La vénération que l’on doit à nos anciens entretient la mémoire dont nous avons besoin pour agir prudemment.
Éditorial de Monsieur l’abbé Benoît de Jorna
Tradidi quod et accepi, « j’ai transmis ce que j’ai reçu ». Nous estimons presque banale cette sentence tant nous en vivons quotidiennement. Préparant sa succession, Mgr Marcel Lefebvre nous l’a souvent répétée et il a voulu qu’elle soit gravée sur sa tombe. Il reprenait ces mots à saint Paul qui écrivait aux Corinthiens : « C’est du Seigneur que j’ai appris ce que je vous ai enseigné. » Nous ne pouvons que rendre grâce d’un tel geste de prudence héroïque, à l’heure où la messe dite de saint Pie V tend à disparaître. Sans la sagesse pratique de cet évêque, cette messe aurait tout simplement disparu. En effet, depuis Vatican II, il est affirmé et constamment répété que la seule liturgie conforme à la doctrine de ce concile est la messe dite de Paul VI. Ainsi, contre vents et marées, même romains, Mgr Lefebvre a fourni aux catholiques les moyens de conserver, d’entretenir et d’affermir leur foi, sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu. Les sacres de 1988, cette « opération survie » comme il l’avait appelée, sauvaient la Tradition de sa disparition ou plutôt la maintenaient. De la sorte, d’autres évêques pourraient assurer les ordinations sacerdotales traditionnelles futures pour que d’autres prêtres continuent de dispenser les sacrements qui sont les moyens ordinaires de notre Salut.
Cet acte, malheureusement incompris de la plupart, est pourtant bien étonnant, c’est-à-dire admirable : il montre à l’envi la sagesse de la vieillesse et sa respectabilité. Dans son traité de la prudence, Saint Thomas d’Aquin énonce quelques sentences caractéristiques de cet âge. Il rappelle d’abord que la Bible, au livre de l’Ecclésiastique, affirme : « Tiens-toi au milieu des anciens… et unis ton cœur à leur sagesse ». Il explique ensuite : « c’est du passé que nous avons à tirer notre prévision et connaissance de l’avenir ». Et puis il ajoute : « la prudence est une matière où l’homme a besoin plus qu’ailleurs des lumières d’autrui ; les vieillards entre tous sont qualifiés pour l’éclairer, qui sont parvenus à la saine intelligence des fins relatives aux actions. D’où la sentence : “il importe d’être attentif aux dires et opinions indémontrables des vieillards.”» C’est justement au soir de sa vie, pleine d’expérience et fort du temps vécu, que Mgr Lefebvre sacre quatre évêques. Ce magnifique exemple montre tout le respect et la vénération que l’on doit à nos anciens, car ils entretiennent le passé dont nous avons justement besoin de conserver la mémoire pour agir prudemment.
Mais outre l’attention précautionneuse à nos anciens, afin que nos actions ne soient pas aventureuses ni dépourvues de véritable sagesse, il est bon de savoir les honorer de cette vertu qui disparaît complètement de l’agir contemporain : la piété. On ne peut pas prétendre être chrétien si l’on ne sait pas rendre hommage à ceux dont nous tenons la vie. Nos parents, nos grands-parents ont droit à cette dette essentielle : celle qui est due à nos pères du fait qu’ils sont pères, parce qu’ils sont le principe vivant de notre existence. Et Cicéron dit même que l’on ne saurait être un homme de bien si l’on ne rend pas à ses pères le devoir et le culte ; le devoir se rapporte au service et le culte au respect, dit-il. L’absence de ces vertus humaines, qu’on peut constater dès qu’on monte dans un transport en commun, révèle que, pratiquement, on vit aujourd’hui sans Dieu. Ne plus honorer ni respecter ses parents, c’est ni plus ni moins mépriser Dieu lui-même qui est le principe d’être et de gouvernement d’une manière infiniment plus excellente qu’eux. La goujaterie habituelle cache un refus d’obéissance et une négation de dépendance. On prétend vivre sans Dieu ni maître. « Du passé faisons table rase, foule esclave, debout ! Debout, le monde va changer de base : nous ne sommes rien, soyons tout ! ». Ces mots sont empruntés à L’Internationale, jadis hymne national soviétique, composé par le franc- maçon français Eugène Pottier.
Dans les circonstances où elle fut proclamée, la devise « Tradidi quod et accepi » non seulement signifie un profond attachement à la Tradition de l’Église, mais affirme qu’il n’y a pas d’autre civilisation que la civilisation chrétienne, c’est-à-dire que le bon Dieu est notre Père.
Source : Fideliter n° 265