Note de la rédaction de La Porte Latine : il est bien entendu que les commentaires repris dans la presse extérieure à la FSSPX ne sont en aucun cas une quelconque adhésion à ce qui y est écrit par ailleurs.
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« Pharisien » est devenu presque une insulte récurrente, dans la bouche du Pape, pour désigner ceux qui s’opposent à ses projets. Mais s’il inversait les rôles ? Les explications de Roberto de Mattei, qui s’appuie sur l’Ecriture Sainte, les historiens et les Pères de l’Eglise.
Qui sont les Pharisiens et les Sadducéens de notre temps ? Nous pouvons le dire avec une certitude tranquille. Ce sont tous ceux qui avant, pendant et après le Synode ont essayé et essayeront de changer les pratiques de l’Eglise et, à travers la pratique, sa doctrine sur la famille et le mariage.
Jésus proclamait l’indissolubilité du mariage, en la fondant sur la restauration de cette loi naturelle dont les Juifs s’étaient éloignés, et il la renforçait en élevant le lien du mariage à un Sacrement. Pharisiens et Sadducéens refusaient cet enseignement, niant la parole divine de Jésus, à laquelle ils substituaient leur propre opinion. Ils se réclamaient faussement de Moïse, de même que les novateurs d’aujourd’hui se réclament d’une prétendue tradition des premiers siècles, faussant l’histoire et la doctrine de l’Eglise.
La critique des « pharisiens » est récurrente dans les propos de François. Dans de nombreux discours, entre 2013 et 2015, il a parlé de la « maladie des pharisiens » (7 septembre 2013), « qui accusent Jésus de ne pas respecter le sabbat » (1er avril 2014), de la « tentation de la suffisance et du cléricalisme, cette façon de codifier la foi en règles et instructions, comme le faisaient les scribes, les pharisiens et les docteurs de la loi de l’époque de Jésus » (19 septembre 2014).
Dans l’Angélus du 30 août, il a dit que, comme pour les Pharisiens, « il existe pour nous aussi le danger de nous considérer à notre place ou, pire, meilleurs que les autres pour le simple fait d’observer les règles, les usages, même si nous n’aimons pas notre prochain, nous sommes durs de cœur, fiers, pleins d’orgueil ».
Le 8 novembre 2015 il a opposé l’attitude des scribes des Pharisiens fondée sur l”«exclusion », à celle de Jésus fondée sur l”«inclusion ».
La référence aux Pharisiens est évidente, enfin, dans le discours par lequel le pape, le 24 octobre, a conclu le XIVe Synode ordinaire sur la famille. Qui d’autre sont en effet « les cœurs fermés qui se cachent souvent jusque derrière les enseignements de l’Église, ou derrière les bonnes intentions, pour s’asseoir sur la chaire de Moïse pour juger, parfois avec supériorité et superficialité, les cas difficiles et les familles blessées » sinon « les pharisiens, qui faisaient de la religion un ensemble sans fin de commandements » (26 juin 2014)?
Pharisien, c’est ce que semble être quiconque défend, avec une fierté obstinée, l’existence de commandements, lois, les règles l’Eglise, absolues et contraignantes.
Mais qui étaient vraiment les Pharisiens ?
Quand Jésus commença sa prédication, le monde juif était divisé en différents courants, dont nous parlent les évangiles et, parmi les historiens, Flavius Josèphe (37–100 après JC) (1) dans ses ouvrages « Les Antiquités judaïques » et « La Guerre judaïque ». Les principales sectes étaient celles des Pharisiens et des Sadducéens. Les Pharisiens observaient les prescriptions religieuses jusque dans les moindres détails, mais ils avaient perdu l’esprit de vérité. C’étaient des hommes vaniteux (orgueilleux), qui faussaient les prophéties relatives au Messie et interprétaient la loi de Dieu selon leurs opinions. Les Sadducéens enseignaient des erreurs encore plus graves, mettant en doute l’immortalité de l’âme et refusant la majeure partie des livres sacrés. Tous deux se disputaient le pouvoir dans le Sanhédrin, lequel, lorsque Jésus fut condamné, était dirigé par les Sadducéens.
Les Sadducéens sont cités une seule fois par Marc, et trois par Matthieu, mais les Pharisiens apparaissent de façon répétitive dans les Evangiles de Marc et de Matthieu. Le chap. 23 de saint Matthieu, en particulier, est une accusation ouverte contre eux : « Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, parce que vous payez la dîme [de la menthe, du fenouil et du cumin], et que vous négligez les points les plus graves de la Loi : la justice, la miséricorde et la foi ! Il fallait pratiquer ceci sans omettre cela » (Mt, 23, 23 ).
Commentant ce passage de Matthieu, saint Thomas explique que le Seigneur ne reprend pas les Pharisiens parce qu’ils payaient la dîme, « mais seulement parce qu’ils méprisaient les préceptes les plus importants c’est-à-dire ceux d’ordre spirituel. Cependant, il semble faire l’éloge de la pratique elle-même, en disant : « Ces choses ont été faites (“Haec oportuit facere”), en vertu de la loi, ajoute le Chrysostome » (2).
Saint Augustin, se référant au Pharisien dont parle saint Luc (18, 10–14), dit qu’il est condamné non pas pour ses œuvres, mais pour s’être vanté de sa sainteté présumée (Lettre 121, 1, 3).
Le même saint Augustin, dans sa “Lettre à Casulan”, explique que le Pharisien n’était pas condamné parce qu’il jeûnait (Lc. 18, 11 et suiv.), mais « parce qu’il s’exaltait, triomphe d’orgueil, sur le publicain » (Lettre 36, 4, 7 ). En effet, « jeûner deux fois par semaine est dénué de mérite pour une personne comme le Pharisien, alors que c’est un acte religieux pour une personne humblement fidèle ou fidèlement humble, si bien que l’Évangile ne parle pas de condamnation pour le Pharisien, mais plutôt de justification pour le Publicain » (Lettre 36, 4, 7).
La définition la plus synthétique des Pharisiens, c’est saint Bonaventure qui nous la donne : « Pharisaeus significat illos qui propter opera exteriora se reputant bonos ; et ideo non habent lacrymas compunctionis » (2). « Pharisiens sont ceux qui se considèrent comme bons pour leurs actions extérieurs et n’ont donc pas de larmes de componction. »
Jésus condamne les Pharisiens parce qu’il connaissait leur cœur : ils étaient pécheurs, mais se considéraient saints. Le Seigneur voulut enseigner à ses disciples que l’accomplissement extérieur des bonnes œuvres ne suffit pas ; ce qui rend un acte bon, ce n’est pas seulement son objet, mais l’intention. Toutefois, s’il est vrai que les bonnes œuvres ne suffisent pas en l’absence de bonne intention, il est également vrai que la bonne intention ne suffit pas en l’absence des bonnes œuvres. Le parti des Pharisiens, auquel appartenaient Gamaliel, Nicodème, Joseph d’Arimathie (3) et saint Paul lui-même (Actes 23 : 6), était meilleur que celui des sadducéens, parce que, malgré leur hypocrisie, ils respectaient les lois, tandis que les sadducéens, qui comptaient dans leurs rangs les grands prêtres Anne et Caïphe (4), les méprisaient. Les Pharisiens étaient des conservateurs orgueilleux, les Sadducéens des progressistes incrédules, mais tous deux étaient unis par le rejet de la mission divine de Jésus (Mt 3, 7–10).
Qui sont les Pharisiens et les Sadducéens de notre temps ? Nous pouvons le dire avec une certitude tranquille. Ce sont tous ceux qui avant, pendant et après le Synode ont essayé et essayeront de changer les pratiques de l’Eglise et, à travers la pratique, sa doctrine sur la famille et le mariage.
Jésus proclamait l’indissolubilité du mariage, en la fondant sur la restauration de cette loi naturelle dont les Juifs s’étaient éloignés, et il la renforçait en élevant le lien du mariage à un Sacrement. Pharisiens et Sadducéens refusaient cet enseignement, niant la parole divine de Jésus, à laquelle ils substituaient leur propre opinion. Ils se réclamaient faussement de Moïse, de même que les novateurs d’aujourd’hui se réclament d’une prétendue tradition des premiers siècles, faussant l’histoire et la doctrine de l’Eglise.
C’est pour cela qu’un vaillant évêque défenseur de la foi orthodoxe, Mgr Athanasius Schneider, parle d’une « pratique néo-mosaïque » qui refait surface : « Les nouveaux disciples de Moïse et les nouveaux pharisiens, au cours des deux dernières Assemblées du Synode (2014 et 2015) ont caché le fait qu’ils avaient nié dans la pratique l’indissolubilité mariage et comme suspendu le sixième commandement sur la base du « cas par cas », sous un concept apparent de miséricorde, en utilisant des expressions comme « chemin de discernement », « accompagnement », « directives de l’évêque », « dialogue avec le prêtre » , « for interne », « une intégration plus peine à la vie de l’Eglise », pour indiquer une possible élimination de la responsabilité de la faute en cas de coexistence dans des unions irrégulières (cf. Rapport final, §§ 84–86)».
Les Sadducéens sont les novateurs qui affirment ouvertement le dépassement de la doctrine et de la pratique de l’Église, les Pharisiens sont ceux qui proclament l’indissolubilité du mariage avec leur bouche, mais la nient hypocritement dans les faits, proposant la transgression « au cas par cas » de la loi morale.
Les vrais disciples de Jésus-Christ n’appartiennent ni au parti des néo-pharisiens ni à celui des néo-Sadducéens, tous deux modernistes, mais ils suivent l’école de saint Jean-Baptiste, qui prêchait dans le désert spirituel de son temps.
Le Baptiste, quand il stigmatisait les Pharisiens et les Sadducéens comme « race de vipères » (Mt 2, 7) et quand il admonestait Hérode Antipas pour son adultère, n’était pas dur de cœur, mais il était animé par l’amour pour Dieu et pour les âmes. Hypocrites et durs de cœur étaient les conseillers d’Hérode qui prétendaient concilier sa condition de pécheur et d’impénitent avec l’enseignement de l’Écriture. Hérode tua le Baptiste pour étouffer la voix de la vérité, mais la voix du Précurseur résonne encore vingt siècles après. Qui défend publiquement la bonne doctrine, ne suit pas l’exemple des Pharisiens et des Sadducéens, mais celui de saint Jean-Baptiste et de Notre Seigneur.
Pr. Roberto de Mattei
Sources : Corrispondenza Romana du 12 novembre 2015/Benoit-etmoi/LPL
Notes
(1) Joseph fils de Matthias le Prêtre « Yossef ben Matityahou HaCohen »), plus connu sous son nom latin de Flavius Josèphe (latin : Titus Flavius Iosephus ; grec ancien ??s?p??, « I?sêpos »), né à Jérusalem vers 37 et mort à Rome vers 100, est un historiographe judéen d’origine juive et de langue grecque du Ier siècle, considéré comme l’un des plus importants de l’Antiquité gréco-romaine.
(2) Summa Theologica, II-IIae, q. 87 ad 3
(3) De S. Maria Magdalena Sermo I, in Opera omnia, Ad Claras Aquas, Firenze 2001 vol. IX, col. 556b
(4) Antichità giudaiche, 20.9.1
(5) Antichità giudaiche, 18.35.95