Les étapes d’un combat
La Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X a été officiellement fondée en 1970.
Pour ceux qui ne connaissent pas bien son histoire, sans doute est-il bon d’en rappeler les principales étapes, au moment, où dans les circonstances que nous connaissons, nous nous efforçons de continuer et de développer ce que la Providence nous a donné de faire.
Si les événements apportaient un changement en faveur d’un retour à la Tradition à l’intérieur de l’Église, évidemment la situation se trouverait simplifiée pour nous. Nous serions certainement agréés par la hiérarchie, comme nous l’avons été dans les débuts et tous ces problèmes de relations avec les évêques, avec Rome, ne se poseraient plus.
Pour l’heure, nous devons garder l’authenticité de la Fraternité qui a été fondée, sans doute dans des circonstances bien particulières, mais cela aurait très bien pu se faire dans des temps normaux. Elle a été suscitée, c’est vrai, par la dégradation des séminaires. Mais, il y a eu des Sociétés comme celles de Saint-Vincent-de-Paul ou de Saint-Jean-Eudes, qui ont été fondées avec un objectif identique, qui est et demeure celui de donner une bonne formation sacerdotale aux futurs prêtres et de leur permettre ainsi d’exercer un ministère qui soit l’occasion d’un renouveau dans l’Église.
Raison d’être de la Fraternité : former des prêtres selon l’esprit de l’Église
La Fraternité a donc été fondée avant tout pour faire des prêtres et par conséquent pour ouvrir des séminaires. C’est tout à fait conforme à la Tradition de l’Église : continuer tout simplement la formation sacerdotale traditionnelle pour l’Église.
Nous ne cherchons rien d’autre et nous n’avons jamais voulu innover, sinon dans le sens de la Tradition et en retrouvant certains éléments qui manquaient peut-être un peu à la formation des séminaristes particulièrement au plan spirituel. C’est pourquoi nous avons ajouté aux études philosophiques et théologiques une année de spiritualité. Celle-ci complète bien la préparation des séminaristes au Sacerdoce en les plaçant dans une atmosphère vraiment spirituelle. Ce n’est certes pas une innovation qui va dans le sens des modernistes, mais bien au contraire dans celui de la Tradition de l’Église.
Notre fondation a donc eu soin d’ajouter aux études une formation spirituelle sérieuse par une année supplémentaire qui constitue une espèce de noviciat et qui conduit à la grande connaissance de ce qu’est la spiritualité et à la pratique de la vie intérieure, de la vie purgative et illuminative, mystique qui demande une réforme de soi.
La Fraternité n’a pas été fondée sur le modèle d’une congrégation religieuse. Pourquoi ? Parce que dans la pratique il est trop fréquent de constater les difficultés éprouvées par les religieux qui exercent un apostolat dans le monde, de respecter vraiment la stricte pauvreté telle qu’elle est demandée dans les Congrégations religieuses où l’on ne peut rien avoir, rien utiliser, rien employer, sans demander l’autorisation au Supérieur. Tout dépend du Supérieur. Il était donc préférable de ne pas être lié par un vœu qui risquait d’être contredit continuellement. Il valait mieux fonder une société de vie commune sans vœu, mais avec des promesses.
La Providence a donc décidé que notre Société était faite sur le modèle des sociétés à vie commune sans vœu et elle a déjà donné ses preuves. Il n’y a donc pas de raison de ne pas continuer.
La Fraternité officiellement approuvée par Rome
C’est sous cette forme que la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X a été approuvée et érigée dans son diocèse par Mgr Charrière, évêque de Fribourg, le 1er novembre 1970. C’est sous cette forme qu’elle a aussi été approuvée par Rome.
Cela est très important et même fondamental et il ne faut pas hésiter à le rappeler à ceux qui ne connaissent pas bien l’histoire de la Fraternité.
Le document romain est en effet capital, car il est tout à fait officiel. Il porte la date du 18 février 1971 et le timbre de la Sacré Congrégation pour les religieux. Il est signé par son préfet le cardinal Wright et soussigné par Mgr Palazzini, qui était son secrétaire à l’époque et qui est aujourd’hui cardinal. Ce document officiel, émanant d’une Congrégation romaine approuvant et louant « la sagesse des normes » des statuts de la Fraternité ne peut être regardé autrement que comme un décret de louange qui, par conséquent, autorise notre Société à être considérée comme de Droit pontifical pouvant par le fait même incardiner.
Des actes officiels, accomplis par la Congrégation des religieux ayant pour préfet le cardinal Antoniutti sont venus compléter et confirmer cette reconnaissance officielle, puisqu’ils ont permis au Père Snyder et à un autre religieux américain d’être directement incardinés dans la Fraternité. Il s’agissait donc bien d’actes officiels de Rome.
Force est donc de constater par ces documents officiels que la Congrégation pour le clergé estimait de facto que notre Société pouvait régulièrement et validement incardiner.
Cependant, personnellement, je n’ai pas cru devoir user de cette possibilité jusqu’au moment où nous avons été officiellement, mais illégalement, supprimés. Jusque là je m’étais toujours efforcé d’avoir des évêques qui donnaient les incardinations. J’ai eu recours à Mgr de Castro Mayer au Brésil, à Mgr Castan Lacoma en Espagne et à Mgr Guibert à La Réunion. Ces trois évêques acceptaient de délivrer des lettres dimissoriales aux prêtres de notre Société qui se trouvaient ainsi incardinés dans leurs diocèses. M. l’abbé Aulagnier, lui, a été incardiné dans son diocèse de Clermont-Ferrand, par Mgr de la Chanonie. A ce moment-là, nous étions doublement en règle. Mgr Adam me l’a dit explicitement : « Pourquoi n’incardinez-vous pas dans votre Société ? » J’ai répondu : « Il me semble qu’elle n’est que diocésaine. J’étais donc en deçà des règles canoniques plutôt qu’au delà ».
En effet, ces documents de la Congrégation pour le clergé concernant l’incardination de ces deux religieux américains dans notre Société, sont encore plus importants que la lettre signée par le cardinal Wright. C’est d’ailleurs ce que j’ai répondu à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi lorsque j’ai été interrogé sur les incardinations. On m’a dit : « Vous n’avez pas le droit d’incardiner dans votre Société. » – « Je n’ai pas le droit ? Alors il faut dire à la Congrégation pour le clergé qu’elle s’est trompée en incardinant dans notre Société ! ».
Cet acte du cardinal Wright, si on l’étudie de près, n’est pas seulement une lettre mais un « décret de louange », puisque effectivement il loue les statuts de la Fraternité. C’est un acte tout à fait officiel. Il ne s’agit nullement d’une lettre privée. Ainsi, pendant cinq ans, nous avons eu l’approbation totale de l’Église diocésaine et de Rome. Nous étions donc entés sur l’Église. Ceci est fondamental pour l’action providentielle accomplie par la Fraternité, et nous renforce dans notre existence et notre action en général. Étant vraiment d’Église, reconnus officiellement par l’Église, nous avons été persécutés.
Pourquoi sommes-nous persécutés ?
Nous sommes persécutés uniquement parce que nous gardons la Tradition et en particulier la Tradition liturgique.
Toujours en replaçant les faits dans l’ordre de leur intervention historique, il est aussi du plus grand intérêt de relire la lettre que Mgr Mamie m’a adressée le 6 mai 1975, pour bien nous pénétrer des véritables raisons qui ont poussé l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg à nous retirer ILLÉGALEMENT les actes effectués par son prédécesseur et particulièrement le décret d’érection de la Fraternité du 1er novembre 1970. C’est un témoignage. Mgr Mamie reconnaît, puisqu’il l’écrit, que la Fraternité a fait l’objet d’un décret d’érection signé par son prédécesseur au titre de Pia Unio avec siège à Fribourg « approuvant et confirmant les statuts de ladite Fraternité. »
Il n’avait pas le droit d’agir ainsi et de retirer de son propre chef cette reconnaissance canonique. C’est explicitement contraire au Droit Canon. (Can. 493).
Or, par deux fois dans sa lettre Mgr Mamie parle de la liturgie. « … Je vous rappelais votre refus en ce qui concerne la célébration de la Sainte Messe selon le rite établi par S.S. Paul VI… » et « Quant à nous, nous continuons de demander aux fidèles comme aux prêtres catholiques d’accepter et d’appliquer toutes les orientations ou décisions du Concile Vatican II, tous les enseignements de Jean XXIIIet de Paul VI, toutes les directives des secrétariats institués par le Concile y compris dans la liturgie nouvelle. Cela nous l’avons fait, nous le ferons encore même aux jours les plus difficiles, avec la grâce de Dieu, parce que c’est le seul chemin pour édifier l’Église. »
Voilà ce qu’écrivait Mgr Mamie à cette époque.
Par deux fois dans cette lettre il rappelle la liturgie. « Parce que vous vous opposez à la liturgie. » C’est donc bien le motif principal, essentiel qui nous a valu ces mesures inqualifiables et illégales. Il faut bien que l’on se rappelle cela. La question de l’ordination des prêtres est venue postérieurement. En réalité, le véritable motif pour lequel nous avons été et sommes persécutés – illégalement encore une fois – par Mgr Mamie, par les cardinaux de Rome et les évêques de France, c’est en raison de notre attachement à la Sainte Messe de toujours. « Puisque vous continuez cette liturgie, vous êtes contre le Concile du Vatican. Puisque vous êtes contre le Concile, vous êtes contre le Pape. C’est inadmissible. Donc nous vous supprimons. » Le raisonnement était simple.
Alors ils ont exhibé l’Ordo de Mgr Bugnini et inventé ce qui n’existait pas : l’obligation de la nouvelle messe, qui a été imposée par les services du Vatican et par les évêques en France. C’est ainsi que, malheureusement, la Messe ancienne a été abandonnée par des communautés comme celle de l’Abbaye de Fontgombault, sous prétexte qu’il fallait obéir aux évêques. Tout cela a été imposé par la force, par la contrainte. On voulait absolument aussi nous contraindre à abandonner cette liturgie et par le fait même à fermer notre séminaire.
Devant cette imposture et l’illégalité dans laquelle tout cela a été fait et surtout devant l’esprit dans lequel cette persécution a été orchestrée, un esprit moderniste, progressiste et maçonnique, nous avons cru devoir continuer. On ne peut pas admettre quelque chose qui a été fait illégalement, dans un esprit mauvais, contre la Tradition et contre l’Église, pour la détruire.
Nous avons toujours refusé de collaborer à la destruction de l’Église
Cela, nous l’avons toujours refusé. Du jour où nous refusions, il est évident que nous nous placions contre ceux qui apparaissent comme étant l’Église légale : nous étions hors la loi de l’Église et eux la respectaient. Nous croyons cette appréciation inexacte, car ce sont eux qui en fait s’éloignent de la légalité de l’Église et que nous, au contraire, nous demeurons dans la légalité et la validité. Considérant objectivement qu’ils accomplissent des actes dans un esprit qui détruit l’Église, dans la pratique nous nous sommes trouvés dans l’obligation d’agir d’une façon qui paraît contraire à la légalité de l’Église. C’est vrai. Et c’est une situation bien étrange que celle d’apparaître dans l’arbitraire en continuant simplement à célébrer la Messe de toujours et à ordonner des prêtres selon ce qui était la légalité jusqu’au Concile. C’est cependant cela qui m’a valu d’être frappé de suspense et aux prêtres qui ont accepté d’être ordonnés d’être interdits.
Mais, nous n’avons pas arrêté là notre exercice de l’illégalité dans les détails de la loi, tant au sujet des confessions, que des mariages et de notre installation dans les diocèses. Bien des choses que nous avons accomplies sont en elles-mêmes et au sens strict hors la loi, mais pourquoi les avons-nous faites ? Tout simplement parce que nous pensions que ce qui a été entrepris vis-à-vis de nous était illégal et que l’on n’avait pas le droit de nous supprimer.
La loi fondamentale de l’Église, c’est le salut des âmes
Dès lors, nous avons agi selon les lois fondamentales de l’Église pour sauver les âmes, sauver le Sacerdoce, continuer l’Église.Ce sont effectivement bien celles-là qui sont en cause. Nous nous opposons à certaines lois particulières de l’Église pour garder les lois fondamentales. En faisant jouer les lois particulières contre nous, ce sont les lois fondamentales qui sont détruites : c’est aller contre le bien des âmes, contre les fins de l’Église.
Le nouveau Droit Canon comporte des articles qui sont contre les fins de l’Église. Quand on permet que la communion soit donnée à un protestant, on ne peut pas dire que cela ne va pas contre les fins de l’Église. Quand on affirme : il y a deux pouvoirs suprêmes dans l’Église, on ne peut pas dire que cela ne va pas contre les fins de l’Église. Elle est contraire au dogme cette définition de l’Église Peuple de Dieu dans lequel se trouvent fondamentalement tous les ministères, on ne fait plus de distinction entre le clergé et les laïcs. Tout cela va contre les fins de l’Église. On détruit les principes fondamentaux du Droit et l’on voudrait que nous nous soumettions.
Pour sauver les lois fondamentales de l’Église, nous sommes obligés d’aller contre les lois particulières. Dans tout cela qui a tort, qui a raison ? Evidemment ont raison ceux qui sauvent les fins de l’Église. Les lois particulières sont faites pour les lois fondamentales, c’est-à-dire pour le salut des âmes, pour la gloire de Dieu, pour la continuation de l’Église. C’est parfaitement clair.
Et on rappelle à toute occasion : Mgr Lefebvre est suspens et ses prêtres sont suspens, ilsn’ont pas le droit d’accomplir leur ministère. Ils rappellent là des lois particulières. Mais ils feraient aussi bien de rappeler qu’eux, ils sont en train de détruire l’Église, non pas les lois particulières, mais les lois fondamentales par ce nouveau Droit Canon qui est totalement inspiré par ce mauvais esprit moderniste qui s’est exprimé dans le Concile et après le Concile.
Ce que nous souhaitons bien sûr, c’est que tout soit normal, que nous ne nous trouvions plus dans cette situation apparemment illégale. Mais on ne peut pas nous faire reproche d’avoir voulu changer quoi que ce soit dans l’Église. Il nous faut toujours réfléchir et nous situer dans cet esprit que nous sommes d’Église et que nous continuons l’Église. Et pourquoi continuons-nous ? Parce que nous poursuivons les fins de l’Église. Si l’on peut nous faire grief de manquer à certaines lois pratiques ; personne ne peut dire que la Fraternité n’agit pas selon les fins de l’Église. Nul ne peut affirmer le contraire !
Or, même dans les lois particulières, l’Église a eu la sagesse de toujours laisser une porte ouverte pour le salut des âmes. Elle a prévu des cas qui pouvaient être extraordinaires. C’en est ainsi pour la juridiction pour les confessions. Pratiquement, ce sont les personnes qui viennent trouver le prêtre pour recevoir le sacrement de Pénitence qui lui donnent la juridiction par l’intermédiaire du Droit Canon. Même si une personne va trouver un prêtre excommunié pour lui demander, à être entendue en confession, celui-ci reçoit la juridiction. (2)
Pour le mariage : ceuxqui ne parviennent pas à trouver un prêtre qui les marie selon l’esprit de l’Église, comme leurs parents ont été mariés (c’est tout de même élémentaire que des jeunes gens désirent se marier selon le rite dans lequel leurs propres parents l’ont été et non dans un rite qui n’est pas seulement souvent ridicule, mais parfois odieux, dans une ambiance qui est loin d’être pieuse et favorable à cet acte important et sacré qu’est le sacrement de mariage), le Droit Canon a prévu une exception. Si les fiancés ne trouvent pas de prêtre dans un délai d’un mois, ils peuvent se marier. Ce sont eux en fait qui se donnent le sacrement. Ils en sont les ministres et dans ce cas ils sont exempts de la forme canonique (2). Donc ils peuvent se marier devant témoin. S’il y a un prêtre, il doit être présent. Le prêtre ne sera pas délégué, mais il sera présent à leur mariage, comme le demande le Droit Canon et il leur donnera la bénédiction nuptiale.
Pour la Confirmation, il y aaussi une exception. Le prêtre a le droit de donner la Confirmation dans certains cas. C’est aussi dans le Droit Canon. Le prêtre doit donner ce sacrement à quelqu’un qui se trouve en danger de mort s’il ne l’a pas déjà reçu.
Un prêtre peut donner la Confirmation dans d’autres cas exceptionnels. Dans les Missions, cette possibilité a été étendue aux mariages. Les prêtres avaient le droit de donner la Confirmation avant le mariage, si les fiancés ne l’avaient pas reçue.
Je n’ai jamais dit que toutes les confirmations étaient invalides, mais on peut s’interroger quant à la formule qui est employée et certainement pour l’huile qui est utilisée. C’est quand même important. J’ai reçu bien des témoignages de personnes qui, formellement, m’ont donné l’expression employée par l’évêque… ce sont des expressions invalides. « Reçois le Saint-Esprit » tout simplement. « Je t’envoie en mission ». Ce n’est peut être pas fréquent, mais cela s’est rencontré et c’est invalide. En tout cas ; nombreux sont les évêques qui estiment que la Confirmation est un Sacrement inutile, que le Saint-Esprit a déjà été donné au Baptême, que c’est une cérémonie supplémentaire pour rappeler ce qui a été fait au baptême. C’est. ce qu’écrivait explicitement l’ancien archevêque de Chambéry dans sa revue diocésaine : « La Confirmation ne donne pas le Saint-Esprit que l’on a reçu au baptême. » J’ai montré cette revue au cardinal Ratzinger en lui disant : « Vous me reprochez de donner les confirmations, regardez ce que pensent les évêques de la Confirmation. » Un archevêque, qui est maintenant retiré, mais qui avait à ce moment 72–73 ans et qui, avait donc été formé à la méthode ancienne. Il avait connu le Sacrement de Confirmation comme il a été enseigné autrefois. Sans doute la foi de l’évêque n’a‑t-elle pas d’influence sur la Confirmation, mais peut-on traiter ainsi ce Sacrement ? C’est ainsi que raisonnent les protestants et on peutse demander si l’intention de ces évêques est de faire ce que l’Église veut faire. Si nous voulons survivre et que les bénédictions du Bon Dieu continuent de descendre sur la Fraternité, il nous faut demeurer fidèles à ces lois fondamentales de l’Église.
Sans la Messe tout s’écroule
Si nos prêtres venaient à abandonner la véritable liturgie, le vrai Saint Sacrifice de la Messe, les vrais sacrements, alors ce ne serait plus la peine de continuer. Nous nous suiciderions !
Quand Rome demande : « Mais enfin vous pouvez bien adopter la nouvelle liturgie et continuer vos séminaires, ce n’est pas cela qui les fera disparaître », j’ai répondu : « Si, cela fera disparaître nos séminaires. Ils ne pourront pas accepter la nouvelle liturgie, ce serait introduire le poison de l’esprit conciliaire dans la communauté. Si les autres n’ont pas tenu, c’est parce qu’ils ont adopté cette nouvelle liturgie, toutes ces réformes et cet esprit nouveau. Si nous, nous acceptons aussi les mêmes choses, nous aurons les mêmes résultats. »
C’est pourquoi nous devons maintenir absolument notre ligne traditionnelle, malgré l’apparence d’une désobéissance et les persécutions de la part de ceux qui usent de leur autorité de manière injuste et souvent illégale.
Nous sommes de plus en plus contraints par les circonstances qui sans cesse s’aggravent. Si seulement les choses paraissaient devoir s’arranger, si l’on apercevait des signes tangibles d’un retour à la Tradition, tout serait alors différent. Mais, malheureusement, c’est toujours pire. Les évêques qui remplacent ceux qui partent ou qui meurent, ont reçu moins de formation théologique. Ils sont imbus de cet esprit du Concile, de cet esprit protestant, moderniste et c’est toujours de plus en plus grave. Devant cette dégradation continuelle, est-ce que nous ne sommes pas obligé de prendre des mesures qui évidemment sont extraordinaires. Tout ce qui se passe justifie notre attitude. Car enfin, les prêtres progressistes nous jettent à la figure quand ils le peuvent : vous n’avez pas de juridiction, vous n’avez pas le droit d’entendre les confessions. Bientôt tout ce que nous faisons sera invalide. C’est tout juste si notre Messe ne serait pas invalide. C’est tout au moins l’état d’esprit qui règne parmi les progressistes acharnés qui s’opposent à nous et nous insultent. Il ne faut pas hésiter à répondre qu’il faut profiter des lois de l’Église, c’est-à-dire de ce qu’elle permet dans des circonstances exceptionnelles et d’une extrême gravité.
Dieu sait si nous y sommes !
Les erreurs fondamentales
Douloureusement affecté par la perspective de la réunion des représentants de toutes les religions invités par le Pape à se réunir à Assise, le 27 octobre, j’avais adressé une lettre à plusieurs cardinaux leur demandant de supplier le Souverain Pontife de renoncer à cette véritable imposture.
On ne pourra pas dire que nous n’avons pas tout fait pour essayer de faire prendre conscience de la gravité de la situation dans laquelle nous nous trouvons.
Dans une prédication que j’avais faite en Suisse, j’avais évoqué les points principaux sur lesquels la Foi se trouve en danger et contredite par le Pape, les cardinaux et par les évêques d’une manière générale.
Il y a désormais trois erreurs fondamentales, qui, d’origine maçonnique, sont professées publiquement par les modernistes qui occupent l’Église.
– Le remplacement du Décalogue par les Droits de l’Homme. C’est désormais le leitmotiv pour rappeler la morale : ce sont les Droits de l’Homme qui se sont pratiquement substitués au Décalogue. Car l’article principal des Droits de l’Homme, c’est surtout la liberté religieuse, qui a été voulue d’une manière particulière par les francs-maçons. Jusque là c’était la religion catholique qui était LA religion, les autres religions étant fausses. Les francs-maçons ne voulaient plus de cette exclusive. Il fallait la supprimer. Alors on a décrété la liberté religieuse.
- Ce faux œcuménisme qui établit en fait l’égalité des religions. C’est ce que manifeste le Pape d’une manière concrète en toutes occasions. Il a dit lui-même que l’œcuménisme était l’un des objectifs principaux de son pontificat. Il a agi là contre le premier article du Credo et contre le premier commandement de l’Église.C’est d’une gravité exceptionnelle.
- Enfin, le troisième acte qui est maintenant courant, c’est la négation du règne social de Notre-Seigneur Jésus-Christ par la laïcisation des États. Le Pape a voulu et est arrivé pratiquement à laïciser les Sociétés, donc à supprimer le règne de Notre-Seigneur sur les Nations.
Si l’on réunit ces trois changements fondamentaux et qui en vérité n’en font qu’un, c’est vraiment la négation de l’unicité de la religion de Notre-Seigneur Jésus-Christ et par conséquent de son règne. Et pourquoi cela. En faveur de quoi. Probablement d’un sentiment religieux universel, d’une sorte de syncrétisme qui vise à réunir toutes les religions.
La situation est donc extrêmement grave, car il semble bien que la réalisation de l’idéal maçonnique soit accomplie par Rome même, par le Pape et les cardinaux. Les francs-maçons ont toujours désiré cela et ils y parviennent non plus par eux mais par les hommes d’Église eux-mêmes.
Il suffit de lire les articles écrits par certains d’entre eux, ou qui leur sont proches, pour voir avec quelle satisfaction ils saluent toute cette transformation de l’Église, ce changement radical qu’a opéré l’Église depuis le Concile et qui, pour eux-mêmes, était difficilement concevable.
La vérité évoluerait avec le temps !
Ce n’est pas seulement le Pape qui est en cause. Le cardinal Ratzinger, qui passe dans la presse pour être plus ou moins traditionnel, est en fait un moderniste. Il suffit pour s’en convaincre de lire son livre « Les principes de la théologie catholique » pour connaître sa pensée, alors qu’il éprouve une certaine estime pour la théorie de Hegel quand il écrit : « A partir de lui, être et temps se compénètrent de plus en plus dans la pensée philosophique. L’être même répond désormais à la notion de temps… la vérité devient fonction du temps ; le vrai n’est pas purement et simplement et c’est vrai pour un temps parce qu’il appartient au devenir de la vérité, laquelle est en tant qu’elle devient. »
Que voulez-vous que nous fassions ? Comment discuter avec qui tient semblable raisonnement ?
Aussi sa réaction n’est-elle pas surprenante quand je lui ai demandé : « Mais enfin, Éminence, il y a quand même contradiction entre la liberté religieuse et ce que dit le Syllabus. » « Mais, Monseigneur, m’a‑t-il répondu, nous ne sommes plus au temps du Syllabus ! » Toute discussion devient impossible.
Voilà ce que le cardinal Ratzinger écrit dans son livre à propos du texte de l’Église dans le monde (Gaudium et spes) sous le titre : « L’Église et le monde à propos de la question de la réception du deuxième Concile du Vatican. » Il développe ses arguments sur plusieurs pages et précise : « Si l’on cherche un diagnostic global du texte, on pourrait dire qu’il est (en liaison avec les textes sur la liberté religieuse et sur les religions dans le monde) une révision du Syllabus de Pie IX, une sorte de contre-Syllabus (Dignitatis Humanae) ».
Donc, il reconnaît que le texte de l’Église dans le monde, celui de la liberté religieuse et celui sur les non-chrétiens (Nostra AÉtate) constituent une espèce de « contre-Syllabus ». C’est ce que nous lui avons dit, mais maintenant, sans que cela paraisse le gêner, il l’écrit explicitement.
Et le cardinal poursuit : « Harnack, on le sait, a interprété le Syllabus comme un défi à son siècle ; ce qu’il y a de vrai, c’est qu’il a tracé une ligne de séparation devant les forces déterminantes du XIXème siècle. »
Quelles sont « les forces déterminantes du XIXème siècle » ? C’est la révolution française bien sûr avec toute son entreprise de destruction. Ces « forces déterminantes », le cardinal les définit lui-même comme étant « les conceptions scientifiques et politiques du libéralisme ». Et il poursuit « Dans la controverse moderniste, cette double frontière a été encore une fois renforcée et fortifiée ».
« Depuis lors, sans doute, bien des choses s’étaient modifiées. La nouvelle politique ecclésiastique de Pie XI avait instauré une certaine ouverture à l’égard de la conception libérale de l’État. L’exégèse et l’histoire de l’Église, dans un combat silencieux et persévérant, avaient adopté de plus en plus les postulats de la science libérale, et d’un autre côté le libéralisme s’était vu dans la nécessité, au cours des grands retournements politiques du XXe siècle, d’accepter des corrections notables ».
« C’est pourquoi, d’abord en Europe centrale, l’attachement unilatéral, conditionné par la situation, aux positions prises par l’Église à l’initiative de Pie IX et de Pie X contre la nouvelle période de l’histoire ouverte par la révolution française, avait été dans une large mesure corrigé via facti, mais une détermination fondamentale nouvelle des rapports avec le monde tel qu’il se présentait depuis 1789 manquait encore ».
Cette détermination fondamentale va être celle du Concile.
« En réalité, continue le cardinal, dans les pays à forte majorité catholique, régnait encore largement l’optique d’avant la révolution : presque personne ne conteste plus aujourd’hui que les concordats espagnol et italien cherchaient à conserver beaucoup trop de choses d’une conception du monde qui depuis longtemps ne correspondait plus aux données réelles. De même presque plus personne ne peut contester qu’à cet attachement à une conception périmée des rapports entre l’Église et l’État correspondaient des anachronismes semblables dans le domaine de l’éducation, et de l’attitude à prendre à l’égard de la méthode historique critique moderne. »
Ainsi se précise le véritable esprit du cardinal Ratzinger qui ajoute : « Seule une recherche minutieuse des manières diverses dont les différentes parties de l’Église ont accompli leur accueil du monde moderne pouvait débrouiller le réseau compliqué de causes qui ont contribué à donner sa forme à la constitution pastorale, et ce n’est que de cette manière que pourrait s’éclairer le drame de l’histoire de son influence ».
« Contentons-nous ici de constater que le texte joue le rôle d’un contre-Syllabus dans la mesure où il représente une tentative pour la réconciliation officielle de l’Église avec le monde tel qu’il était devenu depuis 1789 ».
Tout cela est clair et correspond à tout ce que nous n’avons cessé d’affirmer. Nous refusons, nous ne voulons pas être les héritiers de 1789 !
« D’un côté, cette vue seule, éclaire le complexe de ghetto dont nous avons parlé au début ; (l’Église un ghetto !) et d’un autre côté, elle seule permet de comprendre le sens de cet étrange vis-à-vis de l’Église et du monde : par « monde » on entend, au fond, l’esprit des temps modernes, en face duquel la conscience de groupe dans l’Église se ressentait comme un sujet séparé qui, après une guerre tantôt chaude et tantôt froide, recherchait le dialogue et la coopération. »
Force est bien de constater que le cardinal a perdu totalement de vue l’idée de l’Apocalypse de la lutte entre le vrai et l’erreur, entre le bien et le mal. Désormais, on recherche le dialogue entre le vrai et l’erreur. On ne peut pas comprendre l’étrangeté de ce vis-à-vis entre l’Église et le monde.
Plus loin, le cardinal définit ainsi sa pensée : « L’Église et le monde, c’est comme le corps et l’âme. » – « Bien entendu, il faut ajouter que le climat de tout le processus était marqué de façon décisive par « Gaudium et spes ». Le sentiment qu’il ne devait vraiment plus y avoir de mur entre l’Église et le monde, que tout « dualisme » : corps-âme, Église-monde, grâce-nature et même, en fin de compte, Dieu-monde était nuisible : ce sentiment devint de plus en plus une force destructrice pour l’ensemble ».
Le cardinal Ratzinger est à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, l’ex-Saint Office. Avec une semblable expression de pensée que peut-on espérer pour l’Église de celui qui a cependant en charge la défense de la Foi ?
Quant au Pape, d’une autre façon, il a le même esprit. Sans doute est-il polonais, mais le fondement des idées est le même. Ce sont les mêmes principes, la même formation qui l’animent. C’est la raison pour laquelle ils n’éprouvent ni honte, ni horreur en faisant ce qu’ils font alors que nous, nous en sommes épouvantés. La religion, comme nous l’avons vu dans le libéralisme, dans le modernisme, c’est un sentiment interne.
Ainsi dès le jour où, au mépris du droit, nous avons été frappé par Mgr Mamie, soutenu par Rome, nous n’en avons pas tenu compte et apparemment nous avons désobéi. Mais, c’était notre devoir de désobéir, parce que l’on voulait nous placer dans l’esprit de 1789, l’esprit du libéralisme, l’esprit du contre-Syllabus. Nous avons refusé et nous continuons de refuser. Ce sont des hommes, comme le cardinal Villot, imbus de ce libéralisme, c’est cette Rome libérale qui nous ont condamné. Mais en agissant de la sorte ils ont condamné la Tradition, la Vérité.
Nous avons refusé cette condamnation car nous la considérions comme nulle et inspirée de l’esprit moderniste. Ce que nous faisions et que nous continuons de faire n’est autre que d’œuvrer au maintien de la Tradition. Nous nous sommes donc trouvé être dans une situation apparente de désobéissance légale, mais nous avons continué à ordonner des prêtres, à donner des prêtres aux fidèles pour le salut de leurs âmes. Ceux-ci ont exercé et exercent leur ministère toujours sous une apparence de désobéissance à la lettre de la loi. Et nous continuerons tant que le Bon Dieu le jugera bon.
Ce n’est pas nous qui créons la situation de l’Église et celle-ci s’aggrave toujours davantage dans des conditions stupéfiantes. Personne n’aurait pu imaginer il y a dix ans, avant l’avènement du pape Jean-Paul II, qu’un Souverain Pontife aurait un jour fait cette cérémonie à Assise. L’idée même n’en serait jamais venue. Nul n’aurait pensé qu’il aurait été à la Synagogue et qu’il y aurait fait ce discours abominable. Personne ne l’aurait imaginé. De même n’aurait-on jamais pu concevoir ce qu’il a fait en Inde. Tout cela aurait paru inconcevable.
Nous voulons continuer l’Église
Alors, nous qui sommes entés sur l’Église, nous qui avons reçu les approbations officielles de l’Église, nous voulons continuer l’Église, continuer le Sacerdoce, sauver les âmes.
Que l’on me comprenne bien, je ne dis pas que la Fraternité c’est l’Église, mais nous sommes d’Église, comme l’ont été les Sulpiciens, les Lazaristes, les Missions étrangères et tant d’autres. Nous avons été reconnus comme tels et nous le demeurons. Nous ne voulons pas changer.
Il n’y a qu’une Église, dont nous sommes un rameau puissant, plein de sève, approuvé par l’Église absolument comme les autres Sociétés l’ont été autrefois et qui sont maintenant – hélas – en grande majorité en train de mourir de leur belle mort.
La Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X a été suscitée, pensons-nous, providentiellement par le Bon Dieu pour être un phare, une lumière dans le monde entier afin de sauver le vrai Sacerdoce, le vrai Sacrifice de la Messe, la Doctrine et la Tradition de l’Église et la Vérité pour apporter le salut aux âmes. Nous vivons dans un temps vraiment exceptionnel et croyons-nous apocalyptique, nous devons supplier le Bon Dieu, prier saint Pie X notre patron, afin de recevoir les grâces qui nous fortifient.
Le Bon Dieu m’a presque contraint à fonder la Fraternité, à réaliser cette œuvre, qui dans son développement semble bien avoir reçu Sa bénédiction.Nier cela, serait nier l’évidence. Tout le monde peut le constater.
Beaucoup d’entre nos prêtres ont maintenant plus de huit ans, plus de dix ans de Sacerdoce et le nombre des catholiques qui gravitent autour d’eux et qui sont heureux de les avoir est considérable. Combien de fois je reçois des lettres ou des compliments quand je passe dans les prieurés : « Ah, Monseigneur, vos prêtres ! Heureusement que nous avons vos prêtres ! Quel bien ils nous font. Ils nous aident, ainsi que nos familles, à demeurer catholiques. Combien nous vous remercions ! ».
Comment ne pas constater l’action de la Providence quand on voit ces vocations qui viennent de partout, et ce malgré toutes les attaques et les entreprises subversives pour essayer de nous démolir. Il n’y a pas de doute, le diable fait tout ce qui est en son pouvoir pour nous diviser, pour nous désagréger, c’est clair. Malheureusement, dans une certaine mesure, il y est parvenu : trop nombreux sont ceux qui nous ont abandonné. J’ai ordonné trois cent six prêtres depuis quinze ans, dont cinquante-six d’entre eux pour les communautés ou monastères amis. Naturellement les premières années, il n’y a pas eu beaucoup d’ordinations. Les premières ordinations importantes ont commencé en 1975. En onze ans, cela fait tout de même un chiffre assez considérable et cela malgré toutes les oppositions, les persécutions contre nos séminaires, malgré aussi le découragement que l’on provoque chez les séminaristes et que certains sont parvenus à détourner de leur vocation.
Soyons unis, courageux, soyons fermes, continuons. Le Bon Dieu nous bénira certainement. Nous ne devons pas craindre et trembler, mais demeurer résolus à défendre et à transmettre notre Foi.
Louis Veuillot disait : « Deux puissances vivent et sont en lutte dans le monde : la Révélation et la Révolution ».
Nous avons choisi de garder la Révélation, tandis que la nouvelle Église conciliaire a choisi la Révolution.
La raison de nos vingt années de combat est dans ce choix.
Prions, demandons à la Très Sainte Vierge, à notre Reine à laquelle la Fraternité est consacrée de nous aider.
Mgr Marcel LEFEBVRE
Extrait de Fideliter n°55 de janvier-février 1987
Notes
1 – Lettres de Mgr Charrière du 6 juin 1969 autorisant la fondation d’un séminaire et du 1er novembre 1970 érigeant la Fraternité dans le diocèse de Fribourg au titre de Pia Unio.
2 – Canon du Droit pénal, n° 2261.
3 – Canon 1098 et 209.