Les nouveaux saints sont-ils vraiment saints ?
« Santo subito », « saint tout de suite » disait une banderole lors des funérailles de Jean Paul II. Pour la mort de sœur Térésa, il a été aussi question de la proposer comme sainte. Vu son œuvre magnifique de dévouement qui peut avoir l’audace de s’y opposer ? Pour l’abbé Pierre ce sont des propositions plutôt vagues qui ont été émises. Il a fait du bien, et puis avec sa bonne bouille façon St Vincent de Paul on aurait pu confectionner de superbes statues qui se seraient très bien vendues. Cependant, on le comprend, ce n’est pas un motif suffisant pour le déclarer saint. Maintenant on évoque très légèrement aussi une certaine sainteté pour la sœur Emmanuelle qui vient de disparaître. Elle vient après les autres, c’est toujours ennuyeux de recommencer les mêmes discours. Bien sûr on vante ses grands mérites et sa largeur d’esprit car elle n’était pas « intégriste ».
Sont-ils saints ? Il y aurait beaucoup d’objections à faire. La sainteté ne nécessite pas que des qualités exceptionnelles. La fidélité aux dogmes (dans leur intégralité et leur intégrité ) et à toute la morale catholique ne sont pas des accessoires, sauf il est vrai depuis Vatican II. Mais ne répondons pas à la question, ce n’est pas le but de cet article.
Contentons-nous ici à l’occasion de la fête de la Toussaint de donner des précisions de théologie morale concernant les œuvres vraiment saintes. En effet, si toutes les œuvres saintes sont bonnes il ne faut pas en conclure pour autant que toutes les œuvres bonnes sont saintes. Dieu ne nous demande pas uniquement de faire le bien comme les athées ou les infidèles le font, mais Il veut que nous fassions le bien parce que nous sommes ses enfants par le baptême.
Il y a un grand principe qui doit nous guider, « l’homme voit ce qui paraît au dehors, Dieu voit le fond des cœurs. » : cela veut dire que Dieu voit principalement la grâce qui habite les âmes.Parfois et même souvent les œuvres apparemment les meilleures aux yeux des hommes sont entachées d’un vice qui les gâte radicalement aux regards de Dieu au point qu’Il ne peut pas les reconnaître : « nescio vos » « je ne vous connais pas ». En effet, dans ces œuvres il manque la grâce. Voilà pourquoi saint Paul a pu dire « quand bien même je donnerai tous mes biens aux pauvres, si je n’ai pas la charité je ne suis rien ». Cette parole signifie nettement que l’on peut donner beaucoup, tout même, sans la moindre charité, sans la grâce, c’est-à-dire sans être agréable à Dieu.
A propos des œuvres, la théologie fait quatre distinctions intéressantes qui nous permettent de porter un jugement vrai sur les réalités invisibles et surnaturelles.
- Il y a d’abord les « opera viva », les œuvres vivantes, les seules vraiment dignes de Dieu car elles ont deux qualités indispensables : elles sont objectivement bonnes et elles procèdent de la grâce. Si vous êtes en état de grâce et que vous faites le bien comme par exemple l’aumône ou votre devoir d’état (le ménage, la vaisselle ou écrire tant bien que mal un article pour un bulletin …etc), ces œuvres sont vivantes en raison de l’état de grâce ou de vie surnaturelle qui vous habite. Ces œuvres sont méritoires pour le ciel et ce mérite est plus ou moins grand selon le degré de perfection d’amour de Dieu que vous apportez en agissant. Ainsi la même bonne action peut être plus méritoire chez l’un que chez l’autre, n’insistons pas.
- Il y a ensuite les « opera mortua » les œuvres mortes. Quelles sont-elles ? disons tout de suite qu’il ne s’agit pas, comme on pourrait l’imaginer, d’œuvres franchement mauvaises comme mentir, voler, paresser, insulter. Au contraire les œuvres mortes sont objectivement bonnes : prier, donner un bon conseil, rendre service. Alors pourquoi sont-elles mortes si elles sont bonnes ? Elles ont un défaut essentiel : elles sont faites en état de péché mortel, elles ne sont pas vivifiées par la grâce sanctifiante. Ainsi il y a des hommes sur cette terre qui sont en état de péché mortel et qui font du bien et même beaucoup de bien, c’est certain et ce n’est pas contradictoire. Ce bien qu’ils font, de bien ne devient pas un mal à cause de leur état de pécheurs, non. S’ils éduquent bien leurs enfants c’est un bien, s’ils sont honnêtes et payent leurs dettes c’est aussi un bien et s’ils sont polis, aimables qui dira que c’est un mal ? Mais parce qu’ils sont en état de péché mortel (leur âme est souillée d’un ou plusieurs péchés graves non remis par l’absolution du prêtre) tout ce qu’ils font est sans aucun mérite pour le ciel, c’est vraiment zéro, ces œuvres sont des « opera mortua » des œuvres mortes. Voilà pourquoi il peut y avoir des personnes admirables à certains égards mais dont le mérite surnaturel est un néant total. Quel dommage ! Dieu qui est juste les paye ordinairement en ce monde par le succès de leurs entreprises ou un bonheur terrestre prévoyant leur damnation future. Ainsi ils reçoivent des ici-bas la récompense naturelle de leurs vertus simplement naturelles. Pour nous gardons-nous de recevoir en ce monde une telle récompense, visons le ciel et les opera viva.
- La théologie catholique donne d’autres précisions. Après les œuvres vivantes qui sont vraiment saintes, après les œuvres mortes qui sont bonnes mais nulles du point de vue surnaturel à cause de l’état du pécheur, il y a aussi les œuvres mortifères, les « opera mortifera ». Qu’est-ce que cela ? C’est très simple à comprendre. Les œuvres mortifères sont les œuvres mauvaises, les péchés graves qui donnent la mort spirituelleà l’âme en la séparant de Dieu. En effet le péché grave met l’âme dans un état d’inimitié avec Dieu. Imaginons un moine plein de mérites qui tombe par faiblesse dans une faute grave. Pauvre moine. Ce moine perd tous ses mérites devant Dieu et son péché le met dans un état objectif d’inimitié. Terrible effet du péché. L’œuvre mortifère porte ce nom parce qu’elle anéantit tous les mérites acquis durant l’état de grâce. C’est un véritable cataclysme spirituel. Plusieurs péchés mortels enfoncent l’âme dans un état toujours plus profond de ténèbres.
- Enfin il y a aussi les « opera mortificata » les œuvres mortifiées. Disons tout de suite qu’il s’agit des œuvres bonnes et saintes (les œuvres qui ont plu à Dieu lorsqu’elles ont été faites) mais rendues nulles à cause d’un péché mortel subséquent (elles ne plaisent plus maintenant c’est-à-dire tant que dure l’état d’inimitié). On les appelle mortifiées non pas que les œuvres bonnes surnaturellement soient devenues mauvaises, mais le mérite de ces œuvres n’a plus cours à cause de l’état actuel du pécheur. Heureusement les œuvres mortifiées peuvent revivre, reprendre leur valeur méritoire après avoir reçu l’absolution par le prêtre du (des) péché(s) mortel(s). Ainsi le moine ira confesser ses péchés et il retrouvera tous ses mérites perdus : Deo gratias !
Tout cela pour dire que nous devons viser un seul objectif dans notre vie : faire le bien avec la grâce sanctifiante. Les louanges des hommes ne nous apportent aucun mérite supplémentaire aux yeux de Dieu, elles sont même souvent un mauvais signe car le Christ a dit : « Malheur à vous lorsque tout le monde dira du bien de vous ». La gloire que reçoit quelqu’un lorsqu’il est déclaré saint par le monde ne lui servira pas à grand chose s’il n’est pas trouvé saint comme Dieu le veut. L’admiration des hommes et la multiplicité de ses œuvres simplement bonnes ne le consolera pas s’il doit entendre un jour avec les réprouvés « allez vous en maudits au feu éternel ».
Abbé Pierre Barrère †
Extrait du Sainte Anne n° 203 de novembre 2008