Solitaire et Abbé en Languedoc (+ vers 721).
Fête le 1er septembre.
Il est assez difficile de préciser à quelle époque a vécu saint Gilles. Quelques-uns le font naître dans la première moitié du vie siècle, tandis que la plupart des auteurs, s’attachant aux termes mêmes de ses Actes, dont Mabillon, d’ailleurs, déclare qu’ils n’ont rien de très authentique, et au commentaire qu’en a donné le P. Stilting, voient en lui un contemporain de Charles Martel, ce qui suppose que le Saint vécut aux viie et viiie siècles ; c’est cette chronologie que nous adopterons.
Le chrétien d’Athènes.
Gilles ou Egidius, en grec Aigidios (Chevrier), naquit à Athènes. Ses plus anciens historiens assurent qu’il était de race royale. Quelle province ses ancêtres avaient-ils jadis gouvernée, on ne le sait plus ; au reste, à l’époque où naquit Gilles, la Grèce était soumise aux Romains depuis des siècles. Son père s’appelait Théodore et sa mère Pélagie. Ils donnèrent à leur fils l’exemple de toutes les vertus chrétiennes, et le formèrent à un solide piété.
Quoique bien déchue de son ancienne splendeur, Athènes encore l’un des principaux centres intellectuels de l’Orient. Gilles, doué des plus belles qualités de l’âme et du corps, reçut une éducation brillante à laquelle il fit honneur. On lui a même attribué des ouvrages de médecine et de poésie remarquables. Mais Athènes avait vu tant d’autres hommes habiles dans les sciences humaines, et qui n’en étaient pas plus vertueux pour cela !
Ce qui devait placer Gilles au-dessus d’eux, c’était le goût des choses divines, qui le portait à étudier la science des Saints et de la perfection évangélique, à méditer avec fruit les Saintes Ecritures, à réaliser chaque jour des progrès dans la pratique des vertus.
De bonne heure Dieu se plut à honorer son serviteur en lui accordant le don des miracles. Gilles se rendait souvent à l’église. Un jour, il rencontre sur son chemin un pauvre mendiant, malade et presque nu, qui lui demande l’aumône. Emu de compassion, le généreux étudiant se dépouille de sa riche tunique et la lui donne. A peine le mendiant s’en est-il revêtu qu’il recouvre une parfaite santé. Gilles comprit à ce miracle combien l’aumône était agréable à Dieu. Aussi, quelque temps après, la mort de ses parents l’ayant laissé maître d’une fortune considérable, il la distribua toute aux malheureux, se réservant pour lui-même de suivre Jésus-Christ dans la pauvreté volontaire, la souffrance et l’humilité.
De nouveaux miracles attirèrent sur le jeune homme l’attention de ses compatriotes. Un homme, piqué par un serpent, voyait déjà l’enflure gagner ses membres sous l’action d’un venin mortel, quand il fut subitement guéri par les prières du Saint. Un dimanche, un malheureux, possédé du démon, remplissait l’église de ses hurlements ; Gilles, qui était mêlé à l’assemblée des fidèles, força le malin esprit de quitter sa victime. Le jeune exorciste se vit dès lors entouré de la vénération publique, la foule se pressait sur son passage, répétait ses louanges, lui amenait des malades à guérir. L’humilité de Gilles s’effraya de tant d’honneurs. Il s’enfuit secrètement d’Athènes et s’embarqua sur un navire en partance pour l’Occident.
Ermite en France. — Saint Vérédème.
Le fugitif voguait avec assurance sur cette mer Méditerranée, jadis traversée par saint Paul et aussi par les premiers apôtres des Gaules, saint Lazare et ses compagnons, quand une tempête terrible s’éleva et le vaisseau courut les plus grands dangers. Gilles ne craignait pas la mort, mais, touché du désespoir des autres passagers, il se mit en prière et le Tout-Puissant calma les flots. On débarqua heureusement à Marseille, et le jeune Grec, remontant à l’intérieur, s’arrêta dans la ville d’Arles où il reçut l’hospitalité chez une pieuse chrétienne nommée Théocrita. Pendant que la charitable dame préparait le repas, Gilles entendit des gémissements venus de la chambre intérieure de la maison. « Hélas ! seigneur, dit Théocrita, c’est ma fille ; voilà trois ans qu’elle souffre de la fièvre, j’ai eu recours aux médecins, j’ai fait beaucoup de dépenses, tout est resté inutile. Si vous saviez quelque remède efficace, vous recevriez de grandes marques de ma reconnaissance. » Comment résister aux plaintes de cette pauvre mère, si charitable pour lui ? L’hôte de passage pria Dieu de rendre la santé à l’enfant, et l’enfant guérit. Mais Théocrita ne put témoigner longtemps sa reconnaissance à son bienfaiteur, qui alla se cacher dans les gorges solitaires et profondes traversées par le torrent du Gardon, dont les eaux élargies forment la rivière du Gard.
Le solitaire savait-il qu’un de ses compatriotes l’avait précédé dans ces parages ? S’il l’ignorait, ce dut être pour lui une bien agréable surprise de trouver en ce lieu un autre ermite, saint Vérédème, peut- être le futur évêque d’Avignon. Vérédème, Grec de nation, vivait dans une grotte naturelle, située sur la rive gauche du Gardon, non loin de Collias. Cette grotte, d’un accès difficile, et qui se prolonge assez loin dans la colline, est encore aujourd’hui un lieu de pèlerinage ; on y remarque trois petites croix taillées dans le roc. Peut-être le fervent ermite voulait-il affirmer par ce signe sa croyance à la Sainte Trinité. L’Athénien fugitif fut heureux de se mettre sous la direction de Vérédème, dont il avait reconnu bien vite l’éminente sainteté. Sous ce maître expérimenté dans les choses divines, Gilles fit de grands progrès dans l’oraison et l’union avec Dieu. Cependant, les habitants des villages voisins venaient parfois à la grotte prendre conseil des solitaires, solliciter le bienfait de leurs prières, et même la guérison de leurs maladies. La prière des ermites obtenait souvent des prodiges, dont le disciple avait soin de rapporter tout l’honneur à son maître. Ainsi advint-il lors d’une sécheresse désastreuse, que Dieu fit cesser à sa requête. La vénération des habitants en fut accrue d’autant, et Gilles craignit pour son humilité les dangers qui l’avaient forcé de quitter Athènes. Un jour qu’il était seul, on apporta un malade à son ermitage ; Gilles eut beau protester qu’il n’était qu’un pécheur et que Vérédème seul pouvait leur obtenir la guérison désirée, les paysans déclarèrent qu’ils ne s’en retourneraient pas avant que le malade n’eût recouvré la santé. Gilles céda à leurs instances, il pria Dieu de récompenser la foi de ces pauvres gens et le malade fut guéri. Mais le solitaire n’hésita plus. Malgré l’affection qu’il avait pour son maître, il lui dit adieu, et sans indiquer à personne le lieu de sa nouvelle retraite, il alla se fixer à six ou sept lieues de là, non loin du Rhône, dans une plaine sauvage, couverte de bois et de broussailles, alors appelée la « Vallée flavienne ».
La « Vallée flavienne ». — La biche amie. — La chasse royale.
Le temps qu’il avait passé sous la direction de saint Vérédème avait été pour Gilles comme un noviciat providentiel, pendant lequel il s’était formé à la vie religieuse. Il pouvait maintenant marcher seul dans un chemin connu de lui, sans craindre les surprises du démon trompeur. Ayant avisé dans la Vallée flavienne une grotte près de laquelle coulait une petite source, il rendit grâces à la Providence, et s’installa dans cette demeure avec autant de joie que s’il eût découvert un palais. Dégagé de toute préoccupation terrestre, tout à Dieu, il commença un genre de vie d’une ferveur et d’une austérité extraordinaires. Ses jours, ses nuits presque entières s’écoulaient dans une prière continuelle, dans l’adoration de Dieu et la contemplation des vérités célestes. Son âme, souvent portée sur les ailes de l’extase, semblait appartenir au ciel plutôt qu’à la terre. Ses pénitences étaient effrayantes, tellement que, plusieurs siècles après, on a cru en retrouver des marques visibles sur ses ossements. Il jeûnait tous les jours ; le lait d’une biche de la forêt, que la Providence lui envoyait, suffisait à son entretien. Trois années se passèrent de la sorte, pendant lesquelles ce solitaire inconnu du monde obtint pour les hommes beaucoup de grâces. Alors Dieu jugea bon d’employer son serviteur d’une manière plus directe à l’édification et au salut de ses frères.
A cette époque, écrit Jules de Kerval dans sa Vie de saint Gilles, les Wisigoths, établis en Espagne, possédaient une partie du sud de la Gaule ; ils étaient gouvernés par Wamba (670–680). Ce roi, qui se glorifiait de compter parmi ses ancêtres l’empereur Vespasien, prenait le surnom de Flavius. L’an 673, le comte Haldéric, gouverneur de Nîmes, se révolta contre lui et chassa du diocèse l’évêque Arégius, demeuré fidèle à son souverain. Flavius Wamba vint avec une armée assiéger la ville rebelle et la força à capituler. Il demeura quelque temps dans la contrée pour y établir la paix.
Un jour qu’accompagné d’une suite nombreuse il chassait dans la forêt, ses chiens poursuivirent la biche qui nourrissait Gilles. Exténuée de fatigue, près de tomber sous les coups des chasseurs, la pauvre bête accourut vers la grotte et, poussant des gémissements, implora le secours du Saint. Celui-ci sortit de la caverne : il entendit les aboiements des chiens et les cris des chasseurs… A la pensée du péril qui menaçait la biche, son cœur fut saisi de douleur ; il leva ses regards vers le ciel et, en versant des larmes, supplia le Seigneur de conserver la vie à cet innocent animal. Cependant, les chiens ne cessaient d’aboyer, sans néanmoins avancer vers la grotte… Un des chasseurs, pour faire sortir la biche de sa retraite, décocha une flèche à travers les broussailles. Elle atteignit à la main le serviteur de Dieu. Le roi, touché d’une crainte secrète et pressé par la nuit, se retira.
Il revint le lendemain, accompagné de l’évêque de Nîmes, et fit couper les buissons qui défendaient l’accès de la caverne. Il aperçut alors le Saint en prière, couvert de sang et protégeant la biche réfugiée auprès de lui. A l’aspect du saint ermite, plein de douceur et de majesté, orné de l’auréole de la sainteté et de la souffrance, le roi tombe à genoux, il lui demande pardon et veut faire panser sa plaie. Le Saint, se souvenant de cette parole de l’Apôtre : « C’est au milieu des souffrances que se perfectionne la vertu », n’y voulut point consentir. Il supplia Dieu de ne jamais permettre qu’il guérît de cette blessure, mais de l’éprouver sans cesse par de nouvelles douleurs. Cette scène charmante, empreinte d’une inexprimable poésie, est restée chez nos pères le trait le plus populaire de la vie de saint Gilles. Ils y voyaient une touchante image du rôle bienfaisant de l’Eglise protégeant le faible contre le fort, l’innocent contre l’oppresseur, et inspirant, à ces natures fières et sauvages du moyen âge, la douceur et l’horreur du sang, le plus beau et le plus incontestable caractère de la civilisation chrétienne.
Le monastère.
L’humble ermite avait espéré achever ses jours dans cette solitude silencieuse, sans être connu des hommes ; ce fut pour son âme une Vive douleur de se voir ainsi découvert, mais il se soumit pleinement à la volonté de Dieu. Le roi profitait de son séjour dans la contrée pour venir voir souvent l’homme de Dieu, dont il admirait la sainteté et dont les entretiens étaient grandement utiles à son âme. Il lui offrit souvent des présents de toutes sortes, mais l’ermite ne voulut jamais rien accepter. Un jour que le prince insistait davantage, Gilles lui dit : « Si vous tenez à signaler votre générosité dans une bonne œuvre, fondez un monastère où vous placerez des religieux d’une vie très régulière, qui serviront Dieu fidèlement jour et nuit et prieront pour vous. — Je veux bien, répondit Wamba, mais à une condition, c’est que vous consentirez à être supérieur de l’abbaye, et à diriger dans la vertu ceux qui viendront s’y consacrer au Seigneur. » Cette réponse déconcerta le solitaire ; il se croyait incapable et indigne de commander à personne, et peut-être songeait-il à se chercher quelque nouvelle retraite inconnue. Mais le roi le supplia si vivement, que Gilles eut peur d’empêcher, par un refus obstiné, une œuvre si utile à la gloire de Dieu et au bien des âmes. Il accepta.
Wamba, tout joyeux, donna immédiatement l’ordre de construire deux églises, et le bon ermite en indiqua l’emplacement et les dimensions ; l’une fut dédiée en l’honneur de saint Pierre et de tous les Apôtres, l’autre en l’honneur de saint Privat, évêque de Mende et martyr. Cette dernière était près de la grotte de l’homme de Dieu, qui ne voulut pas avoir d’autre cellule.
Un monastère s’éleva près de l’église Saint-Pierre. Le roi, avant de retourner en Espagne, avait fourni les sommes nécessaires aux constructions et donné à la nouvelle abbaye toute la Vallée flavienne, sur un rayon de quinze milles. De nombreux disciples, désireux de se consacrer à Dieu sous la direction de Gilles, ne tardèrent pas à peupler le monastère. L’ancien compagnon de saint Vérédème fut ordonné prêtre et conduisit sa famille religieuse avec un zèle plein de vigilance, de fermeté et d’incomparable douceur. Nul ne le surpassait dans les jeûnes, la prière et les saintes veilles.
Afin de donner à son œuvre toute la stabilité désirable, Gilles voulut la placer sous la protection du Pape. Il fît donc le pèlerinage de Rome, se prosterna avec amour aux tombeaux des saints Pierre et Paul, vénéra les souvenirs des martyrs, se présenta au Souverain Pontife, saint Benoît II, qui l’accueillit avec une bonté paternelle, et, par une Bulle datée du 26 avril 685, mit sous la juridiction immédiate du Saint-Siège le monastère de la Vallée flavienne. Le pèlerin quitta Rome, comblé de présents et de bénédictions.
Séjour en Espagne.
C’est une ancienne tradition de la Catalogne et des provinces voisines, que l’abbé du monastère Saint-Pierre a vécu quelque temps en Espagne. Sans doute céda-t-il de nouveau, peu d’années après son retour de Rome, en voyant sa fondation monastique solidement établie, à son attrait pour la vie solitaire et cachée. « La montagne de Nuria, au territoire de la ville de Caralps, sur les confins du diocèse d’Urgel, lui offrit une grotte profonde. Un manuscrit de la plus haute antiquité atteste que saint Gilles habita la montagne de Nuria, qu’il y sculpta l’image de la Vierge vénérée aujourd’hui, et qu’au moment de son départ, il la cacha dans la grotte où elle fut miraculeusement découverte en 1079, et où elle n’a cessé, depuis plus de huit siècles, d’opérer les prodiges les plus éclatants. » (Abbé d’Everiange.) On attribue le retour de Gilles en France, aux persécutions exercées contre les catholiques, par l’un des indignes successeurs de Wamba, le débauché Witiza, grand ennemi de la morale chrétienne, et dont le règne fut néfaste à l’Espagne qui, en 711, un an après sa mort, tomba sous le joug des Sarrasins.
Saint Gilles et Charles Martel. — Derniers jours.
Après avoir conquis l’Espagne, les sectateurs de Mahomet franchirent les Pyrénées en 719, et envahirent le midi de la France. Gilles se réfugia auprès de Charles Martel, duc d’Austrasie. Divers miracles signalèrent son voyage. A Orléans, il délivra un possédé du démon. Charles le reçut avec une grande joie, car il avait souvent entendu parler de ses vertus. La chronique rapporte que le duc, homme actif et vaillant, mais trop souvent dominé par ses passions, avait commis un péché grave, qu’il n’osait avouer à personne, pas même au Saint. Il se recommanda toutefois avec beaucoup d’instances à ses prières. Or, pendant que le serviteur de Dieu disait la messe et priait pour le duc d’Australie, un ange lui remit un billet où étaient écrits le péché de Charles et la promesse du pardon, en cas de repentir. Après la messe, le Saint montra le billet au duc : celui-ci, tombant à ses pieds, confessa qu’il était, en effet, coupable de cette faute, et en reçut l’absolution. En souvenir de ce trait, on invoquait autrefois saint Gilles contre la timidité qui paralyse parfois les pécheurs au tribunal de la Pénitence.
L’année 721, le duc Eudes d’Aquitaine ayant vaincu les Sarrasins dans une grande bataille livrée sous les murs de Toulouse, Gilles et ses religieux purent relever les ruines de leur monastère et reprendre leurs exercices réguliers. Le saint fondateur y acheva ses jours et mourut âgé d’environ quatre-vingts ans.
Le culte de saint Gilles. — L’abbaye et la ville.
Les nouvelles invasions des Sarrasins n’empêchèrent pas les moines d’affluer dans la Vallée flavienne. Les nombreux miracles opérés au tombeau du Saint rendirent son culte populaire dans tout l’Occident. Une ancienne ville, depuis longtemps ruinée, se reforma peu à peu autour de l’abbaye, qui devint, grâce à la science de ses religieux, le siège d’une école célèbre au moyen âge. De tous les points de la chrétienté on accourait en pèlerinage à Saint-Gilles, dont la population, sans cesse accrue aux xie, xiie et xiiie siècles, alla jusqu’à dépasser, dit-on, cent mille habitants. En 1095, le Pape, le bienheureux Urbain II, venu en France pour susciter l’héroïque mouvement des Croisades, s’arrête à Saint-Gilles et y consacre l’autel majeur d’une magnifique crypte ; sur cette église souterraine, ne tarde pas à s’élever une splendide basilique, la merveille de l’art romano- byzantin dans nos contrées occidentales.
L’un des chefs les plus intrépides de la première Croisade, Raymond IV, comte de Toulouse, qui, par dévotion pour le Saint, se faisait appeler Raymond de Saint-Gilles, tomba malade après la conquête de Nicée (1096). En quelques jours, raconte Raymond d’Agile, son chapelain et son historien, le mal fît d’effrayants progrès, et ce fut dans l’armée un désespoir immense. Or, un chevalier saxon se présenta sous la tente du malade, et lui dit : « A deux reprises votre patron saint Gilles m’est apparu : Va trouver, m’a‑t-il dit, mon serviteur Raymond de Saint-Gilles. Dis-lui qu’il ait bonne confiance, il ne mourra pas de cette maladie ; j’ai obtenu pour lui cette grâce et je continuerai à le protéger. » Cependant, la maladie poursuit son cours et ne laisse plus d’espoir. Guillaume, évêque d’Orange, qui avait administré au comte l’Extrême-Onction, commence les prières des agonisants avec le légat du Saint-Siège, Adhémar, évêque du Puy. Mais, dit l’historien, Dieu n’avait conduit le comte aux portes du tombeau que pour mieux faire éclater la puissance de saint Gilles et rendre subitement le moribond à la santé.
Au moyen âge, la France, la Belgique, l’Angleterre, l’Ecosse, la Pologne, glorifièrent le Saint par des églises et des chapelles bâties en son honneur. Edimbourg se targuait de posséder un monastère placé sous son vocable dès 1150, et surtout une relique insigne. Cette ville prit saint Gilles pour patron, et le représenta dans ses armes. Par la suite, le blason a changé, l’effigie du célèbre abbé en a disparu, mais la biche est restée au moins dans l’écusson complet.
Saint Gilles était invoqué contre la frayeur, l’incendie, l’épilepsie, la folie, la fièvre, etc. En 1085, Ladislas, prince de Pologne, et son épouse Judith, après avoir vu leur union demeurer stérile, obtenaient, par l’intercession du Saint, la naissance miraculeuse de Boleslas III. En 1633, Louis XIII et Anne d’Autriche, à l’occasion de la naissance de Louis XIV, ordonnèrent qu’une députation du clergé et de la noblesse se rendrait, neuf jours de suite, à l’église Saint-Leu-Saint- Gilles, à Paris, et que pendant cette neuvaine on ferait des prières solennelles au saint Abbé pour la conservation du royal enfant.
A l’époque de ce dernier événement, la ville de Saint-Gilles était bien déchue. La domination des Albigeois lui avait porté un premier coup ; les religieux eux-mêmes, oubliant leur ferveur primitive, ont demandé leur sécularisation en 1538 ; bientôt les protestants déchaînent la guerre civile contre leur patrie, des centaines d’églises sont renversées, la France déchirée. Pour soustraire le corps de saint Gilles à la fureur des hérétiques, on le transporte à Toulouse en 1552 ; la même année, les protestants pouvaient écrire dans leurs fastes ecclésiastiques, à la date du 15 septembre : « En ce jour, la ville de Saint-Gilles fut mise au pillage, les prêtres égorgés et jetés dans le puits qui est joignant l’église intérieure… » On reconnaît encore aujourd’hui, aux parois de la partie supérieure, de longues traces des martyrs. La belle basilique est renversée ; toutefois les protestants n’eurent pas le temps d’en détruire le portail. La Révolution n’oublia pas d’ajouter encore à leurs ravages.
Des fouilles entreprises au xixe siècle ont permis de retrouver, le 29 août 1865, le tombeau du Saint ; la crypte du xie siècle a été réparée, l’église paroissiale embellie. Toulouse a rendu quelques reliques du saint Abbé ; on en a trouvé d’autres fragments dans son tombeau. Le zèle des évêques de Nîmes et des curés de Saint-Gilles a ranimé la foi des fidèles, et des grâces éclatantes obtenues par l’intercession du Saint prouvent qu’il suffît de l’invoquer avec la même confiance que nos pères pour en obtenir les mêmes faveurs.
Sous le pontificat du bienheureux Urbain IV (xive siècle), la fête de saint Gilles a été placée au rang des fêtes simples.
Maxime Viallet.
Sources consultées. — P. E. d’Everlange, Saint Gilles et son pèlerinage (Avignon, 1876). — Jules de Kerval, Vie et culte de saint Gilles (Le Mans, 1876). — Remery Saint Gilles, sa vie, ses reliques (Bruges, 1881). — (V. S. B. P., n° 446.)