Cahiers Saint-​Raphaël n°151 Le service de santé des armées

Détail du retable des sept sacrements par van der Weyden, 1445.

Au som­maire, un dos­sier com­plet sur « Le ser­vice de san­té des armées » et le repor­tage de la der­nière mis­sion Rosa Mystica, dans les mon­tagnes de Sarangani.

Editorial

Par le doc­teur Philippe de Geofroy

Santard ou Navalais !

En arri­vant en Aquitaine il y a 26 ans j’ai croi­sé, dans le monde médi­cal, de nom­breux confrères se pré­sen­tant comme « anciens Navalais ». Je n’avais pas la moindre idée de ce dont il pou­vait s’agir mais pour ne pas avoir l’air trop igno­rant j’acquiesçais d’un air enten­du. En région pari­sienne on n’en ren­con­trait pas ou alors ils ne s’en van­taient pas ! L’École prin­ci­pale du Service de Santé de la Marine et des Colonies a ouvert ses portes à Bordeaux le 3 novembre 1890 mais, comme tou­jours les noms com­pli­qués sont sim­pli­fiés par leurs uti­li­sa­teurs, elle est deve­nue Santé Navale et plus tard j’ai donc fini par com­prendre ce qu’était un Navalais. Après une alerte en 1981, elle fer­me­ra défi­ni­ti­ve­ment en 2011. Dans son folk­lore, qui m’a été racon­té par des méde­cins civils ayant par­ta­gé pen­dant leurs études bor­de­laises les mêmes bancs d’amphithéâtre que les Navalais, enfin pas tout à fait les mêmes nous allons le voir, l’anecdote sui­vante m’a amu­sé. Sous peine de crime de lèse-défense natio­nale ou pire encore, les pre­miers rangs de l’amphi étaient exclu­si­ve­ment réser­vés aux futurs méde­cins mili­taires, mais s’il vous plaît, deux places par tête de Navalais : une pour le bon­homme et une pour sa cas­quette car, bien enten­du, ils assis­taient aux cours en uni­forme ! J’imagine l’amusement et l’agacement des cara­bins civils devant ce petit caprice sur­an­né, mais cer­tai­ne­ment propre à déve­lop­per l’esprit de corps. Aujourd’hui, quelle serait l’interprétation d’une telle atti­tude ? Discrimination digne des heures les plus sombres ou bien geste pro­phé­tique de décons­truc­tion, reje­tant l’antispécisme aux oubliettes de l’histoire, en met­tant la cas­quette au même rang que l’homo sapiens ? A mon sens, plus sim­ple­ment un humour potache tein­té d’un petit sen­ti­ment de supériorité.

Plus tard, je me suis inté­res­sé au Service de Santé des Armées à cause du désir d’un de mes fils de faire ses études de méde­cine. J’ai suc­cé­dé à un ORL, ancien Navalais réins­tal­lé dans le pri­vé, et ren­con­tré des pra­ti­ciens exer­çant une seconde car­rière, pri­vée ou hos­pi­ta­lière, après avoir pris, vers l’âge de 45 ans, leur retraite d’un exer­cice pas­sion­nant de méde­cin mili­taire. La pour­suite d’une car­rière dans les hôpi­taux de l’armée est éga­le­ment pos­sible. Je lui ai donc sug­gé­ré cette voie. Sélection rigou­reuse à l’entrée, vie monas­tique la pre­mière année mais suc­cès qua­si assu­ré au concours de pas­sage en 2ème année ; le jeu en valait la chan­delle ! La noblesse du métier des armes, qui est au second plan dans cer­taines spé­cia­li­tés médi­cales mais qui est bien décrite dans le livre de Nicolas Zeller [1], ne gâche rien au tableau. Santé Navale ayant fer­mé, il est donc deve­nu Santard, c’est la déno­mi­na­tion de ceux qui sont pas­sés par l’Ecole de Santé des Armées de Lyon ! La ren­contre de cer­tains de ses cama­rades de pro­mo­tion, le jour de son mariage, a déci­dé du sujet de ce numé­ro des Cahiers.

Pour le méde­cin civil, la méde­cine mili­taire est un monde à part se résu­mant à quelques ren­contres ou anec­dotes. Sans vou­loir déflo­rer le sujet qui sera trai­té par des hommes du sérail, je vais vous livrer le peu que j’en sais. Notons déjà que les pra­ti­ciens mili­taires ne sont pas ins­crits aux ordres pro­fes­sion­nels des per­son­nels de san­té civils et ont leurs propres règles de déon­to­lo­gie. Ils suivent la même for­ma­tion que les civils, passent les mêmes exa­mens et concours, mais avec des modules sup­plé­men­taires propres à l’armée. Cette ins­ti­tu­tion a plus de 300 ans, créée par un édit de Louis XIV en jan­vier 1708. La méde­cine de cette époque était bal­bu­tiante, sa fonc­tion la plus effi­cace étant, sans doute de faire rire les spec­ta­teurs de Molière, mais les pre­mières écoles de chi­rur­gie de marine ont été créées rapi­de­ment. La connais­sance de l’anatomie com­mence alors à per­mettre la réa­li­sa­tion de gestes effi­caces. Une bonne indi­ca­tion d’amputation sau­ve­ra plus cer­tai­ne­ment une vie qu’une sai­gnée ou un clys­tère. Outre la chi­rur­gie, la pra­tique médi­cale mili­taire va aus­si per­mettre des pro­grès impor­tants dans l’art de gué­rir, notam­ment par le déve­lop­pe­ment de pra­tiques élé­men­taires d’hygiène, de pré­ven­tion, de pro­phy­laxie mais aus­si par la lutte contre les épi­dé­mies. La rigueur de l’organisation de l’armée reten­ti­ra effi­ca­ce­ment sur celle de sa méde­cine. Un élé­ment très impor­tant de san­té publique a été pris en charge par l’organisation de san­té mili­taire jusqu’en 1997, date de la fin de la conscrip­tion. La quasi-​totalité des hommes, c’est-​à-​dire la moi­tié de la popu­la­tion, était pas­sée au crible médi­cal per­met­tant de déter­mi­ner l’aptitude à ser­vir sous les dra­peaux. Cela per­met­tait de détec­ter de nom­breuses patho­lo­gies qui avaient été igno­rées aupa­ra­vant, sur les plans den­taire, ocu­laire… Le sta­tut vac­ci­nal était véri­fié, et com­plé­té si besoin lors de cet épi­sode de la vie de l’homme jeune. Cela peut nous faire sou­rire à une époque où l’on exige une consul­ta­tion en urgence pour le moindre bobo ! Aujourd’hui l’offre de soins mili­taires, recen­trée sur une armée deve­nue pro­fes­sion­nelle, ne repré­sente plus qu’1% de l’offre de soins natio­nale. Il y a des par­ti­cu­la­ri­tés à la pra­tique du soin mili­taire que vous décou­vri­rez dans cette revue. Une de ses spé­ci­fi­ci­tés repose sur la prise en charge de l’urgence, ce qui est com­pré­hen­sible ; même en temps de paix, le mili­taire pré­pare la guerre. Le méde­cin géné­ra­liste mili­taire a donc une for­ma­tion très poly­va­lente et plus par­ti­cu­liè­re­ment d’urgentiste, vous en trou­ve­rez un bel exemple dans l’article écrit par un méde­cin sous-​marinier. Le dilemme du Service de san­té des armées est à la fois de res­ter géné­ra­liste pour s’adapter aux cir­cons­tances du ter­rain sans renon­cer non plus à l’hyperspécialisation de la méde­cine civile pour main­te­nir un haut niveau qua­li­ta­tif. Il reste actuel­le­ment huit hôpi­taux mili­taires en France. Les per­son­nels médi­caux sont majo­ri­tai­re­ment issus de l’institution mili­taire. Les patients de ces hôpi­taux peuvent être des mili­taires ou leur famille mais il n’y a pas de cloi­son­ne­ment étanche ; le civil est éga­le­ment accueilli. Anecdotiquement, l’hô­pi­tal mili­taire Laveran à Marseille est très sou­vent ame­né à prendre en charge des civils vic­times de plaies par balles consé­cu­tives au tra­fic de drogue qui se porte plu­tôt bien dans la cité pho­céenne. Il s’agit d’un très bon entraî­ne­ment in vivo pour le chi­rur­gien de l’armée qui sera confron­té à ce type de bles­sure sur le théâtre des opé­ra­tions. La néces­si­té de pou­voir se pro­je­ter à dis­tance dans un temps très court est aus­si une des carac­té­ris­tiques propres de ce ser­vice de san­té. Vous appren­drez com­ment on peut ins­tal­ler un bloc opé­ra­toire dans le désert en quelques heures. L’accompagnement des troupes en OPEX [2] par le ser­vice sani­taire est sys­té­ma­tique. La méde­cine civile n’est pas du tout confron­tée à ce type d’exercice qui désor­ga­nise le fonc­tion­ne­ment des ser­vices dans les­quels il faut tou­jours prendre en compte l’absence même pro­gram­mée d’une par­tie des inter­ve­nants. Lors de ces OPEX, le méde­cin géné­ra­liste ou l’antenne chi­rur­gi­cale avec le per­son­nel néces­saire, peuvent être ame­nés à pro­di­guer des soins aux popu­la­tions civiles locales.

L’ACIM [3] pos­sède un point com­mun avec le Service de Santé des Armées : l’OPEX. Celle de l’ACIM, vous la connais­sez bien, s’appelle la mis­sion Rosa Mystica. La logis­tique mi-​européenne mi-​philippine peut paraître moins rigou­reuse que celle du SSA [4], mais les condi­tions sont très dif­fé­rentes ; l’ingéniosité des volon­taires locaux et la grâce de Dieu font le reste et ceux qui viennent pour la pre­mière fois sont tou­jours impres­sion­nés par l’efficacité de l’organisation. Médicale et apos­to­lique, à l’image de ses fon­da­teurs, le doc­teur Dickès et l’abbé Couture, elle se déroule tous les ans aux Philippines depuis 2007. La der­nière et XVIème s’est dérou­lée du 6 au 12 mars dans les mon­tagnes sur­plom­bant la ville d’Alabel dans le sud de l’île de Mindanao. Vous en lirez le repor­tage à la fin de ce numé­ro. Dans l’esprit des fon­da­teurs, c’est-​à-​dire celui de nom­breux saints qui ont eux même pris exemple sur le Christ, nous avons soi­gné les corps dans l’espoir de tou­cher les âmes. Quatre-​vingt pour cent de la popu­la­tion phi­lip­pine meurt sans avoir jamais croi­sé un méde­cin et au train où vont les choses, dans ce pays très catho­lique, le même pour­cen­tage risque bien­tôt de mou­rir sans avoir ren­con­tré un prêtre. Consultations, bis­tou­ri, médi­ca­ments, lunettes, sacra­men­taux et sacre­ments sont les aides que nous appor­tons à ces popu­la­tions dému­nies qui vivent dans une pau­vre­té maté­rielle inima­gi­nable pour nous autres euro­péens. Cette pau­vre­té explique cer­tai­ne­ment une ouver­ture plus facile à la trans­cen­dance. Leur gra­ti­tude, mani­fes­tée par leur sou­rire inimi­table et l’apprentissage du déta­che­ment font par­tie des nom­breuses grâces dont pro­fitent les volon­taires venus les aider. Comment expli­quer autre­ment leur désir de reve­nir au plus vite alors qu’ils payent leur voyage, dorment peu, sacri­fient une dizaine de jours de vacances et pro­diguent, dans des condi­tions dif­fi­ciles, des soins d’un inté­rêt sou­vent médiocre sur le plan stric­te­ment pro­fes­sion­nel ? Le volon­taire, soi­gnant ou non, de la mis­sion Rosa Mystica par­tage avec le sol­dat et le pro­fes­sion­nel de san­té un même objec­tif : « ser­vir », mais pour le volon­taire aux Philippines il s’a­git de ser­vir le Christ en ser­vant son pro­chain. Tout cela est pos­sible, grâce à vous chers dona­teurs. Soyez vive­ment remer­ciés de votre sou­tien. La mois­son est abondante.

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Les Cahiers Saint Raphaël, publi­ca­tion de l’ACIM (Association catho­lique des infir­mières, méde­cins et pro­fes­sion­nels de san­té) depuis une qua­ran­taine d’années, est une revue ori­gi­nale, qui répond aux ques­tions que posent les grands pro­blèmes contem­po­rains d’éthique médi­cale. Sont éga­le­ment abor­dés des thèmes médi­caux et de société.

La revue s’adresse aux pro­fes­sion­nels de san­té mais aus­si à cha­cun d’entre nous qui vivons ces pro­blèmes au quotidien.

Vous pen­sez que ces ques­tions (avor­te­ment, contra­cep­tion, clo­nage, mani­pu­la­tions géné­tiques, eutha­na­sie etc…) sont fon­da­men­tales pour l’avenir de notre société ?

Vous sou­hai­tez avoir des réponses qui se réfèrent à la loi natu­relle et à la doc­trine catho­lique pour vous-​mêmes, afin de vivre chré­tien­ne­ment, mais aus­si pour vos enfants, pour tous ceux que vous côtoyez afin de les éclai­rer sur le sens et la valeur de la vie ? 

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Notes de bas de page
  1. Corps et âme Tallandier 2021, recen­sion dans ce numé­ro[]
  2. Opération exté­rieure.[]
  3. Association Catholique des Infirmiers et Médecins.[]
  4. Service de Santé des Armées[]

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