« J’ai maintenu »
Monsieur l’abbé Quintin Montgomery Wright
Vidéo en hommage
Article de l’abbé de Pluvié
Le champ black ?
Une petite note d’anglophone griffonnée à la hâte indiquait un appel téléphonique : « Monsieur Untel a appelé pour savoir l’heure de la Messe de Requiem ce 27 novembre au Champ black ? » En effet, le village normand « Le Chamblac » sonne un peu anglais et certains spécialistes n’écartent pas totalement cette étymologie. Quoi qu’il en soit, l’erreur orthographique du nom évoquait sans le savoir une réalité qui existait il y a désormais 75 ans. Le Chamblac était, au spirituel, un champ noirci, calciné, désolé par le manque de soin. Il va néanmoins refleurir en moisson abondante alors que tout disparaissait sous un aggiornamento étouffant.
Le désert gagnait partout, avec son violent simoun et son dessèchement implacable. Les lieux saints succombaient à une désolation sans précédent, qui pourrait s’assimiler à l’abomination de la désolation dont parlait le prophète Daniel. Un concile est passé par là, une mise à jour, une adaptation de l’Église avec son époque. Ben voyons ! Plutôt une adoption des principes destructeurs de la sainte Religion. Les Droits de l’Homme, imprescriptibles et naturels, si imprescriptibles et si naturels d’ailleurs qu’ils furent rédigés dans sang, des siècles après la naissance de l’humanité, au milieu d’une terreur hallucinante, d’un amas effrayant de cadavres d’enfants, de femmes, d’hommes dans la force de l’âge, accumulés durant de nombreuses années, dans un fouillis d’idées et de revendications de telle façon qu’à deux ans d’intervalle, 1791 et 1793, on a fabriqué des droits naturels nouveaux, retiré quelques anciens – les Droits de l’Homme donc se prêchent désormais en chaire, ils se gravent dans les âmes chrétiennes, ils font office de Tables de la Loi, de Commandements de Dieu, si tant est qu’on puisse parler de Dieu dans un texte qui l’exclut, son plus détestable vice. Ils étaient si imprescriptibles, si naturels, si évidents que l’Église aveuglée avait attendu un siècle et demi avant de se rendre compte qu’elle s’égarait en refusant leur bien fondé. Il lui manquait certainement alors ses fortes et régulières doses d’idéalisme kantien qui habitue à prendre les vessies pour des lanternes et, à ses yeux, se cachait encore l’étroite connexion entre les aspirations sacrées des « Droits de l’Homme » et les versets de l’Évangile. Il fallait bien ça pour tenter de se persuader d’un esprit commun alors que la confrontation semblait insoluble avec certaines paroles lapidaires du Sauveur : « A l’homme, c’est impossible [de se sauver], mais à Dieu tout est possible », « Sans moi, vous ne pouvez rien faire » ou encore « Dieu seul est Bon ».
La liturgie, elle aussi, elle surtout, la prédication la plus achevée des mystères divins et de la vie future, a emboîté le pas et l’amer goût du jour l’a transformée en profane cérémonie des mystères humains et de la joie de vivre dans le monde. Les gens sensés, blasés de revoir dans leur paroisse ce qu’il voyait aussi bien ailleurs, réécoutant dans la prédication du dimanche matin le 20h de la veille à la télé, retrouvant dans les discours de Monseigneur l’Évêque les mêmes mots ronflants que les politiciens de bas étage (si vous permettez ce pléonasme) n’ont pas jugé mieux que de quitter leur église et de dire adieu aux bêtises.
De nombreux pasteurs ont détruit ma vigne, déplorait déjà Dieu dans Jérémie, ils ont foulé aux pieds ma propriété, ils ont changé ma part délicieuse en une affreuse solitude. Ils l’ont dévastée, et elle est en deuil à cause de moi ; tout le pays est dans une extrême désolation, parce qu’il n’y a personne ait le cœur attentif.
Jér. XII, 10–1
Au milieu de ce désert, pouvait malgré tout ici ou là, dans une paroisse bénie de Dieu, luire l’Espérance, s’épanouir une oasis, une source vivifiante, un bain de jouvence spirituel, une tradition vivante de la vraie vie de la foi.
Une oasis en vue
Le 26 novembre 1996, les anciens se souviennent et même s’exclament : « 25 ans déjà ? », le vénéré et célèbre curé du Chamblac, M. l’abbé Quintin Montgomery Wright, passait de son petit paradis normand, au Ciel. Nul n’aurait présagé dans les années 50, que l’ancien prêtre anglican devînt un phare de la Tradition. Compagnon de l’abbé Pierre, il fit partie autrefois de ce groupe d’hommes zélés mais mal éclairés, enthousiastes partisans de la mêlée de l’Église dans la dynamique du monde moderne. Father Quintin gardait malgré tout un haut instinct surnaturel qui le mit à l’abri de beaucoup d’égarements.
Il avait débarqué dans ce pays d’Ouche en novembre 1956 par auto-stop. Comme Moïse devant la tâche, il s’aperçut avec dépit de l’état de délabrement matériel mais surtout moral de la paroisse, pris peur et perdit courage. Il se rendit à Évreux chez l’Évêque pour supplier, rapporte-t-il lui-même, qu’on le nommât ailleurs. Il a bien dû obéir malgré tout. Il retroussa ses manches et, comme levier de ferveur, il s’appliqua à célébrer avec faste les mystères de Noël. Jusqu’à la dernière année de son ministère, une représentation vivante de la crèche, où beaucoup de jeunes paroissiens participaient, marquait profondément les fidèles et ponctuait annuellement la date anniversaire de son arrivée. L’atmosphère gracieuse de l’étable de Bethléem, avec l’Enfant-Jésus, la Sainte Vierge et saint Joseph attirera les bénédictions. Et s’il y a trop de jeunes filles en âge de figurer Notre-Dame, on animera ses apparitions au cours de l’histoire pour éviter les disputes. Il faut penser à tout.
La Providence fixa le Père au milieu de ses chamblacais jusqu’en novembre 1996 où il rejoignit la vraie Terre Promise mois pour mois 40 ans après sa venue, période consacrée par la traversée du désert de Moïse et des Hébreux. Beau signe du Ciel !
Il ne s’est jamais relevé d’un accident de voiture qui le cloua au lit pendant deux mois. Il voulait pourtant rester d’une certaine manière debout et n’accepta pas les calmants qu’on lui proposait, afin disait-il « de jouir de toute sa lucidité quand il paraîtrait devant Dieu. » Les prêtres du Prieuré Saint- Jean-Eudes, en particulier Monsieur l’abbé Aulagnier, venaient le visiter et le remplacer le dimanche.
Trois personnages marquants
Son sacrifice en demeurant au Chamblac, le reflet d’Ars avant l’arrivée de son saint Curé, porta des fruits considérables sur cette terre normande à commencer par le retour bruyant et émouvant du célèbre écrivain et châtelain du lieu M. Jean de La Varende à la messe dominicale. L’ardent royaliste s’était cru obligé de la quitter après la condamnation implacable, sans merci, disons même étonnante de l’Action Française. Au cours de la Grand’Messe d’un dimanche de 1957, au chant de l’épître exactement, il récupéra sa place d’antan en tapant de sa canne pour en évacuer les enfants qui s’étaient accoutumés à la voir libre. Un peu sourd d’oreilles ou ne saisissant pas très bien où en était le prêtre à l’accent d’Outre-Manche très prononcé, il entonna d’une voix déjà chevrotante mais dynamique le Kyrie Eleison. Toute l’assistance, le curé en tête, s’empressa de revenir sur ses pas pour accompagner dans la joie la brebis revenue. Elle s’éteignit deux ans plus tard.
Madame Montgomery appartenait à une branche très sectaire de l’anglicanisme. Elle s’installa auprès de son fils. Celle qu’on appelait « Madame Jamais » en raison de son fort caractère ou encore Mamy pour les paroissiens déformant le « Mummy » de leur Curé avait bien juré dans son jeune temps de ne jamais embrasser la foi catholique. Elle se convertit malgré tout avant de mourir.
L’église du Chamblac et son presbytère se souviennent également de la bonté « maternelle » du Père Quintin pour son sacristain Christian, trisomique.
« Je maintiens toujours »
Aux grandes fêtes comme le 15 août, des fidèles affluaient de partout, d’Alençon, du Mans, de Paris, d’Angleterre aussi, comme en pèlerinage. Que venaient-ils chercher ? M. l’abbé Montgomery dont on comprenait difficilement le français à cause de son terrible accent d’Écosse ? Un peu, car sa bonté édifiait. Mais surtout pour ce qu’il représentait : la Tradition de l’Église catholique, Jésus-Christ continué et non défiguré. Derrière cette bonté, ou plutôt liée à elle, se cachait une vertu, dont l’origine doit se chercher en grande partie dans la grâce divine et sans doute, en filigrane, dans un tempérament issu de « Madame Jamais » : la force.
Trois mots seulement, qu’il reprenait parfois avec fierté, résument sa vie au recto de son image mortuaire. Sous son visage paisible, mi-souriant, orné de son légendaire monocle s’inscrit l’indice de : cette vertu : « J’ai maintenu ». La phrase qui s’inspire de saint Paul se lit aussi, gravée en lettres d’or, sur sa tombe.
La vertu de force s’exprime davantage dans le maintien ferme, dans le soutien de l’attaque, que dans l’attaque elle-même parce qu’elle réclame davantage d’endurance :
Il est plus difficile, dit saint Thomas, de demeurer longtemps immobile (sous le coup du péril qui persiste) que de se porter d’un mouvement subit contre une chose pénible et ardue.
On veut nous faire croire aujourd’hui que la véritable richesse se puise dans le changement, que le bien se réalise par la confrontation hégélienne du pour et du contre, de la thèse et de l’antithèse, qui ébranle nos principes et nos usages, enfante une synthèse instable affrontée à une autre antithèse pour recommencer le processus indéfiniment. Le changement, l’avenir, le progrès, en termes abstraits et flottants, sont des paroles creuses ou mieux des slogans de Révolution, qui entendent bien nous faire abandonner notre héritage. Ce n’est d’ailleurs, pour ce qui nous concerne ici, même pas le nôtre. C’est l’héritage de Jésus-Christ, c’est l’héritage de l’Église. Un catholique est traditionaliste par le fait même qu’il est catholique.
Pourquoi Notre-Seigneur Jésus-Christ dans sa parabole des talents félicite-t-il le bon et fidèle serviteur ? Parce qu’il n’a pas abandonné ce qu’on lui a confié mais il s’en est servi pour le faire fructifier. C’est bien cela le véritable progrès dans l’Église. Il ne consiste pas dans une remise à jour, une refonte des coutumes et des principes. Il est dans ce passage de l’imparfait au parfait par rapport à ce qu’il y a d’humain dans l’économie du Salut. Le bon Dieu, la Vérité parfaite en qui ne se trouve pas l’ombre d’une variation, d’un perfectionnement, tient compte des conditions humaines dans la transmission de la Foi. D’une expression plus sujette aux incompréhensions et aux attaques de ses ennemis, l’Église définira une formule plus précise de la Révélation qui, elle, ne se renouvelle pas depuis la mort du dernier des Apôtres. Nous avons la même foi qu’eux bien que désormais, nous avons des termes qu’ils n’utilisaient pas comme par exemple la consubstantiation, la transsubstantiation, l’Immaculée-Conception.
Saint Thomas étudie l’étymologie du mot « sainteté » quand il parle de la vertu de religion. La sainteté signifie deux choses : 1° ce qui est pur c’est-à-dire dégagé de la terre ; 2° ce qui est ferme, fixe, comme on parle de lois saintes parce qu’irrévocables.
La sainteté consistera donc à s’affranchir peu à peu des attaches désordonnées aux biens terrestres (purification des sens) et des retours déséquilibrés sur soi (purification de l’esprit) pour justement se lier à Dieu, et approcher toujours davantage à sa perfection immuable.
M. l’abbé Montgomery a été, par la grâce de Dieu, cet homme de la fermeté, de la constance, de la Tradition.
Comme partout ailleurs, le combat s’est concrétisé par le maintien de la messe traditionnelle malgré les multiples pressions. Le pape saint Pie V n’a pas inventé la messe, il a simplement sanctionné de son autorité apostolique la manière permanente de la célébrer ce qui, de sainte qu’elle était déjà, l’élevait pour ainsi dire à la canonisation. Elle a toujours été, elle est et elle sera toujours la source de toutes les grâces que nous recevons. Elle est de plus l’expression la plus parfaite de la foi. A l’opposé, la messe de Paul VI, sortie de la démangeaison de quelques liturges fantaisistes, se rendit indiscutablement suspecte en matière de foi et modulable à souhait, s’éloignant ainsi dans l’ensemble comme dans le détail de ce qui caractérise la sainteté.
L’indélicat Mgr David, arrivé en 1995 au diocèse d’Évreux pour remplacer le décadent et tristement médiatique Mgr Gaillot, fit, comme il se doit, son petit tour des paroisses. Arrivé chez le fameux réfractaire, il lui présenta une copie du Novus Ordo de Paul VI et lui enjoignit : « Je souhaite que vous utilisiez ceci. » Calmement, respectueusement, le Père lui répondit : « Monseigneur, j’ai déjà essayé, ça ne marche pas ici. » Ça ne marche ni ici, ni ailleurs. Et si quelques grains de foi subsistent malgré tout, ce n’est pas ordinairement grâce à la nouvelle messe, mais par la pratique de certaines dévotions qui se maintiennent encore comme, par exemple, le chapelet.
Monsieur l’abbé Montgomery avait été ordonné prêtre anglican en 1939. Depuis toujours attiré par l’Église de Rome, il faisait dans sa liturgie des emprunts au rite romain. Abjurant pour de bon le protestantisme le 17 novembre 1944, il dut refaire quasiment toute une formation avec patience pour recevoir l’Ordination sacerdotale catholique le 29 juin 1952. C’est la raison pour laquelle, après quelques essais de messe de Paul VI, il s’est tout de suite rendu compte qu’il revenait à son vomi. Il dira aux journalistes de Géo en parlant de sa conversion et du nouveau rite : « J’ai dû reprendre toutes mes études presque au point zéro. C’est vous dire que la protestantisation de la messe ne me ravit pas. »
N’ayant pu obtenir la venue du père Belwood pour le remplacer, sa confiance en Dieu ne désarma pas : « Si le Chamblac ne dure pas, ses effets perdureront. » La suite des événements confirma sa prédiction. Nous le constatons toujours dans l’église de Drucourt. L’affaire du Chamblac où transparaissent la conviction bien ancrée de la plupart des fidèles, l’ardeur d’un abbé Aulagnier, l’amitié de l’abbé Michel à Thiberville allait commencer mais l’aventure méritera un autre article quand le bon Dieu le permettra.
Cher Monsieur l’abbé Montgomery, nous allons donc prier pour vous. Et si, comme nous l’espérons, vous êtes déjà au Ciel en compagnie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de votre très Sainte Mère Marie, que vous avez tant aimée et tant fait honorer, de sainte Jeanne d’Arc que, natif d’Écosse, vous appréciiez particulièrement – car elle vous rappelait les vieilles rivalités de votre pays avec l’Angleterre, plaisantiez-vous – faites que ces grâces retombent sur toutes les âmes de bonnes volontés de votre ancien diocèse.
Monsieur l’abbé Jehan de Pluvié
Source : Le Petit Eudiste n°220 de janvier 2022