La communion des divorcés remariés

Dans la confu­sion actuelle sur la ques­tion des divor­cés rema­riés, nous publions ici un article de l’abbé François Knittel, paru dans le bul­le­tin du prieu­ré de Strasbourg, La Lettre de Saint-​Florent, en août 2011. Ce rap­pel clair de la doc­trine de l’Eglise a le mérite d’éclairer ce que d’autres s’emploient à obscurcir.

La crise doc­tri­nale que tra­verse actuel­le­ment l’Eglise catho­lique peut être obser­vée et mesu­rée à deux niveaux dif­fé­rents. Elle se mani­feste d’abord dans les nou­velles orien­ta­tions géné­rales du concile Vatican II (liber­té reli­gieuse, œcu­mé­nisme et col­lé­gia­li­té), ain­si que dans la réforme litur­gique de 1969. Mais elle se mani­feste aus­si à un niveau concret et quo­ti­dien dans les remises en cause tou­chant l’ordination des femmes, la licéi­té de la contra­cep­tion, la sépul­ture des sui­ci­dés et des inci­né­rés, le carac­tère per­son­nel du sacre­ment de péni­tence, etc.

La com­mu­nion des divor­cés rema­riés rentre dans cette seconde caté­go­rie, comme en témoignent les nom­breuses inter­ven­tions romaines sur ce thème au cours des 30 der­nières années [1].

Après avoir énon­cé quelques argu­ments de ceux qui militent en faveur de la com­mu­nion des divor­cés rema­riés, nous exa­mi­ne­rons le nœud de la ques­tion, avant de ter­mi­ner en répon­dant à ces arguments.

Les objections

Les argu­ments en faveur de l’admission des divor­cés rema­riés à la com­mu­nion en appellent à l’exemple du Christ (1), à l’enseignement de saint Paul (2) et à la dis­ci­pline de l’Eglise (3).

  1. Les Evangiles rap­portent que, durant sa vie ter­restre, le Christ a accep­té de man­ger avec des pécheurs (Mt 9, 11), s’est lais­sé appro­cher par une péche­resse au cours d’un repas (Lc 7, 37) et a conver­sé avec la Samaritaine qui vivait avec un homme qui n’était pas son mari (Jn 4, 18 et 27). N’est-il pas para­doxal que l’Eglise éloigne du Christ les divor­cés rema­riés en leur refu­sant la communion ?
  2. Saint Paul reproche aux Corinthiens les scis­sions qui émaillent leurs agapes fra­ter­nelles, « en sorte que tels ont faim, tan­dis que d’autres se gorgent » (1 Cor 11, 20). N’est-il pas para­doxal d’avoir des invi­tés à un repas (ici, l’Eucharistie) et de ne pas leur per­mettre d’y prendre part (ici, la communion) ?
  3. La dis­ci­pline de l’Eglise qui pri­vait les pécheurs publics et mani­festes de la sépul­ture ecclé­sias­tique (Code de droit canon de 1917, cn. 1240 § 1, 6°) a été modi­fiée par le décret de la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi du 20 sep­tembre 1973, qui sti­pule : « Les obsèques ne seront pas inter­dites aux pécheurs mani­festes s’ils ont don­né quelque signe de péni­tence avant de mou­rir et s’il n’y a pas de scan­dale public pour les autres fidèles ».

N’est-il pas envi­sa­geable de modi­fier dans le même sens la dis­ci­pline de la com­mu­nion eucha­ris­tique en faveur des divor­cés remariés ?

L’enseignement de l’Evangile

Le bap­tême et la péni­tence sont appe­lés sacre­ments des morts, parce qu’ils éta­blissent ou réta­blissent la vie de la grâce dans celui qui les reçoit. Les autres sacre­ments sont appe­lés sacre­ments des vivants, car ils aug­mentent la grâce chez celui qui l’a déjà.

La fina­li­té des sacre­ments est de don­ner ou d’augmenter la grâce chez celui qui les reçoit. Le sacre­ment de l’Eucharistie donne à celui qui com­mu­nie non seule­ment de rece­voir la grâce, mais aus­si l’Auteur de la grâce.

L’Eucharistie est donc un sacre­ment des vivants qui sup­pose chez celui qui le reçoit d’être en état de grâce pour rece­voir le Christ. Telle est la pre­mière condi­tion pour rece­voir digne­ment et avec fruit ce sacrement.

L’avertissement de saint Paul aux Corinthiens le souligne :

Celui qui man­ge­ra le pain ou boi­ra le calice du Seigneur indi­gne­ment, sera cou­pable envers le corps et le sang du Seigneur. Que cha­cun donc s’éprouve soi-​même, et qu’ainsi il mange de ce pain et boive de ce calice ; car celui qui mange et boit, sans dis­cer­ner le corps du Seigneur, mange et boit son propre juge­ment.

1 Cor 11, 27–29

Les divor­cés rema­riés sont-​ils dans ces dispositions ?

L’Evangile rap­porte l’enseignement du Christ sur l’indissolubilité du mariage :

L’homme quit­te­ra son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair. Ainsi ils ne sont plus deux, mais ils sont une seule chair. Que l’homme donc ne sépare pas ce que Dieu a uni. (…) Quiconque répu­die sa femme et en épouse une autre, com­met un adul­tère à l’égard de la pre­mière. Et si une femme répu­die son mari et en épouse un autre, elle se rend adul­tère.

Mc 10, 6–9 et 11–12

Dans l’épître aux Ephésiens, saint Paul com­pare l’union des époux dans le mariage à l’union du Christ et de l’Eglise :

C’est pour­quoi l’homme quit­te­ra son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et de deux ils devien­dront une seule chair. Ce mys­tère est grand ; je veux dire, par rap­port au Christ et à l’Eglise.

Eph 5, 31–32

De même qu’il n’y a qu’un seul Sauveur (Jésus-​Christ) et qu’une seule Eglise (l’Eglise catho­lique) et que leur union est indis­so­luble, ain­si en est-​il du mariage qui est un (union d’un homme et d’une femme) et indis­so­luble (union pour toujours).

Les divor­cés rema­riés vivent donc dans un état oppo­sé à celui vou­lu par le Christ et expo­sé par saint Paul. Cet état per­ma­nent et public de péché grave les rend indignes de rece­voir la com­mu­nion et d’en per­ce­voir les fruits (III, q. 80, a. 4). Si cet état est connu, le prêtre est tenu de leur refu­ser publi­que­ment la com­mu­nion (III, q. 80, a. 6). S’ils par­viennent néan­moins à leurs fins, ils com­mettent un péché mor­tel de sacri­lège (III, q. 80, a. 4).

Les solutions

Pour finir, répon­dons briè­ve­ment aux argu­ments du début.

  1. Les contacts que le Christ s’autorise dans l’Evangile avec les pécheurs ont une fina­li­té très claire : la gué­ri­son des pécheurs et l’appel à la conver­sion (Mt 9, 12–13), le par­don des péchés (Lc 7, 47–48) et l’établissement du culte en esprit et en véri­té (Jn 4, 23). Certes, Jésus ne condamne pas la femme adul­tère, mais il lui enjoint de ne plus pécher (Jn 8, 11), car « les adul­tères n’hériteront pas du royaume de Dieu » (1 Cor 6, 9).
  2. Le Christ a ins­ti­tué le sacre­ment de l’Eucharistie et ensei­gné le pré­cepte de la cha­ri­té fra­ter­nelle au cours d’un repas. L’Eglise pri­mi­tive avait conser­vé l’habitude d’unir célé­bra­tion des saints mys­tères et agape fra­ter­nelle. Dans ses reproches aux Corinthiens, saint Paul dis­tingue deux sortes d’abus : nuire à la cha­ri­té envers le pro­chain au cours des agapes (1 Cor 11, 18–22) et com­mu­nier dans de mau­vaises dis­po­si­tions au cours de la Messe (1 Cor 11, 27–29).
  3. En refu­sant la sépul­ture ecclé­sias­tique aux divor­cés rema­riés, l’Eglise enten­dait rap­pe­ler leur état public de péché mor­tel – état qui n’est en rien modi­fié, boni­fié ou cor­ri­gé par les suf­frages de l’Eglise – et sou­li­gner par contraste la sain­te­té du mariage chré­tien. Le chan­ge­ment récent de cette dis­ci­pline ne modi­fie en rien les condi­tions mini­males pour com­mu­nier avec fruit, mais il illustre le lien entre les relâ­che­ments dis­ci­pli­naires et les remises en causes doctrinales.

Abbé François Knittel, in La Lettre de Saint-Florent

Notes de bas de page

  1. Jean-​Paul II, Exhortation apos­to­lique Familiaris consor­tio, 22 novembre 1981, n° 84 ; Exhortation apos­to­lique Reconciliatio et pæni­ten­tia, 2 décembre 1984, n° 34 ; Catéchisme de l’Eglise Catholique, 1992, n° 1650 ; S. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Lettre aux évêques sur l’accès à la com­mu­nion eucha­ris­tique de la part des fidèles divor­cés rema­riés, 14 sep­tembre 1994 ; Conseil Pontifical pour les textes légis­la­tifs, Déclaration sur la com­mu­nion des divor­cés rema­riés, 24 juin 2000 ; Benoît XVI, Exhortation apos­to­lique Sacramentum Caritatis, 22 février 2007, n° 29.[]