En cette période préélectorale, les discours vont bon train, même dans les milieux catholiques. Lorsque se pose la question de l’engagement politique du chrétien, certains répètent à l’envi de vieux slogans tels que :
« L’Église ne doit pas faire de politique et le chrétien en tant que tel non plus » ou « le gouvernement d’un État est une chose, la religion en est une autre », etc.
Il n’est pas inutile, je pense, puisque les circonstances s’y prêtent, de réfléchir un peu, à la lumière des enseignements du magistère, sur le rôle et les devoirs du chrétien dans la cité.
La situation actuelle
Depuis la Révolution française, les Etats modernes sont régis par des principes issus de l’esprit révolutionnaire. L’autorité est considérée comme venant du peuple qui, par l’expression de sa volonté, détermine ce qui doit avoir force de loi. Il n’y a plus, comme dans la société traditionnelle, de référence à des valeurs supérieures , intouchables : la loi naturelle et la loi divine.
Quand la majorité se prononce pour des lois iniques (divorce, avortement et bientôt euthanasie) qui contredisent le droit fondé sur la nature elle-même, ces lois deviennent les nouveaux commandements de l’homme moderne, qui ayant rejeté Dieu, veut être sa propre loi. Ainsi le troisième article de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 énonce que « le principe de toute autorité souveraine réside essentiellement dans la nation » et le quatrième que : « la loi est l’expression de la volonté générale. » Malgré cet état de choses, l’Église souhaite que tout chrétien se batte pour la cité, pour faire triompher, dans les États, la loi de Dieu et l’enseignement de Notre- Seigneur Jésus-Christ.
Les catholiques et la politique
Dieu, étant le créateur de l’homme avec sa nature sociale, est aussi le créateur de la cité.
Dans toute société, l’autorité a pour mission de rechercher le bien commun. Pour cela, en premier lieu, il faut que soit respectée la loi naturelle, en quelque sorte « mode d’emploi » de cette machine qu’est la nature humaine. Faire abstraction de l’une, c’est s’exposer à détraquer l’autre.
Et puisque la cité est composée d’hommes qui ont une nature déchue à cause du péché originel, pour parvenir à la vertu – fondement de la vie sociale et condition du bien commun – l’État a besoin de l’œuvre bienfaisante de l’Église et des moyens de sanctification, c’est-à-dire des sacrements.
Dieu s’étant révélé aux hommes, il faut aussi que la cité reconnaisse la véritable religion pour rendre à Dieu le culte public qu’elle lui doit puisqu’elle est sa créature. Tout chrétien doit œuvrer pour établir un tel ordre des choses. Nous demandons chaque jour dans le Pater : « que votre règne arrive ». Il s’agit bien sûr, en premier lieu, du règne de Dieu sur les âmes ; mais aussi du règne social de Notre-Seigneur, roi des cœurs, des familles, des nations.
Le salut des âmes est facilité ou entravé par la constitution politique des États. Car, comme le fait remarquer saint Alphonse de Liguori :
Ce qu’un souverain, touché par la grâce de Dieu, peut faire dans l’intérêt de l’Église et des âmes, mille missions ne le feront jamais.
Il s’ensuit que l’Église ne peut se désintéresser de l’organisation sociale sans se désintéresser du salut du plus grand nombre. Les chrétiens ont donc vocation à faire de la politique, si l’on entend par là « se proposer d’infuser dans toutes les veines de l’État, comme une sève et un sang réparateur, la vertu et l’influence de la religion catholique. »[1] Le Père Sertillanges disait :
Il y a une politique chrétienne en ce sens qu’il y a une façon chrétienne de concevoir la vie en société et le gouvernement des hommes.
R.P. Sertillanges, Politique chrétienne, cité dan s J. Bricout, Dictionnaire des connaissances religieuses, art. « Politique »
Chaque chrétien est donc tenu, selon son état de vie et ses capacités, de jouer le rôle voulu par Dieu dans le combat politique, au niveau où il est placé.
Le vote
Bien qu’ayant condamné plusieurs fois les principes révolutionnaires nés au siècle des Lumières, l’Église ne considère pas que les moyens offerts par les constitutions modernes pour mettre en place un gouvernement, notamment le vote, soient en eux-mêmes mauvais. En outre, il est faux de dire que le chrétien qui accepte d’utiliser ces moyens en cautionne implicitement les principes erronés.
Quand il s’agit des droits fondamentaux de la famille et de l’État, des droits de Dieu et de l’Église, tous, hommes et femmes, de n’importe quelle classe ou condition, sont strictement tenus à user de leurs droits politiques au service de la bonne cause.
Pie XII , aux ouvriers catholiques, 15 août 1945.
Reste à voir quand cela engage en conscience et dans quelles limites.
Les chrétiens et les partis politiques
L’Église, tout en encourageant ses fils au combat pour la cité, ne s’identifie elle-même à aucun parti politique. Il y a en effet plusieurs façons, qui peuvent être légitimes, de concevoir l’organisation de la cité. Elle donne cependant les principes dont les partis doivent s “inspirer pour contribuer véritablement au bien de l’État.
C’est sa doctrine sociale , qui découle de l’enseignement de Notre Seigneur, et qui seule peut apporter la paix. Elle est admirablement résumée dans de célèbres encycliques, comme Rerum novarum de Léon XIII et Quadragesimo anno de Pie XI.
Pour cela l’Église met en garde ses fils et leur défend de militer dans des partis politiques qui combattent sa doctrine, qui s inspirent par exemple de philosophies marxistes et athées, comme le communisme ou le socialisme. Elle leur défend de favoriser des hommes politiques qui font ouvertement partie de sociétés luttant contre l’Église, comme la Franc-maçonnerie, ou encore de soutenir des programmes politiques qui vont directement contre la loi naturelle, acceptant par exemple l’avortement ou le « mariage » homosexuel.
L’art du possible Quand on ne peut voter que pour des personnes qui soutiennent de telles idées, il n’y a bien sûr aucune obligation morale au vote. Il faut cependant continuer à mener le combat politique par tous les moyens possibles : organiser des noyaux locaux, qui se forment à la bonne doctrine et qui soient capables de suivre l’actualité et de mener des actions ponctuelles, sans crainte de se lancer, de prendre des responsabilités, quand l’occasion se présente, dans telle ou telle mairie. En revanche, s’il y a des hommes qui se proposent de défendre la loi naturelle, la famille , d’abroger des lois telles que celle d e l’avortement, on est tenu en conscience de prendre tous les moyens légitimes (dont le vote) pour faire triompher ces idées.
Dom Prummer fait même un devoir aux prêtres d’exhorter les fidèles à remplir leur devoir électoral.[2]
Pie XII parle de la même façon.
L’exercice du droit de vote est un acte de grave responsabilité morale. Pour le moins s’il s’agit d’élire ceux qui sont appelés à donner au pays sa constitution et ses lois, celles en particulier qui touchent par exemple la sanctification des fêtes, des mariages, la famille, l’école, le règlement selon la justice et l’équité des différentes conditions sociales. Il revient donc à l’Église d’expliquer aux fidèles les devoirs moraux qui dérivent de ce droit électoral.
Pie XII, 16 mars 1946.
Voter pour quelqu’un ne signifie pas forcément être d’accord totalement avec ses idées, mais voir concrètement, que, en l’état actuel des choses, cette personne peut le mieux défendre la loi naturelle, s’inspirer le plus de la doctrine sociale de l’Église.
Quand le choix se présente entre plusieurs candidats, je pense que la prudence devrait nous pousser à choisir celui qui a objectivement le plus de chances d’avoir une influence sur la vie sociale. N’oublions pas que la politique est l’art du possible. [3].
Et, sans nous contenter de pleurer dans un coin les maux de notre époque, sachons utiliser tous les moyens liciites que la Providence nous donne pour le triomphe du bien.
Abbé Pierpaolo-Maria Petrucci