Au sommaire, un dossier complet sur « Vin et santé » et des nouvelles de la prochaine mission Rosa Mystica, dans les montagnes de Sarangani.
Editorial
« Quand le vin est pur, il fait voir Dieu[1] »
Tout homme français de ma génération a une histoire personnelle avec le vin. Sans grande originalité, la mienne commence dans l’enfance avec un peu de « vin de pays de l’Hérault » pour teinter le verre d’eau du dimanche à déjeuner. On pourrait appeler cela la « grenadine des années 60 » ! C’était l’époque du litre en verre, à étoiles. Lorsque l’on retournait chez l’épicier – on ne parlait pas de caviste à l’époque – faire « le plein », on rapportait la bouteille vide qui était consignée. C’est un souvenir sans émotion, une expérience sans joie. Je suis trop jeune pour avoir connu le vin à la cantine scolaire. L’intérêt réel pour le nectar m’est venu au sortir du cercle familial. Le déclic a été ma nomination comme interne au centre hospitalo-universitaire de Tours dont la faculté de médecine[2] porte le nom de François Rabelais ! Tout un programme ! Tel un anti Rastignac, ravi de quitter la vie trépidante de la capitale, je m’installais sur les bords de la Loire, au pays de la douceur de vivre, sans savoir que j’y ferai bientôt connaissance de la dive bouteille. J’ai rapidement été conquis par les arômes du cabernet franc et du chenin en visitant la magnifique cave du cuisinier de l’hôpital, creusée dans le tuffeau, où il veillait amoureusement sur ses 3000 bouteilles. Oublié le gros rouge de la table familiale ! Autre anecdote savoureuse, celle de cette vente aux enchères d’une cave issue d’une succession. L’homme – car le vin était encore affaire d’homme – avait amoureusement mis en bouteille des cuvées de vin liquoreux glanées à droite et à gauche. Les bouteilles n’étaient pas étiquetées et le commissaire-priseur ne pouvait garantir ni les appellations ni les millésimes qui étaient indiqués sur le plan de cave. Seule solution raisonnable et honnête : la dégustation. Tous les acheteurs potentiels étaient donc arrivés verre à la main et, pour chaque nouveau lot, on débouchait un flacon que tout le monde pouvait goûter. La bouteille de vin perdue dans cet exercice était, à mon avis, largement compensée par l’augmentation des enchères, probablement parallèle à celle de l’alcoolémie. Le clou de la vente fut un Vouvray moelleux 1947[3], véritable or liquide, et qui reste une de mes grandes émotions œnophiles. Le prix de 160 Fr. la bouteille étant trop élevée pour ma petite bourse d’interne, je suis reparti en possession d’un magnum de coteau du Layon du millésime 1937 ou 1943 et avec lequel je me suis régalé quelques années plus tard. Voilà le type de distraction mémorable que m’a laissé un internat en chirurgie par ailleurs particulièrement chronophage.
J’accédais alors, sans le savoir, et par un chemin détourné, à un fleuron de la culture française. La France a d’ailleurs intégré le vin dans son patrimoine culturel, gastronomique et paysager par la publication de la loi n° 2014–1170 du 13 octobre 2014 d’Avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. Si le vin n’est pas un produit spécifiquement hexagonal, étant né dans le pourtour méditerranéen, on peut affirmer, sans être accusé de chauvinisme, que c’est en France qu’il nous fournit encore et toujours sa plus belle expression, malgré une concurrence récente et vigoureuse du nouveau monde et de l’hémisphère sud. Il est également reconnu comme un produit de cohésion sociale et il est très certainement, au moins partiellement, à l’origine de ce que l’on appelle l’esprit français. Parmi des milliers d’exemples, il en est un que je trouve savoureux, de Corneille : « Ci-gît Jean qui baissait les yeux, à la rencontre des gens sobres, et qui priait tout bas les dieux, que l’année ait plusieurs octobre ». Rabelais, Baudelaire, Brassens[4] et quelques autres ne sont pas de reste sur ce sujet. La peinture, la sculpture, le cinéma ont également célébré ce doux breuvage. Mais s’il est un art tout particulièrement français dans lequel le vin joue une partition majeure, c’est celui de la gastronomie. Dans l’art de la table, le vin a la première place. C’est en général autour de lui que l’ordonnance du repas sera établie. Il donne le ton du festin. Léon Daudet écrivait : « Le vin informe et commande l’art concomitant du fourneau ». Et pour Alexandre Dumas : « Le vin est la partie intellectuelle d’un repas. Les viandes et les légumes n’en sont que la partie matérielle ». Le service du vin lui-même est une quasi liturgie, depuis la descente à la cave pour le choix de la bouteille, office dans lequel mon beau-père nonagénaire excelle encore, jusqu’au chambrage, carafage et nombreux commentaires, plus ou moins adéquates, sur les qualités et défauts du produit, son évolution et le regret de l’avoir trop ou pas assez attendu. La pire des grossièretés, devant une belle bouteille, serait de n’en point parler[5] ! La culture de la vigne est également un art reposant sur une tradition et une connaissance des techniques, des climats et des terroirs, transmise par les nombreuses générations précédentes. Paul Claudel a écrit : « Un grand vin n’est pas l’ouvrage d’un seul homme, il est le résultat d’une constante et raffinée tradition. Il y a plus de mille années d’histoire dans un vieux flacon »[6]. Pendant le même temps, la culture du blé n’a pas permis, par une évolution semblable, de produire des pains « cru exceptionnel ». Même si la vigne existait déjà en Gaule, c’est la Pax Romana et ensuite l’Église qui ont offert la stabilité permettant son développement et celui du vin. Notons une curiosité anecdotique mais qui ne vaut que pour la France : avec la civilisation, et en particulier chrétienne, le vin a remplacé la bière, la fameuse cervoise tiède d’Astérix, mais actuellement nous assistons à son reflux. La consommation de vin est en berne. La bière est en train de reprendre le dessus parallèlement au déclin de la Chrétienté. Le Daily Telegraph, trop heureux de pouvoir critiquer les mangeurs de cuisses de grenouilles, écrit : « Les vétérans de l’œnologie française manquent à leur devoir patriotique en se montrant incapables de transmettre leur amour d’un bon millésime à la génération suivante ». Apparemment il n’y a pas que le catéchisme qui souffre d’un déficit de transmission chez le « citoyen du monde » hors-sol 2023 ! Pour en savoir plus sur l’histoire d’amour du vin et de la Chrétienté, lisez Les vignerons du ciel, le très beau livre du général Paitier, qui nous fait l’honneur de participer à ce numéro des Cahiers Saint Raphaël. Le vin est cité 443 fois dans la Bible. Je tire une leçon de l’Ancien Testament parmi d’autres : lors de l’arrivée des Hébreux en Terre Promise, ils y trouvent la vigne et l’olivier. Aujourd’hui les travaux de Serge Renaud et Michel de Lorgeril ont démontré que le vin et l’huile d’olive sont les principaux acteurs du régime méditerranéen, réputé bienfaisant pour le système cardio-vasculaire. Le Créateur prend soin de ses créatures. La vie publique du Christ commence à Cana en Galilée et pour son premier miracle, par l’intercession de la Vierge Marie, il transforme l’eau des ablutions en grand cru « et ses disciples crurent en lui » ! Nous pouvons être rassurés ; il ne s’agit pas d’un produit toxique. Une consommation raisonnable de vin ne peut être nuisible à notre santé. Saint Paul, saint Jean Chrysostome, saint Benoît nous disent tous de boire un peu de vin et les médecins modernes ne disent pas le contraire. Mais gare à l’ivresse ! Saint Basile le Grand est sévère ! « L’ivresse est la mère du vice, l’ennemie de la vertu. […] Celui qui boit avec excès altère l’usage de ses sens, et se met encore par-là au-dessous de la bête. Est-il un animal broutant en qui l’ouïe et la vue soient aussi dénaturées que dans les gens ivres ? […] Jusques à quand vous livrerez-vous aux excès de l’ivresse ? Vous courez risque de n’être plus à l’avenir qu’une vile boue au lieu d’un homme, tant vous mêlez le vin avec votre substance, et, imprégné d’une liqueur dont vous vous gorgez tous les jours, vous exhalez une odeur fétide, comme ces vases infects qui deviennent absolument inutiles… ». Et là encore la médecine est d’accord ! Il faut reconnaître que l’alcoolique apparaît souvent comme une épave humaine, tant physique que morale, même si la charité chrétienne nous impose de surmonter notre dégoût et de lui exprimer notre compassion et notre amour du prochain. Vous trouverez dans le livre évoqué plus haut l’histoire du développement parallèle de la culture de la vigne et du monachisme. Les bénédictins et les cisterciens ont considérablement favorisé le développement d’une viticulture de haut niveau en particulier dans les grands terroirs de Bourgogne. Les vignobles jalonnent les chemins de Saint-Jacques tant en France qu’en Espagne. Le lien entre le vin et la spiritualité catholique est la conséquence de la dernière Cène, la première messe, au cours de laquelle le Christ, offrant son sacrifice expiatoire de manière non sanglante, change le vin en son précieux sang et le donne à consommer à ses apôtres. Le vin qui deviendra le sang versé pour nos péchés concrétise le lien d’amour entre le Christ et la multitude de ceux qui se retrouveront pour le banquet éternel. Le vin n’est pas une boisson comme les autres.
Découvrez les Cahiers Saint Raphaël
Les Cahiers Saint Raphaël, publication de l’ACIM (Association catholique des infirmières, médecins et professionnels de santé) depuis une quarantaine d’années, est une revue originale, qui répond aux questions que posent les grands problèmes contemporains d’éthique médicale. Sont également abordés des thèmes médicaux et de société.
La revue s’adresse aux professionnels de santé mais aussi à chacun d’entre nous qui vivons ces problèmes au quotidien.
Vous pensez que ces questions (avortement, contraception, clonage, manipulations génétiques, euthanasie etc…) sont fondamentales pour l’avenir de notre société ?
Vous souhaitez avoir des réponses qui se réfèrent à la loi naturelle et à la doctrine catholique pour vous-mêmes, afin de vivre chrétiennement, mais aussi pour vos enfants, pour tous ceux que vous côtoyez afin de les éclairer sur le sens et la valeur de la vie ?
Abonnez-vous aux Cahiers Saint Raphaël !
Pour s’abonner
Abonnement simple : 25 euros – Abonnement de soutien : 30 euros – Réabonnement : 25 euros – Abonnement religieux, étudiants : 20 euros
Règlement par chèque : ACIM, 2, route d’Equihen, 62360 Saint-Etienne-au Mont.
Les Cahiers Saint Raphaël sont également en vente aux Editions Clovis.
Contact
2 route d’Equihen, 62360 Saint-Etienne-au-Mont
bernadette.dickes@gmail.com ou pdegeofroy@gmail.com
- Léon Bloy[↩]
- Cette université de médecine a fêté ses 60 ans en 2022. À son ouverture en 1962 elle a permis de recycler les patrons de médecine de l’université d’Alger.[↩]
- Le site Ideal Wine cote aujourd’hui ce type de bouteille, d’un millésime d’anthologie, à 582 € la bouteille. Nous sommes très loin du prix des grands Sauternes.[↩]
- qui reprend la rime de Corneille : « J’suis issu de gens /Qui étaient pas du gen-/re sobre, On conte que j’eus /La tétée au jus /D’octobre »[↩]
- « Avant de porter un tel nectar à ses lèvres, on le regarde en tenant haut son verre, on le hume longuement, puis, le verre reposé sur la table… on en parle ! ». Talleyrand.[↩]
- « Mystère français que notre façon de cultiver la vigne, de faire le vin, de le conserver, de l’introduire à point nommé dans les repas, de le boire, de le célébrer. On commence, en nombre de pays du Monde, de faire des vins honorables, qui ont sans doute quelques valeurs alimentaires et qui ne sont pas sans agrément. Ces vins peuvent être, dès maintenant, un excellent objet de commerce. Pour qu’ils donnent lieu, comme en France, à un mystère national, il faudra des siècles de travail, des traditions, des goûts, du respect, de l’amour, beaucoup de poésie et même un peu de littérature ». Georges Duhamel.[↩]