Les trois célèbres fusillés du 29 août 1941 au Mont Valérien

Peu soup­çonnent qu’ils sont morts tous les trois dans des sen­ti­ments d’un par­fait renon­ce­ment tel qu’on peut vrai­ment espé­rer qu’ils allèrent direc­te­ment au Ciel.

Qui n’a déjà aper­çu l’affiche ci-​contre ? Elle fête cette année ses 80 ans. C’est une des rai­sons de son évo­ca­tion dans ce bul­le­tin d’école. Elle sym­bo­lise le cou­rage, le ser­vice de la Patrie et la vraie résis­tance. Impatients de ne pas moi­sir à Londres et d’agir sur le sol de France, les trois hommes orga­ni­sèrent le réseau Nemrod, des­ti­né à obte­nir des ren­sei­gne­ments sur les ins­tal­la­tions alle­mandes. Arrêtés par la tra­hi­son d’un des membres du réseau en jan­vier 1941, ils furent incar­cé­rés à la pri­son de Fresnes et condam­nés à la peine capi­tale. Cependant peu soup­çonnent qu’ils sont morts tous les trois dans des sen­ti­ments d’un par­fait renon­ce­ment tel qu’on peut vrai­ment espé­rer qu’ils allèrent direc­te­ment au Ciel. Leurs âmes cou­ra­geuses et chré­tiennes, si cou­ra­geuses parce que si chré­tiennes, firent l’admiration de leurs bour­reaux eux-​mêmes. Toutes les gammes de l’héroïsme chré­tien s’y jouent à tra­vers écrits, paroles et actions : la foi, l’espérance, l’abandon à Dieu, la contri­tion, le par­don, la cha­ri­té, jusqu’à l’amour des ennemis.

Un fait par­mi d’autres : d’Estienne d’Orves décla­ra devant le pelo­ton d’exécution au pré­sident Keyser du Tribunal Militaire qui dut – à contre-​cœur – les juger : « Monsieur, vous êtes offi­cier alle­mand. Je suis offi­cier fran­çais. Nous avons tous les deux fait notre devoir ; permettez-​moi de vous embras­ser. » Devant les sol­dats médu­sés, le Français et le Germain s’étreignirent. Le fameux prêtre alle­mand, l’abbé Franz Stock, qui a sui­vi cette ascen­sion spi­ri­tuelle du trio s’en revint du san­glant et poi­gnant spec­tacle en larmes. Un témoin rap­porte : « Il pleu­rait comme jamais je n’ai vu un homme pleu­rer… »

Dernière lettre d’Honoré d’Estienne d’Orves à son épouse (25 août 1941)

Cette ques­tion de l’in­fluence morale des parents sur les enfants et de leurs rap­ports mutuels res­sort de toutes les pages de l’his­toire de Jean du Plessis. Il eut été inté­res­sant de pou­voir lire, non seule­ment les lettres qu’il écri­vait, mais éga­le­ment les réponses de ses parents. Heureusement l’esprit de celles-​ci appa­raît net­te­ment. On les devine pro­fondes, sen­ties, appuyant sur des points de morale chré­tienne peut être pénibles, mais néces­saires, et non pas seule­ment pleines de choses gen­tilles, d’évocations de la mai­son de nature à faire plai­sir à un marin loin des siens. Imagine, à la lumière de cette cor­res­pon­dance, ce que devaient être les conver­sa­tions entre père et fils lorsqu’ils étaient réunis ! Combien ces parents ont-​ils dû, pen­dant son enfance, s’occuper de l’âme de leur fils, pour ain­si conti­nuer lorsqu’il par­vint à l’âge d’homme. Jean du Plessis trou­vait cer­taines de ces lettres pénibles, il le dit, mais il demande à ses parents de n’en pas chan­ger le ton. A des lettres sérieuses, il répond en dévoi­lant son âme : cela l’amène à ren­trer en lui-​même, à cher­cher à mieux se connaître, et ain­si à aug­men­ter sa spiritualité.

Cette direc­tion d’âme des enfants par les parents peut être com­men­cée dès l’âge de Marguerite et de Monique, par des conver­sa­tions n’ayant pas obli­ga­toi­re­ment un carac­tère reli­gieux, mais pre­nant pour objet les petites choses de la vie, les œuvres d’art, etc. Que les enfants sachent que leurs parents ont une opi­nion. Ils l’adopteront et à leur tour la défen­dront avec éner­gie (aus­si ne pas atta­cher trop d’importance aux choses secon­daires et les lais­ser faire fonc­tion­ner leurs qua­li­tés de juge­ment). On peut par­ler avec les enfants comme avec des grandes per­sonnes, les écou­ter (sans les assom­mer de ques­tions, ce qui est un autre écueil). Remarque comme tout à l’heure nos filles ont été contentes quand je leur ai dit : « Maintenant je vais cau­ser avec vous. » (Et j’y avais un cer­tain mérite, ayant si peu de temps pour cau­ser avec toi, mon chéri !)

On sent aus­si, dans Jean du Plessis, que cette famille par­lait avec grande sim­pli­ci­té de la mort. Fréquemment dans ses lettres, même celles adres­sées à sa femme, il dit : « Je vais faire quelque chose dont je ne revien­drai peut-​être pas. » On ne peut agir ain­si sans attris­ter les siens que si l’on a tou­jours ban­ni de ses pen­sées l’inquiétude de la mort. La reli­gion aide, bien enten­du, à cause de l’espérance d’une réunion aux cieux. Presque tous nous disons : « Je n’ai pas peur de ma mort, mais j’ai peur de la peur que les miens en ont. » Ce sen­ti­ment, on ne le vain­cra que si on s’est habi­tué à consi­dé­rer la mort comme une chose toute simple. Excuse-​moi de te par­ler de tout cela qu’il ne faut consi­dé­rer que comme une spé­cu­la­tion phi­lo­so­phique, assez mal expo­sée d’ailleurs.

Là où je suis moins d’accord avec Jean du Plessis, c’est lorsqu’il réprouve la tris­tesse que l’on éprouve après la mort de quelqu’un des siens. A mon humble avis, nous avons tous ten­dance à oublier nos morts, même ceux que nous avons le plus aimés.

Tout ce qui nous rat­tache à leur sou­ve­nir est bon, y com­pris les larmes ver­sées lors de leur dis­pa­ri­tion. Ces larmes sont bonnes. De même la réunion de toute une famille à la mort d’un parent, comme par exemple je l’ai vu à Lancrau pour ta tante. N’oublions pas que par la mort du père ou de la mère, on passe d’une maille de la famille à la maille sui­vante. C’est là une chose humaine, mais qui compte, et que Dieu a voulue.

Maman, je le sais, se pas­sait faci­le­ment d’aller au cime­tière ; elle pré­fé­rait prier à la cha­pelle pour ses morts. Mais tous n’ont pas sa haute spi­ri­tua­li­té. La solu­tion de la Bourbansais où nos parents dorment en pré­sence du Saint-​Sacrement, est évi­dem­ment idéale. Mais pour nous, chré­tiens moyens, rapprochons-​nous de ceux qui nous ont pré­cé­dés, évo­quons leur sou­ve­nir pour les enfants !

Dernière lettre de Maurice Barlier à ses enfants (29 août 1941)

Mes chers petits enfants,

Le bon et très doux Jésus, dont nous sommes les tous petits enfants, a dit aux Apôtres avant de retour­ner au Ciel : « Je ne vous lais­se­rai pas orphelins ».

Aussi, bien qu’Il me rap­pelle à Lui main­te­nant, je sais et je vous dis qu’Il ne vous lais­se­ra pas orphe­lins ; d’abord parce qu’Il est votre Père, plus encore que moi, et aus­si parce qu’auprès de Lui, il me sera per­mis de vous voir, d’intercéder pour vous et de vous aimer beau­coup plus encore que je n’aurais pu le faire en res­tant avec vous.

Car vous savez, on n’est pas pré­sent à ceux que l’on aime par les bras, les jambes et la tête, mais par l’âme et par l’amour et mon âme sera tou­jours à côté de vous.

Aimez beau­coup votre maman, grand-​père, grand-​mère, qui vont avoir beau­coup de cha­grin, c’est sur vous aus­si que je compte pour les consoler.

Travaillez bien.

Priez tou­jours le Bon Dieu de vous gui­der en toutes choses, car la bonne volon­té ne sert à rien sans Son secours. Quand vous serez grands, ne gar­dez de ran­cune envers per­sonne – n’oubliez jamais que tous les hommes sont des frères et qu’il faut répondre aux offenses et même au mal par le par­don et l’amour.

Priez pour moi ; bien­tôt, car vous ver­rez comme la vie passe vite, nous serons tous réunis auprès du Bon Dieu, notre seule rai­son d’être et notre fin ; alors il ne faut pas être triste. Je vous embrasse bien ten­dre­ment. Au revoir.

Papa

Yan Doornick à sa famille (29 août 1941)

Demain matin, à 7 heures, on nous fusille. Les voies de Dieu sont impé­né­trables ; que Sa Volonté soit faite !

Nous sommes main­te­nant réunis, mes deux cama­rades et moi, car on nous a per­mis de pas­ser ensemble notre der­nière nuit. Nous sommes tous les trois dans les mêmes sen­ti­ments de sou­mis­sion aux volon­tés de Dieu et nous allons épui­ser nos der­nières heures en cau­sant et priant en com­mun. Demain matin, l’abbé Stock vien­dra nous dire la Messe et nous com­mu­nie­rons avant de partir.

Soyez sûrs qu’aucune angoisse, aucune fai­blesse n’est en nous, car cette sorte de retraite que fut pour nous la pri­son nous avait, depuis long­temps, pré­pa­rés à cet ins­tant. Je suis prêt à paraître devant Dieu, m’étant repen­ti de mes fautes et de mes erreurs, dont j’espère ardem­ment que Dieu aura dai­gné m’absoudre. J’ai confiance en Lui et jebé­nis ses volontés.

…Voilà la fin de ma lettre. Il est près de 3 heures. Dans quatre heures, je serai mort et je me sens si calme et si serein que je m’en étonne moi-même.

Tout à l’heure, l’aumônier va venir… Dans un ins­tant, nous allons réci­ter ensemble une prière pour deman­der à Dieu qu’Il nous donne le cou­rage d’accepter chré­tien­ne­ment Ses Volontés. Et sur­tout pas de ran­cune dans vos cœurs. La guerre est dure et inexo­rable mais il faut subir son destin.

Je vous serre tous les trois contre mon cœur et vous embrasse avec toute ma grande et pro­fonde tendresse.

Aimez-​vous, soutenez-​vous, que Dieu vous bénisse et qu’Il m’ait désor­mais en sa miséricorde.

Vive la France !

Adieu papa, maman et Yves ! Je me résigne donc à ne plus vous revoir sur cette terre. Mais je vous demande de vous grou­per tous les trois autour de mon âme qui ne vous quit­te­ra plus et vous pro­té­ge­ra. Soyez forts et cou­ra­geux comme je le serai demain matin. Je prie Dieu d’accepter mon sacri­fice pour rache­ter mes fai­blesses et mes erreurs et pour que la France vive !

Je vous lègue les uns aux autres et ma ten­dresse vous reste toute.

Source : Le Petit Jean-​Eudes n°1