« Qui suis-​je pour juger ? » « Mais, le pape, Très Saint-Père ! »

« « Qui suis-​je pour juger ? » : l’Église inter­dit de juger », par l’ab­bé Jehan de Pluvié. Texte extrait du dos­sier de Fideliter n° 233 « 12 idées fausses sur la reli­gion ».

Si une per­sonne est gay et cherche le Seigneur avec bonne volon­té, qui suis-​je pour la juger ? » Tournée en boucle comme un « tube » par les fos­soyeurs de la morale catho­lique, cette courte inter­ro­ga­tion du pape François (lors de son retour des Journées mon­diales de la jeu­nesse à Rio le 29 juillet 2013) conduit fina­le­ment à remettre en cause une des opé­ra­tions humaines les plus élé­men­taires : le juge­ment moral.

Car dès lors que le chef suprême de l’Église n’est pas habi­li­té à juger des pra­tiques contre­na­ture d’un homo­sexuel qui, sur­tout s’il cherche Dieu, devrait tout sim­ple­ment les aban­don­ner, quel indi­vi­du pour­ra se per­mettre de por­ter des juge­ments sur autrui ? Si un homme est ter­ro­riste, s’il est pédo­phile, et s’il cherche le Seigneur, qui suisje pour juger ? À la rigueur, allons jus­qu’à l’ul­time consé­quence de cette réflexion pon­ti­fi­cale : si même quel­qu’un ne cherche pas le Seigneur, qui suis-​je pour juger ?

Faudra-​t-​il lais­ser toute sen­tence morale à Notre-​Seigneur Jésus-​Christ ? Pour répondre à cette ques­tion, que cha­cun se demande : qui suis-​je ? Un homme, un être doué de rai­son dont le juge­ment me per­met­tra de me conduire vers le bien, vers mon salut, et si je suis res­pon­sable d’au­trui (parent, diri­geant, chef au sein d’une socié­té civile ou ecclé­sias­tique), de faire régner la paix et la jus­tice, de cor­ri­ger mes subor­don­nés avec pru­dence dans le domaine qui m’in­combe, ou d’en­rayer la pro­pa­ga­tion du mal.

Certaines recom­man­da­tions de l’Écriture sainte sem­ble­raient cepen­dant cor­ro­bo­rer la rete­nue du pape qui reprend d’ailleurs presque mot pour mot une réflexion de saint Jacques : « Mais qui es-​tu, toi qui juges le pro­chain ? » (Jc 4, 13) Notre- Seigneur dit aus­si : « Ne jugez point afin que vous ne soyez pas jugés. » (Mt 7, 1) Dans l’une de ses para­boles, le Christ reproche à demi-​mot au pha­ri­sien de se faire l’in­qui­si­teur de la vie morale du publi­cain. Mais il n’est pas besoin d’a­voir sui­vi de hautes études pour com­prendre que les pas­sages cités stig­ma­tisent seule­ment le juge­ment témé­raire, mal­veillant ou sans fon­de­ment sérieux. Les accu­sa­tions hâtives et divul­guées incon­si­dé­ré­ment demeurent une tare mal­heu­reu­se­ment trop fré­quente de la nature humaine, même en milieu chré­tien. Si les paroles oiseuses nous seront repro­chées, que dire des réqui­si­toires sans pitié envers les autres ? Ce que Notre-​Seigneur condamne, c’est de « juger selon l’ap­pa­rence » (Jn 7, 24), de « juger selon la chair » (Jn 8, 15).

D’autres paroles de l’Écriture demandent au contraire le juge­ment : « Jugez selon la jus­tice. » (Jn 7, 24) Dans ses para­boles, Notre-​Seigneur Jésus- Christ réclame un dis­cer­ne­ment : Lazare et le mau­vais riche, le levain des pha­ri­siens, l’o­bole de la veuve, l’arbre qui se juge à ses fruits. Saint Jacques nous encou­rage à la cor­rec­tion fra­ter­nelle : « Mes frères, si quel­qu’un d’entre vous s’é­gare loin de la véri­té, et qu’un autre l’y ramène, qu’il sache que celui qui ramène un pécheur de la voie où il s’é­gare, sau­ve­ra son âme de la mort, et cou­vri­ra une mul­ti­tude de péchés. » (Jc 5, 19–20)

Comment donc cor­ri­ger le pro­chain, avec cha­ri­té s’en­tend, si un cer­tain juge­ment ne se for­mule pas à son encontre ? Comment édu­quer et diri­ger droi­te­ment un enfant si son res­pon­sable doit sus­pendre le juge­ment sur son agir ? Comment faire régner la paix et la jus­tice si l’au­to­ri­té com­pé­tente devait en toutes cir­cons­tances s’en­qué­rir du for interne pour don­ner une ligne de conduite ou condam­ner les actions évi­dem­ment mau­vaises ? Bien sûr, connais­sant la fai­blesse humaine que sup­portent aus­si bien le pécheur que son juge, le pro­chain doit faire preuve d’in­dul­gence parce qu’il est lui-​même pécheur et que, la plu­part du temps, il ne connaît pas tous les motifs de l’ac­tion. L’autorité doit éga­le­ment exer­cer la clé­mence afin de « ne pas éteindre la mèche qui fume encore ».

Mais, le « qui suis-​je pour juger ? » jette le trouble dans les rangs catho­liques et réjouit les enne­mis de l’Église parce que, loin d’en­rayer le scan­dale, il le pro­page à sa manière.

Dans son com­men­taire de la Somme Théologique de saint Thomas sur la cor­rec­tion fra­ter­nelle, le père Noble nous éclaire sur la pru­dence (et aus­si la jus­tice) du chef qui doit savoir dis­tin­guer : « Ne serait pas un chef pru­dent qui ne ferait pas l’exact par­tage entre les fautes secrètes et sans pré­ju­dice pour le bien com­mun et les délits publics qui, par leur scan­dale ou par leur noci­vi­té, portent atteinte à ce même bien commun. »

L’exclamation d’un fidèle résu­me­ra à mer­veille notre sujet : « Qui suis-​je pour juger ? » « Mais, le pape, Très Saint- Père ! »

Abbé Jehan de Pluvié, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

Sources : Fideliter n° 233