Présentation
Les règles qui suivent n’ont pas la prétention d’être exhaustives ni de résoudre toutes les difficultés, ni de protéger de tous les dangers qui guettent les âmes dans la tempête et l’immense confusion qui règnent actuellement. Elles pourront aider, avec la grâce de Dieu, nos tertiaires et les âmes qui nous sont confiées, à garder une paix profonde, un esprit surnaturel, et à continuer à avancer, en se fortifiant chaque jour davantage dans les vertus qui sont les plus indispensables à notre époque.
Nous espérons que ces règles sont conformes à la pensée de notre Mère la Sainte Église, manifestée plus récemment par la voix et les exemples de trois de ses illustres fils : le Cardinal Pie, saint Pie X et Monseigneur Lefebvre, trois lumières providentielles, trois étoiles spéciales que la Divine Providence nous a données pour nous conduire avec sûreté dans les temps modernes.
Ces règles seront énoncées et suivies de quelques brefs commentaires ou développements. Il ne faut pas y chercher un traité de spiritualité ou de théologie, mais des considérations qui permettront de réfléchir, de méditer et d’orienter ses prières pour demander la grâce de la persévérance et de la fidélité jusqu’à la mort.
La première règle présente notre devoir primordial, la haute mission que le Bon Dieu nous confie, l’urgence du moment : garder le dépôt de la foi. Le garder pour le transmettre comme un flambeau sacré (= règle 2), dans la conformité à 2 000 ans de Tradition(= 3ème règle). Pour réaliser notre devoir sans défaillir, il nous faut des points d’ancrage plus particuliers : défiance de nous mêmes, renforcement de notre vie intérieure et de nos connaissances doctrinales. La 4ème règle insiste donc sur l’humilité, la piété et le zèle pour l’étude de la doctrine. La 5ème règle encourage à une fière magnanimité et la 6ème invite à être plus fermement unis à Jésus-Christ et à Jésus-Christ crucifié. La 7ème règle rappelle la prudence dans les rapports avec les autres et les conditions d’un apostolat fructueux. Le programme des règles précédentes doit favoriser l’équilibre, la modestie (8ème règle), et la joie (9ème règle). Le Cœur Immaculé de Marie est notre refuge : plus la crise est grave, plus nous devons nous y blottir et devenir des âmes mariales (dernière règle). Enfin, épilogue : saint Joseph nous conduira avec sûreté à réaliser le programme proposé dans ces dix règles si nous nous mettons avec confiance sous sa conduite paternelle.
Règle 1 – « Depositum custodi. Garde le dépôt » (Saint Paul, 1 Tim. 6, 20)
Sans aucun mérite de notre part, le Bon Dieu a permis que nous gardions (ou retrouvions) la foi et tous les trésors divins qui lui sont liés : la vraie Messe et les vrais sacrements, la sainte liturgie, la Sainte Écriture sans corruption, le catéchisme authentique, la vie spirituelle et la vie religieuse véritables, nos Règles franciscaines (pour les trois Ordres de saint François) avec le saint habit qu’elles requièrent.
Être les dépositaires de tant de trésors doit nous remplir de joie et de gratitude, mais aussi de force, de férocité pour les défendre jusqu’au martyre si nécessaire. Nous devons avoir une sainte susceptibilité pour tout ce qui touche les intérêts de Jésus-Christ et son honneur.
Il faut lire à ce sujet les excellentes remarques du R.P. Faber dans son ouvrage Tout pour Jésus, chap. Il, § III, La susceptibilité en ce qui touche les intérêts de Jésus. « Cette admirable susceptibilité pour les intérêts de Jésus », remarque entre autres choses le P. Faber, inspire « une horreur instinctive de l’hérésie et de toutes les fausses doctrines, et un tact particulier pour les découvrir. L’intégrité de la foi constitue l’un des plus chers intérêts de Jésus ; aussi, un cœur pénétré d’un amour sincère pour son Seigneur et son Dieu, souffre-t-il au-delà de toute expression quand il entend exposer de fausses doctrines, surtout parmi les catholiques ». Que dirait le P. Faber aujourd’hui ?
Nous devons, par conséquent, nous opposer à tout ce qui dénature ces trésors, non pour la satisfaction d’avoir raison, mais parce que la gloire de Dieu et le bien des âmes sont en jeu. Il faudrait que nos âmes soient mues par les nobles et généreux sentiments qui animaient Mgr Lefebvre lorsqu’il expliquait aux séminaristes d’Écône sa fameuse déclaration du 21 novembre 1974. « Cette déclaration (du 21 novembre), évidemment peut vous paraître très forte, mais je crois qu’elle est nécessaire. On ne peut pas, on ne peut plus se taire, devant un tel désastre qui atteint les âmes. Car c’est cela qu’il faut voir : les institutions sont peu de choses, bien qu’elles soient divines, tandis que ce sont les âmes qui se perdent, le nombre des âmes qui vont en enfer à cause de cette réforme est de plus en plus grand : des âmes qui ne croient plus à la présence réelle, des âmes qui ne croient plus au sacrifice de la messe, des âmes qui n’ont plus de respect pour la sainte Eucharistie, par conséquent : des âmes qui ne se confessent plus(…) et tous ces couvents, ces couvents désertés, des religieuses sont dispersées, des séminaires vides ». (Mgr Lefebvre, conférence spirituelle du 2 décembre 1974 citée dans le Actes du 4ème Symposium de Paris sur Vatican II, Octobre 2005, p. 17)
Il nous faut nous opposer à tout ce qui met ces trésors en péril : non seulement le modernisme, « égout collecteur de toutes les hérésies », mais aussi le libéralisme, véritable maladie de l’âme, et toutes les formes de « semi libéralisme », non moins dangereuses parce que plus subtiles.
Et si l’autorité elle-même met en péril ce dépôt ou le corrompt, comme c’est le cas depuis 50 ans, si saint Paul ou un ange vient nous imposer, au nom de l’obéissance, une autre foi, alors notre devoir est clair : refuser une fausse obéissance. « Le coup magistral de Satan est d’être arrivé à jeter dans la désobéissance à toute la Tradition par obéissance » (Mgr Lefebvre, Un évêque parle, en exergue et p. 148)
« Obéir à la désobéissance, c’est la pire des rébellions. Se croire saint parce qu’on dit « moi j’obéis !» aux jours où nous vivons, c’est dormir, c’est trahir. Il a toujours fallu être agissant et éclairé pour bien obéir » (Luce Quenette, Lettre de la Péraudière n° 269, mars 2005, p. 5).
L’autorité est au service du dépôt divin. Si elle trahit, elle perd tous ses droits à se faire écouter et obéir. La foi et la doctrine doivent avoir toujours la primauté.
Un texte lumineux du Cardinal Pie résume cette 1ère Règle et nous trace notre devoir :
« Quand fut-il plus nécessaire qu’aujourd’hui d’avoir l’œil attaché sur le dépôt, afin de n’en laisser dérober, de n’en laisser corrompre aucune partie ? A mesure que l’impiété fait fi de l’objet de notre croyance, n’arrive-t-il pas que les chrétiens du monde, que les ministres mêmes du sanctuaire se montrent trop disposés à en sacrifier l’intégrité, à en altérer la pureté ? Et pourtant, ne I “oublions jamais, ce qui a fait la force des âges précédents, c’est l’importance majeure que le peuple fidèle, et surtout les hommes d’Église, ont toujours attachée aux questions doctrinales. Là est le nerf des choses. C’est à l’indomptable ténacité de nos devanciers, c’est à leur vigilance attentive, à leur sollicitude jalouse, à leur délicatesse en quelque sorte virginale en matière de doctrine que l’Église a dû de triompher de tous les dangers, de tous les assauts semés sur la route des siècles. « Sachez-le, disait saint Basile au ministre de l’empereur, ceux qui ont été nourris des oracles divins ne tolèrent pas que l’on corrompe une seule syllabe des dogmes sacrés ; pour le maintien de leur intégrité, ils endurent, s’il le faut, tous les genres de mort (S. Greg. Naz., in laud. S. Basil.)» » (Œuvres de Mgr l’Évêque de Poitiers, 4c éd., Tome V, p. 375).
Règle 2 – « Tradidi quod et accepi. J’ai transmis ce que j’ai reçu » (Saint Paul, 1 Cor. 15,3)
Le dépôt que nous avons reçu n’est pas seulement pour nous. Nous avons le devoir de le transmettre comme un flambeau. Nos Pères dans la foi ont beaucoup travaillé et souffert pour nous le léguer. Nous ne devons en aucun cas trahir nos devanciers dans la lutte pour la sauvegarde de la Tradition. Ce patrimoine sacré a coûté cher à ceux qui nous l’ont transmis : Pères, Docteurs de l’Église, Martyrs innombrables et, plus récemment, tous les grands combattants comme Mgr Lefebvre, le Père Eugène de Villeurbanne et tant de prêtres et de laïcs qui ont lutté courageusement et héroïquement pour transmettre la foi et ses Trésors.
Nos cœurs doivent déborder d’une gratitude profonde qui nous poussera à mettre un soin très attentif à transmettre, à notre tour, ce que nous avons reçu, aux générations futures. Il faudra qu’à notre mort nous puissions dire nous aussi : « Ce que j’ai moi-même reçu, je l’ai transmis intégralement ». Les générations qui se suivent ressemblent aux maillons d’une chaîne. Il suffit qu’un maillon se brise pour que la chaîne soit rompue. Plaise à Dieu que notre génération ne soit pas celle qui portera, devant l’Histoire, la responsabilité de la rupture de cette chaîne.
Règle 3 « Semper idem » (Devise du Cardinal Ottaviani)
Pour nous aider à garder et transmettre le dépôt, il nous suffit de rester tout simplement dans la conformité à 2000 ans de christianisme, qui forment pour nous comme un fil directeur infaillible. Continuons sereinement à suivre l” « Église de toujours » (expression chère à Mgr Lefebvre), celle des Apôtres, des saints Papes de tous les siècles, des martyrs, des Fondateurs d’Ordre, l’Église de Notre Seigneur Jésus-Christ.
Sans l’avoir mérité, nous nous trouvons au cœur de l’Église notre Mère. Restons‑y paisiblement. N’en bougeons pas, ni d’un côté (tentation de sédévacantisme) ni de l’autre (tentation de ralliement à l” « Église conciliaire »). Notre cœur doit toujours battre à l’unisson de la Sainte Église. Ne devançons pas la Providence par des initiatives trop personnelles. Mgr Lefebvre a toujours suivi le plan de Dieu, il n’a pas voulu créer un mouvement ni être considéré comme le « chef de file des traditionalistes ». Ne nous agitons pas. En cas de trouble, on ne bouge pas, selon le fameux conseil de saint Ignace. Restons dans la lignée pure et simple, rassurante et puissante de la Tradition bimillénaire de l’Église, chaîne ininterrompue et merveilleuse.
Par un effet de l’immense bonté de Dieu nous appartenons à cette famille de la Sainte Église catholique « de toujours ». Malgré les accusations de schisme, malgré toutes les tentatives pour nous marginaliser et nous persécuter, restons très en paix et suivons le conseil du Cardinal Pie : « Demeurez donc fermes dans la foi antique et invariable de la Sainte Église » (Id, IV, p. 590). Ne nous laissons pas déstabiliser par notre petit nombre car le nombre n’a jamais fait la vérité. Le « petit troupeau » (Saint Luc 12,32) de Notre Seigneur a déjà les promesses de la victoire.
Règle 4 – « Caveat ne cadat. Que celui qui pense être debout prenne garde de ne pas tomber » (Saint Paul 1, Cor. 10, 12)
N’oublions jamais cet avertissement de l’Apôtre et gardons toujours conscience de notre extrême vulnérabilité personnelle : soyons humbles dans nos jugements, conversations, écrits (Internet !), défiants de nous-mêmes, ce qui ne veut pas dire que nous devons abdiquer notre jugement et devenir pusillanimes.
Cette règle ne s’oppose pas à la magnanimité et aux saintes audaces :si le devoir le demande, il faut parler haut et fort. Mais pour avoir le courage de le faire et de le bien faire, il faut une préparation, comme un état de retraite, à l’abri du monde, des regards indiscrets et des attraits de la vanité qui aime à se produire à l’extérieur. Les retraites que nous pourrons suivre et cet esprit de retraite habituel, seront le bon climat indispensable à nos âmes. S’il faut sortir de cette vie cachée, la Divine Providence le montrera clairement et nous donnera lumière et force pour parler et agir ouvertement à la face du monde.
Ne jugeons pas de tout et de tous, à tort et à travers, sans avoir « toutes les pièces des dossiers ». Ne nous mêlons pas de ce qui ne nous regarde pas par devoir d’état. Autant que faire se peut, gardons la paix, la charité et la délicatesse envers tous. Le vigoureux anti-libéralisme que Dieu attend de nous n’a pas besoin d’être assaisonné de zèle amer et de passion personnelle.
Outre l’humilité, deux autres points d’ancrage sont très nécessaires : nous devons nous enraciner chaque jour davantage dans la vie intérieure et dans la vie doctrinale pour éviter de nous laisser guider par nos impressions et les pièges de nos ennemis. Il faut nous livrer à la méditation (quotidienne, si possible ‑et c’est rarement impossible si on le veut vraiment) et à l’étude doctrinale pour bien connaître notre foi et les grands principes immuables auxquels nous devons nous attacher coûte que coûte.
Pour cela il est indispensable de consacrer du temps à se former. Le combat actuel, déclenché très ouvertement par le Concile Vatican II, que Mgr Lefebvre appelait « la 3ème guerre mondiale », se situe avant tout et essentiellement au niveau de la foi, de la doctrine et des principes. Nous devons étudier les principes : les faux principes, car leurs conséquences sont capitales et expliquent le drame que nous vivons, les vrais principes, afin de nous y attacher, de les défendre, de savoir remonter à eux comme à des références infaillibles. Ce programme, ardu mais nécessaire pour persévérer, nous unira de plus en plus à Notre Seigneur, le Principe des principes : « Ego principium. Je suis le Principe » (Apoc. 21,6).
Règle 5- « Fecit mihi magna. Celui qui est puissant a fait en moi de grandes choses » (Notre-Dame dans son Magnificat)
Si l’humilité est indispensable, elle doit s’allier à une fière magnanimité. Cette dernière est beaucoup trop rare. De son temps déjà, le Père de Foucauld s’étonnait de devoir prêcher davantage la fierté chrétienne que l’humilité. Et saint Augustin a une belle formule « Magna magne desiderare – Désirer grandement les grandes choses ».
Voici ce que l’on peut lire dans L’histoire du Cardinal Pie de Mgr Baunard (2ème éd., Tome 1, p. 78). L’abbé Lecomte, le maître de notre futur tertiaire cardinal, insistait sur les deux vertus.
« La direction de M. Lecomte consistait à faire voir comment on pouvait et on devait être humble sans cesser d’être grand, en ne cherchant sa grandeur qu’en Dieu, selon Dieu, pour Dieu. Ce maître écrit dans ses lettres :«Une amoureuse connaissance des dons de Dieu en nous l’honore plus que l’attention à les dissimuler de peur de l’enflure. Nous sommes faits pour la gloire, et, nonobstant nos contraintes, ce noble fond nous reste. Fecit mihi magna qui potens est, disait la plus humble, mais aussi la plus magnanime des créatures. Ah ! vraiment, cher ami, il ne faut pas que l’ennemi nous ravisse l’unique joie que nous avons en ce monde, celle de voir et de sentir tout le bien que Dieu nous fait. On parle toujours dans les livres de ce que nous sommes en nous-mêmes, presque jamais de ce que nous sommes en Dieu. L’un abat l’âme, l’autre l’élève, exalte le courage et transporte l’amour. » »
Ces voies d’humilité et de grandeur à la fois plaisaient au jeune abbé Pie qui écrivait dans ses notes personnelles :
« (…)J’aspire à être grand, j’en ai le droit. Mon cœur est plus grand que le monde, et il n’y a que Dieu qui puisse le remplir. Je veux donc être grand, et pour cela il faut que je m’attache au Dieu grand. Mon Dieu, j’aime votre grandeur qui est la mesure de la mienne ! »
Les temps de crise, et le nôtre très spécialement, réclament des âmes très magnanimes. Cette magnanimité consiste d’abord à reconnaître les grâces immenses que le Bon Dieu nous octroie et à lui en rendre toute la gloire. Puis elle entraîne à se poser la question sérieusement devant Dieu : « Comment vous rendre généreusement ce que vous m’avez donné ? » La réponse est assez évidente : le terrain sur lequel doit s’exercer la magnanimité nous est désigné par les ennemis de Jésus-Christ. Tout ce qu’ils attaquent le plus est aussi tout ce que nous devons défendre avec le plus de panache. Concrètement, notre magnanimité doit consister à œuvrer de toutes nos forces au règne du Christ Roi, objet principal et central de la haine de Satan et de ses suppôts depuis 150 ans surtout.
Soyons de dignes fils de la Sainte Église, soyons de ces « cœurs fidèles » dont il est question à la fin de cette page magnifique du magnanime Cardinal Pie :
« Le principal bénéfice à tirer de l’erreur, de l’hérésie, et de toutes les oppositions que rencontre la vérité parmi les hommes, c’est la mise en lumière et la glorification du point même de doctrine qui est spécialement nié et combattu. Les plus illustres docteurs, tels que Tertullien, saint Hilaire, saint Augustin, saint Vincent de Lérins, ont amplement développé cet ordre de providence. Leurs textes sont trop connus pour qu’il soit besoin de les reproduire ici : la suite m’amènera d’ailleurs à en citer quelques passages. Mais, dès ce début, un point doit demeurer acquis. Voulez-vous savoir de quel côté les hommes appliqués aux sciences sacrées doivent porter de préférence leurs études, leurs recherches et tout le mouvement de leur travail intellectuel ; sur quelles matières les écrivains religieux et surtout les guides et les docteurs spirituels des peuples doivent concentrer leurs controverses, leurs démonstrations, leurs enseignements ; enfin à quels sujets de méditations, à quel choix de contemplations et de prières doivent s’adonner avec plus de prédilection les âmes vraiment animées de l’esprit de Dieu ? Regardez de quel côté l’erreur dirige ses attaques, ses négations, ses blasphèmes. Ce qui est attaqué, nié, blasphémé dans chaque siècle, c’est là principalement ce que ce même siècle doit défendre, doit affirmer, doit confesser. Où abonde le délit, il faut que la grâce surabonde. Aux obscurcissements de l’esprit, aux refroidissements du cœur, il faut opposer un surcroît de lumière, une recrudescence d’amour. Amoindrie, déformée, paralysée dans un certain nombre d’âmes, il faut que la vérité devienne plus intacte, plus correcte, plus agissante dans les autres. Quand le monde conteste, c’est alors que l’Église scrute, qu’elle approfondit, qu’elle précise, qu’elle définit, qu’elle proclame. A mesure qu’on le contredit davantage, son enseignement s’amplifie et se développe, s’illumine et s’enflamme. L’amour de la doctrine, la passion de la vérité s’échauffent dans les cœurs fidèles ; et le dépôt sacré, loin de subir aucune diminution, produit alors au grand jour tout le trésor de ses richesses. » (Troisième instruction synodale sur les principales erreurs du temps présent, juillet 1862 et août 1863, Œuvres, V, p. 36–37).
Voilà pourquoi une âme très magnanime comme celle de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, rêvait de vivre aux temps difficiles de l’Antéchrist.
« En songeant aux tourments qui seront le partage des chrétiens aux temps de l’antéchrist, je sens mon cœur tressaillir et je voudrais que ces tourments me soient réservés… Jésus, Jésus, si je voulais écrire tous mes désirs, il me faudrait emprunter ton livre de vie, là sont rapportées les actions de tous les Saints et ces actions, je voudrais les avoir accomplies pour toi… » (Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, Manuscrits autobiographiques, Carmel de Lisieux, 1957, p. 227–228).
Que Notre-Dame du Magnificat nous entraîne à ne jamais être pusillanimes sous le prétexte d’une fausse humilité. Qu’elle nous aide à exercer la vertu de magnanimité partout où l’honneur et l’amour de Jésus-Christ nous attendent, partout où la Sainte Église notre Mère réclame notre audacieuse générosité.
Règle 6- « Stat crux. La croix reste debout et fixe tandis que le monde tourne » (Devise des Chartreux)
L’attachement à la Croix et à la Passion de Notre Seigneur est aussi un des meilleurs points d’ancrage pour nos âmes, une excellente protection contre l’esprit du monde et ses illusions. Il donne de vives lumières pour comprendre la Passion douloureuse que subit actuellement la Sainte Église à l’image du Divin Maître. Que de force et de confiance sont à puiser au pied de la Croix. La spiritualité de la Croix produit une sagesse supérieure et une paix profonde. Demandons la science de la Croix. Dans les temps de crise et d’épreuve, c’est la science la plus utile, la plus belle et la plus réaliste.
Dans le combat des deux cités, prenons toujours résolument le parti de Jésus-Christ contre le parti du prince de ce monde, contre le parti des solutions de rêve, superficielles, illusoires et purement pratiques. L’Église « Conciliaire » a voulu s’ouvrir au monde et l’esprit du monde s’est introduit jusqu’au plus profond des cloîtres les plus retirés, détruisant tout sur son passage. Renonçons à Satan, à l’esprit de mondanité et de légèreté qu’il inspire et attachons-nous fermement à Jésus-Christ et à Jésus-Christ crucifié.
Règle 7 – « Hereticum devita. Évite l’hérétique après un premier et un second avertissement » (Saint Paul à Tite 3,10)
Pour protéger notre foi, il nous faut retrouver la sainte et sévère prudence des Apôtres, des Pères et des Docteurs de l’Église par rapport aux hérétiques et à, tous les ennemis de la foi. Si nous avions un plus grand amour de Jésus-Christ et de la vérité nous comprendrions mieux, par exemple, pourquoi saint Jean, l’Apôtre bien-aimé et le docteur de la charité fraternelle, s’exprimait ainsi pour protéger ses disciples des hérétiques de son temps : « Si quelqu’un vient à vous et ne professe pas cette doctrine, ne le recevez pas dans votre maison et ne le saluez pas » (Saint Jean, 2, Épître, l 0).
Nous ne serions pas non plus étonnés d’apprendre de saint Irénée que le même saint Jean soit sorti précipitamment des bains à Éphèse après avoir appris que Cérinthe l’hérétique s’y trouvait, en expliquant sa crainte que les bains ne s’effondrent puisque s’y trouvait Cérinthe « l’ennemi de la vérité » (Adversus Hrereses, III, 3 – P.G. 7,853). A l’hérétique Marcion, rencontré par hasard à Rome et qui lui demandait s’il le connaissait, le doux Apôtre n’hésitait pas aussi à répliquer : « Oui, je connais le premier-né du diable » (id.).
Il nous faut, par conséquent, une grande prudence par rapport aux modernistes, par rapport à tous ceux qui sont atteints de la maladie du libéralisme, par rapport à ceux qui n’ont pas compris la primauté absolue de la foi et de la doctrine, par rapport à tous ceux qui ne défendent plus ouvertement la vérité en ne s’opposant pas aux scandales renouvelés de la Rome conciliaire.
Au nom d’un principe supérieur (protéger sa foi), il faut éviter d’assister aux messes des prêtres dits « ralliés », aussi saints et édifiants soient-ils. Et il faut éviter les contacts non nécessaires avec les fidèles de ces groupements « Ecclesia Dei ». Les conservateurs libéraux sont pour nous les plus dangereux.
Dans toutes ces considérations de prudence, il ne s’agit pas de juger du for interne des consciences mais de se mettre à l’abri de dangers externes objectifs. Ne nous mettons pas dans une situation de ralliement à la Rome conciliaire, situation qui nous obligerait tôt ou tard à des concessions d’ordre doctrinal et liturgique, comme l’expérience des différents ralliements depuis 1988 l’a malheureusement prouvé. Puissions-nous ne jamais avoir à mériter la sévère mais réaliste définition du « rallié » donnée, il y a bien longtemps déjà, par Abel Bonnard, ministre de l’Éducation Nationale du Maréchal Pétain de 1942 à 1944, dans son livre de Pensées :
« Le rallié reste ‑dans ses rapports avec ceux qu’il a rejoints ‑un subalterne, un homme qu’on ne consulte pas, qui n’a jamais part à ce qu’on décide, qu’on manie comme on veut et qui, restant frappé d’une suspicion que rien n’efface, doit toujours faire et refaire la preuve de sa sincérité et ne la fait que par des reniements et des abandons. »
Et nous ne devons pas mettre notre foi en péril ou en amoindrir l’absolu sous prétexte d’apostolat. L’intransigeance doctrinale et l’attachement ferme aux vrais principes ont toujours eu un grand impact apostolique alors que l’amoindrissement des vérités n’a jamais produit un apostolat efficace. « II suffit d’ailleurs, disait le Cardinal Pie, d’un petit nombre de réclamants pour sauver l’intégrité des doctrines ; et l’intégrité des doctrines, c’est l’unique chance du rétablissement de l’ordre dans le monde » (Œuvres, V, p. 203).
Cette prudence par rapport aux graves dangers qui nous menacent n’exclut pas l’exercice de l’apostolat : l’extrême misère des âmes doit nous inspirer une profonde pitié. Un zèle apostolique intense et éclairé doit nous pousser à tout mettre en œuvre pour le salut de nos contemporains. Si la pêche au filet est devenue bien difficile, la pêche à la ligne est un devoir rigoureux dans toutes les occasions que la Divine Providence nous présente de « faire du bien » autour de nous.
Règle 8 – « Modestia vestra nota sit. Que votre modestie soit connue de tous les hommes » (Saint Paul aux Phil. 4,5)
Les malheurs des temps ne doivent pas entraîner à une morosité malsaine ni à une tension continuelle. L’esprit surnaturel, la vie d’union à Dieu aide toujours à trouver l’attitude intérieure et extérieure convenable, où l’équilibre et le bon sens ne perdent jamais leurs droits. A une sainte intransigeance doivent être jointes une modération vertueuse (non le « modérantisme » libéral qui se complaît dans une fausse mesure), une certaine souplesse et beaucoup d’affabilité. Là encore saint Pie X, le Cardinal Pie et Mgr Lefebvre sont des modèles à admirer et à imiter dans cette modestie dont parle saint Paul, c’est à‑dire dans la juste mesure, la bonté, la mansuétude universelle, la douceur.
Règle 9 – « Gaudete in Domino semper. Réjouissez-vous dans le Seigneur en tout temps (Saint Paul aux Phil. 4,4)
Non seulement la morosité doit être bannie de nos âmes, mais une joie surnaturelle habituelle doit les remplir. Bien sûr, cette joie n’est pas celle du monde, superficielle et éphémère, mais celle du séraphique Père saint François, cette joie parfaite que l’on goûte au sein des épreuves et des adversités.
Ces temps de crise ne sont pas destinés à nous désespérer, à nous « couler », mais à nous faire réagir, à nous pousser à sortir de notre tiédeur et de notre médiocrité. Nous sommes, en quelque sorte, acculés à la sainteté et c’est une immense grâce à laquelle la Divine Providence nous a prédestinés entre dix mille.
Cette grâce nous donne l’occasion de beaucoup de joie, joie de pouvoir travailler et souffrir pour l’honneur de Notre Seigneur Jésus-Christ et le bien des âmes, joie de pouvoir connaître la vérité intégrale, joie d’avoir tous les moyens nécessaires à une vie spirituelle épanouie, joie de pouvoir goûter, savourer le Bon Dieu dans la sainte Communion ou dans la méditation. Temps de crise extraordinaire, oui. Mais aussi : grâces proportionnées extraordinaires et occasions d’aimer le Bon Dieu de façon extraordinaire.
Règle 10- « Tuus som ego. Je suis tout à vous » (Ps. 118,94 et devise mariale du Cardinal Pie)
Une humble confiance envers la Sainte Vierge nous assurera infailliblement sa protection maternelle. Consacrons-nous à elle, abandonnons-lui tout, et spécialement notre persévérance jusqu’au dernier instant. Soyons très attentifs à tout ce qu’elle nous a appris et prescrit dans ses grandes apparitions de La Salette ou de Fatima, spécialement la pratique des cinq premiers samedis du mois. Ayons une solide et virile piété mariale, persévérons à tout prix dans la récitation quotidienne du chapelet ou du rosaire.
Rappelons-nous toujours les paroles de saint Bernard :
« En suivant Marie, on ne dévie pas, en la priant, on ne désespère pas, en pensant à elle, on ne se trompe pas. Si elle te tient par la main, tu ne tomberas pas. Si elle te protège, tu ne craindras pas. Si elle te guide, tu ne connaîtras pas la fatigue. Si elle est avec toi, tu es sûr d’arriver au but. »
Puisons auprès d’elle la force pour que la modestie chrétienne soit le véritable signe distinctif de nos foyers, de nos comportements, de nos vêtements. Celui qui se laisse aller dans son extérieur montre par là même qu’il se laisse aller dans son intérieur. Que l’Immaculée nous inspire l’horreur du libéralisme, de l’esprit du monde, de la mollesse et de la médiocrité.
Épilogue : « Allons à Joseph ! »
Pour vivre les dix règles qui viennent d’être proposées, y compris la dernière, il n’y a pas de meilleure solution que de se mettre sous la conduite du très puissant Patron de l’Église universelle, saint Joseph. A lui est dévolue tout spécialement la mission de guider et de garder la Sainte Église et tous ses membres.
Recourons à lui dans les tribulations présentes comme nous y invite l’Église depuis 150 ans surtout. Il nous préservera « de toute souillure d’erreur et de corruption ». Il nous assistera « dans le combat que nous livrons à la puissance des ténèbres ». Il couvrira de sa perpétuelle protection toutes les âmes qui s’abandonneront, comme Jésus et Marie, à son invincible patronage.
« Ô Joseph, Père Vierge de Jésus, très pur Époux de la Vierge Marie,
priez pour nous chaque jour Jésus, le Fils de Dieu, de nous munir des armes de sa grâce,
afin que, combattant selon les règles en cette vie, nous soyons par lui couronnés à notre mort »
(Prière indulgenciée par saint Pie X en 1906).
Source : Supplément à la Lettre Tertiaire Franciscaine n° 266 de mars-avril 2015