Homme du peuple, orphelin, modeste ouvrier, humble frère de Sainte-Croix, rien ne destinait le frère André à l’accomplissement d’une œuvre grandiose. Pourtant, depuis plus d’un siècle, son nom est associé à l’un des plus grands sanctuaires chrétiens au monde, l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal à Montréal (Québec).
Alfred Bessette, frère André de la Congrégation de Sainte-Croix est né le 9 août 1845 au Québec, fils d’Isaac Bessette et de Clothilde Foisy, neuvième enfant d’une famille de 13. Il est si frêle à sa naissance que le curé le baptise le lendemain. En 1849, la famille Bessette déménage à Farnham, près de la rivière Yamaska. Le père de famille, pauvre, exerce divers métiers : menuisier, charpentier, tonnelier et charron. Le 20 février 1855, un arbre qu’il abat lui tombe sur la poitrine et le tue. Désormais seule avec ses enfants, Clothilde assure leur éducation chrétienne et leur transmet la dévotion traditionnelle à la sainte Famille de Jésus, Marie et Joseph. Restée sous le choc de la mort de son mari, elle dépérit et meurt de tuberculose le 20 novembre 1857. Alfred a 12 ans. Il est recueilli par sa tante à Saint-Césaire. Il suit des leçons de catéchisme, est confirmé le 7 juin 1858.
Sa pauvreté et sa santé fragile expliquent la brièveté de ses études ; il ne saura que signer son nom et lire les caractères imprimés. Pour gagner sa vie, Alfred transporte des matériaux de construction. Quand son oncle part en 1860 le maire de Saint-Césaire accueille l’adolescent pour travailler dans la ferme. Alfred exerce ensuite divers métiers : apprenti boulanger et cordonnier. Ces multiples expériences de travail n’améliorent pas son état, lui qui ne digère rien, disent des témoins, mais qui prie toujours. D’ailleurs, depuis sa tendre enfance, Alfred a des comportements qui inquiètent son entourage : malgré sa santé fragile, il se prive de dessert et porte à la taille une ceinture en cuir avec des pointes de fer. Ses stations de prière à genoux sont longues, fréquentes et intenses : on le trouve les bras en croix, devant un crucifix, à l’église, dans sa chambre ou dans une grange.
Alfred se rend en Nouvelle-Angleterre en octobre 1863. Le jeune homme de 18 ans, qui a peine à supporter le travail en usine, alterne les emplois dans des filatures de coton avec le travail dans des fermes. Réservé de nature, Alfred, épuisé après sa journée de travail, s’enferme dans sa chambre et prie. Après avoir cherché sans succès pendant quatre ans un emploi qui lui convienne, Bessette revient au Canada en 1867. Le curé de Saint Césaire l’assure qu’il trouvera dans la Congrégation de Sainte-Croix le climat de prière dont il a besoin, tout en se rendant utile. Le 22 novembre 1870, Bessette se présente au collège Notre-Dame, à Côte-des-Neiges (Montréal), où la Congrégation de Sainte-Croix vient d’installer son noviciat.
Le 8 décembre, le pape Pie IX déclare saint Joseph patron de l’Église universelle. Bessette prend l’habit religieux le 27 décembre, ainsi que le nom d’André. On lui confie la fonction de portier du collège, qu’il exercera jusqu’à la mi-juillet 1909. Il doit aussi assurer la propreté des lieux, faire les courses, donner l’aumône aux pauvres. Il fait de plus office de barbier et d’infirmier auprès des collégiens malades, s’occupe du courrier, du transport des colis des élèves, qu’il accompagne parfois les jours de promenade. En 1872, les supérieurs de la congrégation hésitent cependant, en raison de sa mauvaise santé, à l’admettre à la profession religieuse. Mais le nouveau maître des novices le recommande en disant : « Si ce jeune homme devient incapable de travailler, il saura au moins bien prier. » Admis à prononcer ses vœux temporaires le 22 août 1872, le frère André fait sa profession perpétuelle à 28 ans et 6 mois, le 2 février 1874.
Parmi les visiteurs que le frère André accueille au collège se trouvent des personnes qui confient leur maladie à ses prières. D’autres l’invitent à les visiter à la maison. Le religieux prie avec eux ; il leur remet une médaille de saint Joseph, celui à qui il voue une dévotion particulière, quelques gouttes de l’huile d’olive qui brûle devant la statue du saint, dans la chapelle du collège, et leur conseille de s’en frictionner avec confiance. Des personnes, de plus en plus nombreuses, se mettent à déclarer avoir été guéries ou soulagées de cette manière. La réputation de thaumaturge et de sainteté du frère se répand de bouche à oreille. Il amène ses visiteurs prier devant une statue de saint Joseph qu’il a installée dans une niche sur le mont Royal.
Le frère André nourrit le projet d’ériger là une chapelle à saint Joseph. Grâce aux dons offerts spontanément, en argent ou en nature, le sanctuaire primitif est inauguré le 16 octobre 1904. De 1905 à 1908, l’afflux des pèlerins est tel qu’on devra augmenter les dimensions de la chapelle à quatre reprises de 1908 à 1912. Chaque fois, la générosité populaire permettra de payer. L’affluence au sanctuaire continue d’augmenter. En 1913 un projet de basilique est mis en branle. L’argent nécessaire pour financer la construction de la crypte est déjà amassé grâce aux dons des fidèles. Les travaux commencent donc dès 1914 et l’inauguration de la crypte a lieu le 16 décembre 1917. En moins d’un an, le sanctuaire, qui peut accueillir 1 000 personnes assises, se révèle cependant trop petit.
Le nombre de visiteurs s’accroît encore au cours des années 1920, pendant lesquelles le sanctuaire devient le cœur des activités religieuses de l’archidiocèse. Les visiteurs ne viennent plus seulement de la province de Québec, mais aussi de tout le Canada et des États-Unis. Le frère André les reçoit chaque jour de neuf heures du matin à cinq heures de l’après-midi. Le soir, des amis le conduisent en auto chez des malades qui ne peuvent se déplacer. Une seule personne ne suffit plus pour répondre aux quelque 200 à 300 lettres qu’il reçoit quotidiennement ; on met en place un secrétariat.
En 1920, le frère André institue des soirées de prière qui attirent des centaines de fidèles. L’idée de réparation que proposent les autorités religieuses pour contrer la menace du socialisme et du communisme, ainsi que les guerres en Europe, donne lieu à diverses initiatives laïques. Après avoir montré beaucoup de réticence au sujet de son projet, les supérieurs du frère André se laissent gagner par la sincérité, la simplicité et la conviction de celui qui, pour étayer sa cause, ne se réclame d’aucun miracle ni d’aucune vision, mais seulement de sa dévotion à saint Joseph. À cette ferveur particulière s’ajoutent l’amour de Dieu, la fréquentation de l’Évangile, ainsi qu’un culte à la sainte Famille et au Sacré-Cœur. À ses amis intimes, il raconte la Passion avec une telle émotion qu’ils en sont remués et transformés.
Plusieurs années avant sa mort, le frère André est déjà la figure emblématique de l’oratoire Saint-Joseph. Son charisme, sa figure souriante – toute ridée et respirant la bonté –, son humour simple savent gagner les plus indifférents. Il fait preuve de discernement auprès de ses visiteurs, mais aussi d’une charité sans bornes. Même s’il aime rire, il a des moments d’impatience, surtout quand on lui attribue le mérite des faveurs obtenues : « Ce n’est pas moi qui guéris. C’est saint Joseph », dit-il alors en pleurant. Alfred Bessette est mort le 6 janvier 1937. Son corps a été exposé à l’oratoire – auquel on a permis l’accès jour et nuit – jusqu’au 12 janvier. Un premier service funèbre a eu lieu à la cathédrale de Montréal, puis un deuxième à l’oratoire Saint-Joseph. Plus d’un million de personnes sont venues de partout pour lui rendre hommage, pour le pleurer et pour prier auprès de lui.
Abbé Benoît Knittel
Source : Apôtre aux Antilles n° 29