Missionnaire et fondateur d’Ordres (1673–1716)
Prédicateur infatigable de la mère de Dieu au milieu des multiples contradictions.Fête le 28 avril.
Version courte
Louis-Marie Grignion de La Bacheleraie naquit à Montfort-la-Cane, alors du diocèse de Saint-Malo, aujourd’hui de celui de Rennes, le 31 janvier 1673. Par esprit de religion et d’humilité, il abandonna plus tard le nom de sa famille, pour prendre celui du lieu de sa naissance et de son baptême. Sa première éducation fut pieuse et forte ; il la compléta chez les Jésuites de Rennes, où il acquit la réputation d’un saint Louis de Gonzague.
La Providence le conduisit ensuite à Paris, pour y étudier en diverses maisons tenues par les Sulpiciens, et à Saint-Sulpice même. Dans ce séminaire, où il brilla par son intelligence et sa profonde piété, on ne comprit pas assez les vues de Dieu sur lui. Dieu le permit ainsi pour le former à l’amour de la Croix, dont il devait être l’apôtre passionné. C’est à l’école de Saint-Sulpice qu’il puisa toutefois son merveilleux amour de Marie et qu’il se prépara à devenir Son apôtre et Son docteur.
Jeune prêtre, il fut d’abord aumônier à l’hôpital de Poitiers, où il opéra une réforme aussi prompte qu’étonnante. Ballotté ensuite pendant quelques temps par les persécutions que lui suscitaient les Jansénistes, il se rendit à Rome en vue de s’offrir au Pape pour les missions étrangères, et il reçut du Souverain Pontife l’ordre de travailler à l’évangélisation de la France.
Dès lors, pendant dix ans, il va de missions en missions, dans plusieurs diocèses de l’Ouest, qu’il remue et transforme par sa parole puissante, par la flamme de son zèle et par ses miracles. Il alimente sa vie spirituelle dans une prière continuelle et dans des retraites prolongées, il est l’objet des visites fréquentes de la Sainte Vierge. Ses cantiques populaires complètent les fruits étonnants de sa prédication ; il plante partout la Croix ; il sème partout la dévotion au Rosaire : il prépare providentiellement les peuples de l’Ouest à leur résistance héroïque au flot destructeur de la Révolution, qui surgira en moins d’un siècle.
Après seize ans d’apostolat, il meurt en pleine prédication, à Saint-Laurent-sur-Sèvre (Vendée), à quarante-trois ans, laissant, pour continuer son oeuvre, une Société de missionnaires, les Soeurs de la Sagesse, et quelques Frères pour les écoles, connus partout aujourd’hui sous le nom de Frères de Saint-Gabriel. C’est un des plus grands saints des temps modernes, et le promoteur des prodigieux développements de la dévotion à la Sainte Vierge à notre époque.
Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’année, Tours, Mame, 1950
Version longue (La Bonne Presse)
Le bienheureux Louis-Marie Grignion de Montfort fut une de ces étoiles que Dieu envoie de temps à autre sur la scène du monde ; il avait éclairé le déclin, tout enténébré de jansénisme, de ce qu’on appelle le siècle de Louis XIV ; puis son éclat parut s’atténuer. Au XXème siècle, sa renommée ne fait que grandir, sa doctrine se répand de plus en plus, soit par ses ouvrages, soit par ceux qu’elle inspire ; en même temps sa vie et ses exemples, de plus en plus connus, continuent ses leçons de mépris du monde et d’amour pour Jésus en croix.
Première éducation. – Saint-Sulpice.
Louis Grignion naquit le 31 janvier 1673, à Montfort-la-Cane, aujourd’hui Montfort-sur-Meu, petite ville du diocèse de Rennes, et autrefois du diocèse de Saint-Malo, de Jean-Baptiste Grignion, sieur de La Bacheleraie, gentilhomme breton, avocat, et de Jeanne Robert de La Vizeule. Au nom de Louis, qu’il reçut au baptême, le serviteur de Dieu ajouta celui de Marie lors de sa confirmation. En entrant, dénué de tout, dans l’état ecclésiastique, il cachera volontiers son nom sous celui de Montfort, le lieu de son baptême, et c’est sous ce dernier nom qu’il devient célèbre, d’une célébrité faite de contradictions d’un côté, du renom de sainteté de l’autre.
Il fut un des aînés de neuf et peut-être onze enfants ; parmi eux il compta trois sœurs religieuses et un frère Dominicain ; lui-même fera partie du Tiers-Ordre de Saint-Dominique. M. Grignion, malgré sa modeste fortune, l’envoya, en 1685, étudier à Rennes dans un collège florissant, dirigé par les Jésuites. Louis s’y fît remarquer par sa dévotion à la Sainte Vierge, sa grande pureté et son amour des pauvres.
Il avait dix-huit ans et venait d’achever sa philosophie, quand Dieu lui fit entendre un mystérieux appel au sacerdoce. Il fut attiré à Paris, par la générosité d’une bienfaitrice qui voulait lui faire suivre les cours du Séminaire de Saint-Sulpice ; par esprit de pauvreté il fit le voyage à pied et arriva en loques ; on le plaça non à Saint-Sulpice, mais dans une maison voisine pour ecclésiastiques pauvres.
Il ne put continuer ses études en Sorbonne qu’au prix de rudes sacrifices, acceptant de veiller les morts de la paroisse de Saint-Sulpice. Des heures de nuit qu’il passait ainsi trois ou quatre fois par semaine, il employait les quatre premières à l’oraison faite à genoux, deux autres à la lecture spirituelle, deux au sommeil et le reste à l’étude de la théologie. Il entra ensuite dans une autre maison de clercs pauvres, dite des Robertins. Louis Grignion exerçait sur lui d’effrayantes mortifications : disciplines sanglantes, chaînes de fer, cilices, tout fut mis en œuvre pour apaiser cette soif qu’il avait du sacrifice.
Ces austérités exagérées eurent bientôt épuisé sa nature robuste, mais encore incomplètement formée. A l’âge de vingt ans il tomba malade et on dut le porter à l’Hôtel-Dieu, où il édifia tout le monde.
Vers la même époque il se trouva à l’abri du besoin immédiat grâce au bénéfice de deux fondations ; il fut alors admis au Séminaire de Saint-Sulpice, mais ses supérieurs décidèrent, vu son peu de ressources, de ne plus lui faire suivre les cours de la Sorbonne. Nommé bibliothécaire du Séminaire il passait ses vacances à acquérir une connaissance profonde de l’Ecriture Sainte, des Pères et des Docteurs, qui nourrira plus tard ses sermons de missionnaire. A ce moment aussi il commençait à composer des cantiques ; il leur devra plus tard une partie de ses succès de moissonneur d’âmes.
Cependant les singularités de sa vie et ses mortifications tinrent plus d’une fois en suspens l’esprit de ses supérieurs ; mais les plus rudes épreuves, les humiliations publiques qu’ils lui infligèrent, ne trouvèrent jamais son humilité en défaut, non plus que son obéissance. Vivant de la foi, Montfort jugeait toutes choses à cette mesure. De là ses façons de parler ou d’agir, humainement inexplicables ; de là des persécutions et des blâmes sans nombre.
Encore l’hostilité dont il fut l’objet toute sa vie s’explique-t-elle beaucoup moins par ses singularités que par sa lutte ardente contre les doctrines jansénistes, qui empoisonnèrent alors une grande partie de l’Eglise de France, contre les scandales de mœurs, aussi fréquents à cette époque qu’à la nôtre, et contre tous les abus.
L’ancienne favorite de Louis XIV, Mme de Montespan, écartée de Versailles depuis 1691 et qui expiait par la charité son ancienne vie scandaleuse, avait une grande estime pour le serviteur de Dieu ; elle prit à sa charge trois de ses sœurs, plaça l’une dans un couvent de Paris, la maison Saint-Joseph, et les deux autres à l’abbaye de Fontevrault, au diocèse d’Angers, qui avait à sa tête Gabrielle de Rochechouart, la propre sœur de Mme de Montespan.
Il est envoyé à Nantes, puis à Poitiers.
Montfort fut élevé au sacerdoce le 5 juin 1700 et célébra sa première messe huit jours plus tard en la chapelle de la Sainte Vierge de l’Eglise Saint-Sulpice. Il avait alors vingt-sept ans. Avant même d’être prêtre, le saint jeune homme avait plusieurs fois manifesté son désir d’aller dans les missions lointaines. Dieu avait sur lui d’autres desseins. Ses supérieurs lui conseillèrent d’aller à Nantes, où une société de prêtres se vouait aux missions, dans les paroisses de la Bretagne. M. Lévêque, le supérieur de cette maison, était un des premiers disciples de M. Olier.
Cependant, la petite société de Nantes n’était pas à beaucoup près aussi sainte que son supérieur. D’ailleurs, à ce moment, tout le haut clergé et tous les Ordres de la ville, à l’exception des Jésuites qui, là comme ailleurs, ne l’abandonnèrent jamais, et aussi des Capucins, étaient enclins au jansénisme. Cette remarque le détermina à suivre une autre voie ; il quitta Nantes en avril 1701 et partit pour Fontevrault, où une de ses sœurs devait prendre l’habit. Mais, voyageant à pied, il arriva… le lendemain de la cérémonie. Mme de Montespan le pressa de se rendre auprès de Mgr Girard, évêque de Poitiers, ancien précepteur de ses enfants ; celui-ci était à Niort, et le saint prêtre dut l’attendre quatre jours. Il employa ce temps à faire une retraite et à soigner les malades à l’hôpital général. Ceux-ci furent si touchés de sa piété et de la pauvreté de ses habits, qu’ils se cotisèrent pour lui faire l’aumône : bien plus, ils supplièrent l’évêque de le leur donner pour aumônier.
De Poitiers, il retourna à Nantes et eut la consolation de donner seul une mission à Grandchamp, où il appliqua avec succès sa méthode de prédication et de cantiques ; le « P. de Montfort » prêcha encore au Pellerin et en diverses paroisses des environs.
A l’hôpital de Poitiers. – Essai de fondation.
Le 25 août 1701, une lettre de Mgr Girard le nommait aumônier de l’hôpital de Poitiers. Il accepta, malgré le peu d’attrait qu’il éprouvait pour une vie trop calme, se sentant appelé aux missions des campagnes ; il tint à exercer gratuitement ses fonctions et à ne recevoir que la nourriture des pauvres.
Les hospices étaient alors, à Poitiers comme presque partout, gouvernés par des veuves ou de pieuses jeunes filles qui considéraient ces fonctions plutôt comme une position que comme un poste de dévouement. C’est en voyant de près le vice de cette administration laïque de la charité, que le saint aumônier conçut le dessein de fonder une association basée sur l’esprit de sacrifice et composée de membres liés par les vœux de religion.
Il commença par essayer de grouper les infirmières ; de ce côté il eut des succès, puis des déboires. Alors il entreprit de recruter parmi les malades et les pensionnaires mêmes les éléments d’une pieuse association, sorte d’ébauche d’une Congrégation véritable, et qu’il appellerait « la Sagesse » par dévotion envers le Saint-Esprit ; cette association avait pour supérieure la plus pieuse de ses membres, une aveugle. Mais déjà le saint fondateur avait des vues sur une recrue précieuse, Marie-Louise Trichet.
A Paris et au Mont Valérien.
Le saint homme resta dix mois à l’hôpital général de Poitiers, où il rétablit le bon ordre, depuis longtemps troublé. Mais les inquiétudes qu’il eut au sujet de la vocation de sa soeur de Paris, qui avait quitté la maison Saint-Joseph, le déterminèrent à se rendre en la capitale en 1702. En route, il fut chassé du Séminaire d’Angers par un de ses anciens directeurs, prévenu contre lui ; à Paris, des calomnies habiles lui avaient aliéné ses protecteurs de Saint-Sulpice. Il réussit cependant, d’une manière providentielle, à faire admettre sa sœur chez les Bénédictines du Saint-Sacrement.
Malgré ces mépris, s’agissait-il d’entreprendre quelque dessein réputé malaisé ou impossible, c’était à sa vertu que l’on avait recours. C’est ainsi que la discorde s’étant mise dans un couvent d’Ermites, qui vivaient d’une façon fort austère sur le Mont-Valérien, l’abbé, M. Madot, plus tard évêque de Belley, puis de Chalón, pria Montfort de s’y rendre. Il le fit humblement, et les religieux, touchés de sa vertu, se firent de mutuelles concessions qui ramenèrent la paix.
Retour à Poitiers. – Début de la Congrégation de la Sagesse
Il rentra à Poitiers et reprit son projet d’une Congrégation de religieuses hospitalières. La première novice du dehors qu’il reçut et qui en fut à la vérité, sous sa direction, la fondatrice, fut la fille d’un procureur au présidial de Poitiers, Marie-Louise Trichet. Celle-ci n’avait que dix-sept ans, lorsqu’on 1701 elle avait recouru à sa direction. Le P. Grignion l’admit à la communion quotidienne, selon l’usage ancien de l’Eglise, malheureusement tombé en désuétude depuis longtemps et que le jansénisme avait achevé. Puis le 2 février 1708 alors qu’elle atteignait dix-neuf ans, il lui fit prendre un habit particulier, tel que le portent encore les Filles de la Sagesse. C’était une robe de laine grise, grossière ; une coiffe et des sandales sans talons complétèrent ce costume sur lequel il jeta une cape noire semblable à un manteau de deuil. \
« Sœur Marie-Louise de Jésus » allait attendre sept ans avec une compagne, Catherine Brunet, l’heure marquée par la Providence pour la réalisation des projets du fondateur.
De nouvelles difficultés étant survenues, le pauvre aumônier résolut de quitter l’hôpital ; s’abandonnant à l’action divine, il prit de nouveau la route de Paris, vers Pâques 1708, et obtint son admission à l’hôpital de la Salpêtrière qui comptait 5 ooo pensionnaires ; il s’y dévoua d’une manière si éclatante qu’il reçut son congé.
Les pauvres de l’hôpital de Poitiers ne se consolaient pas du départ de leur aumônier. Ils écrivirent, le 9 mars 1704, une lettre, par laquelle ils réclamaient le retour de celui qu’ils avaient si bien apprécié. Montfort obéit aussitôt. On lui donne 3o francs pour sa route ; il distribue cet argent aux pauvres, et part en mendiant.
Commencement des missions.
Les épreuves s’accrurent au point que le P. de Montfort résolut d’abandonner entre les mains de Dieu le berceau qui contenait ses plus chères espérances. Il se présenta à l’évêque de Poitiers, Mgr de La Poype de Vertrieu, le priant de lui permettre de suivre son attrait pour les missions. L’évêque, qui appréciait l’apôtre, y consentit volontiers.
Montfort avait alors trente et un ans. Doué d’une santé que ses austérités effrayantes n’avaient pas encore trop affaiblie, il se mit à l’œuvre et commença ses prédications par Montbernage, faubourg de Poitiers, dépendant de la paroisse Sainte-Radegonde.
Sa parole ardente, saisissante et populaire à la façon de Bridaine, les élans de sa foi, les enthousiasmes de son amour, la seule vue de ce visage étrange où se lisaient les austérités de sa pénitence, tout en lui prêchait Dieu. Le peuple accourait pour l’entendre, et presque à chaque sermon les sanglots de l’auditoire répondaient à ses accents convaincus. Les conversions s’opérèrent en masse.
Mais le démon ne tarda pas à entraver comme il le put l’œuvre Je l’apôtre. Mille épreuves lui furent suscitées. La plus douloureuse fut celle qui lui vint de l’évêque de Poitiers. Ce prélat s’étant laissé circonvenir lui fît notifier l’interdiction de prêcher et l’ordre de quitter le diocèse. Cette mesure sévère, dont l’évêque se repentit plus tard, fut très sensible à notre apôtre, mais aucune parole de murmure n’effleura ses lèvres. Il prêchait alors une retraite ; il l’interrompit et profita de ce repos forcé pour aller à Rome.
Pèlerinage à Rome.
Montfort entreprit ce pèlerinage à pied et sans argent. Puis après avoir couru bien des dangers il arriva à Lorette et s’y reposa quinze jours, il se rendit à Rome et obtint une audience de Clément XI, le 6 juin 1706. Le Pape le congédia en lui donnant avec sa bénédiction le titre de missionnaire apostolique.
Cet accueil si paternel lui fut un grand encouragement ; il revint de Rome par Saumur et le Mont-Saint-Michel.
Nouvelle interdiction de prêcher. – Vie apostolique.
Quelque temps après, M. Grignion vint à Rennes où habitaient son père et sa mère. Il y prêcha une première mission puis il se rendit à Montfort, sa patrie, et à Dinan, où vivait son frère Dominicain. Il y donna une mission aux soldats de la garnison. De là, il rayonna dans les diocèses de Saint-Malo et de Saint-Brieuc.
Bientôt suspect dans son propre diocèse d’origine, le P. de Montfort revint à Nantes où il fit plusieurs missions.
Un jour, sur la Motte-Saint-Nicolas, il voit une foule considérable, et, comprenant qu’une danse publique était la cause de cet attroupement, il fend sans hésiter les rangs des curieux et pénètre au milieu des danseurs. Ceux-ci l’entourent et le raillent, et l’un d’eux, par moquerie, entonne un des cantiques qu’il chantait dans la mission. Mais lui, prenant son chapelet et levant son crucifix : « S’il y a, dit-il, dans cette assemblée, des amis de Dieu, qu’ils se mettent à genoux avec moi ». Son air inspiré, sa vertu reconnue subjugent les plus audacieux, et tous, danseurs, danseuses et spectateurs tombent à genoux, récitent le chapelet et se dispersent.
En 1709 il donna la mission à Pont-Château et dans les paroisses du voisinage. Là il fit élever un célèbre calvaire, colline artificielle de 50 pieds de haut, à l’érection duquel travaillèrent 20 000 personnes ; ce fut le prétexte de nouvelles accusations contre lui auprès de l’évêque de Nantes. La veille même de la date fixée pour l’inauguration solennelle – i4 septembre 1709, – défense lui arrivait de prêcher. L’autorité civile s’émut, de son côté, de la construction d’une « forteresse », et la démolition en fut ordonnée et exécutée en partie. Il était revenu à Nantes, et, la prédication lui étant interdite, s’occupait de soigner les incurables.
Sur ces entrefaites, appelé par les évêques de La Rochelle et de Luçon, il se prépara à la lutte contre le péril protestant.
Ses prédications eurent beaucoup de succès, tant dans le diocèse de Luçon, où il passa d’abord, que dans celui de La Rochelle. Il prêcha pour Pâques à l’île d’Yeu, et au printemps, fît un voyage à Nantes ; il composa alors un écrit, le. Secret de Marie, qui, plus développé, deviendra l’admirable Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge ; il y condensait, en la rendant accessible à tous, la doctrine du P. de Condren, de M. Olier et de M. Boudon.
Fondation d’une Société de missionnaires.
Malgré sa constitution robuste, le missionnaire sentait que sa jeunesse ne résisterait pas longtemps aux extrêmes fatigues de la vie des missions. Il voyait le bien immense que produisaient partout ces exercices. Il songea à se survivre dans des fils capables de continuer cette œuvre. L’évêque de La Rochelle l’encouragea. Le saint prêtre partit pour Paris en juin 1713, afin d’affilier la congrégation qu’il rêvait, au Séminaire du Saint-Esprit, fondé par M. Poullart des Places. Il recruta dans ce Séminaire les premiers éléments de sa future famille, qu’il appela la Compagnie de Marie. ‘En revenant à Poitiers, il eut la joie d’y retrouver les deux recrues de sa petite communauté de la Sagesse. Mais l’évêque de Poitiers, mal conseillé, lui enjoignit de quitter la ville dans les vingt-quatre heures. L’humble missionnaire obéit aussitôt sans se plaindre et se mit en route pour la Rochelle où il dut se faire soigner à l’hôpital pour une maladie grave et douloureuse. Il reprit sa tâche de missionnaire, eut des ennuis dans le diocèse de Saintes et revint à La Rochelle où il installa trois Frères dans les « Petites Ecoles » ; ces religieux, frères de ceux qui l’aidaient pour l’organisation matérielle des missions, étaient en quelque sorte les premiers sujets d’un institut appelé par la suite à une grande efflorescence, celui de Saint-Gabriel, réorganisé au début du xix° siècle par le P. Deshayes, Supérieur général de la Compagnie de Marie.
Après avoir missionné en Aunis et en Saintonge, le Bienheureux voulut consulter un de ses anciens amis, M. Blain, alors vicaire général de Rouen ; le voilà de nouveau en route : il traverse les diocèses de Nantes, de Rennes et d’Avranches où il rencontre encore des déboires ; dans celui de Coutances, prédication et confession lui sont interdites, mais la défense est rapportée ; à Rouen, son ami le sermonne amicalement sur sa singularité et refuse de le suivre. Il retourne à Nantes chez ses chers incurables ; enfin, il accepte l’hospitalité d’amis à Rennes, mais il y est bientôt desservi et revient à La Rochelle en 1715. Il retira les deux Sœurs de l’hôpital de Poitiers et les fit venir à La Rochelle, pour s’y occuper d’une école de filles ; il les quitta bientôt pour prêcher au diocèse de Luçon.
Pendant la mission de Villiers-en-Plaine, on le vit, priant les bras en croix, et élevé de plus de deux pieds au-dessus de terre. Il vint aussi à Mervent, et comme ses forces commençaient à le trahir, il y fixa sa retraite momentanée dans une grotte sauvage, au bas de laquelle serpente la Vendée, et qui est aujourd’hui le but d’un pèlerinage. Le Bienheureux se rendit ensuite à Saint-Pompain, où il attira à sa Congrégation, composée alors de quelques Frères, le vicaire de la paroisse, M. Mulot, qui avec M. Vatel, recrue du Séminaire du Saint-Esprit, fut un de ses premiers disciples et devint son successeur, de là le nom de « Mulotins » donné pendant quelque temps aux Missionnaires.
Le P. de Montfort décida aussi 33 hommes de la paroisse à accomplir le pèlerinage de Notre-Dame des Ardillers, à Saumur, pour obtenir les bénédictions célestes sur la Compagnie de Marie. Les pèlerins firent pieds nus une partie de la route. Le saint missionnaire effectua le même trajet quelques jours après, avec plusieurs Frères.
A Saint-Laurent-sur-Sèvre. – Sa mort. – Son influence.
Pendant ce pèlerinage il sentit les premières annonces de sa fin prochaine. Le 21 janvier 1716, il perdait son vieux père, décédé à l’Abbaye-en-Bréteil, près de Montfort. Accompagné de M. Mulot, il vint commencer la mission de Saint-Laurent-sur-Sèvre, paroisse du diocèse de Poitiers, aujourd’hui de Luçon. Quelques jours après, il fut atteint d’une pleurésie, vit venir la mort avec intrépidité, et le mardi 28 avril 1716 il rendait sa belle âme à Dieu.
Selon son désir, on l’enterra près de l’autel de la Sainte Vierge, dans l’église paroissiale. La confiance des peuples a fait de son tombeau le but d’un pèlerinage. De nombreux miracles y ont été opérés.
C’est là que ses filles, en 1720, et ses fils, l’année suivante, ont abrité leur berceau ; les trois congrégations ont grandi, vivent et prospèrent à l’ombre de cette tombe vénérée.
L’influence du serviteur de Dieu dans les diocèses et les 180 paroisses qu’il a évangélisées a été profonde et durable. Les historiens des guerres de Vendée, en remontant aux causes de cette lutte gigantesque des humbles pour la défense de la religion, retrouvent les prédications du P. de Montfort : en effet, après quatre-vingts ans, celles-ci n’étaient pas oubliées. Si le jansénisme a été vaincu en ces régions, si le protestantisme n’y a pas fait de nouvelles conquêtes, si les populations sont restées enracinées dans la foi, c’est au vaillant missionnaire qu’elles en sont redevables.
Louis-Marie Grignion de Montfort, déclaré Vénérable le 7 septembre 1838, a été béatifié par Léon XIII le 22 janvier 1888.
J.-E. Drochon.
Note de LPL : L’article a été rédigé avant la canonisation de Saint Louis-Marie Grignion de Monfort effectuée par le Pape Pie XII le 20 juillet 1947. Nous avons changé le titre en conséquence. Voir l’homélie et le discours prononcés par Pie XII à cette occasion.
Sources consultées. – R. P. Fonteneau, Vie du bienheureux Louis-Marie Grignion de Montfort. – Ernest Jac, Le bienheureux Grignion de Montfort (Collection Les Saints). – Mgr Laveille, Le bienheureux L.-M. Grignion de Montfort (1673–1716), d’après des documents inédits (1908) ; Le bienheureux Louis-Marie Grignion de Montfort et ses familles religieuses (1916). – Abbé Pauvert, Vie du vénérable Louis-Marie Grignion de Montfort (1876). – J.-M. Quérard, Vie du bienheureux Louis-Marie Grignion de Montfort, fondateur des Missionnaires de la Compagnie de Marie, des Filles de la Sagesse et des Frères du Saint-Esprit. – (V.S. B. P., n° 367.)