance contre cet abcès. Et d’ailleurs, en réflé­chis­sant bien, si un pape un jour nous accorde ces condi­tions, c’est lui qui por­te­ra le pre­mier coup contre l’édifice du concile Vatican II et de l’Eglise conci­liaire, car de ce fait il admet­trait déjà que le Concile contient des erreurs, qu’on peut le refu­ser et qu’il faut reve­nir à la Tradition. Sitôt qu’un pape pren­drait en consi­dé­ra­tion ces condi­tions exi­geantes, presqu’impossibles à vue humaine, il y aurait la guerre dans l’Eglise conci­liaire. La soi-​disant Eglise conci­liaire serait dyna­mi­tée, c’est clair. C’est pour cette rai­son qu’à nos yeux les ques­tions cano­niques sont bien un petit peu des détails. Car si un pape veut bien nous concé­der les deux pre­miers points, c’est qu’il est prêt à nous concé­der tout, y com­pris au plan cano­nique, et nous allons le deman­der, bien sûr.

Nécessité et utilité des épreuves

J’avais beau­coup de choses à dire encore évi­dem­ment ; je pense que je vous ai dit le plus inté­res­sant. Une réflexion, pour ter­mi­ner, au sujet de la néces­si­té et de l’utilité des épreuves, c’est un ensei­gne­ment catho­lique, tra­di­tion­nel et qui est dans l’Ecriture Sainte où l’ange dit à Tobie : « Parce que vous étiez agréable à Dieu, il était néces­saire que l’épreuve vous arrive » (Tobie 12,13), car on tire beau­coup de bien de l’épreuve.

Et saint Augustin dit que le pire qui puisse arri­ver, le pire des mal­heurs, c’est celui de ceux qui ne tirent pas d’enseignement, de pro­fit du mal­heur, donc le plus mal­heu­reux du monde est celui qui devant le mal­heur ne tire pas les leçons et le bien qu’il peut en tirer, et par consé­quent son épreuve est pire qu’avant. Attention ! S’il y a une uti­li­té dans une épreuve, cela veut dire qu’il faut la recueillir, qu’il faut en tirer les fruits.

Alors nous avons tous tou­jours ten­dance à tirer les leçons des cala­mi­tés, des souf­frances et des épreuves pour les autres : « Voilà ! J’avais rai­son, là c’est clair tu as pris un coup ».

Mais il y a plein d’enseignement dans une épreuve, et on pour­rait dire que ce sont les fai­blesses et les défauts de nous tous qui sont mis à nu à tra­vers les épreuves. Aussi cha­cun doit-​il tirer un ensei­gne­ment pour lui-​même, et pour se cor­ri­ger et ne pas refaire les mêmes erreurs, car sou­vent même en défen­dant une bonne cause nous le fai­sons très mal. Il y a des leçons d’humilité à prendre, c’est une cure d’humilité, et tant mieux, car cela nous appelle à la vigi­lance. Peut-​être que nous som­meillons, que nous ne trans­met­tons pas assez bien aux géné­ra­tions futures l’esprit du com­bat, peut-​être qu’il faut faire plus recours à Dieu, peut-​être qu’il nous faut plus de patience, de force, d’espérance dans le com­bat. Tout cela va ensemble : force, cou­rage, patience. La ver­tu de force a deux actes : sus­ti­nere et aggre­di. Ce qui signi­fie qu’il faut souf­frir, subir, endu­rer, mais aus­si entre­prendre, atta­quer – non pas agres­ser, on ne peut pas tra­duire aggre­di par agres­ser, mais atta­quer et entreprendre.

La magna­ni­mi­té fait par­tie aus­si de la ver­tu de force. Et c’est la patience, dit saint Paul, qui engendre l’espérance, la patience dans le com­bat, dans les épreuves. Faisons atten­tion à l’espérance aujourd’hui, car nous pou­vons tom­ber par manque de Foi, par manque de cha­ri­té, mais aus­si par manque d’espérance. On devient pes­si­miste ou défai­tiste, c’est une façon de se rendre. Lorsqu’on n’a plus l’espérance, on se désen­gage, on est vaincu.

Les épreuves sont aus­si un moyen de mérite, d’expiation, sou­vent c’est un vac­cin. Peut-​être qu’en fait nous avons eu juste une grippe, pour nous évi­ter demain une pneu­mo­nie. Et je pense que c’est ain­si. Souvent les épreuves sont une pré­pa­ra­tion à d’autres com­bats, pour que nous soyons plus lucides, plus déci­dés, plus vigi­lants sur ce qui va arri­ver. Qui sait ?

Je vou­lais vous dire tout cela parce que, si on ne tire pas de fruit des épreuves, on dévie. Car le Bon Dieu nous envoie ces épreuves jus­te­ment pour nous tenir dans la bonne ligne, et il nous fait réexa­mi­ner tout pour voir où nous étions en train de fai­blir ou de dévier un peu, quel­que­fois à gauche, quel­que­fois à droite, et sou­vent en bas.

Dans cette crise, un des ensei­gne­ments qui pour­ra encore mieux res­sor­tir, c’est le but de l’épreuve qui est jus­te­ment de voir où étaient les excès et les défauts, car quel­que­fois il y a et des excès et des défauts, les deux. Autrement dit, voir où il y a un désordre, et je parle du désordre de la rai­son, dans la pru­dence tout d’abord, car il est évident que ces ques­tions de pru­dence sont une ques­tion d’intelligence. Voir où se trou­vait la dérai­son, la déme­sure, par­fois il y a des excès dans la défense de ce qu’il faut exac­te­ment défendre ; on se laisse aller aux pas­sions déme­su­rées, aux excès, voyez nos impa­tiences à résoudre la crise, nos urgences. Cela peut aller dans beau­coup de sens, il faut donc faire très atten­tion à tous ces aspects. Et si nous avons eu des fai­blesses dans ce sens-​là, les cor­ri­ger, voi­là la leçon. C’est la rai­son pour laquelle le Bon Dieu a per­mis l’épreuve. Et si nous fai­sons cela, tout le corps en res­sor­ti­ra beau­coup plus fort et prêt à d’autres com­bats encore plus grands.

Ne pas opposer la vérité à la charité

Mais fai­sons tou­jours atten­tion aux faux dilemmes qui nous sont pré­sen­tés, et par les­quels nous sommes tou­jours ten­tés du fait de la situa­tion elle-​même. Oui, c’est inhé­rent à notre situa­tion. On dirait qu’il faut aller contre la véri­té ou contre la cha­ri­té, contre la Foi ou contre la misé­ri­corde, contre la pru­dence ou contre la force. Eh bien ! Non, pas du tout ! Il faut tenir tout, il faut que nous soyons tout cela pour res­ter dans la bonne ligne. Or nous avons tous ten­dance à pri­vi­lé­gier ce qui est plus conforme à notre tem­pé­ra­ment, notre carac­tère, ce qui nous est plus facile. Et nous négli­geons sou­vent l’autre aspect.

Lorsqu’on dit qu’il faut un ordre, un équi­libre, une mesure, cela ne veut pas dire que par­tout il faut être médiocre. Vous savez bien ce n’est pas cela la ver­tu. La ver­tu morale est un som­met entre un excès et un défaut. Et même les ver­tus théo­lo­gales, dans leur appli­ca­tion à la vie, aux œuvres, à l’action, aux cir­cons­tances, peuvent avoir des excès et des défauts, non pas la ver­tu en tant que telle, dans son objet propre qui est Dieu, car on ne peut jamais trop aimer Dieu. Mais on peut très bien mal aimer Dieu, tout en croyant bien l’aimer. Combien de fois voit-​on cela, sur­tout entre nous.

Donc il y a un double risque constant chez nous, et il faut dans les épreuves tirer un ensei­gne­ment pour soi et pour tous, mais il ne faut pas faire trop de pré­vi­sions sur les per­sonnes, sur leur évo­lu­tion future. Il y a la grâce de Dieu, nous sommes tous capables de rachat et de rédemption.

Il y a éga­le­ment des chutes, aus­si tant qu’une crise n’est pas finie, il ne faut pas dres­ser un bilan. Il se peut que cer­tains qui étaient pris un peu au dépour­vu dans l’épreuve, fina­le­ment aient une réac­tion très bonne. Et d’autres qui au départ avaient une réac­tion très bonne, évo­luent très mal.

Il n’y a pas que la Foi à gar­der, il n’y a pas que la confes­sion de la Foi. Il y a la vraie cha­ri­té, il y a l’amour, il y a la pru­dence, il y a la force, il y a l’amour de la Sainte Eglise. Nous, nous sommes catho­liques et nous enten­dons res­ter tota­le­ment catho­liques, et pour cela il ne suf­fit pas de gar­der la Foi.

En conclu­sion, je pense que nous avons trois étoiles, trois lumi­naires qui nous ont pré­cé­dés et qui peuvent nous gui­der sans risque de nous éga­rer dans la doc­trine, la pru­dence, l’esprit catho­lique. Ces trois per­son­na­li­tés sont le car­di­nal Pie, le pape saint Pie X et Mgr Lefebvre, cha­cun d’entre eux était tout à fait adap­té à son époque, de même tout à fait adap­té aux besoins de l’Eglise, avec des styles dif­fé­rents, des qua­li­tés dif­fé­rentes, mais aus­si avec com­bien de qua­li­tés sem­blables, qui sont néces­saires pré­ci­sé­ment aujourd’hui, dans le com­bat de la Foi. En sorte que nous pour­rions tirer une ligne entre le car­di­nal Pie, saint Pie X et Mgr Lefebvre, et si vous conti­nuez cette ligne, vous avez le che­min qu’il faut suivre. Exactement. Que ce soit sur le plan doc­tri­nal, de la Foi, de la sain­te­té de vie – voi­là encore un cha­pitre dont on pour­rait par­ler lon­gue­ment ! –, de la prière, de la confes­sion de la foi, de la force, de la prudence.

Ils sont exem­plaires ; il faut que nous les pre­nions comme modèles, que nous les sui­vions. Et pour ain­si dire la ligne est toute tracée.

Spécialement aujourd’hui qui est le same­di 13 octobre, l’anniversaire de l’apparition à Fatima où a eu lieu le miracle du soleil, deman­dons à la Très Sainte Vierge Marie de nous don­ner la grâce de per­sé­vé­rer dans la vraie Foi, dans le vrai com­bat de la Foi, mais aus­si dans le vrai esprit de l’Eglise, et que chaque jour nous soyons plus fidèles à la grâce, à Dieu et aux exi­gences de sain­te­té de notre époque.

Que Notre-​Dame nous donne la grâce d’être de dignes suc­ces­seurs et de dignes fils de ces grands com­bat­tants de la Foi catholique !

Pour conser­ver à cette confé­rence son carac­tère propre, le style oral a été main­te­nu. Titre et inter­titres sont de la rédac­tion. (DICI du 20/​10/​12)

Notes de bas de page

  1. Panégyrique de saint Louis, roi de France, prê­ché par le car­di­nal Pie dans la cathé­drale de Blois le dimanche 29 août 1847 et dans la cathé­drale de Versailles le dimanche 27 août 1848[]
  2. Mgr Parisis, év. de Langr., Instr. Past. sur le pou­voir divin dans l’Eglise, 1846.[]

FSSPX Premier assistant général

Mgr Alfonso de Galarreta, né en Espagne en 1957, a été sacré évêque auxi­liaire de la Fraternité Saint-​Pie X le 30 juin 1988 par Mgr Marcel Lefebvre. Ayant exer­cé de nom­breuses res­pon­sa­bi­li­tés notam­ment comme Supérieur du dis­trict d’Amérique du Sud et direc­teur du sémi­naire de La Reja, il est actuel­le­ment Premier Assistant du Supérieur géné­ral de la Fraternité.