Le 29 janvier 2017, Mgr Bernard Fellay, Supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X, répondait aux questions de Jean-Pierre Maugendre, en une quinzaine de minutes, dans le cadre de l’émission de TV Libertés, Terres de mission. Voici la transcription intégrale de ses propos qui sont éclairés et complétés par les réponses qu’il donnait à l’abbé Alain Lorans, le 26 janvier, lors d’un entretien d’une heure sur Radio Courtoisie, et dont la transcription intégrale est également disponible ici.
Jean-Pierre Maugendre : Excellence, vous êtes depuis 1994 Supérieur général de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, fondée en 1970 par Mgr Marcel Lefebvre, à Fribourg en Suisse, pays dont vous êtes originaire. La Fraternité compte aujourd’hui 613 prêtres, 117 frères, 80 oblates, 215 séminaristes. Dans l’Eglise chaque société religieuse a sa vocation propre liée à ses charismes de fondation. Citons la pauvreté pour les fils de saint François ou le zèle missionnaire pour les fils de saint Dominique. Quelle est la spiritualité propre de la Fraternité Saint-Pie X ?
Mgr Bernard Fellay : La spiritualité propre de la Fraternité Saint-Pie X, c’est de ne pas en avoir ! Il faut quand même préciser : elle en a une, mais elle n’est pas propre. Ou plutôt : elle s’est appropriée la spiritualité de l’Eglise. Donc elle est beaucoup plus universelle. Alors c’est quoi ? C’est le salut qui nous vient par la Croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Donc ce sera le sacerdoce car Notre Seigneur nous sauve par son sacerdoce et par l’acte sacerdotal qui est la Croix, la messe. C’est cela la spiritualité de la Fraternité. Nous nous occupons des prêtres, de former les prêtres, de les sanctifier et puis nous espérons qu’ils feront leur travail pour toute l’Eglise.
J.-P. M. Donc une spiritualité centrée sur le sacerdoce et la sainte messe ?
Mgr F. Parfaitement.
J.-P. M. Le 21 novembre dernier, par la lettre apostolique Misericordia et Misera, le pape François a renouvelé pour les prêtres de la Fraternité Saint-Pie X les pouvoirs de donner validement et licitement les absolutions sacramentelles. Dans le même temps la déclaration post-synodale Amoris lætitia, accordant sous certaines conditions la possibilité aux divorcés-remariés d’accéder à la sainte communion n’est certainement pas un texte qui vous satisfait. Comment interprétez-vous ces actes a priori contradictoires ?
Mgr F. Je risque de me tromper, mais je pense qu’ils viennent d’un même mouvement. Et ce mouvement c’est un souci du Saint-Père pour les rejetés de tous bords.
J.-P. M. Pour les périphéries ?
Mgr F. Voilà, pour les périphéries. Et, bien sûr nous ne sommes pas des périphéries matérielles, nous ne sommes pas en prison, mais nous sommes quand même rejetés par, disons, le grand courant de l’Eglise. Et dans ce sens-là, nous sommes des marginalisés. Je crois, je peux me tromper, que cela vient de ce souci de s’occuper de ces gens que le pape reproche à l’Eglise, disons dans son ensemble, d’avoir oubliés ou mis de côté.
J.-P. M. A propos de ce texte Amoris lætitia dont nous venons de parler, un certain nombre de cardinaux, les cardinaux Burke, Brandmüller, Caffarra et Meisner ont adressé au pape ce qu’on appelle en termes techniques des dubia, c’est-à-dire qu’ils ont posé des questions, plusieurs questions, demandant des éclaircissements sur ce texte. Il y a bien longtemps que cela ne s’était produit dans l’Eglise, c’est-à-dire que des évêques interpellent publiquement le pape sur des actes de son magistère. En 1969 la réforme liturgique marqua également une rupture avec la tradition antérieure. Seuls deux cardinaux, les cardinaux Ottaviani et Bacci firent part au souverain pontife de leur perplexité. Puis ils rentrèrent dans le rang. Il ne semble pas avoir existé depuis 50 ans une résistance organisée de cardinaux ou d’évêques par exemple à propos de dérives doctrinales comme celles des nouveaux catéchismes. Les temps auraient-ils changé ?
Mgr F. Il y a quelque chose qui est en train de changer, c’est vrai. Et c’est, je crois, le fait que les choses se soient aggravées. Pas tellement au niveau des principes, mais ces principes portent maintenant leurs fruits, leurs conséquences. Je ne crois pas que nous sommes arrivés aux conséquences ultimes, mais cela devient grave et même très grave. Tellement grave qu’un certain nombre d’évêques, de cardinaux estiment en conscience devoir dire : « cela suffit ». Ils ne sont pas nombreux à se manifester en public. Ils sont plus nombreux, on peut dire, en privé. Est-ce que ce mouvement va s’amplifier, c’est encore trop tôt pour le dire. Je pense qu’il faut espérer et j’ose croire que cela va continuer dans ce sens-là, parce que vraiment cela va mal. Et le fait qu’on commence enfin à le dire, ce sera l’ouverture pour réfléchir, sérieusement cette fois-ci, sur les causes et donc les vrais remèdes.
J.-P. M. Dans votre conférence lors des Journées de la Tradition, le 8 octobre dernier à Port-Marly, vous avez évoqué un flot croissant de contacts entre la Fraternité Saint-Pie X et un certain nombre de prêtres et d’évêques. Malgré cela on ne peut pas dire qu’en France les évêques se montrent très ouverts aux demandes de célébrations selon la forme extraordinaire du rite romain, conformément au Motu proprio Summorum Pontificum. Y a‑t-il, selon vous qui avez l’expérience des voyages, une particularité de la situation ecclésiale française ?
Mgr F. Franchement, je ne crois pas. Il y a quelque chose bien sûr, le Français reste le Français. Il aime beaucoup discuter et donc poser des questions. Et disputer aussi. Mais, si vous voulez, au niveau de la crise de l’Eglise, de ce qui se passe, je crois qu’elle est vraiment générale. Et pour les réactions, franchement, sur toute l’Eglise, elles sont encore mineures, mais générales, et elles se manifestent aussi en France. Alors, certainement il n’y a pas beaucoup d’évêques qui nous ont contacté ou qui nous ont dit « nous sommes avec vous ». Mais cela vient… Cela vient gentiment…
J.-P. M. Dans cette réflexion de vos relations avec Rome, le pape François vous a fait la proposition d’une prélature personnelle pour la Fraternité Saint-Pie X. Cette situation canonique vous conserverait une indépendance totale vis-à-vis des évêques. Mgr Schneider, qui a visité plusieurs de vos séminaires, vous exhorte à accepter cette proposition même ou parce qu’il est conscient que la situation de l’Eglise n’est pas encore satisfaisante à 100%. N’y a‑t-il pas, à terme, un risque de création d’une Eglise plus ou moins autonome, autocéphale, si devait perdurer cette situation, disons, de distanciation constante vis-à-vis de Rome, du pape, de la curie, des évêques, etc. Attendez-vous pour signer un accord avec le Saint-Siège l’élection d’un Pie XIII, auquel nous aspirons mais qui n’est qu’une hypothèse de travail ?
Mgr F. Je pense qu’il n’est pas nécessaire d’attendre que tout soit réglé dans l’Eglise, que tous les problèmes soient réglés. Il y a cependant un certain nombre de conditions qui sont nécessaires et pour nous la condition essentielle, c’est la condition de la survie. Donc, j’ai fait savoir à Rome, sans aucune ambiguïté, de la même manière que Mgr Lefebvre l’avait déjà dit en son temps, il y a une condition sine qua non. C’est-à-dire que si cette condition n’est pas remplie, nous ne bougeons pas. Et cette condition est le fait que nous puissions rester tels que nous sommes. Cela veut dire : garder tous les principes qui nous ont maintenus en vie, maintenus comme catholiques. Nous avons effectivement des reproches graves par rapport à ce qui s’est passé depuis le Concile : la manière dont est conduit l’œcuménisme, par exemple ; ce qu’on appelle la liberté religieuse qui est un terme assez compliqué, qui règle la question des relations entre l’Eglise et l’Etat, la liberté ou non à donner et à quel titre donner à chacun, la liberté d’exercer sa religion. Autrefois l’Eglise expliquait que dans certaines circonstances, il fallait tolérer, et on peut dire qu’aujourd’hui, vu la situation, les mélanges…, cette tolérance doit être très grande, mais quand on tolère, on tolère un mal. On ne peut pas dire que c’est un bien. Et pour une certaine religion, nous n’avons pas besoin de dire laquelle, quand elle commence à foisonner, cela devient un argument de terreur. Donc, il faut bien voir tout cela.
Et je pense qu’on avance de ce côté-là, dans la bonne direction. Rome est en train de lever le pied. C’est quelque chose d’assez récent, depuis deux ans maintenant. On nous dit qu’il y a des questions, pas seulement des questions mais aussi des propositions énoncées par le Concile, qui ne sont pas des critères de catholicité. Cela veut dire qu’on a le droit de ne pas être d’accord et cependant d’être considérés comme catholiques. Et c’est précisément cet ensemble de questions sur lesquelles nous nous disputons.
Alors, y a‑t-il un schisme ou un risque d’établissement d’une Eglise parallèle ? Nous luttons contre, et j’ai évoqué ce problème avec le pape lui-même. Et nous sommes tous les deux d’accord. Il y a déjà maintenant un certain nombre de dispositions pratiques qui rendent pratiquement impossible le schisme. C’est-à-dire que, dans la pratique, dans les actes de tous les jours, nous exprimons à Rome, nous montrons notre soumission, nous reconnaissons l’autorité, et pas seulement à la messe en disant le nom du pape et celui de l’évêque du lieu dans le canon de la messe. Vous avez l’exemple du pape qui nous donne le pouvoir de confesser. Il y a aussi des actes juridiques. C’est un peu compliqué, mais il peut arriver qu’un prêtre commette des actes délictueux, et nous avons des rapports avec Rome qui nous demande de juger ces cas. Ce sont vraiment des relations normales. Il n’y a pas que la confession. Cet été, il a été confirmé que le Supérieur général peut librement ordonner les prêtres de la Fraternité, sans avoir à demander la permission à l’évêque du lieu. C’est un texte de Rome, il n’est pas publié sur les toits, mais qui permet à la Fraternité d’ordonner licitement. Ce sont des actes posés, juridiques, qui sont canoniques, qui sont déjà en place. Et qui déjà, à mon avis, suppriment la possibilité du schisme. Evidemment, il faut toujours veiller, c’est sûr.
J.-P. M. Alors aujourd’hui concrètement, qu’est-ce qui manque ?
Mgr F. Il manque le tampon. Et puis aussi justement, l’affirmation claire et nette qu’on respectera ces garanties.
J.-P. M. Il n’y a que le pape qui peut donner ce tampon et cette garantie ?
Mgr F. C’est au pape de le faire, oui.
J.-P. M. Pour conclure cet entretien et peut-être donner un signe d’espérance. Nous célèbrerons cette année le centenaire des apparitions de Fatima. Quelle est, selon vous, l’actualité de ces événements pour l’Eglise et pour la Fraternité Saint-Pie X ?
Mgr F. Plus que pour la Fraternité. Pour la Fraternité, on dirait que c’est par voie de conséquence. De Fatima, nous savons qu’il y a un secret, il y avait un message et ce message de Fatima annonce des choses difficiles, peut-être terribles. Une partie est connue, une partie n’est pas trop connue. De toute façon « à la fin », dit la Sainte Vierge, « mon Cœur immaculé triomphera », donc il y a l’annonce d’une victoire du Ciel, du Cœur immaculé de Marie, et qui sera conditionnée à une consécration de la Russie, qui verra la Russie se convertir, donc redeviendra catholique, sera réunifiée, réintègrera l’Eglise catholique. Il y aura un temps de paix qui sera donné à l’Eglise. On en conclut donc que le temps de crise dans lequel se trouve l’Eglise aujourd’hui sera terminé. Maintenant, les détails, nous ne les connaissons pas. Mais évidemment, si nous disons, et nous ne sommes pas les seuls, qu’il y a une crise dans l’Eglise, nous espérons bien qu’au moment du triomphe, le temps de crise sera dépassé. Jusqu’où devons-nous aller dans ce désordre, je n’en sais rien. Mais nous avons cette assurance qu’à la fin, il y aura un triomphe. Eh bien, nous le hâtons par nos prières.
J.-P. M. Vous avez lancé en particulier une croisade du Rosaire à cette occasion ?
Mgr F. Tout à fait. Nous avons demandé à nos fidèles et à tous ceux qui veulent bien, de prier la prière que la Sainte Vierge nous a recommandée, en lui demandant que précisément ce qu’elle a demandé soit accompli. C’est-à-dire que ce triomphe arrive, que cette consécration soit faite comme elle l’a demandée. Car il y a déjà eu des consécrations, avec quelques effets. Et surtout, ce qu’on remarque, je ne peux pas trop m’étendre, mais les événements historiques, pas seulement de l’Eglise mais même du monde, sont liés à Notre Dame. Par exemple, les grands événements de la Seconde Guerre mondiale sont des dates de Marie, la Sainte Vierge qui disait que la paix des nations avait été remise par le bon Dieu entre ses mains. Il y a une intervention divine ; le gouvernement du bon Dieu sur les hommes est réel. Et donc demander au bon Dieu que, dans sa bienveillance, Il veuille bien l’exercer d’une manière telle que les hommes arrêtent de tout démolir et se soumettent à son joug, cela ne peut être qu’une bonne chose.
Pour conserver à cet entretien son caractère propre, le style oral a été maintenu. Les passages soulignés sont de la rédaction de DICI.
Sources : TV Libertés/Terres de mission – Transcription du 04/02/17 /La Porte Latine du 4 février 2017