Saint Firmin d’Amiens

L'Arrestation de saint Firmin, Cathédrale d'Amiens

Premier évêque d’Amiens (IIIe siècle)
Fête le 25 septembre.

Article illus­tré avec les sculp­tures de la cathé­drale d’Amiens

La date à laquelle vécut et mou­rut saint Firmin a été très dis­cutée. Parfois on a vou­lu pla­cer sa pas­sion sous le règne de Trajan († 117), c’est-à-dire au début du IIe siècle. En s’ap­puyant sur les don­nées les plus sûres de la bio­gra­phie du Saint, où l’on voit inter­ve­nir saint Honeste, dis­ciple de saint Saturnin, les Bollandistes tiennent en sub­stance le rai­son­ne­ment suivant :

Saint Firmin est pos­té­rieur à saint Saturnin, et il fut bap­ti­sé par saint Honeste, dis­ciple de saint Saturnin. Or, ce que dit Grégoire de Tours à pro­pos de saint Saturnin ne per­met pas de l’éloigner du milieu du IIIe siècle – entre 250 et 260, – encore moins de le repor­ter à un siècle anté­rieur ; donc saint Firmin n’a pu vivre lui-​même avant la seconde moi­tié du IIIe siècle. Telle est aus­si l’opinion de Baronius et d’autres hagiographes.

Cette remarque s’imposait. Maintenant il ne reste plus qu’à suivre le récit des Actes de son mar­tyre, les­quels paraissent avoir été écrits au Ve ou au VIe siècle.

Le sénateur Firmus. – Sa conversion.

Au temps où la foi chré­tienne com­men­çait à fleu­rir à tra­vers le monde, la ville espa­gnole de Pampelune avait à la tête de sa noblesse un séna­teur riche, juste, paci­fique, appe­lé Firmus. Il vivait dans une grande paix avec sa femme, nom­mée Eugénie, remar­quable par sa beau­té et par l’intégrité de ses mœurs.

Suivant la cou­tume, Firmus s’é­tait ren­du au temple de Jupiter pour assis­ter à un sacri­fice. Soudain, au milieu des céré­mo­nies, les portes s’ouvrent et l’on voit entrer un étran­ger qui ne craint pas d’interrompre les louanges que l’on adres­sait aux dieux, par un dis­cours sur la faus­se­té de la reli­gion païenne.

Firmus, scan­da­li­sé, deman­da des expli­ca­tions que l’étranger lui don­na avec une grande fran­chise : cet inter­rup­teur n’était autre que saint Honeste, né à Nîmes, dis­ciple de saint Saturnin, évêque de Toulouse et dis­ciple des Apôtres, d’après la tra­di­tion. Le païen Firmus était un homme de bonne foi ; deux de ses col­lègues, Faustin et Fortunat, ne l’étaient pas moins. Ils convinrent de prier Honeste de faire venir l’évêque de Toulouse, et cette pro­po­si­tion fut accep­tée avec empressement.

Bientôt l’arrivée de Saturnin est annon­cée ; le bruit de ses mi­racles vole de bouche en bouche.

La semaine sui­vante, les trois pre­miers séna­teurs de la cité, Fir­mus, Faustin et Fortunat, se réunissent auprès de Saturnin, se font ins­truire plus com­plè­te­ment dans la reli­gion chré­tienne, reçoivent le bap­tême avec leurs familles, décrètent l’abolition du culte des idoles dans la ville de Pampelune et deviennent d’infatigables propaga­teurs de la foi chrétienne.

Saint Firmin, confié à saint Honeste, est ordonné prêtre, puis sacré évêque.

Firmus et Eugénie avaient trois enfants : deux fils, Firmin et Faustus, et une fille du nom d’Eusébie. L’éducation du pre­mier fut confiée à saint Honeste. Sous un tel maître, le jeune chré­tien, qui attei­gnait sa dix-​septième année, fit des pro­grès extra­or­di­naires dans la science et la ver­tu. Plus tard, saint Honeste, qui vieillis­sait, le prit pour com­pa­gnon dans ses courses apos­to­liques, et, témoin de son zèle et de ses autres qua­li­tés émi­nentes, il le juge digne de l’épiscopat et l’adressa au nou­vel évêque de Toulouse, saint Honorat.

Celui-​ci, recon­nais­sant dans ce clerc tous les carac­tères du véri­table apôtre, après lui avoir impo­sé les mains, lui adres­sa publi­que­ment ces paroles : « Réjouissez-​vous, mon fils, car vous avez méri­té d’être pour le Seigneur un vase d’élection. Allez, dans toute l’étendue des nations, vous avez reçu de Dieu la grâce et la fonc­tion de l’apostolat. Soyez sans crainte, car le Seigneur est avec vous ; mais, en toute cir­cons­tance, sachez qu’il vous fau­dra beau­coup souf­frir pour son nom avant d’arriver à la cou­ronne de gloire. »

Firmin, rem­pli d’une sainte allé­gresse, vint racon­ter à saint Honeste tout ce qui lui était arri­vé, séjour­na quelque temps à Pam­pelune et quit­ta pour tou­jours son père spi­ri­tuel, ses parents, sa patrie, heu­reux de tout sacri­fier pour gagner des âmes à Jésus-​Christ. Il avait alors envi­ron trente et un ans.

Telle aurait été, d’après les Actes de son mar­tyre, l’existence de Firmin anté­rieu­re­ment à son départ défi­ni­tif de Pampelune. Certains hagio­graphes de ces der­niers siècles ont cru devoir la sim­pli­fier en fai­sant de lui un conver­ti de saint Saturnin, qui, venu prê­cher le chris­tia­nisme à Pampelune, l’aurait à la fois bap­ti­sé sur place, ordon­né prêtre, puis dési­gné comme son suc­ces­seur sur le siège de cette ville.

Cette manière de voir est d’accord avec le sen­ti­ment des habi­tants de Pampelune qui ont insé­ré le nom de Firmin dans le cata­logue de leurs évêques où il occupe la pre­mière place. Volontiers nous nous ran­ge­rions à l’opinion des Acta Sanctorum qu’au contraire, Firmin ne semble pas avoir été consa­cré pour occu­per le siège épis­copal de Pampelune ; il suf­fit d’ailleurs de se rap­pe­ler que d’après ses Actes saint Honorat l’a envoyé prê­cher l’Evangile « dans toute l’étendue des nations ».

Il prêche l’Evangile à travers les Gaules.

Firmin com­men­ça son apos­to­lat dans le midi de la Gaule. Arrivé à Agennum (aujourd’hui Agen), où le paga­nisme domi­nait encore, il ren­con­tra un saint prêtre, nom­mé Eustache, et tra­vailla quelque temps avec lui à culti­ver dans ces contrées la foi que saint Martial de Limoges y avait semée quelque temps auparavant.

D’Agen, Firmin se ren­dit chez les Arvernes et s’arrêta près d’Augustonemetum (Clermont-​Ferrand), leur capi­tale. Arcade et Romule, les deux plus ardents sec­ta­teurs des idoles, mirent tout en œuvre pour arrê­ter les suc­cès de l’a­pôtre. Firmin engage avec eux une longue contro­verse sur la faus­se­té des idoles ; il mul­ti­plie les dis­cussions et sort vic­to­rieux de la lutte. Les deux ido­lâtres embras­sèrent la vraie reli­gion, détes­tèrent la leur ; ils atti­rèrent ain­si un grand nombre de païens sous l’étendard de la croix. Quand Firmin quit­ta le pays des Arvernes, la plus grande par­tie des habi­tants de la contrée pro­fes­saient le christianisme.

Du pays des Arvernes il pas­sa dans celui des Andes, c’est-à-dire en Anjou ; là l’évêque Auxilius le retint pen­dant quinze mois. Ses pré­di­ca­tions dans la ville et dans tout le pays y furent encore cou­ronnées de magni­fiques succès.

Une chose cepen­dant pré­oc­cu­pait beau­coup le mes­sa­ger de Dieu. Saint Honorat de Toulouse lui avait pré­dit de grandes souf­frances et jusque-​là il n’avait éprou­vé que des joies en com­pa­rai­son des­quelles les fatigues des voyages et de l’apostolat lui sem­blaient lé­gères. Dans son désir de souf­frir pour son divin Maître cru­ci­fié, il sou­hai­tait voir s’accomplir la pro­phé­tie de son consé­cra­teur. Il ap­prit alors que Valère, gou­ver­neur des Bellovaques (ter­ri­toire de Beau­vais), per­sé­cu­tait cruel­le­ment les chré­tiens. Emu par le récit lamen­table de leurs souf­frances et sur­tout pas­sion­né du désir de rece­voir la palme du mar­tyre, il prit le che­min de cette contrée, évan­gé­li­sant tout le pays qui se trou­vait sur son pas­sage. Les païens le firent pri­sonnier. Il espé­rait ver­ser son sang pour Jésus-​Christ, mais les chré­tiens l’arrachèrent à la prison.

Ici nous nous écar­tons du récit des Actes pour emprun­ter à des tra­di­tions locales des don­nées qui ont pour elles au moins leur anti­quité. Firmin s’empressa d’user de sa liber­té pour annon­cer la foi dans le pays de Caux et finit par entrer dans Beauvais. Il se mit alors à prê­cher avec ardeur les fidèles de cette Eglise, aban­don­nés à eux-​mêmes depuis le mar­tyre de l’évêque saint Lucien, à les encou­rager, à les for­ti­fier au milieu des embûches et des persécutions.

Valère croyait avoir noyé le chris­tia­nisme dans le sang des chré­tiens. Quelle ne fut pas sa fureur d’apprendre que, par le zèle d’un nou­veau Lucien, la reli­gion nou­velle mena­çait une seconde fois de rem­plir la cité ! Il jura de faire cou­ler dere­chef des flots de sang. Firmin, cité devant son tri­bu­nal, confes­sa géné­reu­se­ment la foi de Jésus-​Christ, fut cruel­le­ment bat­tu de verges, char­gé de chaînes et jeté dans un cachot noir et malsain.

Cette fois il se croyait assu­ré de la palme du mar­tyre. Dieu tou­tefois en déci­da encore autre­ment. Les ini­qui­tés de Valère étaient mon­tées à leur comble et le sang inno­cent criait ven­geance. Le per­sécuteur périt misé­ra­ble­ment dans une émeute popu­laire. Sergius, son suc­ces­seur, imi­ta sa cruau­té et périt éga­le­ment d’une mort subite et mal­heu­reuse. Les chré­tiens pro­fi­tèrent de ces évé­ne­ments pour déli­vrer leur Père.

Firmin recom­men­ça aus­si­tôt ses pré­di­ca­tions avec un cou­rage incroyable. Il alla jusqu’à faire bâtir au milieu de la cité ido­lâtre une église dédiée au pro­to­mar­tyr saint Etienne.

Le feu de la per­sé­cu­tion ne tar­da pas à se ral­lu­mer. Les chré­tiens, qui ne vou­laient pas pri­ver l’Eglise d’un si vaillant défen­seur, obli­gèrent leur intré­pide évêque à sor­tir de la ville. Le pon­tife alla por­ter la bonne nou­velle de la foi chré­tienne aux envi­rons de Beauvais ; ses enne­mis ne son­gèrent pas à l’y inquié­ter. Désespérant enfin de don­ner sa vie pour le Christ, il jeta les yeux sur les peuples du nord de la Gaule, encore ense­ve­lis dans les ombres de la mort : « Allons plus loin, dit-​il, vers les Ambiani, chez les Morins, ces hommes bar­bares dont la cruau­té fera cou­ler mon sang. »

Saint Firmin dans la ville d’Amiens.

Le 10 du mois d’octobre, Firmin arri­va près de la capi­tale des Ambiani. C’est au lieu où se trouve aujourd’hui la place Saint-​Martin, nous dit la tra­di­tion, qu’il s’arrêta en face du bois sacré et du châ­teau fort comme pour bra­ver le temple de Jupiter, et annon­ça pour la pre­mière fois aux Ambiani éton­nés la bonne nou­velle de l’Evangile.

Faustinien, l’un des prin­ci­paux séna­teurs, l’accueillit avec joie dans sa mai­son. L’apôtre de la Picardie bap­ti­sa sa famille et le reçut lui-​même au nombre des catéchumènes.

Empruntons encore aux sou­ve­nirs des régions qui avoi­sinent la Picardie et l’Artois. Firmin com­men­ça ses pré­di­ca­tions avec le zèle infa­ti­gable et le cou­rage dont il avait déjà don­né tant de preuves. Il joi­gnait aux charmes de son élo­quence le témoi­gnage invin­cible d’une suite non inter­rom­pue de miracles. Un jour, c’est Castus qui arrive au pied de la chaire, ne voyant que d’un œil : l’évêque lui rend l’autre en invo­quant sur lui les trois per­sonnes de la Sainte Trinité. Le len­de­main, deux lépreux étaient gué­ris. Des malades de toute sorte : des aveugles, des boi­teux, des sourds, des muets, des paraly­tiques, des pos­sé­dés du démon trou­vaient chaque jour, avec la san­té de lame, celle du corps. On conçoit faci­le­ment com­ment, avec de tels argu­ments, le nou­veau venu put conver­tir plus de trois mille per­sonnes, dans les trois pre­miers jours qu’il pas­sa dans la ville.

Quand Samarobriva (Amiens) fut deve­nue ville chré­tienne, Firmin sor­tit de son enceinte pour évan­gé­li­ser les autres cités de l’Ambianum. Il fît aus­si plu­sieurs voyages apos­to­liques dans la Morinie et prê­cha l’Evangile dans les villes de Thérouanne, de Boulogne, de Montreuil et dans une par­tie du Ponthieu. Toutefois, Amiens res­tait tou­jours sa ville ché­rie entre toutes, et il répé­tait sou­vent ces paroles à son peuple : « Mes fils, sachez que Dieu le Père, Créateur de toutes choses, m’a envoyé vers vous pour puri­fier cette cité du culte de ses idoles, pour vous prê­cher Jésus-​Christ, cru­ci­fié selon la fai­blesse de la chair ; mais vivant par la force de Dieu. » Il conti­nua son apo­stolat avec un suc­cès si extra­or­di­naire que peu de temps après les temples de Jupiter et de Mercure furent com­plè­te­ment déserts.

Saint Firmin devant les gouverneurs Sébastien et Longulus.

Sébastien et Longulus étaient gou­ver­neurs de la pro­vince de Gaule- Belgique dont Samarobriva fai­sait par­tie. Les prêtres de Jupiter por­tèrent devant eux des accu­sa­tions nom­breuses contre Firmin et ses dis­ciples. Les deux magis­trats vinrent de Trèves à Amiens et ordon­nèrent à tous les citoyens de se réunir dans le pré­toire au bout de trois jours.

Quand tout le peuple fut ras­sem­blé, Sébastien haran­gua la foule en ces termes : « Les très sacrés empe­reurs ont pres­crit que l’hon­neur et le culte dus à nos dieux immor­tels leur soient conser­vés dans toute l’étendue de l’empire, dans toutes les contrées du monde, par tous les peuples, par toutes les nations. Qu’on leur offre donc de l’encens sur ces autels, qu’on les vénère selon les antiques cou­tumes des princes. Si quelqu’un essayait de contre­ve­nir aux décrets des très saints empe­reurs ou d’y appor­ter la moindre oppo­si­tion, on lui infli­ge­rait toute sorte de tour­ments ; et d’après les décrets des séna­teurs et des princes de la République romaine, il subi­rait impitoya­blement la peine de mort. »

Auxilius, prêtre de Jupiter et de Mercure, prit ensuite la parole : « Il y a ici, dit-​il, un pon­tife des chré­tiens qui, non seule­ment dé­tourne la ville d’Amiens du culte et de la reli­gion des dieux, mais qui semble encore arra­cher l’empire romain et l’univers entier au culte des immortels. »

– Quel est cet impie ? reprend Sébastien.

– Il se nomme Firmin, pré­cise Auxilius, c’est un Espagnol habile, élo­quent, plein de saga­ci­té… Il prêche, et il détourne tel­le­ment le peuple de notre reli­gion qu’il ne vient plus per­sonne prier et offrir de l’encens dans les temples res­pec­tables de Jupiter et de Mercure ; il entraîne tous les séna­teurs dans la reli­gion chré­tienne. Si vous n’accablez cet homme de divers sup­plices pour offrir un exemple ter­rible au peuple, il met­tra bien­tôt toute la répu­blique dans un grand péril. Ecoutez donc nos sages conseils, très excellent gou­ver­neur ; sau­vez la République, déli­vrez nos dieux et nos déesses de ce péril immi­nent. Faites com­pa­raître le cou­pable ici devant votre tri­bu­nal, en pré­sence de tout le peuple.

Sébastien ordon­na à ses sol­dats de se sai­sir de Firmin et de le lui ame­ner dans deux jours aux jeux du théâtre, à la porte Clipienne.

Firmin apprend que les sol­dats le cherchent, il vient lui-​même se pré­sen­ter au pré­toire, et pro­clame hau­te­ment, avant même d’être inter­ro­gé, qu’il faut ado­rer Jésus-​Christ et détruire les idoles.

– Es-​tu ce mal­fai­teur, inter­roge Sébastien, cet impie qui veut ren­ver­ser les temples des dieux, et éloi­gner le peuple de la reli­gion des très saints empe­reurs ? Quel est ton nom, ta patrie, ta condition ?

– Je m’appelle Firmin ; je suis Espagnol, séna­teur, citoyen de Pampelune ; chré­tien par la foi et par la doc­trine ; je suis évêque et j’ai été envoyé pour prê­cher l’Evangile du Fils de Dieu, afin que les peuples et les nations sachent qu’il n’y a pas d’autre Dieu ni dans le ciel ni sur la terre que celui que je prêche ; Dieu qui créa tout de rien et par qui tout sub­siste. Il est entou­ré des anges et des Vertus célestes ; il tient en ses mains la vie et la mort, et rien n’échappe à sa puis­sance. Au ciel, sur la terre, dans les enfers, tout genou flé­chit devant lui. Il abaisse ou détruit les royaumes. Il brise les sceptres des rois. Les géné­ra­tions s’écoulent et changent autour de Lui : Lui seul ne change pas. Lui seul reste immo­bile en face de la mobi­li­té des siècles. Quant aux dieux que vous ado­rez, sous l’in­fluence per­fide des démons, ils ne sont que des simu­lacres sourds, muets, insen­sibles, qui trompent les hommes et pré­ci­pitent leurs ado­ra­teurs au fond de l’enfer. Je déclare donc ici libre­ment qu’ils ne sont que des fabri­ca­tions dia­bo­liques, et que vous devez les renier si vous ne vou­lez être englou­tis vous-​mêmes dans les abîmes éter­nels du Tartare, où gémit la puis­sance infernale.

A ces mots, Sébastien, trans­por­té de colère, pous­sa un grand cri, et d’une voix écla­tante pro­non­ça cette sentence : 

– Au nom des dieux et des déesses immor­tels, au nom de leur invin­cible puis­sance, je t’adjure de lais­ser ta folie et de ne pas aban­don­ner la reli­gion qu’ont pra­ti­quée tes pères ; sinon, tremble devant les tour­ments qui t’attendent, devant la mort igno­mi­nieuse que tu endu­re­ras en pré­sence de toute cette assemblée.

– Sache, réplique Firmin, que je ne crains ni ta per­sonne ni tes tour­ments. Je gémis plu­tôt sur ta folie et ta vani­té, toi qui oses croire que la diver­si­té et la mul­ti­pli­ci­té des tor­tures puissent faire trem­bler un ser­vi­teur de Celui qui est le Maître du monde. Accumule les sup­plices : Dieu pro­por­tion­ne­ra ses secours pour me faire obte­nir la cou­ronne de la gloire impé­ris­sable. Je ne veux pas échap­per aux souf­frances dont tu me menaces en sacri­fiant l’éternité de bon­heur que le Fils de Dieu me réserve dans son royaume. Pour toi, tu seras condam­né aux flammes éter­nelles de l’enfer, à cause des cruau­tés que tu exerces envers les ser­vi­teurs de Dieu.

Tout le monde admi­ra la constance du mar­tyr et la fer­me­té de ses réponses. Soudain un mou­ve­ment d’agitation se pro­duit dans le sein de la vaste assem­blée : le peuple, se rap­pe­lant les miracles que l’évêque accom­plis­sait chaque jour, vou­lait l’arracher de vive force des mains du pré­sident. Sébastien effrayé, crai­gnant de pro­vo­quer une émeute popu­laire, leva la séance et lais­sa son contra­dic­teur en liber­té. Mais il ordon­na secrè­te­ment à ses sol­dats de l’arrêter un peu plus tard, de le conduire en pri­son, de lui tran­cher la tête pen­dant la nuit et de cacher son corps afin de le sous­traire à la véné­ra­tion des chrétiens.

Martyre de saint Firmin.

L’évêque conti­nua de pro­cla­mer la véri­té évan­gé­lique avec la même ardeur ; mais bien­tôt les satel­lites du gou­ver­neur l’arrêtèrent et l’en­fermèrent dans un cachot ; et, quand Samarobriva fut ense­ve­lie dans les ombres de la nuit, des sol­dats se ren­dirent à la pri­son pour accom­plir les ordres de Sébastien.

Dès que le pri­son­nier les aper­çut, il tom­ba à genoux, et ver­sant des larmes de joie il adres­sa à Dieu cette prière : 

– Je vous rends grâces, ô Seigneur Jésus-​Christ, sou­ve­rain rému­né­ra­teur de tous les biens, ô bon Pasteur, de ce que vous dai­gnez m’adjoindre à la so­ciété de vos élus. Ô Roi misé­ri­cor­dieux et très clé­ment, veillez sur ceux que vous avez appe­lés par ma voix, et dai­gnez exau­cer tous ceux qui vous invo­que­ront en mon nom. 

Comme il ache­vait ces mots, un sol­dat lui tran­cha la tête.

Martyre de saint Firmin

Ainsi mou­rut saint Firmin, le pre­mier évêque d’Amiens, à une date que la tra­di­tion des anciens mar­ty­ro­loges fixe au 25 sep­tembre. Le corps du mar­tyr, adroi­te­ment déro­bé par le séna­teur chré­tien Faustinien, fut digne­ment ense­ve­li dans un sépulcre neuf, et plus tard, saint Firmin le Confesseur fit bâtir au-​dessus de son tom­beau une église dédiée à la Sainte Vierge.

Culte de saint Firmin.

Avec le temps se per­dit le sou­ve­nir du lieu pré­cis de la sépul­ture de saint Firmin ; ses reliques furent retrou­vées par un de ses succes­seurs, connu et hono­ré sous le nom de saint Saulve, entre 588 et 614.

Vers l’an 1110, sous l’épiscopat de saint Godefroy, le corps fut dépo­sé dans une châsse pré­cieuse. Cinq ans après, la ville d’Amiens fut rui­née par un incen­die qui la détrui­sit presque de fond en comble ; l’église Saint-​Firmin, qui était alors la cathé­drale, demeu­ra debout par­mi quelques rares édifices.

A la fin du xiie siècle, au temps de l’évêque Théobald d’Heilly, les reliques furent dépo­sées dans une riche châsse, ornée de pier­re­ries, qui exis­tait encore à la veille de la Révolution.

En dehors d’Amiens, le culte et la mémoire de saint Firmin de­meurèrent vivants aus­si dans le Beauvaisis et en Normandie, spéciale­ment à Rouen et dans l’ancien dio­cèse de Lisieux. Il en est de même de la pro­vince espa­gnole de Navarre et de Pampelune qui l’honorent pour patron. En cette der­nière ville sa fête est au 9 juillet.

Bernardin Menthon.

Sources consul­tées. – Acta Sanctorum, t. VII de sep­tembre (Paris et Rome, 1867). – (V. S. B. P., n° 451.)