Saint Philippe Néri

Saint Philippe Néri en prière dans son oratoire, par Giandomenico Tiepolo. Venise, Église San Polo. Huile sur toile (1745 -1749).

Fondateur de l’Oratoire de Rome (1515–1595).

Fête le 26 mai.

Version courte

Philippe naquit à Florence le 22 juillet 1515. Dès son enfance, on l’ap­pe­lait le bon petit Philippe, tant il était bon, doux et aimable. Vers l’âge de dix-​huit ans, il renon­ça à la for­tune d’un de ses oncles pour aller à Rome étu­dier les sciences ecclé­sias­tiques. Rien de plus édi­fiant que sa vie d’é­tu­diant : pau­vre­té, mor­ti­fi­ca­tion, prière, tra­vail, silence, vie cachée, habi­taient sa modeste cellule.

Après plu­sieurs années d’é­tude opi­niâtre dans les uni­ver­si­tés, il tra­vailla seul, quelques années encore, dans le silence et la soli­tude, et quand, deve­nu prêtre par obéis­sance, il com­men­ça à se livrer au minis­tère des âmes, son esprit facile et pro­fond avait acquis une science fort remar­quable. Son angé­lique pure­té eut à subir les plus rudes assauts ; mais il sor­tit tou­jours vain­queur de tous les pièges, et reçut comme récom­pense la grâce de ne jamais res­sen­tir, le reste de sa vie, aucun mou­ve­ment, même invo­lon­taire, de la concu­pis­cence charnelle.

Un jour, Philippe fut tel­le­ment embra­sé de l’a­mour de Dieu, que deux de ses côtes se rom­pirent pour don­ner plus de liber­té à ses élans séra­phiques. Souvent ses entre­tiens avec Notre-​Seigneur étaient si suaves, qu’il n’y pou­vait tenir et se mou­rait de joie, ce qui lui fai­sait pous­ser ce cri : « Assez, Seigneur, assez ! »

Philippe visi­tait les hôpi­taux, soi­gnait les malades, assis­tait et ins­trui­sait les pauvres, pas­sait de longues nuits dans la prière, aux cata­combes, sur les tom­beaux des mar­tyrs. Partout et à toute occa­sion, il cher­chait à gagner des âmes à Dieu. Il aimait sur­tout les jeunes gens ; il les atten­dait à la sor­tie des écoles, se mêlait à leurs rangs et conver­sait avec eux ; il les abor­dait sur les places publiques, les cher­chait jusque dans les ate­liers et les maga­sins, en confes­sait une mul­ti­tude, en reti­rait un grand nombre du vice. « Amusez-​vous bien, leur disait-​il sou­vent ; mais n’of­fen­sez pas le bon Dieu ! » Aussi Philippe exerçait-​il sur l’en­fance et la jeu­nesse un ascen­dant irré­sis­tible, et nul mieux que lui ne mérite d’être regar­dé comme le Patron des Oeuvres de jeu­nesse. Le Saint fon­da la Société des Prêtres de l’Oratoire.

Philippe jouait pour ain­si dire avec les miracles, et les résur­rec­tions de morts ne coû­taient rien à cet homme extra­or­di­naire. Il se regar­dait, mal­gré tout, comme le plus grand des pécheurs, et disait sou­vent à Dieu : « Seigneur, défiez-​Vous de moi, car j’ai peur de Vous tra­hir ! » Philippe mou­rut à l’âge de quatre-​vingt ans, le 26 mai 1595.

Source : Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version longue

La gloire de saint Philippe Néri est celle de tous les grands réfor­mateurs, qui, venus à leur heure, s’attachèrent à bien com­prendre leur époque pour remé­dier à ses défaillances.

Or, la vie de ce grand Saint embrasse presque tout le xvie siècle, et ce siècle est l’un des plus brillants et en même temps l’un des plus trou­blés de l’âge nou­veau qui suc­cède au moyen âge. C’est l’époque de la Renaissance et aus­si de la pré­ten­due Réforme.

C’est dire quelle influence saint Philippe fut à même d’exercer sur ce temps de fortes croyances, mais aus­si de grandes passions.

L’enfance.

Philippe naquit à Florence, « la ville des fleurs », le 21 juillet 1515, d’un avo­cat renom­mé, François Néri, et de Lucrèce Soldi. Il reçut le bap­tême dans l’église Saint-​Jean, et dut pas­ser sous les portes de bronze du célèbre Baptistère, portes qui, d’après Michel-​Ange, sont dignes du para­dis, et sous cet admi­rable clo­cher dont les Italiens disent : « Beau comme le Campanile ». Le carac­tère de l’enfant était d’une extrême sua­vi­té, et c’est cette ama­bi­li­té exquise qui fera toute sa vie l’attirance de son apos­to­lat. Il ne fut bien­tôt connu dans tout Flo­rence que sous le nom de Pippo Buono (le bon petit Philippe). Sa dévo­tion, qui était grande, n’avait rien de morose et s’alliait à une déli­cieuse viva­ci­té enfan­tine, non dépour­vue d’espièglerie.

La jeunesse. – A Rome.

A la fin de ses études, Philippe, âgé de dix-​huit ans, se ren­dit à San Germano auprès d’un oncle, riche mar­chand qui rêvait de faire de lui l’héritier de son com­merce et de sa for­tune. Mais le neveu, qui était loin d’avoir le sens pra­tique des affaires qu’eût sou­hai­té son parent, dut bri­ser avec ce der­nier après deux ans. Libre enfin de suivre son attrait qui le pous­sait vers Jésus-​Christ, à la fin de 1534 il se ren­dit à Rome sans argent, sans recom­man­da­tion, et d’ailleurs sans un but bien pré­cis. La pre­mière mai­son vers laquelle il diri­gea ses pas fut celle d’un gen­til­homme flo­ren­tin, nom­mé Galeotto Caccia, qui l’accueillit avec bon­té, lui céda une cham­brette dans sa demeure, puis, séduit par les bonnes manières et la ver­tu par­faite de son pen­sionnaire, lui confia fina­le­ment l’éducation de ses deux fils. Entre temps, Philippe consa­crait ses loi­sirs à l’étude de la phi­lo­so­phie et de la théo­lo­gie ; il s’exerçait même à la poé­sie latine et à la poé­sie ita­lienne : sur la fin de sa vie, il devait jeter au feu les vers qu’il avait com­po­sés. On le voit, c’était un esprit très culti­vé ; mais il avait sur­tout le sens du divin. Ceux qui l’approchaient res­taient tout émer­veillés de lui entendre trai­ter avec pro­fon­deur, exac­ti­tude et sur-​le-​champ, les matières les plus dif­fi­ciles. Mais c’est sur­tout à la science des Saints que le jeune Florentin s’appliqua ; il ne l’acquit pas sans com­bat. Le démon l’assaillit à cette époque par de vio­lentes ten­ta­tions d’impureté, et, pour mieux frap­per son ima­gi­na­tion, lui appa­rut plu­sieurs fois sous des formes hor­ribles. Philippe dédai­gna ces menaces qui, loin d’abattre son cou­rage, ne firent qu’augmenter son ardeur.

Il s’adonnait à la contem­pla­tion des choses divines ; sou­vent il y per­sé­vé­rait qua­rante heures de suite. Dans ces moments, l’amour divin enflam­mait tel­le­ment son coeur qu’il était contraint de se jeter par terre, d’entr’ouvrir ses vête­ments et de décou­vrir sa poi­trine pour tem­pé­rer les ardeurs qui le consu­maient. Dormant peu, cou­ché sur la dure, il pre­nait presque chaque jour la dis­ci­pline avec des chaînes de fer. Il visi­tait chaque nuit les sept prin­ci­pales églises de Rome et il se reti­rait dans le cime­tière de Saint-​Calixte. On dit que, pen­dant dix ans, il pas­sa ses nuits dans les Catacombes. Quand il trou­vait les églises fer­mées, il fai­sait sa sta­tion sous les por­tiques ; les pas­sants l’y virent plus d’une fois qui lisait à la lueur de la lune, son amour de la pau­vre­té le fai­sant renon­cer à l’emploi d’une lampe. Dans ces pèle­ri­nages noc­turnes, il s’unissait à Dieu par l’oraison et Dieu l’inondait de tant de délices qu’il s’écriait sou­vent : « C’est assez, Seigneur, c’est assez ! Arrêtez, Seigneur, arrê­tez, je vous en prie, les flots de votre grâce ! »

Le jour de la Pentecôte 1545, comme il sup­pliait le Saint-​Esprit de vou­loir bien lui accor­der ses dons, il sen­tit son coeur s’embraser, et. ne pou­vant sup­por­ter l’excès de cet embra­se­ment, il se jeta par terre. Quand il se rele­va, il por­ta sa main à sa poi­trine : elle s’était sou­le­vée d’un poing au-​dessus du coeur. A sa mort (1595), les méde­cins ouvrirent son côté et décou­vrirent que les deux fausses côtes situées au-​dessus du cœur, la qua­trième et la cin­quième, étaient complè­tement rom­pues ; les deux extré­mi­tés en étaient trop dis­tantes l’une de l’autre pour avoir pu se recol­ler dans l’espace de cin­quante ans. Quant à son cœur, il dépas­sait les dimen­sions habi­tuelles et l’aorte était deux fois plus grosse que la normale.

Saint Philippe, apôtre laïque.

Depuis cette bien­heu­reuse fête de la Pentecôte. Philippe devint un véri­table apôtre. Il ne fai­sait guère diver­sion à ses exer­cices spi­ri­tuels que pour visi­ter les hôpi­taux, soi­gner les malades. Peu à peu, il s’adjoignit comme auxi­liaires dans ce minis­tère des prêtres et des laïques de toutes les classes sociales.

Réalisant avant la lettre l’esprit des Conférences de Saint-​Vincent de Paul, il sub­ve­nait dis­crè­te­ment à toutes les misères, et sur­tout pre­nait un grand soin des pauvres cachés.

Une nuit, comme​.il allait, selon sa cou­tume, por­ter quelque pro­vision de vivres, il ren­con­tra un car­rosse sur son che­min, et, vou­lant lui faire place, il tom­ba dans une fosse assez pro­fonde. Mais un ange veillait sur lui ; il main­tint Philippe mira­cu­leu­se­ment en l’air et le reti­ra de la fosse sans aucun mal.

Dans une de ses courses cha­ri­tables, saint Philippe tombe dans un fos­sé ; il en est reti­ré par un ange.

Cette cha­ri­té pour le pro­chain por­ta le ser­vi­teur de Dieu ain­si qu’un saint prêtre, son confes­seur, nom­mé Persian Rosa, à fon­der un asile pour les pèle­rins conva­les­cents. Le jour de saint Roch, 16 août 1548, Philippe réunit quelques laïques dévoués à l’église Saint-​Sauveur in Campo. Cette confré­rie, sous l’impulsion de Phi­lippe Néri, entre­prit, à l’occasion du Jubilé de 1550, de ser­vir les pauvres pèle­rins. L’œuvre prit de rapides déve­lop­pe­ments : elle acquit d’abord une petite mai­son, puis une plus grande : on ne se bor­na pas à don­ner l’hospitalité aux pauvres étran­gers, mais on accueillit les “conva­les­cents qui, sor­tant des hôpi­taux, n’avaient ni retraite ni nour­ri­ture conve­nable pour se réta­blir tout à fait. Enfin, on con­struisit le magni­fique hôpi­tal de la Sainte-​Trinité, qui, lors du Jubilé de 1600, devait nour­rir pen­dant trois jours plus de quatre cent mille pèlerins.

Cependant, Philippe for­mait de nom­breux dis­ciples, par­mi les­quels il faut remar­quer Henri Pietra, des­ti­né à être l’un des piliers de la Congrégation des Clercs de la Doctrine chré­tienne, et plu­sieurs riches com­mer­çants qui entrèrent plus tard dans la Congrégation de l’Oratoire.

Son apostolat auprès des jeunes gens.

Une des formes les plus inté­res­santes de l’apostolat de Philippe fut le minis­tère béné­vole qu’il exer­ça toute sa vie près des jeunes gens. Il avait tant d’ascendant sur eux, grâce à la séduc­tion de ses manières, à son enjoue­ment, à sa fami­lia­ri­té même, qu’on le voyait dans les rues de Rome, tou­jours entou­ré d’un cor­tège de jeunes gens, cau­sant avec eux de leur métier, s’intéressant à leur famille et à leurs études. A ce titre, on pour­rait le consi­dé­rer comme le modèle des direc­teurs de patro­nage. Il les condui­sait aux envi­rons de Rome, dans une plaine ou une vil­la, et il les y fai­sait jouer à divers jeux de course et d’adresse. Nul ne fut plus « moderne », comme nous dirions aujourd’hui. « Soyez gais, disait-​il aux enfants, et n’ayez là-​dessus aucun scrupule ! »

La fondation de l’Oratoire.

Le simple laïque qui opé­rait tant de mer­veilles dut enfin céder aux ins­tances de ses amis : Philippe embras­sa l’état ecclé­sias­tique, et, au mois de juin 1551, sur l’ordre de son confes­seur, il rece­vait la prê­trise. Il se retire dans une com­mu­nau­té alors exis­tante, celle des Prêtres de Saint-​Jérôme, qui jouit d’une grande répu­ta­tion de ver­tu, et à laquelle appar­tient son confes­seur, Persian Rosa.

Le nou­veau prêtre appré­cie jus­te­ment les sta­tuts de cette petite com­mu­nau­té qui laissent une grande liber­té d’action à cha­cun de ses membres. Ceux-​ci doivent vivre en com­mu­nau­té, avoir table com­mune, mais ils ne s’engagent à aucun vœu. La forme de gouver­nement de la Société est répu­bli­caine ; le supé­rieur, qui en est le pre­mier sim­ple­ment en hon­neur, est, pour le reste, l’égal de tous ses confrères ; il doit rem­plir toutes les fonc­tions de son minis­tère comme pré­di­ca­teur, confes­seur, sui­vant un rou­le­ment éta­bli par ordre d’ancienneté ; eût-​il quatre-​vingts ans, il n’est pas exempt de ser­vir à table, car la com­mu­nau­té n’a pas de Frères lais, spé­cia­le­ment affec­tés au ser­vice, mais tous les Pères en sont char­gés à leur tour. Telle est la mai­son qui retient les pré­fé­rences du nou­veau prêtre. Elle sera le ber­ceau de l’« Oratoire », asso­cia­tion de prêtres des­ti­née à deve­nir illustre, et ain­si nom­mée par Philippe Néri, pour bien mar­quer que la sanc­ti­fi­ca­tion de cha­cun de ses membres devrait être basée prin­ci­pa­le­ment sur l’oraison.

Philippe rêva long­temps de mis­sions loin­taines en Extrême-​Orient ; mais ayant consul­té un saint reli­gieux de l’Ordre de Cîteaux, nom­mé Augustin Ghattino, il reçut de lui cette réponse : « Philippe ne doit cher­cher les Indes qu’à Rome, et c’est là que Dieu le des­tine, lui et ses fils, à sau­ver les âmes. »

Voilà donc Rome deve­nue désor­mais le théâtre de son apos­to­lat ; Rome, dont il devien­dra un jour le patron offi­ciel et com­bien populaire !

Il fit un bien immense au tri­bu­nal de la Pénitence. Comme plus tard le saint Curé d’Ars, il res­tait des jour­nées entières au confes­sionnal : « Quand je serais, disait-​il, aux portes du para­dis, si j’apprenais qu’un seul pécheur eût besoin de mon minis­tère, je lais­serais là la cour céleste, et je redes­cen­drais sur terre pour l’entendre. »

Très doux pour les incroyants, très indul­gent pour les héré­tiques et tous les dis­si­dents de bonne foi, il en rame­na un grand nombre à Dieu, par­ti­cu­liè­re­ment par­mi les Juifs. L’accent de sa parole était sin­cère, loyal et pro­fon­dé­ment reli­gieux ; tout adver­saire digne d’être enten­du trou­vait audience près de lui ; toute objec­tion de bonne foi était dis­cu­tée. Il intro­dui­sait si bien les âmes dans le secret divin que sa parole était à la fois un plai­doyer et un témoignage.

C’est pour la conver­sion des pécheurs qu’il entre­prit les « confé­rences spi­ri­tuelles ». Il don­na les pre­mières dans sa chambre, devant six ou sept per­sonnes ; l’auditoire gran­dis­sant, il fut obli­gé de deman­der un local plus grand. On lui don­na, au-​dessus de l’église Saint-​Jérôme, une salle assez vaste qui fut trans­for­mée en « ora­toire », et c’est de là que sor­tit bien­tôt la nou­velle Congrégation des Prêtres de l’Oratoire ; elle fut approu­vée par le Pape Grégoire XIII, le 15 juillet 1575 ; Paul V en approu­va les consti­tu­tions, le 24 février 1612. Le nombre des assis­tants aug­men­tant tous les jours, Philippe s’associa quelques-​uns de ses fils spi­ri­tuels pour l’aider dans ses con­férences. Un de ses pre­miers coopé­ra­teurs fut le grand anna­liste reli­gieux et futur car­di­nal César de Baron, né en 1538, à Sora, dans la « Terre de Labour », et plus connu sous le nom latin de Baronius.

Epreuves.

Cependant, tant de suc­cès lui sus­ci­ta bien des dif­fi­cul­tés. Il n’est pas de bri­made qui ne lui fût infli­gée. Tantôt, alors qu’il se pré­pa­rait à dire sa messe, on lui déro­bait le Missel ou les orne­ments, ou bien il trou­vait la porte de la sacris­tie fer­mée ; tan­tôt des per­son­nages oisifs le cou­vraient de plai­san­te­ries gros­sières. La calom­nie, l’équi­voque, les pro­pos ten­dan­cieux n’é­par­gnèrent point sa ver­tu. Le car­dinal vicaire lui-​même, cir­con­ve­nu par des envieux, fit appe­ler Philippe, et, après lui avoir fort repro­ché ses pèle­ri­nages, lui inter­dit le confes­sion­nal pen­dant quinze jours. « C’est pour la gloire de Dieu que j’ai com­men­cé ces exer­cices, répon­dit hum­ble­ment le ser­vi­teur de Dieu ; pour la gloire de Dieu, je les ces­se­rai. » Mais cette der­nière épreuve ne devait pas être d’une très longue durée. En effet, le car­dinal vicaire étant mort subi­te­ment avant d’avoir levé l’interdit, le Pape Paul IV, appe­lé à juger la cause, don­na au saint prêtre l’ordre de reprendre ses exer­cices et sol­li­ci­ta le concours de ses prières. Dans ces pénibles cir­cons­tances, Philippe ne per­dit jamais le sou­rire ni la patience ; la per­sé­cu­tion s’éteignit d’elle-même, et elle ne ser­vit qu’à for­ti­fier son œuvre.

« Chiesa Nuova ». – Baronius.

Le suc­cès ne sc ralen­tit plus. Pour faci­li­ter à un plus grand nombre la pra­tique des exer­cices, le fon­da­teur et ses com­pa­gnons jugèrent à pro­pos d’avoir une mai­son qui leur appar­tînt pour y rem­plir leur minis­tère avec plus de liber­té. Sur le conseil du Pape Grégoire XIII, ils prirent l’église Sainte-​Marie in Vallicella. C’est là que s’établit défi­ni­ti­ve­ment en 1575 la Congrégation des Prêtres de l’Oratoire.

Philippe trou­vant l’église trop petite pour le bien qu’il rêvait, eut l’audace de la faire abattre et il entre­prit de la recons­truire bien que les res­sources lui fissent défaut. La Providence et la Sainte Vierge y pour­vurent ; saint Charles Borromée fut l’un des pre­miers bien­faiteurs du nou­veau sanc­tuaire, qu’on appelle cou­ram­ment Chiesa Nuova (l’église neuve). L’office divin y fut célé­bré pour la pre­mière fois le 3 février 1577. Trois mois plus tard, le 8 mai, Philippe Néri fut élu supé­rieur du nou­vel ins­ti­tut ; tou­te­fois, il devait attendre jusqu’à la fin de 1583 pour venir habi­ter à Sainte-​Marie in Vallicella.

Le genre de vie était exac­te­ment celui que nous avons vu chez les Prêtres de Saint-​Jérôme ; la même sim­pli­ci­té y régnait. C’est ain­si que Baronius, dont toute l’Europe catho­lique connaît et étu­die les ouvrages, avait pris pos­ses­sion de la cui­sine, et il avait écrit sur la che­mi­née en gros carac­tères : Baronius, cui­si­nier per­pé­tuel. Quand les grands sei­gneurs et les savants venaient le consul­ter sur une diffi­culté, ils le trou­vaient avec un tablier, et ils devaient attendre, avant d’obtenir une réponse, que leur maître eût récu­ré les chaudrons.

Dieu réser­vait l’Institut nais­sant pour de plus grandes luttes, et Baronius, le « cui­si­nier per­pé­tuel », allait être obli­gé de quit­ter ses four­neaux et d’entreprendre, sur l’ordre de son Père spi­ri­tuel, l’œuvre qui a immor­ta­li­sé son nom.

A ce moment, l’hérésie de Luther cou­vrait de ruines toute une par­tie de l’Europe. Les doc­teurs pro­tes­tants s’appliquaient à déna­tu­rer la tra­di­tion immé­mo­riale de l’Eglise qui les condam­nait, et, dans ce des­sein, ils avaient entre­pris une série d’ou­vrages vrai­ment indi­gestes. Les prin­ci­paux chefs du luthé­ra­nisme avaient com­men­cé dans les Centuries de Magdebourg cette cam­pagne contre le dogme que les his­to­riens pro­tes­tants ou révo­lu­tion­naires ont conti­nuée jusqu’à nos jours, et dont le der­nier mot a été la néga­tion his­to­rique du Christ.

Comme on fai­sait tous les jours des confé­rences à l’Oratoire, Phi­lippe déci­da qu’un de ceux qui s’y employaient repren­drait toute l’histoire de l’Eglise, depuis Jésus-​Christ jusqu’au temps actuel, résu­mant les actes des mar­tyrs, les vies des Saints, les écrits des Pères, la suc­ces­sion des Pontifes, les ordon­nances des Conciles, année par année, afin de dis­si­per les fables de Magdebourg. Il exhor­ta Baronius à se char­ger de ce tra­vail, mais le modeste Oratorien, recu­lant devant l’immensité de la tâche, hési­tait encore. On ne man­quait pas, disait-​il, d’hommes plus savants et plus capables, et du reste, Onuphre Panvinio l’avait pré­ve­nu en com­men­çant une Histoire de l’Eglise. Philippe fut inflexible. « Faites ce qui vous est ordon­né, répliqua-​t-​il, lais­sez le reste. L’ouvrage vous paraît-​il dif­fi­cile ? Espérez en Dieu, et lui-​même le fera. »

C’est ain­si que nous pos­sé­dons les célèbres Annales ecclé­sias­tiques.

Miracles et extases.

Les his­to­riens et les bulles de cano­ni­sa­tion racontent plu­sieurs faits mer­veilleux dans la vie de Philippe Néri. Nous ne ferons qu’évoquer la résur­rec­tion du jeune prince Paul Massimo, rap­pe­lé sur cette terre juste le temps néces­saire pour se confes­ser, le 16 mars 1583. La chambre du miracle, au palais Massimo, a été trans­for­mée en une somp­tueuse cha­pelle. De nom­breux témoins, par­mi les­quels le car­di­nal Sfondrato, ami du Pape Paul V, virent plu­sieurs fois le ser­vi­teur de Dieu en extase, les genoux éle­vés au-​dessus de terre.

En pré­sence de faits de ce genre, il est inté­res­sant de se rap­pe­ler les direc­tions que le Fondateur de l’Oratoire don­nait aux confes­seurs, lorsqu’il leur recom­man­dait de ne pas croire trop légè­re­ment aux révé­la­tions ou extases que pré­tendent avoir leurs péni­tents, sur­tout à celles que racontent les femmes. Et fai­sant allu­sion à lui-​même et aux extases qu’il appe­lait « ses folies », mar­quant ain­si com­bien elles étaient réelles et par­fois pénibles à la nature : « Quiconque, s’écriait-il, cherche les extases et les visions, ne sait pas ce qu’il cherche ! » « J’ai eu, disait-​il encore, une péni­tente qui fut favo­risée long­temps d’extases. Quand croyez-​vous qu’elle me parut la plus admi­rable ? C’est lorsque je l’ai vue ren­trer dans la voie commune. »

Dernières années et mort de saint Philippe.

Après avoir connu l’épreuve, Philippe était deve­nu l’objet de la véné­ra­tion uni­ver­selle. Plusieurs fois, on lui offrit des digni­tés ecclé­sias­tiques, mais ce fut en vain, et les Papes Grégoire XIV et Clément VIII ne purent lui faire accep­ter le cha­peau de cardinal.

Accablé par les fatigues de son minis­tère, Philippe, arri­vé à un âge très avan­cé, apprit par révé­la­tion qu’il allait mou­rir. En 1593, il don­na sa démis­sion de prieur et fit élire Baronius à sa place.

Cependant l’heure fixée pour sa mort appro­chait. Le jour de la Fête-​Dieu de 1595, qui tom­bait cette année-​là le 25 mai, le ser­vi­teur de Dieu pas­sa la mati­née à confes­ser ses enfants, recom­man­dant aux uns la fré­quen­ta­tion des sacre­ments, aux autres la dévo­tion envers la Très Sainte Vierge, comme moyen cer­tain de salut ; aux autres la lec­ture de la vie des Saints, quand tout à coup il fut pris d’un vomis­se­ment de sang. En vain s’empressa-t-on auprès de lui ; tous les remèdes furent inutiles, et Philippe, voyant sa mort appro­cher, fit venir tous ses compagnons.

Baronius, alors Prieur géné­ral de l’Oratoire, s’approcha du lit. « Père, s’écria-t-il, vous nous quit­tez sans une parole ; du moins, bénissez-​nous ! » A ces mots, Philippe Néri ouvrit les yeux, les tour­na vers le ciel, puis, sans autre mou­ve­ment, les abais­sa sur tous ses fils age­nouillés, et sans avoir fait d’autre geste il expi­ra dans la nuit du 25 au 26 mai. Les miracles qui avaient com­men­cé pen­dant sa vie conti­nuèrent après sa mort. Après sept ans, son corps fut retrou­vé intact.

Le 2 août 1595, c’est-à-dire au bout de deux ans seule­ment, avait com­men­cé l’instruction du pro­cès de cano­ni­sa­tion ; il fut ache­vé le 21 sep­tembre 1605. Le 15 mai 1615, Philippe Néri fut ran­gé, par le Pape Paul V, au nombre des Bienheureux. Enfin, le 12 mars 1622, sous Grégoire XV, il reçut les hon­neurs de la cano­ni­sa­tion en même temps que quatre autres Bienheureux, dont trois avaient, comme saint Philippe, vécu au xvie siècle : saint Ignace de Loyola, saint François Xavier et sainte Thérèse d’Avila.

Sa sta­tue, œuvre de J.-B. Maini, a pris place en la basi­lique vati­cane, par­mi celles des fon­da­teurs d’Ordres.

Son corps repose en l’église Sainte-​Marie in Vallicella. Lors de la der­nière recon­nais­sance qui eut lieu seize ans après la cano­ni­sa­tion, il fut enfer­mé dans une lourde caisse de fer scel­lée. Ces reliques devaient être recon­nues et dépo­sées solen­nel­le­ment dans un nou­veau reli­quaire le 6 mars 1922, à l’occasion du troi­sième cen­te­naire de la cano­ni­sa­tion du Saint. Le 12 mars, la châsse fut por­tée dans les rues de Rome d’une manière triomphale.

Sur le modèle de l’Oratoire de Rome, le car­di­nal de Bérulle ins­ti­tua à Paris, en 1611, une (Congrégation fran­çaise, qui a été recons­ti­tuée en 1852 ; une autre Congrégation de l’Oratoire, celle-​ci dite d’Angle­terre, a été fon­dée à Rome en 1847 par le futur car­di­nal Newman.

A. Poirson.

Sources consul­tées. – F.-T. de Belloc, La fon­da­tion de l’Oratoire, saint Philippe de Néri (Sienne, 1895). – Ernest Hello, Physionomies de Saints (Paris). – Vie de saint Philippe de Néri, tra­duite des Bollandistes (Paris). – Louis Ponnelle et Louis Bordet, Saint Philippe Néri (Paris, 1928). – (V. S. B. P., nos 16 et 17.)