Saint Louis-​Marie Grignion de Montfort

Statue de la basilique Saint-Pierre du Vatican. Le saint empêche le démon de détruire son livre le "Traité de la vraie dévotion".

Missionnaire et fon­da­teur d’Ordres (1673–1716)
Prédicateur infa­ti­gable de la mère de Dieu au milieu des mul­tiples contradictions.

Fête le 28 avril.

Version courte

Louis-​Marie Grignion de La Bacheleraie naquit à Montfort-​la-​Cane, alors du dio­cèse de Saint-​Malo, aujourd’­hui de celui de Rennes, le 31 jan­vier 1673. Par esprit de reli­gion et d’hu­mi­li­té, il aban­don­na plus tard le nom de sa famille, pour prendre celui du lieu de sa nais­sance et de son bap­tême. Sa pre­mière édu­ca­tion fut pieuse et forte ; il la com­plé­ta chez les Jésuites de Rennes, où il acquit la répu­ta­tion d’un saint Louis de Gonzague.

La Providence le condui­sit ensuite à Paris, pour y étu­dier en diverses mai­sons tenues par les Sulpiciens, et à Saint-​Sulpice même. Dans ce sémi­naire, où il brilla par son intel­li­gence et sa pro­fonde pié­té, on ne com­prit pas assez les vues de Dieu sur lui. Dieu le per­mit ain­si pour le for­mer à l’a­mour de la Croix, dont il devait être l’a­pôtre pas­sion­né. C’est à l’é­cole de Saint-​Sulpice qu’il pui­sa tou­te­fois son mer­veilleux amour de Marie et qu’il se pré­pa­ra à deve­nir Son apôtre et Son docteur.

Jeune prêtre, il fut d’a­bord aumô­nier à l’hô­pi­tal de Poitiers, où il opé­ra une réforme aus­si prompte qu’é­ton­nante. Ballotté ensuite pen­dant quelques temps par les per­sé­cu­tions que lui sus­ci­taient les Jansénistes, il se ren­dit à Rome en vue de s’of­frir au Pape pour les mis­sions étran­gères, et il reçut du Souverain Pontife l’ordre de tra­vailler à l’é­van­gé­li­sa­tion de la France.

Dès lors, pen­dant dix ans, il va de mis­sions en mis­sions, dans plu­sieurs dio­cèses de l’Ouest, qu’il remue et trans­forme par sa parole puis­sante, par la flamme de son zèle et par ses miracles. Il ali­mente sa vie spi­ri­tuelle dans une prière conti­nuelle et dans des retraites pro­lon­gées, il est l’ob­jet des visites fré­quentes de la Sainte Vierge. Ses can­tiques popu­laires com­plètent les fruits éton­nants de sa pré­di­ca­tion ; il plante par­tout la Croix ; il sème par­tout la dévo­tion au Rosaire : il pré­pare pro­vi­den­tiel­le­ment les peuples de l’Ouest à leur résis­tance héroïque au flot des­truc­teur de la Révolution, qui sur­gi­ra en moins d’un siècle.

Après seize ans d’a­pos­to­lat, il meurt en pleine pré­di­ca­tion, à Saint-​Laurent-​sur-​Sèvre (Vendée), à quarante-​trois ans, lais­sant, pour conti­nuer son oeuvre, une Société de mis­sion­naires, les Soeurs de la Sagesse, et quelques Frères pour les écoles, connus par­tout aujourd’­hui sous le nom de Frères de Saint-​Gabriel. C’est un des plus grands saints des temps modernes, et le pro­mo­teur des pro­di­gieux déve­lop­pe­ments de la dévo­tion à la Sainte Vierge à notre époque.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version longue (La Bonne Presse)

Le bien­heu­reux Louis-​Marie Grignion de Montfort fut une de ces étoiles que Dieu envoie de temps à autre sur la scène du monde ; il avait éclai­ré le déclin, tout enté­né­bré de jan­sé­nisme, de ce qu’on appelle le siècle de Louis XIV ; puis son éclat parut s’at­ténuer. Au XXème siècle, sa renom­mée ne fait que gran­dir, sa doc­trine se répand de plus en plus, soit par ses ouvrages, soit par ceux qu’elle ins­pire ; en même temps sa vie et ses exemples, de plus en plus connus, conti­nuent ses leçons de mépris du monde et d’amour pour Jésus en croix.

Première éducation. – Saint-Sulpice.

Louis Grignion naquit le 31 jan­vier 1673, à Montfort-​la-​Cane, aujourd’hui Montfort-​sur-​Meu, petite ville du dio­cèse de Rennes, et autre­fois du dio­cèse de Saint-​Malo, de Jean-​Baptiste Grignion, sieur de La Bacheleraie, gen­til­homme bre­ton, avo­cat, et de Jeanne Robert de La Vizeule. Au nom de Louis, qu’il reçut au bap­tême, le servi­teur de Dieu ajou­ta celui de Marie lors de sa confir­ma­tion. En entrant, dénué de tout, dans l’état ecclé­sias­tique, il cache­ra volon­tiers son nom sous celui de Montfort, le lieu de son bap­tême, et c’est sous ce der­nier nom qu’il devient célèbre, d’une célé­bri­té faite de contra­dictions d’un côté, du renom de sain­te­té de l’autre.

Il fut un des aînés de neuf et peut-​être onze enfants ; par­mi eux il comp­ta trois sœurs reli­gieuses et un frère Dominicain ; lui-​même fera par­tie du Tiers-​Ordre de Saint-​Dominique. M. Grignion, mal­gré sa modeste for­tune, l’envoya, en 1685, étu­dier à Rennes dans un col­lège flo­ris­sant, diri­gé par les Jésuites. Louis s’y fît remar­quer par sa dévo­tion à la Sainte Vierge, sa grande pure­té et son amour des pauvres.

Il avait dix-​huit ans et venait d’achever sa phi­lo­so­phie, quand Dieu lui fit entendre un mys­té­rieux appel au sacer­doce. Il fut atti­ré à Paris, par la géné­ro­si­té d’une bien­fai­trice qui vou­lait lui faire suivre les cours du Séminaire de Saint-​Sulpice ; par esprit de pau­vre­té il fit le voyage à pied et arri­va en loques ; on le pla­ça non à Saint-​Sulpice, mais dans une mai­son voi­sine pour ecclé­sias­tiques pauvres.

Il ne put conti­nuer ses études en Sorbonne qu’au prix de rudes sacri­fices, accep­tant de veiller les morts de la paroisse de Saint-​Sulpice. Des heures de nuit qu’il pas­sait ain­si trois ou quatre fois par semaine, il employait les quatre pre­mières à l’oraison faite à genoux, deux autres à la lec­ture spi­ri­tuelle, deux au som­meil et le reste à l’étude de la théo­lo­gie. Il entra ensuite dans une autre mai­son de clercs pauvres, dite des Robertins. Louis Grignion exer­çait sur lui d’effrayantes mor­ti­fi­ca­tions : dis­ci­plines san­glantes, chaînes de fer, cilices, tout fut mis en œuvre pour apai­ser cette soif qu’il avait du sacrifice.

Ces aus­té­ri­tés exa­gé­rées eurent bien­tôt épui­sé sa nature robuste, mais encore incom­plè­te­ment for­mée. A l’âge de vingt ans il tom­ba malade et on dut le por­ter à l’Hôtel-Dieu, où il édi­fia tout le monde.

Vers la même époque il se trou­va à l’abri du besoin immé­diat grâce au béné­fice de deux fon­da­tions ; il fut alors admis au Séminaire de Saint-​Sulpice, mais ses supé­rieurs déci­dèrent, vu son peu de res­sources, de ne plus lui faire suivre les cours de la Sorbonne. Nommé biblio­thé­caire du Séminaire il pas­sait ses vacances à acqué­rir une connais­sance pro­fonde de l’Ecriture Sainte, des Pères et des Docteurs, qui nour­ri­ra plus tard ses ser­mons de mis­sion­naire. A ce moment aus­si il com­men­çait à com­po­ser des can­tiques ; il leur devra plus tard une par­tie de ses suc­cès de mois­son­neur d’âmes.

Cependant les sin­gu­la­ri­tés de sa vie et ses mor­ti­fi­ca­tions tinrent plus d’une fois en sus­pens l’esprit de ses supé­rieurs ; mais les plus rudes épreuves, les humi­lia­tions publiques qu’ils lui infli­gèrent, ne trou­vèrent jamais son humi­li­té en défaut, non plus que son obéis­sance. Vivant de la foi, Montfort jugeait toutes choses à cette mesure. De là ses façons de par­ler ou d’agir, humai­ne­ment inex­pli­cables ; de là des per­sé­cu­tions et des blâmes sans nombre.

Encore l’hostilité dont il fut l’objet toute sa vie s’explique-t-elle beau­coup moins par ses sin­gu­la­ri­tés que par sa lutte ardente contre les doc­trines jan­sé­nistes, qui empoi­son­nèrent alors une grande par­tie de l’Eglise de France, contre les scan­dales de mœurs, aus­si fré­quents à cette époque qu’à la nôtre, et contre tous les abus.

L’ancienne favo­rite de Louis XIV, Mme de Montespan, écar­tée de Versailles depuis 1691 et qui expiait par la cha­ri­té son ancienne vie scan­da­leuse, avait une grande estime pour le ser­vi­teur de Dieu ; elle prit à sa charge trois de ses sœurs, pla­ça l’une dans un couvent de Paris, la mai­son Saint-​Joseph, et les deux autres à l’abbaye de Fontevrault, au dio­cèse d’Angers, qui avait à sa tête Gabrielle de Rochechouart, la propre sœur de Mme de Montespan.

Il est envoyé à Nantes, puis à Poitiers.

Montfort fut éle­vé au sacer­doce le 5 juin 1700 et célé­bra sa pre­mière messe huit jours plus tard en la cha­pelle de la Sainte Vierge de l’Eglise Saint-​Sulpice. Il avait alors vingt-​sept ans. Avant même d’être prêtre, le saint jeune homme avait plu­sieurs fois mani­fes­té son désir d’aller dans les mis­sions loin­taines. Dieu avait sur lui d’autres des­seins. Ses supé­rieurs lui conseillèrent d’aller à Nantes, où une socié­té de prêtres se vouait aux mis­sions, dans les paroisses de la Bretagne. M. Lévêque, le supé­rieur de cette mai­son, était un des pre­miers dis­ciples de M. Olier.

Cependant, la petite socié­té de Nantes n’était pas à beau­coup près aus­si sainte que son supé­rieur. D’ailleurs, à ce moment, tout le haut cler­gé et tous les Ordres de la ville, à l’exception des Jésuites qui, là comme ailleurs, ne l’abandonnèrent jamais, et aus­si des Capucins, étaient enclins au jan­sé­nisme. Cette remarque le déter­mi­na à suivre une autre voie ; il quit­ta Nantes en avril 1701 et par­tit pour Fontevrault, où une de ses sœurs devait prendre l’habit. Mais, voya­geant à pied, il arri­va… le len­de­main de la céré­mo­nie. Mme de Montespan le pres­sa de se rendre auprès de Mgr Girard, évêque de Poitiers, ancien pré­cep­teur de ses enfants ; celui-​ci était à Niort, et le saint prêtre dut l’attendre quatre jours. Il employa ce temps à faire une retraite et à soi­gner les malades à l’hôpital géné­ral. Ceux-​ci furent si tou­chés de sa pié­té et de la pau­vre­té de ses habits, qu’ils se coti­sèrent pour lui faire l’aumône : bien plus, ils sup­plièrent l’évêque de le leur don­ner pour aumônier.

De Poitiers, il retour­na à Nantes et eut la conso­la­tion de don­ner seul une mis­sion à Grandchamp, où il appli­qua avec suc­cès sa méthode de pré­di­ca­tion et de can­tiques ; le « P. de Montfort » prê­cha encore au Pellerin et en diverses paroisses des environs.

A l’hôpital de Poitiers. – Essai de fondation.

Le 25 août 1701, une lettre de Mgr Girard le nom­mait aumô­nier de l’hôpital de Poitiers. Il accep­ta, mal­gré le peu d’attrait qu’il éprou­vait pour une vie trop calme, se sen­tant appe­lé aux mis­sions des cam­pagnes ; il tint à exer­cer gra­tui­te­ment ses fonc­tions et à ne rece­voir que la nour­ri­ture des pauvres.

Les hos­pices étaient alors, à Poitiers comme presque par­tout, gou­vernés par des veuves ou de pieuses jeunes filles qui consi­dé­raient ces fonc­tions plu­tôt comme une posi­tion que comme un poste de dévoue­ment. C’est en voyant de près le vice de cette admi­nis­tra­tion laïque de la cha­ri­té, que le saint aumô­nier conçut le des­sein de fon­der une asso­cia­tion basée sur l’esprit de sacri­fice et com­po­sée de membres liés par les vœux de religion.

Il com­men­ça par essayer de grou­per les infir­mières ; de ce côté il eut des suc­cès, puis des déboires. Alors il entre­prit de recru­ter par­mi les malades et les pen­sion­naires mêmes les élé­ments d’une pieuse asso­cia­tion, sorte d’ébauche d’une Congrégation véri­table, et qu’il appel­le­rait « la Sagesse » par dévo­tion envers le Saint-​Esprit ; cette asso­cia­tion avait pour supé­rieure la plus pieuse de ses membres, une aveugle. Mais déjà le saint fon­da­teur avait des vues sur une recrue pré­cieuse, Marie-​Louise Trichet.

Le Saint assis­tant les malades

A Paris et au Mont Valérien.

Le saint homme res­ta dix mois à l’hôpital géné­ral de Poitiers, où il réta­blit le bon ordre, depuis long­temps trou­blé. Mais les inquié­tudes qu’il eut au sujet de la voca­tion de sa soeur de Paris, qui avait quit­té la mai­son Saint-​Joseph, le déter­mi­nèrent à se rendre en la capi­tale en 1702. En route, il fut chas­sé du Séminaire d’Angers par un de ses anciens direc­teurs, pré­ve­nu contre lui ; à Paris, des calom­nies habiles lui avaient alié­né ses pro­tec­teurs de Saint-​Sulpice. Il réus­sit cepen­dant, d’une manière pro­vi­den­tielle, à faire admettre sa sœur chez les Bénédictines du Saint-Sacrement.

Malgré ces mépris, s’agissait-il d’entreprendre quelque des­sein répu­té mal­ai­sé ou impos­sible, c’était à sa ver­tu que l’on avait recours. C’est ain­si que la dis­corde s’étant mise dans un couvent d’Ermites, qui vivaient d’une façon fort aus­tère sur le Mont-​Valérien, l’abbé, M. Madot, plus tard évêque de Belley, puis de Chalón, pria Montfort de s’y rendre. Il le fit hum­ble­ment, et les reli­gieux, tou­chés de sa ver­tu, se firent de mutuelles conces­sions qui rame­nèrent la paix.

Retour à Poitiers. – Début de la Congrégation de la Sagesse

Il ren­tra à Poitiers et reprit son pro­jet d’une Congrégation de reli­gieuses hos­pi­ta­lières. La pre­mière novice du dehors qu’il reçut et qui en fut à la véri­té, sous sa direc­tion, la fon­da­trice, fut la fille d’un pro­cu­reur au pré­si­dial de Poitiers, Marie-​Louise Trichet. Celle-​ci n’avait que dix-​sept ans, lorsqu’on 1701 elle avait recou­ru à sa direc­tion. Le P. Grignion l’admit à la com­mu­nion quo­ti­dienne, selon l’usage ancien de l’Eglise, mal­heu­reu­se­ment tom­bé en désué­tude depuis long­temps et que le jan­sé­nisme avait ache­vé. Puis le 2 février 1708 alors qu’elle attei­gnait dix-​neuf ans, il lui fit prendre un habit par­ti­cu­lier, tel que le portent encore les Filles de la Sagesse. C’était une robe de laine grise, gros­sière ; une coiffe et des san­dales sans talons com­plé­tèrent ce cos­tume sur lequel il jeta une cape noire sem­blable à un man­teau de deuil. \

« Sœur Marie-​Louise de Jésus » allait attendre sept ans avec une com­pagne, Catherine Brunet, l’heure mar­quée par la Providence pour la réa­li­sa­tion des pro­jets du fondateur.

De nou­velles dif­fi­cul­tés étant sur­ve­nues, le pauvre aumô­nier réso­lut de quit­ter l’hôpital ; s’abandonnant à l’action divine, il prit de nou­veau la route de Paris, vers Pâques 1708, et obtint son admis­sion à l’hôpital de la Salpêtrière qui comp­tait 5 ooo pen­sion­naires ; il s’y dévoua d’une manière si écla­tante qu’il reçut son congé.

Les pauvres de l’hôpital de Poitiers ne se conso­laient pas du départ de leur aumô­nier. Ils écri­virent, le 9 mars 1704, une lettre, par laquelle ils récla­maient le retour de celui qu’ils avaient si bien appré­cié. Montfort obéit aus­si­tôt. On lui donne 3o francs pour sa route ; il dis­tri­bue cet argent aux pauvres, et part en mendiant.

Commencement des missions.

Les épreuves s’accrurent au point que le P. de Montfort réso­lut d’abandonner entre les mains de Dieu le ber­ceau qui conte­nait ses plus chères espé­rances. Il se pré­sen­ta à l’évêque de Poitiers, Mgr de La Poype de Vertrieu, le priant de lui per­mettre de suivre son attrait pour les mis­sions. L’évêque, qui appré­ciait l’apôtre, y consen­tit volontiers.

Montfort avait alors trente et un ans. Doué d’une san­té que ses aus­térités effrayantes n’avaient pas encore trop affai­blie, il se mit à l’œuvre et com­men­ça ses pré­di­ca­tions par Montbernage, fau­bourg de Poitiers, dépen­dant de la paroisse Sainte-Radegonde.

Sa parole ardente, sai­sis­sante et popu­laire à la façon de Bridaine, les élans de sa foi, les enthou­siasmes de son amour, la seule vue de ce visage étrange où se lisaient les aus­té­ri­tés de sa péni­tence, tout en lui prê­chait Dieu. Le peuple accou­rait pour l’entendre, et presque à chaque ser­mon les san­glots de l’auditoire répon­daient à ses accents convain­cus. Les conver­sions s’opérèrent en masse.

Mais le démon ne tar­da pas à entra­ver comme il le put l’œuvre Je l’apôtre. Mille épreuves lui furent sus­ci­tées. La plus dou­lou­reuse fut celle qui lui vint de l’évêque de Poitiers. Ce pré­lat s’étant lais­sé cir­con­ve­nir lui fît noti­fier l’interdiction de prê­cher et l’ordre de quit­ter le dio­cèse. Cette mesure sévère, dont l’évêque se repen­tit plus tard, fut très sen­sible à notre apôtre, mais aucune parole de mur­mure n’effleura ses lèvres. Il prê­chait alors une retraite ; il l’interrompit et pro­fi­ta de ce repos for­cé pour aller à Rome.

Pèlerinage à Rome.

Montfort entre­prit ce pèle­ri­nage à pied et sans argent. Puis après avoir cou­ru bien des dan­gers il arri­va à Lorette et s’y repo­sa quinze jours, il se ren­dit à Rome et obtint une audience de Clément XI, le 6 juin 1706. Le Pape le congé­dia en lui don­nant avec sa béné­diction le titre de mis­sion­naire apostolique.

Cet accueil si pater­nel lui fut un grand encou­ra­ge­ment ; il revint de Rome par Saumur et le Mont-Saint-Michel.

Nouvelle interdiction de prêcher. – Vie apostolique.

Quelque temps après, M. Grignion vint à Rennes où habi­taient son père et sa mère. Il y prê­cha une pre­mière mis­sion puis il se ren­dit à Montfort, sa patrie, et à Dinan, où vivait son frère Dominicain. Il y don­na une mis­sion aux sol­dats de la gar­ni­son. De là, il rayon­na dans les dio­cèses de Saint-​Malo et de Saint-Brieuc.

Bientôt sus­pect dans son propre dio­cèse d’origine, le P. de Montfort revint à Nantes où il fit plu­sieurs missions.

Un jour, sur la Motte-​Saint-​Nicolas, il voit une foule consi­dé­rable, et, com­pre­nant qu’une danse publique était la cause de cet attroupe­ment, il fend sans hési­ter les rangs des curieux et pénètre au milieu des dan­seurs. Ceux-​ci l’entourent et le raillent, et l’un d’eux, par moque­rie, entonne un des can­tiques qu’il chan­tait dans la mis­sion. Mais lui, pre­nant son cha­pe­let et levant son cru­ci­fix : « S’il y a, dit-​il, dans cette assem­blée, des amis de Dieu, qu’ils se mettent à genoux avec moi ». Son air ins­pi­ré, sa ver­tu recon­nue sub­jugent les plus auda­cieux, et tous, dan­seurs, dan­seuses et spec­ta­teurs tombent à genoux, récitent le cha­pe­let et se dispersent.

En 1709 il don­na la mis­sion à Pont-​Château et dans les paroisses du voi­si­nage. Là il fit éle­ver un célèbre cal­vaire, col­line arti­fi­cielle de 50 pieds de haut, à l’érection duquel tra­vaillèrent 20 000 per­sonnes ; ce fut le pré­texte de nou­velles accu­sa­tions contre lui auprès de l’évêque de Nantes. La veille même de la date fixée pour l’inaugu­ration solen­nelle – i4 sep­tembre 1709, – défense lui arri­vait de prê­cher. L’autorité civile s’émut, de son côté, de la construc­tion d’une « for­te­resse », et la démo­li­tion en fut ordon­née et exé­cu­tée en par­tie. Il était reve­nu à Nantes, et, la pré­di­ca­tion lui étant inter­dite, s’occupait de soi­gner les incurables.

Sur ces entre­faites, appe­lé par les évêques de La Rochelle et de Luçon, il se pré­pa­ra à la lutte contre le péril protestant.

Ses pré­di­ca­tions eurent beau­coup de suc­cès, tant dans le dio­cèse de Luçon, où il pas­sa d’abord, que dans celui de La Rochelle. Il prê­cha pour Pâques à l’île d’Yeu, et au prin­temps, fît un voyage à Nantes ; il com­po­sa alors un écrit, le. Secret de Marie, qui, plus déve­lop­pé, devien­dra l’admirable Traité de la vraie dévo­tion à la Sainte Vierge ; il y conden­sait, en la ren­dant acces­sible à tous, la doc­trine du P. de Condren, de M. Olier et de M. Boudon.

Fondation d’une Société de missionnaires.

Malgré sa consti­tu­tion robuste, le mis­sion­naire sen­tait que sa jeu­nesse ne résis­te­rait pas long­temps aux extrêmes fatigues de la vie des mis­sions. Il voyait le bien immense que pro­dui­saient par­tout ces exer­cices. Il son­gea à se sur­vivre dans des fils capables de conti­nuer cette œuvre. L’évêque de La Rochelle l’encouragea. Le saint prêtre par­tit pour Paris en juin 1713, afin d’affilier la congré­gation qu’il rêvait, au Séminaire du Saint-​Esprit, fon­dé par M. Poullart des Places. Il recru­ta dans ce Séminaire les pre­miers élé­ments de sa future famille, qu’il appe­la la Compagnie de Marie. ‘En reve­nant à Poitiers, il eut la joie d’y retrou­ver les deux recrues de sa petite com­mu­nau­té de la Sagesse. Mais l’évêque de Poitiers, mal conseillé, lui enjoi­gnit de quit­ter la ville dans les vingt-​quatre heures. L’humble mis­sion­naire obéit aus­si­tôt sans se plaindre et se mit en route pour la Rochelle où il dut se faire soi­gner à l’hôpital pour une mala­die grave et dou­lou­reuse. Il reprit sa tâche de mis­sion­naire, eut des ennuis dans le dio­cèse de Saintes et revint à La Rochelle où il ins­talla trois Frères dans les « Petites Ecoles » ; ces reli­gieux, frères de ceux qui l’aidaient pour l’organisation maté­rielle des mis­sions, étaient en quelque sorte les pre­miers sujets d’un ins­ti­tut appe­lé par la suite à une grande efflo­res­cence, celui de Saint-​Gabriel, réor­ga­ni­sé au début du xix° siècle par le P. Deshayes, Supérieur géné­ral de la Compagnie de Marie.

Après avoir mis­sion­né en Aunis et en Saintonge, le Bienheureux vou­lut consul­ter un de ses anciens amis, M. Blain, alors vicaire géné­ral de Rouen ; le voi­là de nou­veau en route : il tra­verse les dio­cèses de Nantes, de Rennes et d’Avranches où il ren­contre encore des déboires ; dans celui de Coutances, pré­di­ca­tion et confes­sion lui sont inter­dites, mais la défense est rap­por­tée ; à Rouen, son ami le ser­monne ami­ca­le­ment sur sa sin­gu­la­ri­té et refuse de le suivre. Il retourne à Nantes chez ses chers incu­rables ; enfin, il accepte l’hos­pitalité d’amis à Rennes, mais il y est bien­tôt des­ser­vi et revient à La Rochelle en 1715. Il reti­ra les deux Sœurs de l’hôpital de Poitiers et les fit venir à La Rochelle, pour s’y occu­per d’une école de filles ; il les quit­ta bien­tôt pour prê­cher au dio­cèse de Luçon.

Pendant la mis­sion de Villiers-​en-​Plaine, on le vit, priant les bras en croix, et éle­vé de plus de deux pieds au-​dessus de terre. Il vint aus­si à Mervent, et comme ses forces com­men­çaient à le tra­hir, il y fixa sa retraite momen­ta­née dans une grotte sau­vage, au bas de laquelle ser­pente la Vendée, et qui est aujourd’hui le but d’un pèle­ri­nage. Le Bienheureux se ren­dit ensuite à Saint-​Pompain, où il atti­ra à sa Congrégation, com­po­sée alors de quelques Frères, le vicaire de la paroisse, M. Mulot, qui avec M. Vatel, recrue du Sémi­naire du Saint-​Esprit, fut un de ses pre­miers dis­ciples et devint son suc­ces­seur, de là le nom de « Mulotins » don­né pen­dant quelque temps aux Missionnaires.

Le P. de Montfort déci­da aus­si 33 hommes de la paroisse à accom­plir le pèle­ri­nage de Notre-​Dame des Ardillers, à Saumur, pour obte­nir les béné­dic­tions célestes sur la Compagnie de Marie. Les pèle­rins firent pieds nus une par­tie de la route. Le saint mis­sion­naire effec­tua le même tra­jet quelques jours après, avec plu­sieurs Frères.

A Saint-​Laurent-​sur-​Sèvre. – Sa mort. – Son influence.

Pendant ce pèle­ri­nage il sen­tit les pre­mières annonces de sa fin pro­chaine. Le 21 jan­vier 1716, il per­dait son vieux père, décé­dé à l’Abbaye-en-Bréteil, près de Montfort. Accompagné de M. Mulot, il vint com­men­cer la mis­sion de Saint-​Laurent-​sur-​Sèvre, paroisse du dio­cèse de Poitiers, aujourd’hui de Luçon. Quelques jours après, il fut atteint d’une pleu­ré­sie, vit venir la mort avec intré­pi­di­té, et le mar­di 28 avril 1716 il ren­dait sa belle âme à Dieu.

Selon son désir, on l’enterra près de l’autel de la Sainte Vierge, dans l’église parois­siale. La confiance des peuples a fait de son tom­beau le but d’un pèle­ri­nage. De nom­breux miracles y ont été opérés.

C’est là que ses filles, en 1720, et ses fils, l’année sui­vante, ont abri­té leur ber­ceau ; les trois congré­ga­tions ont gran­di, vivent et pros­pèrent à l’ombre de cette tombe vénérée.

L’influence du ser­vi­teur de Dieu dans les dio­cèses et les 180 paroisses qu’il a évan­gé­li­sées a été pro­fonde et durable. Les his­toriens des guerres de Vendée, en remon­tant aux causes de cette lutte gigan­tesque des humbles pour la défense de la reli­gion, retrouvent les pré­di­ca­tions du P. de Montfort : en effet, après quatre-​vingts ans, celles-​ci n’étaient pas oubliées. Si le jan­sé­nisme a été vain­cu en ces régions, si le pro­tes­tan­tisme n’y a pas fait de nou­velles conquêtes, si les popu­la­tions sont res­tées enra­ci­nées dans la foi, c’est au vaillant mis­sion­naire qu’elles en sont redevables.

Louis-​Marie Grignion de Montfort, décla­ré Vénérable le 7 sep­tembre 1838, a été béa­ti­fié par Léon XIII le 22 jan­vier 1888.

J.-E. Drochon.

Note de LPL : L’article a été rédi­gé avant la cano­ni­sa­tion de Saint Louis-​Marie Grignion de Monfort effec­tuée par le Pape Pie XII le 20 juillet 1947. Nous avons chan­gé le titre en consé­quence. Voir l’ho­mé­lie et le dis­cours pro­non­cés par Pie XII à cette occa­sion.

Sources consul­tées. – R. P. Fonteneau, Vie du bien­heu­reux Louis-​Marie Grignion de Montfort. – Ernest Jac, Le bien­heu­reux Grignion de Montfort (Collection Les Saints). – Mgr Laveille, Le bien­heu­reux L.-M. Grignion de Montfort (1673–1716), d’après des docu­ments inédits (1908) ; Le bien­heu­reux Louis-​Marie Grignion de Montfort et ses familles reli­gieuses (1916). – Abbé Pauvert, Vie du véné­rable Louis-​Marie Grignion de Montfort (1876). – J.-M. Quérard, Vie du bien­heu­reux Louis-​Marie Grignion de Montfort, fon­da­teur des Missionnaires de la Compagnie de Marie, des Filles de la Sagesse et des Frères du Saint-​Esprit. – (V.S. B. P., n° 367.)