Don Sarda y Salvany nous dit au chapitre 34 de son maître livre Le Libéralisme est un péché que la réaction des libéraux est utile pour nous aider à juger quelque chose de nouveau :
Il est évident que le libéralisme, ou le diable son inspirateur, distinguent sur-le-champ ce qui leur est dommageable ou leur est utile, et qu’ils ne sont pas si sots que d’aider à ce qui leur est opposé ou de s’opposer à ce qui favorise leurs desseins. Les partis et les sectes ont un instinct, une intuition particulière (olfactus mentis), selon l’expression d’un philosophe, qui leur révèle a priori ce qui leur est bon et ce qui leur est hostile. Défiez-vous donc de tout ce que les libéraux louent et vantent.
Cette remarque, mutatis mutandis, peut s’appliquer au nouveau pape. Dès son élection, il a reçu de nombreux messages de félicitations.
Signalons en quelques-uns :
Les musulmans
Les responsables de la communauté islamique de Buenos-Aires ont accueilli avec enthousiasme la nouvelle de l’élection du cardinal Bergoglio comme pape, notant qu’« il s’est toujours présenté comme un ami de la communauté islamique », et en faveur du dialogue.
Ils ont rappelé sa réaction à l’incident survenu à l’occasion du discours de Ratisbonne (12 septembre 2006), lorsque Benoît XVI a cité un document médiéval expliquant que Mahomet avait apporté « seulement des choses mauvaises et inhumaines, comme son mandat de diffuser par l’épée la foi qu’il prêchait ». Selon eux, le cardinal Bergoglio a pris immédiatement ses distances avec la citation, faisant remarquer que des affirmations qui provoquent l’indignation dans la communauté islamique « ne serviront qu’à détruire en 20 secondes la relation avec l’islam que le pape Jean-Paul II a patiemment construite au cours des 20 dernières années ».
Le cardinal Bergoglio a visité une mosquée et une école islamique en Argentine, des visites que le Cheik Mohsen Ali, directeur de la Diffusion de l’Islam, a qualifiées d’actions renforçant la relation entre les communautés catholique et islamique. Le Dr. Sumer Noufouri, secrétaire général du Centre islamique de la République argentine (CIRA), a ajouté que pour la communauté islamique, l’élection du cardinal Bergoglio comme pape, en raison de ses actions passées, est une cause de joie et d’espoir de renforcement du dialogue entre les religions. Noufouri a dit que la relation suivie entre le CIRA et le cardinal Bergoglio pendant une dizaine d’années avait aidé à construire un dialogue islamo-chrétien d’une façon réellement significative dans l’histoire des relations entre les religions monothéistes en Argentine.
Ahmed el-Tayeb, Grand Imam d’Al-Azhar et président de l’Université Al-Azhar en Egypte, a envoyé ses félicitations après l’élection du pape. Al-Tayeb avait « interrompu les relations avec le Vatican » pendant le pontificat de Benoît XVI, si bien que sa déclaration a été interprétée comme un « signe d’ouverture » pour l’avenir. Cependant, son message de félicitations indiquait également que l’« islam demande à être respecté par le souverain pontife ».
Un éditorial du journal d’Arabie saoudite Saudi Gazette a chaleureusement accueilli l’appel du pape à davantage de dialogue interreligieux, faisant remarquer que « si le pape ne faisait que réitérer une position qu’il a toujours défendue », son appel public en tant que pape à un dialogue accru avec l’islam « arrive comme une bouffée d’air frais à une époque où une grande partie du monde occidental connaît une violente montée d’islamophobie ».
Les évangéliques
Le lendemain de l’élection du pape François, George Weigel (qui a longuement rencontré le cardinal Bergoglio au moment où il préparait son livre Le catholicisme évangélique : la profonde réforme de l’Église au 21e siècle, paru le 5 février 2013) a écrit un article très favorable dans la National Review : « Le premier pape américain : le tournant du catholicisme pour un avenir évangélique. » Selon lui, le pape François est proche du « catholicisme évangélique » (secte protestante).
Les juifs
Le B’nai B’rith [1] international sur son site internet souhaite la bienvenue au pape François. Allan J. Jacobs, Président du B’nai B’rith International, a déclaré :
Nous souhaitons la bienvenue au pape François dans son rôle de dirigeant de l’Église catholique. Les relations judéo-chrétiennes étaient une des préoccupations du pape Benoît XVI et nous espérons que les bases solides déjà existantes dans le dialogue interreligieux pourront se poursuivre.
Le B’nai B’rith France a félicité chaleureusement le cardinal argentin Jorge Mario Bergoglio pour son élection. Serge Dahan, Président du B’nai B’rith France, a déclaré :
Nous sommes convaincus que le nouveau pape François continuera d’œuvrer avec détermination pour renforcer les liens et le dialogue entre l’Église catholique et le judaïsme et poursuivra sa lutte contre toutes les formes d’antisémitisme.
Le site du B’nai B’rith France note que le cardinal Bergoglio assista en 2007 au rite de début d’année juive, Rosh Hachanah, à la synagogue Bne Tikva Slijot de Buenos-Aires. Il indiqua alors venir « comme un pèlerin, ensemble avec vous, mes frères aînés. Aujourd’hui, ici dans cette synagogue, nous sommes nouvelle-ment conscients du fait que nous sommes un peuple en voyage, et nous nous plaçons sous la présence de Dieu. »
Le B’nai B’rith d’Argentine s’est félicité de l’élection du cardinal Jorge Mario Bergoglio comme pape François.
Le cardinal Jorge Mario Bergoglio est un catholique engagé dans le dialogue interreligieux qui a construit une relation fraternelle forte avec la communauté juive en Argentine, tout particulièrement avec le B’nai B’rith qui a été récompensé cordialement et sincèrement. Il a soutenu le B’nai B’rith lors de la commémoration de la Nuit de Cristal dans différentes églises du diocèse de Buenos-Aires, dont deux fois dans la cathédrale métropolitaine de Buenos-Aires. Également à deux reprises il a fait les réflexions finales après avoir lu le texte liturgique « De la mort à l’espoir », le plus récent étant le 12 novembre 2012. La célébration de la Pâque dans la Basilique de San Francisco en 2009 avait également été prise en charge.
Nous reconnaissons chez François un ami des juifs, un homme constamment attaché au dialogue et à la rencontre fraternelle.
Nous sommes sûrs que dans son mandat pontifical il pourra maintenir le même enga-gement et mettre en œuvre ses convictions dans la voie du dialogue.
Le nouveau pape a reçu encore les félicitations et les encouragements de la Fédération des communautés juives d’Espagne, de l’Anti-Defamation League (ADL, « Ligue anti-diffamation », une ONG fondée par les B’nai B’rith aux Etats-Unis, dont le but premier est de soutenir les juifs contre toute forme « d’antisémitisme » et de discrimination), du Congrès juif latino-américain, du Centre Simon Wiesenthal (ONG reconnue par l’ONU, qui se destine à la préservation de la mémoire de « l’Holocauste »), de l’Union des communautés juives d’Italie et de la Délégation des associations juives d’Argentine (DAIA).
Pour le directeur des affaires interconfessionnelles du Comité Juif Américain, le rabbin David Rosen, le pape François a « une relation personnelle avec les juifs ».
Le président israélien, Shimon Peres, a félicité le nouveau pape François et l’a invité à venir en Israël dès que possible :
Nous avons besoin, plus que jamais, d’une direction spirituelle et pas simplement politique. Quand les leaders politiques divisent, les chefs spirituels unissent, autour d’une vision, autour de valeurs et d’une foi qui peut rendre le monde plus facile à vivre Il sera un hôte bienvenu en Terre sainte, en tant qu’homme d’inspiration susceptible de renforcer les tentatives d’apporter la paix dans une région orageuse. […] Les relations entre le Vatican et le peuple juif n’ont jamais été aussi bonnes depuis les deux mille dernières années et j’espère qu’elles grandiront tant en substance qu’en profondeur [2].
Le président israélien avait reçu à Jérusalem en 2009 Benoît XVI, qu’il a qualifié de « cher ami de notre peuple, un intellectuel profond qui a tant contribué à rapprocher historiquement, et au-delà, l’Église catholique et le peuple juif ».
Le pape François a reçu le président Peres le 30 avril. « Malheureusement, a déclaré le président, beaucoup de responsables religieux du Moyen-Orient et dans le monde, soutiennent la terreur et l’effusion de sang et ils le font au nom du Seigneur. Nous avons tous le devoir de nous lever et de dire haut et fort que le Seigneur n’a donné à personne l’autorité de tuer et de verser le sang. Votre voix a un grand impact à ce sujet. » Le pape a remercié le président Pérès de ses paroles et il a exprimé son accord et son soutien en la matière. Mais il s’est gardé de faire remarquer au chef de l’État israélien qu’il serait bien qu’il examine sa propre responsabilité dans cette question de « terreur et d’effusion de sang ».
De son côté, le grand rabbinat d’Israël a pris acte « du dialogue riche et fructueux » avec le Vatican. « Ce dialogue a abouti à des succès significatifs ces dernières années », se félicite-t-il dans un communiqué qui mentionne la suspension de « l’évêque intégriste Richard Williamson, connu pour ses propos négationnistes, et le rejet de l’antisémitisme à propos de la prière pour la conversion des juifs dans la liturgie du Vendredi saint [3] ».
Les franc-maçons
Le Grand Orient d’Italie a publié un communiqué en date du 14 mars 2013 intitulé : « Avec le pape François, rien ne sera plus comme avant – c’est un choix clair de fraternité pour une Église de dialogue, non-contaminée par les logiques et les tentations du pouvoir temporel », dans lequel le grand maître Gustavo Raffi déclare :
Ami des pauvres et loin de la Curie. Fraternité et volonté de dialogue. Telles sont ses premières paroles : on peut donc penser que rien ne sera plus comme avant dans l’Église. […] Bergoglio connaît la vie réelle et se rappellera la leçon donnée par l’un de ses théologiens de référence, Romano Guardini, pour qui on ne peut pas séparer la vérité de l’amour. La simple croix qu’il a posé sur son habit blanc laisse espérer qu’une Église du peuple retrouve la capacité de dialoguer avec tous les hommes de bonne volonté et avec la Maçonnerie qui, comme nous l’enseigne l’expérience de l’Amérique Latine, travaille pour le bien et le progrès de l’humanité, avec pour références Bolivar, Allende et José Marti, pour n’en citer que quelques-uns. Telle est la « fumée blanche » que nous attendons de l’Église de notre temps[4] .
Les théologiens modernistes
Léonardo Boff, un des pères de la théologie de la libération[5] , a déclaré dans entretien accordé à Erich Follath, de l’hebdomadaire allemand Der Spiegel :
J’espérais que le nouveau pape prendrait le nom de François, et j’avais prédit que tel serait le cas. En ce sens, j’ai réagi avec une grande satisfaction, jointe à l’espoir que quelque chose allait enfin changer dans cette Église tragiquement vétuste. Je me réjouis que le nouveau pape soit originaire d’Amérique du Sud, de la région du monde où il y a le plus de catholiques, et non pas – comme d’habitude – d’Europe. Il y a longtemps que la Chrétienté a son centre dans le Tiers Monde, et l’élection d’un Sud-Américain en tient compte. Mais ce qui est beaucoup plus important, c’est un autre changement : le passage à la vision d’une Église sans prétentions, d’une Église humble. Et c’est le genre d’Église dont le nouveau pape est partisan. [Der Spiegel : L’avez-vous jamais rencontré ?] – Oui, il y a quelques années, lors d’une convention organisée en Argentine, où il faisait un exposé ; nous nous sommes tout de suite compris. [Der Spiegel : Vos propos semblent étonnement euphoriques si l’on songe que le nouveau pape est un archi-conservateur qui s’oppose à la contraception, au mariage des prêtres, à l’extension du rôle des femmes dans l’Église, au mariage homosexuel…] – Cela, c’est que le Vatican a décrété ; tous les hauts dignitaires ont dû aller dans le même sens, et personne n’était autorisé à le mettre en cause. Cela peut changer à présent. [Der Spiegel : Avez-vous des raisons de croire que Bergoglio est plus libéral ?] – Oui. Par exemple, il y a quelques mois, il a explicitement permis à un couple homosexuel d’adopter un enfant. Il est resté en contact avec des prêtres exclus de l’Église officielle pour s’être mariés[6] .
Hans Küng, lui aussi , montre son espoir :
Qui l’aurait cru ? Lorsqu’à mon 85e anniversaire j’ai pris la décision de renoncer à toutes mes charges honorifiques, j’étais persuadé que le rêve que j’avais nourri pendant des décennies, celui d’un tournant comparable à Vatican II initié par Jean XXIII, ne se produirait pas de mon vivant. Et voilà que mon compagnon de route de toujours en théologie, Joseph Ratzinger – qui lui aussi vient d’atteindre les 85 ans – a pris subitement les devants en renonçant, avant moi, à sa fonction. C’est justement le 19 mars 2013, le jour de la saint Joseph – qui est aussi celui de mon anniversaire –, qu’un nouveau pape a pris les siennes sous le nom insolite de François. […] Il est étonnant aussi que, dès la première minute de son pontificat, le pape François ait jugé bon d’adopter un style nouveau. Plus de mitre sertie d’or ni de pierres précieuses, contrairement à ses prédécesseurs ; finis le camail de velours rouge garni d’or et d’hermine, les chaussures rouges sur mesure, le couvre-chef, le trône somptueux, la tiare… A la surprise générale, le nouveau pape renonce ostensiblement au pathos gestuel et à la rhétorique grandiloquente pour parler la langue du peuple, typique de ces prédicateurs laïcs que les papes ont frappés d’interdits, d’hier à aujourd’hui. Enfin le souverain pontife n’hésite pas à insister sur sa proximité avec les fidèles : il demande au peuple de prier pour lui avant de lui rendre sa bénédiction ; il paye comme tout un chacun sa note d’hôtel ; l’expérience de la collégialité, il la vit avec les cardinaux en prenant l’autobus avec eux, en partageant leur résidence ; le Jeudi Saint, il a lavé les pieds de jeunes délinquants incarcérés, de femmes, y compris une musulmane. Un pape donc qui se présente comme un homme de terrain. [Le Monde.fr. 11 mai 2013.]
Extraits du Sel de la Terre n° 85 – Eté 2013
- Le B’nai B’rith est une secte maçonnique constituée exclusivement de juifs ; fondée en 1843, elle a été responsable notamment du financement de la révolution d’octobre 1917 en Russie ; c’est la plus grande organisation juive dans le monde. [↩]
- Le Monde.fr avec AFP, 14 mars 2013.[↩]
- Le Monde.fr avec AFP, 14 mars 2013.[↩]
- Grande Oriente d’Italia Roma [↩]
- En 1985, sous Jean-Paul II, la curie l’a interdit de parole et d’enseignement. En 1992, il a abandonné la prêtrise. En 2001, il s’est vu remettre le prix Nobel alternatif. Marié entre-temps avec une activiste connue de la protection de l’environnement, il vit à Petrópolis, près de Rio de Janeiro. [↩]
- Der Spiegel 18 mars 2013[↩]