Sainte Elisabeth de Portugal

Sainte Elisabeth de Portugal, par Zurbaran

Reine de Portugal (1271–1336)

Fête le 8 juillet.

Version courte

Sainte Élisabeth reçut ce nom à son Baptême, en sou­ve­nir de sainte Élisabeth de Hongrie, sa tante. A l’âge de huit ans, elle réci­tait chaque jour l’of­fice divin et conser­va cette pra­tique jus­qu’à sa mort ; elle mépri­sait le luxe, fuyait les diver­tis­se­ments, sou­la­geait les pauvres, mul­ti­pliait ses jeûnes et menait une vie vrai­ment céleste. Toutes les œuvres de pié­té d’Élisabeth étaient accom­pa­gnées de larmes que l’a­mour fai­sait mon­ter de son cœur à ses yeux. Le temps que ses exer­cices reli­gieux lui lais­saient libre, elle aimait à l’employer à l’or­ne­men­ta­tion des autels ou aux vête­ments des pauvres.

Élevée sur le trône de Portugal par son mariage avec Denys, roi de ce pays, elle fut d’une patience remar­quable dans les épreuves qu’elle eut sou­vent à subir de la part de son mari, et ne lui mon­tra jamais, en échange de ses pro­cé­dés injustes, qu’une ama­bi­li­té crois­sante, une dou­ceur toute affec­tueuse et un dévoue­ment sans bornes, qui finirent par triom­pher de ce cœur rebelle. Élisabeth est célèbre par le don que lui fit le Ciel de réta­blir la paix entre les princes et les peuples.

Peu de Saintes ont mon­tré tant de cha­ri­té pour les membres souf­frants de Jésus-​Christ ; jamais aucun pauvre ne par­tait du palais sans avoir rien reçu ; les monas­tères qu’elle savait dans le besoin rece­vaient abon­dam­ment le secours de ses aumônes ; elle pre­nait les orphe­lins sous sa pro­tec­tion, dotait les jeunes filles indi­gentes, ser­vait elle-​même les malades.

Tous les ven­dre­dis de Carême, elle lavait les pieds à treize pauvres, et après les leur avoir bai­sés hum­ble­ment, elle les fai­sait revê­tir d’ha­bits neufs. Le Jeudi saint, elle rem­plis­sait le même office près de treize femmes pauvres. Or, un jour qu’elle lavait les pieds à ces pauvres, il se trou­va dans le nombre une femme qui avait au pied une plaie dont la mau­vaise odeur était insup­por­table : la reine, mal­gré toutes les répu­gnances de la nature, prit ce pied infect, en pan­sa l’ul­cère, le lava, l’es­suya, le bai­sa et le gué­rit. Même miracle arri­va en faveur d’un pauvre lépreux.

Un jour qu’elle por­tait dans les pans de sa robe de l’argent pour les pauvres, son mari lui deman­da à voir ce qu’elle por­tait, et il fut émer­veillé d’y voir des roses hors de sai­son. Après la mort du roi, elle vou­lait se reti­rer chez les Clarisses, mais on lui fit obser­ver qu’elle ferait une meilleure œuvre en conti­nuant ses libé­ra­li­tés. Enfin, après une vie toute d’œuvres héroïques, elle mou­rut en saluant la Très Sainte Vierge, qui lui appa­rut, accom­pa­gnée de sainte Claire et de quelques autres Saintes.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version longue

Elisabeth naquit à Saragosse, en 1271 ; elle était le sixième et, der­nier enfant de Pierre, fils aîné de Don Jaime Ier, roi d’Ara­gon ; sa mère, Constance, était fille de Manfred, roi de Sicile, et petite-​fille, du côté mater­nel, de l’empereur d’Allemagne Frédéric II et la petite-​nièce, par son père, de sainte Elisabeth, reine de Hongrie, cano­ni­sée par Grégoire IX en 1235, dont on lui don­na le nom.

L’enfant de la paix. – Sa piété.

L’alliance de l’infant Pierre avec Constance ayant été conclue contre l’assentiment de Don Jaime, il s’en était sui­vi une brouille entre le père et le fils, qui habi­taient des palais sépa­rés, et leurs dif­fé­rends divi­saient le royaume. La nais­sance d’Elisabeth mit fin à ce triste état de choses ; son grand-​père, ayant consen­ti à la voir, fut tel­le­ment ravi des charmes pré­coces de l’enfant qu’il alla aus­si­tôt visi­ter la mère à laquelle il mon­tra dès lors une affec­tion vrai­ment paternelle.

Il par­don­na à son fils, et tous les pénibles res­sen­ti­ments furent oubliés. Le grand-​père emme­na sous son toit la char­mante petite prin­cesse, cause incons­ciente de la récon­ci­lia­tion. Ce rôle de messa­gère de la paix, elle devait le rem­plir tout le long de sa vie ; il est la plus belle mani­fes­ta­tion de sa sain­te­té, et l’Eglise, dans l’office qu’elle lui a attri­bué, l’en félicite.

La pié­té pré­cé­da en elle l’éveil de la rai­son ; quand elle se met­tait à pleu­rer, on la cal­mait aus­si­tôt en lui mon­trant le cru­ci­fix ou une image de Marie. Aussi Don Jaime se plaisait-​il à dire que cette enfant devien­drait la femme la plus grande de la mai­son royale d’Aragon.

En 1276, Jaime Ier mou­rut après un long règne, qui lui méri­ta les titres de « saint » et de « conqué­rant ». Le père d’Elisabeth lui suc­cé­da sous le nom de Pierre III.

A la cour, Elisabeth dédai­gna la magni­fi­cence des vête­ments, la recherche des plai­sirs et des jeux et toutes les occu­pa­tions inutiles. Elle avait en aver­sion les fables et les his­toires pro­fanes et ne se plai­sait qu’à la lec­ture des livres de pié­té, à la réci­ta­tion des psaumes et des hymnes de l’Eglise. Elle pra­ti­quait la dévo­tion, la cha­ri­té, la péni­tence, et, à l’exemple de sa grand’tante qu’elle avait choi­sie pour modèle, elle secou­rait les pauvres avec com­pas­sion et tendresse.

Sainte Elisabeth épouse le roi de Portugal.

La jeune fille, qui res­sen­tait un puis­sant attrait pour la vir­gi­ni­té, n’aurait pas vou­lu des noces d’ici-bas, mais une lumière par­ti­cu­lière lui mon­tra qu’elle devait se sacri­fier à la rai­son d’Etat et condes­cendre au désir de ses parents. L’alliance avec le vaillant roi d’Aragon, qui, en dépit de son règne très court, fut sur­nom­mé le Grand, était très recher­chée ; Elisabeth fut deman­dée en mariage par l’empereur d’Orient, les rois de France, d’Angleterre et de Portugal. La pen­sée de l’éloignement de leur fille était si pénible pour ses parents qu’ils choi­sirent le prince le plus voi­sin et le roi d’Aragon envoya ses ambas­sa­deurs au roi de Portugal, Denis, pour lui annon­cer qu’il accep­tait sa demande.

Denis se trou­vait alors à Alentejo, en guerre avec son frère Don Alonso ; c’est là qu’il reçut les envoyés du roi d’Aragon, et les hosti­lités ces­sèrent. Pendant long­temps le roi Pierre ne put se résoudre à lais­ser par­tir sa fille ; enfin, après l’avoir accom­pa­gnée jusqu’aux fron­tières de son royaume, il la quit­ta en ver­sant d’abondantes larmes. La jeune prin­cesse fut magni­fi­que­ment reçue dans la Castille qu’elle tra­ver­sa pour se rendre à Bragance. Elle fît, le 24 juin 1282, son entrée à Troncoso, où se trou­vait le roi, et le mariage fut célé­bré le jour même : le roi avait vingt ans et régnait depuis trois ans, la reine en avait à peine douze. Outre la dot qu’il lui don­nait, le roi lui offrit la ville de Troncoso, où eurent lieu de grandes fêtes, après les­quelles le couple royal se ren­dit à Coïmbre, alors la capitale.

Elisabeth y fut, comme en Aragon, un modèle de toutes les ver­tus ; son mari, qui l’aidait dans ses aumônes, lui lais­sa la plus grande liber­té pour ses exer­cices de pié­té, tout en modé­rant les mor­ti­fi­ca­tions qui auraient pu alté­rer sa san­té et sa beau­té qui était remarquable.

Par son exemple, elle rame­na les toi­lettes de la cour à une mesure juste et chré­tienne ; elle ne tolé­rait jamais l’oisiveté par­mi ceux qui l’entouraient ; avec les dames de sa mai­son elle tra­vaillait pour les églises, pour les hôpi­taux, pour les monas­tères, pour les pauvres, et elle veillait à don­ner tou­jours un tour éle­vé aux conver­sa­tions. Son influence bien­fai­sante rayon­na par tout le royaume, y exci­tant une heu­reuse ému­la­tion pour le bien.

Une reine populaire.

Au moment où il accueillait sa jeune reine, le Portugal venait de reje­ter défi­ni­ti­ve­ment les Sarrasins hors de son ter­ri­toire et de conqué­rir ses limites actuelles ; il entrait dans une ère de paix et de pros­pé­ri­té. Denis s’appliqua à répa­rer les ruines que les guerres avaient accu­mu­lées ; il bâtit ou réta­blit quarante-​quatre villes, fon­da des hos­pices, des écoles, dont la célèbre Université de Coïmbre ; il déve­lop­pa le com­merce et l’agriculture. Pour rem­pla­cer les Templiers abo­lis au Concile de Vienne de 1311, il créa l’Ordre du Christ, que le Pape Jean XXII approu­va en 1319, et qui sub­siste tou­jours. L’histoire a dési­gné sous le nom d’ « âge d’or du Portugal » les qua­rante-​six années de ce règne paisible.

La part d’Elisabeth dans cette œuvre de res­tau­ra­tion fut considé­rable, en par­ti­cu­lier dans la construc­tion et l’aménagement des églises, des hôpi­taux et des orphe­li­nats ; et si le peuple recon­nais­sant décer­na à son roi les titres de « Roi labou­reur » et de « Père de la Patrie », il salua sa reine du vocable de « Patronne des laboureurs ».

Elisabeth avait dix-​sept ans quand vint au monde, en 1288, sa pre­mière enfant, Constance, qui devait épou­ser Ferdinand IV, roi de Castille, et mou­rir en 1313, à vingt-​cinq ans, un an après son mari. Peu de temps après cette mort, Elisabeth se ren­dait de Santarem à Lisbonne avec le roi Denis quand elle ren­con­tra à Vasconcellos un ermite qui l’avertit que sa chère enfant souf­frait en pur­ga­toire et y res­te­rait jusqu’à ce qu’une messe quo­ti­dienne eût été dite pen­dant un an pour le repos de son âme. Elle fît appe­ler un prêtre de grande ver­tu et le char­gea de dire ces messes dans sa cha­pelle parti­culière. L’année sui­vante, Constance appa­rut à sa mère pour lui annon­cer son entrée au ciel.

Le 8 février 1291 nais­sait un fils, Alphonse, qui suc­cé­da à son père et régna de 1325 à 1357. Vainqueur des Sarrasins à Tariffa en 1340, il fut sur­nom­mé « le Brave ».

Elisabeth eut un troi­sième enfant, une fille, qui reçut le nom d’Eli­sabeth et sur laquelle on ne sait rien de particulier.

On devine avec quel soin la pieuse reine éle­vait ses enfants.

Pénibles épreuves. – Trait de justice divine.

Après quelques années d’un bon­heur conju­gal par­fait, le roi se lais­sa entraî­ner par de cou­pables passions.

La mal­heu­reuse reine ne fit pas entendre une plainte, mais elle souf­frit beau­coup, moins de son aban­don que de l’état de la con­science de son mari et du scan­dale qui en résul­tait, non seule­ment à la cour, mais dans tout le royaume, où la conduite du sou­ve­rain ser­vait de pré­texte aux pires débordements.

Enfin la patience et la dou­ceur de la reine tou­chèrent le cœur du roi, qui revint à ses devoirs et fit pénitence.

La reine avait un che­va­lier de grande ver­tu qui la secon­dait dans ses aumônes et dans ses œuvres de pié­té. Un page du roi, jaloux de sa situa­tion, le char­gea de calom­nies si épou­van­tables que le roi réso­lut de le faire périr. Sans réflé­chir à l’inanité de cette men­son­gère accu­sa­tion, empor­té par la fureur, un jour qu’étant à la chasse il arri­vait près d’un four à chaux, il ordon­na au maître du four de pré­ci­pi­ter dans les flammes l’homme qu’il enver­rait le len­de­main matin lui deman­der s’il avait exé­cu­té ses ordres.

Le len­de­main, de bonne heure, le roi envoie l’homme de confiance de la reine à l’endroit conve­nu ; celui-​ci, en s’y ren­dant, passe près d’une église et, enten­dant la cloche qui annon­çait l’instant de la consé­cra­tion, il entre, assiste à la fin de la messe et aux deux autres qui suivent. Entre temps, le page, dési­reux de savoir si sa ven­geance est accom­plie, se rend, lui aus­si, au four à chaux ; il y est aus­si­tôt pré­ci­pi­té. Le che­va­lier arrive peu après, apprend qu’on a exé­cu­té l’ordre du roi et va en rendre compte à son sou­ve­rain. Quelle ne fut pas la stu­peur du prince ! Il fit une enquête et ne tar­da pas à recon­naître dans cette affreuse aven­ture le doigt de Dieu, qui pro­tège les inno­cents et frappe les coupables.

Sainte Elisabeth rétablit la paix.

Alphonse, prince héri­tier de Portugal, impa­tient de jouer un rôle poli­tique, cher­cha, en 1322 à s’emparer de Lisbonne par sur­prise ; le roi, aver­ti, vou­lut évi­ter la guerre en fai­sant empri­son­ner le rebelle.

La reine, par­ta­gée entre son amour conju­gal et son amour mater­nel, vou­lant par-​dessus tout évi­ter l’effusion du sang, fît pré­ve­nir Alphonse du dan­ger qu’il cou­rait ; le roi en fut infor­mé ; il l’accusa de prendre le par­ti de son fils, l’exila à Alenquer, lui reti­ra tous ses reve­nus et lui inter­dit de sor­tir de la ville qu’il fît gar­der par des sen­ti­nelles. Plusieurs sei­gneurs offrirent leur assis­tance à la reine en cette pénible cir­cons­tance, mais elle refu­sa, disant que leur pre­mière obli­ga­tion à tous était de condes­cendre aux moindres dési­rs du roi.

Le jeune prince, sous cou­leur de défendre sa mère, deman­dait du secours à la Castille et à l’Aragon, pen­dant que son père levait une puis­sante armée ; la reine, devant cette extré­mi­té, quit­ta Alenquer, mal­gré la défense qui lui en était faite, et accou­rut à Coïmbre se jeter aux pieds de son mari, qui la reçut avec bon­té et consen­tit à ce qu’elle inter­vînt auprès de son fils. Elisabeth par­tit pour Pombal, où son fils com­man­dait les troupes rebelles ; elle lui offrit le par­don pater­nel, et la paix fut réta­blie dans le royaume.

Piété et vertus de la souveraine. – Miracle des roses.

Chaque matin, la pieuse reine com­men­çait sa jour­née dans sa cha­pelle et y réci­tait Matines et Laudes, puis assis­tait à la sainte messe.

Ses orai­sons étaient longues ; elle avait le don des larmes à un haut degré et aspi­rait à souf­frir pour Notre-​Seigneur. En Carême, elle por­tait sous ses vête­ments de durs cilices et fai­sait des jeûnes rigou­reux. Le ven­dre­di, elle nour­ris­sait, avec l’assentiment du roi, douze pauvres dans ses appar­te­ments, elle les ser­vait elle-​même, leur don­nait des vête­ments, des chaus­sures et de l’argent.

Souvent elle visi­tait les hôpi­taux, s’approchait des malades, s’in­formait de leurs souf­frances, et plus d’une fois, après cette visite, les pauvres gens étaient gué­ris ou éprou­vaient une grande amé­lioration. Un jour, au monas­tère de Chelas, à Lisbonne, elle se ren­dait à l’infirmerie auprès d’une reli­gieuse qui se mou­rait d’un can­cer à la poi­trine ; elle vou­lut voir la plaie, la tou­cha, et l’affreux mal dis­pa­rut ins­tan­ta­né­ment. Une autre fois, elle gué­rit de même une de ses servantes.

Elle fon­da, sous le patro­nage de sa grand’tante, sainte Elisabeth, un hôpi­tal pour quinze hommes et quinze femmes. Pour être près des reli­gieuses et des pauvres, elle se fît bâtir en face un palais qu’elle lais­sa par tes­ta­ment au couvent, en sti­pu­lant, pour épar­gner tout ennui de voi­si­nage aux reli­gieuses, que seuls les rois, reines ou infants pour­raient l’habiter. Comme on éle­vait ces construc­tions, la reine por­tait, un jour, aux ouvriers des pièces de mon­naie dans sa robe ; le roi, la ren­con­trant, lui deman­da ce qu’elle por­tait ain­si ; elle entr’ouvrit son vête­ment, et le roi vit s’en échap­per un flot de roses. Une des portes du monas­tère de Sainte-​Claire a été appe­lée la « porte des Roses » en sou­ve­nir de ce miracle.

Construction d’une église. – Miracles nombreux.

Une nuit, dans un songe, l’Esprit-Saint lui ordon­na d’édifier en son hon­neur un temple à Alenquer. Dès l’aurore, la pieuse reine fit offrir le Saint Sacrifice par son cha­pe­lain et pria le Seigneur de lui mani­fes­ter clai­re­ment sa volon­té. Aussitôt après, elle envoya des archi­tectes à l’endroit qui lui sem­blait le plus conve­nable pour la construc­tion pro­je­tée, et ils revinrent lui dire que les tran­chées de fon­da­tions étaient ouvertes et que tout était dis­po­sé pour la con­struction. Or, la veille encore, il n’y avait rien. Le roi ordon­na une enquête et fit rédi­ger un procès-​verbal de ce fait mer­veilleux : la reine se ren­dit sur les lieux et fut si émue à la vue de ce pro­dige qu’elle eut une extase de plus d’une demi-heure.

A quelque temps de là, comme Elisabeth allait visi­ter les tra­vaux, elle ren­con­tra une jeune fille qui por­tait un bou­quet ; elle le prit et en remit une des fleurs à cha­cun des ouvriers ; ceux-​ci les mirent en lieu sûr, et quand, le soir, ils vou­lurent reprendre leur fleur, cha­cune s’était chan­gée en un dou­blon d’or. D’innombrables mer­veilles mar­quèrent la construc­tion de cette belle église et les fêtes qui se don­nèrent pour son inauguration.

Au bas du parc d’Alenquer cou­lait un fleuve dans lequel la reine lavait les draps et les linges des malades de l’hôpital ; au contact de ses mains, l’eau prit une ver­tu mer­veilleuse et beau­coup de malades répu­tés incu­rables revinrent à la santé.

Mort du roi Denis.

Le roi était avec la reine à Lisbonne quand, se trou­vant fati­gué du cli­mat, il vou­lut se rendre à Santarem, mais, à peine arri­vé à Villanueva, la fièvre aug­men­ta et il dut s’y arrêter.

Aussitôt la reine dépê­cha des cour­riers pour faire venir son fils et se hâta de faire trans­por­ter le malade à Santarem. L’état du roi devint bien­tôt si alar­mant qu’on dut lui admi­nis­trer les der­niers sacre­ments. La reine, qui ne le quit­tait pas, le soi­gna avec un abso­lu dévoue­ment et l’amena à un aban­don par­fait à la volon­té de Dieu. Le malade, ayant recom­man­dé la reine à son fils, mou­rut pieu­se­ment le 7 jan­vier 1325.

La reine se reti­ra dans son ora­toire, afin de don­ner libre cours à sa dou­leur, se dépouilla de ses vête­ments royaux, revê­tit une pauvre robe de Clarisse rete­nue par une corde gros­sière, et se cou­vrit la tête d’un voile.

En atten­dant le jour des funé­railles, qui eurent lieu à Odinellas, elle fit célé­brer beau­coup de messes et dire des prières pour le repos de l’âme de son mari ; elle condui­sit sa dépouille mor­telle au tom­beau, accom­pa­gnée de son fils, Alphonse, et d’un grand nombre de pré­lats, de sei­gneurs et d’ecclésiastiques.

Pèlerinage à Compostelle. – La reine chez les Clarisses.

Durant son deuil, la pieuse reine réso­lut de se rendre en pèleri­nage au tom­beau de saint Jacques, à Compostelle. Ayant choi­si quelques com­pagnes, elle sor­tit secrè­te­ment d’Odinellas, espé­rant pou­voir voya­ger inco­gni­to, mais sa répu­ta­tion de sain­te­té l’avait par­tout précédée.

Comme elle pas­sait à Arrifana de Santa-​Maria, au dio­cèse d’Oporto, une femme se pré­ci­pi­ta à ses pieds, la sup­pliant de tou­cher les yeux de sa fille aveugle-​née. La reine fit une large aumône, mais la pauvre femme insis­tant pour qu’elle tou­chât les yeux de l’infirme, elle y condes­cen­dit. La gué­ri­son de l’enfant fut consta­tée quelques jours après seule­ment, et nous pen­sons que Dieu per­mit ce délai pour ména­ger l’humilité de sa servante.

Arrivée en vue de la cathé­drale de Saint-​Jacques, Elisabeth des­cen­dit de sa litière, bai­sa la terre à plu­sieurs reprises, se ren­dit à pied à la ville et y pas­sa deux jours auprès du tom­beau de l’apôtre, mais, le 25 juillet, au jour de la fête du Saint, ses riches cadeaux révé­lèrent l’identité de cette humble pèle­rine. Elle conser­va tou­jours comme une relique un bâton incrus­té d’argent et de pierres pré­cieuses que l’évêque lui donna.

Au retour de Compostelle, Elisabeth réso­lut de réa­li­ser le des­sein qu’elle avait tou­jours eu d’embrasser la vie reli­gieuse et d’entrer dans l’Ordre des Pauvres Clarisses, afin que son sacri­fice fût plus com­plet. Elle se ren­dit donc au couvent de Coïmbre. Mais, sur l’avis de ses direc­teurs, elle n’y demeu­ra qu’à titre d’affiliée ou de Tertiaire. Elle ne voyait que les moniales et les pauvres de l’hôpital dont elle fai­sait les lits et aux­quels elle ren­dait les ser­vices les plus humbles ; sou­vent elle pre­nait ses repas avec la com­mu­nau­té, et avait tou­jours auprès d’elle, par une faveur spé­ciale, sept religieuses.

Sainte Elisabteh soigne un malade pauvre.

Nouveau pèlerinage. – Efforts pour la paix.

Malgré le silence dont la Sainte s’était entou­rée, elle avait été recon­nue au cours de son pre­mier pèle­ri­nage à Compostelle ; aus­si, dési­reuse de s’y rendre de nou­veau, résolut-​elle d’y aller dans un secret abso­lu et à pied avec deux ou trois pieuses femmes. Elle avait alors soixante-​quatre ans, le tra­jet était long, et, ne vou­lant vivre que d’aumônes, elle por­tait sur ses épaules une besace où elle enfer­mait les mor­ceaux de pain qu’elle men­diait le long de la route.

A peine de retour à Coïmbre, la reine eut la dou­leur d’apprendre que des hos­ti­li­tés venaient d’éclater entre le roi de Castille Alphonse IV, son petit-​fils, et le roi Alphonse IV de Portugal, son fils. Pour le bien de la paix, Elisabeth réso­lut d’aller trou­ver son fils à Estremoz, où il avait res­sem­blé son armée.

C’était un voyage de plus de trente lieues ; on était au milieu de juin, la cha­leur était acca­blante ; la reine tom­ba malade et un abcès per­ni­cieux ne tar­da pas à se décla­rer. La fièvre était grande et on jugea tout de suite le mal très grave. Aussi la sainte reine reçut-​elle, à sa demande, les der­niers sacrements.

Sa mort. – Prodiges qui la suivirent.

Dès lors, Elisabeth ne pen­sa plus qu’à tra­vailler à la paix pour laquelle elle venait d’exposer sa vie, et per­sua­da à son fils de renon­cer à la guerre. Les méde­cins, arri­vés à ce moment-​là, trou­vèrent le pouls faible ; comme ils sor­taient de sa chambre, Elisabeth vou­lut se lever du lit sur lequel elle repo­sait tout habillée ; dès que ses pieds tou­chèrent le sol, elle tom­ba dans un pro­fond éva­nouis­se­ment ; reve­nue à elle, elle vit qu’elle se mou­rait, réci­ta le Credo, une prière à la Vierge, bai­sa son cru­ci­fix et s’endormit dans le Seigneur, le 4 juillet de l’an 1336, à l’âge de soixante-​cinq ans.

Par son tes­ta­ment, Elisabeth léguait tous ses biens au monas­tère de Sainte-​Claire de Coïmbre, deman­dait d’y être enter­rée, mais inter­di­sait qu’on l’embaumât. Or, la cha­leur était si grande qu’une rapide cor­rup­tion était à craindre, et l’on ne savait à quoi se résoudre pour ne pas déso­béir à la reine ; enfin, revê­tu de la robe de Sainte-​Claire et enve­lop­pé dans un lin­ceul, son corps fut dépo­sé dans un simple cer­cueil de bois. Au soir du pre­mier jour, les por­teurs remar­quèrent qu’une sorte d’humeur cou­lait au tra­vers des join­tures ; effrayés, ils crurent d’abord que c’était un signe de décom­po­si­tion, mais furent rem­plis d’admiration quand ils sen­tirent le par­fum suave de ce suin­te­ment. Des phé­no­mènes sem­blables sont rap­por­tés dans la vie de plu­sieurs saints.

Deux belles gué­ri­sons eurent lieu au cours de la trans­la­tion des pré­cieux restes. Après sept jours de voyage, le cor­tège arri­va à Coïmbre : la foule était si com­pacte, qu’afin d’éviter le zèle d’une dévo­tion indis­crète, l’évêque ordon­na de ren­fer­mer nui­tam­ment le corps dans l’urne qui avait été pré­pa­rée pour le recevoir.

Les miracles se mul­ti­plièrent auprès de ce tom­beau. Au pro­cès de cano­ni­sa­tion, on recon­nut la gué­ri­son de six mori­bonds, de cinq para­ly­tiques, de deux lépreux, d’un fou furieux ; le Fr. Antoine de Escobar rap­porte même la résur­rec­tion de dix morts.

Elisabeth a été béa­ti­fiée par Léon X en 1516. Le 26 mars 1612, son tom­beau fut ouvert et l’on trou­va son corps par­fai­te­ment con­servé ; il s’en exha­lait des par­fums incom­pa­rables. Elle a été cano­nisée par Urbain VIII, le 25 mai 1625, dimanche de la Trinité. Sa fête, d’abord pla­cée au 4 juillet, fut trans­fé­rée au 8 juillet par décret d’Innocent XII en 1695.

Sainte Elisabeth est la patronne des villes de Saragosse où elle est née, d’Estremoz où elle est morte, de Coïmbre où elle a vécu sur le trône et dans le cloître, et de tout le royaume de Portugal.

C. de Loppinot.

Sources consul­tées. – Mgr de Moucheron, Sainte Elisabeth d’Aragon, reine de Portugal et son temps (Paris, 1896). – H. Lebon, Vie de sainte Elisabeth de Portugal (Tours, 1893). – Mme G. Lebrun, Vie de sainte Elisabeth, reine de Portugal (Nevers, 1890). – (V. S. B. P., nos 231 et 1596.)