Au sommaire, un dossier complet sur « Le service de santé des armées » et le reportage de la dernière mission Rosa Mystica, dans les montagnes de Sarangani.
Editorial
Par le docteur Philippe de Geofroy
Santard ou Navalais !
En arrivant en Aquitaine il y a 26 ans j’ai croisé, dans le monde médical, de nombreux confrères se présentant comme « anciens Navalais ». Je n’avais pas la moindre idée de ce dont il pouvait s’agir mais pour ne pas avoir l’air trop ignorant j’acquiesçais d’un air entendu. En région parisienne on n’en rencontrait pas ou alors ils ne s’en vantaient pas ! L’École principale du Service de Santé de la Marine et des Colonies a ouvert ses portes à Bordeaux le 3 novembre 1890 mais, comme toujours les noms compliqués sont simplifiés par leurs utilisateurs, elle est devenue Santé Navale et plus tard j’ai donc fini par comprendre ce qu’était un Navalais. Après une alerte en 1981, elle fermera définitivement en 2011. Dans son folklore, qui m’a été raconté par des médecins civils ayant partagé pendant leurs études bordelaises les mêmes bancs d’amphithéâtre que les Navalais, enfin pas tout à fait les mêmes nous allons le voir, l’anecdote suivante m’a amusé. Sous peine de crime de lèse-défense nationale ou pire encore, les premiers rangs de l’amphi étaient exclusivement réservés aux futurs médecins militaires, mais s’il vous plaît, deux places par tête de Navalais : une pour le bonhomme et une pour sa casquette car, bien entendu, ils assistaient aux cours en uniforme ! J’imagine l’amusement et l’agacement des carabins civils devant ce petit caprice suranné, mais certainement propre à développer l’esprit de corps. Aujourd’hui, quelle serait l’interprétation d’une telle attitude ? Discrimination digne des heures les plus sombres ou bien geste prophétique de déconstruction, rejetant l’antispécisme aux oubliettes de l’histoire, en mettant la casquette au même rang que l’homo sapiens ? A mon sens, plus simplement un humour potache teinté d’un petit sentiment de supériorité.
Plus tard, je me suis intéressé au Service de Santé des Armées à cause du désir d’un de mes fils de faire ses études de médecine. J’ai succédé à un ORL, ancien Navalais réinstallé dans le privé, et rencontré des praticiens exerçant une seconde carrière, privée ou hospitalière, après avoir pris, vers l’âge de 45 ans, leur retraite d’un exercice passionnant de médecin militaire. La poursuite d’une carrière dans les hôpitaux de l’armée est également possible. Je lui ai donc suggéré cette voie. Sélection rigoureuse à l’entrée, vie monastique la première année mais succès quasi assuré au concours de passage en 2ème année ; le jeu en valait la chandelle ! La noblesse du métier des armes, qui est au second plan dans certaines spécialités médicales mais qui est bien décrite dans le livre de Nicolas Zeller [1], ne gâche rien au tableau. Santé Navale ayant fermé, il est donc devenu Santard, c’est la dénomination de ceux qui sont passés par l’Ecole de Santé des Armées de Lyon ! La rencontre de certains de ses camarades de promotion, le jour de son mariage, a décidé du sujet de ce numéro des Cahiers.
Pour le médecin civil, la médecine militaire est un monde à part se résumant à quelques rencontres ou anecdotes. Sans vouloir déflorer le sujet qui sera traité par des hommes du sérail, je vais vous livrer le peu que j’en sais. Notons déjà que les praticiens militaires ne sont pas inscrits aux ordres professionnels des personnels de santé civils et ont leurs propres règles de déontologie. Ils suivent la même formation que les civils, passent les mêmes examens et concours, mais avec des modules supplémentaires propres à l’armée. Cette institution a plus de 300 ans, créée par un édit de Louis XIV en janvier 1708. La médecine de cette époque était balbutiante, sa fonction la plus efficace étant, sans doute de faire rire les spectateurs de Molière, mais les premières écoles de chirurgie de marine ont été créées rapidement. La connaissance de l’anatomie commence alors à permettre la réalisation de gestes efficaces. Une bonne indication d’amputation sauvera plus certainement une vie qu’une saignée ou un clystère. Outre la chirurgie, la pratique médicale militaire va aussi permettre des progrès importants dans l’art de guérir, notamment par le développement de pratiques élémentaires d’hygiène, de prévention, de prophylaxie mais aussi par la lutte contre les épidémies. La rigueur de l’organisation de l’armée retentira efficacement sur celle de sa médecine. Un élément très important de santé publique a été pris en charge par l’organisation de santé militaire jusqu’en 1997, date de la fin de la conscription. La quasi-totalité des hommes, c’est-à-dire la moitié de la population, était passée au crible médical permettant de déterminer l’aptitude à servir sous les drapeaux. Cela permettait de détecter de nombreuses pathologies qui avaient été ignorées auparavant, sur les plans dentaire, oculaire… Le statut vaccinal était vérifié, et complété si besoin lors de cet épisode de la vie de l’homme jeune. Cela peut nous faire sourire à une époque où l’on exige une consultation en urgence pour le moindre bobo ! Aujourd’hui l’offre de soins militaires, recentrée sur une armée devenue professionnelle, ne représente plus qu’1% de l’offre de soins nationale. Il y a des particularités à la pratique du soin militaire que vous découvrirez dans cette revue. Une de ses spécificités repose sur la prise en charge de l’urgence, ce qui est compréhensible ; même en temps de paix, le militaire prépare la guerre. Le médecin généraliste militaire a donc une formation très polyvalente et plus particulièrement d’urgentiste, vous en trouverez un bel exemple dans l’article écrit par un médecin sous-marinier. Le dilemme du Service de santé des armées est à la fois de rester généraliste pour s’adapter aux circonstances du terrain sans renoncer non plus à l’hyperspécialisation de la médecine civile pour maintenir un haut niveau qualitatif. Il reste actuellement huit hôpitaux militaires en France. Les personnels médicaux sont majoritairement issus de l’institution militaire. Les patients de ces hôpitaux peuvent être des militaires ou leur famille mais il n’y a pas de cloisonnement étanche ; le civil est également accueilli. Anecdotiquement, l’hôpital militaire Laveran à Marseille est très souvent amené à prendre en charge des civils victimes de plaies par balles consécutives au trafic de drogue qui se porte plutôt bien dans la cité phocéenne. Il s’agit d’un très bon entraînement in vivo pour le chirurgien de l’armée qui sera confronté à ce type de blessure sur le théâtre des opérations. La nécessité de pouvoir se projeter à distance dans un temps très court est aussi une des caractéristiques propres de ce service de santé. Vous apprendrez comment on peut installer un bloc opératoire dans le désert en quelques heures. L’accompagnement des troupes en OPEX [2] par le service sanitaire est systématique. La médecine civile n’est pas du tout confrontée à ce type d’exercice qui désorganise le fonctionnement des services dans lesquels il faut toujours prendre en compte l’absence même programmée d’une partie des intervenants. Lors de ces OPEX, le médecin généraliste ou l’antenne chirurgicale avec le personnel nécessaire, peuvent être amenés à prodiguer des soins aux populations civiles locales.
L’ACIM [3] possède un point commun avec le Service de Santé des Armées : l’OPEX. Celle de l’ACIM, vous la connaissez bien, s’appelle la mission Rosa Mystica. La logistique mi-européenne mi-philippine peut paraître moins rigoureuse que celle du SSA [4], mais les conditions sont très différentes ; l’ingéniosité des volontaires locaux et la grâce de Dieu font le reste et ceux qui viennent pour la première fois sont toujours impressionnés par l’efficacité de l’organisation. Médicale et apostolique, à l’image de ses fondateurs, le docteur Dickès et l’abbé Couture, elle se déroule tous les ans aux Philippines depuis 2007. La dernière et XVIème s’est déroulée du 6 au 12 mars dans les montagnes surplombant la ville d’Alabel dans le sud de l’île de Mindanao. Vous en lirez le reportage à la fin de ce numéro. Dans l’esprit des fondateurs, c’est-à-dire celui de nombreux saints qui ont eux même pris exemple sur le Christ, nous avons soigné les corps dans l’espoir de toucher les âmes. Quatre-vingt pour cent de la population philippine meurt sans avoir jamais croisé un médecin et au train où vont les choses, dans ce pays très catholique, le même pourcentage risque bientôt de mourir sans avoir rencontré un prêtre. Consultations, bistouri, médicaments, lunettes, sacramentaux et sacrements sont les aides que nous apportons à ces populations démunies qui vivent dans une pauvreté matérielle inimaginable pour nous autres européens. Cette pauvreté explique certainement une ouverture plus facile à la transcendance. Leur gratitude, manifestée par leur sourire inimitable et l’apprentissage du détachement font partie des nombreuses grâces dont profitent les volontaires venus les aider. Comment expliquer autrement leur désir de revenir au plus vite alors qu’ils payent leur voyage, dorment peu, sacrifient une dizaine de jours de vacances et prodiguent, dans des conditions difficiles, des soins d’un intérêt souvent médiocre sur le plan strictement professionnel ? Le volontaire, soignant ou non, de la mission Rosa Mystica partage avec le soldat et le professionnel de santé un même objectif : « servir », mais pour le volontaire aux Philippines il s’agit de servir le Christ en servant son prochain. Tout cela est possible, grâce à vous chers donateurs. Soyez vivement remerciés de votre soutien. La moisson est abondante.
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