En hommage à ce Père dominicain qui a gardé la Tradition contre vents et marées, nous montrant l’exemple de la fidélité persévérante.
Croyance en Dieu
L’un des arguments apologétique qui m’impressionne le plus est de penser que des hommes semblables aux autres hommes pécheurs et corrompus aient compris et accepté avec joie de voir se former en leur intelligence des vérités assez audacieuses pour les meurtrir et assez attirantes pour les humilier volontairement. Pareil phénomène ne peut relever de l’illusion puisque le propre de l’illusion est de toujours contenter et de ne jamais mécontenter. Il faut que le cercle de ces vérités, une fois passé la périphérie de leurs exigences si crucifiantes pour la nature, comprennent un centre dont l’attraction ne s’explique que par son exacte correspondance aux appels les plus essentiels de notre appétit de vie éternelle. Il n’y a qu’un Dieu à pouvoir ainsi forger en nous des vérités si impérieuses.
Affirmation
Elle est la sonorité de l’être, comme le battant de la cloche donne la sonorité de l’existence de cette cloche. L’affirmation, c’est la réalité qui chante son existence, rien de plus naturel que l’Existence Principe se soit chantée par une succession d’affirmations, dont la plus belle est celle faite à Moïse : « Je suis Celui qui suis ». Telle est la mission de la parole : ne pas hésiter devant l’être, le dire sans bavure, l’affirmer sans trembler afin de le révéler sans discussions, en le faisant sortir du brouillard des opinions pour le faire surgir dans la lumière des évidences. La parole qui dissimule et la parole qui atténue sans raison capable de faire honneur au silence, est une parole de trahison qui se condamne elle-même en attendant d’être condamnée par Dieu. Aux affirmations de Dieu, nous ne pouvons répondre mieux que par l’affirmation du Credo et ce langage est le plus honorable que l’on puisse attendre de la pensée puisqu’en affirmant la Vérité Suprême, on offre à la pensée l’occasion unique de se traduire dans la perfection de son être. Croire : c’est réfléchir, savoir, vouloir, parler et c’est déjà aimer.
Ascèse
Il n’y a qu’une vie de méditation et d’ascèse qui soit capable de changer nos idées en progrès, nos discours en force créatrice, nos projets en réalisations heureuses. Ne pas le vouloir c’est continuer de chanter dans une prison, c’est regarder par la fenêtre la direction à prendre sans se donner la peine d’ouvrir la porte pour s’y rendre.
Doctrine
Pour communier à la doctrine, c’est comme pour communier à l’Eucharistie, il faut être en état de grâce, j’entends qu’il faut l’étudier, la réfléchir, l’interpréter et l’enseigner avec une présence en soi de l’esprit de Dieu le plus authentique. Cet esprit est celui de la vie intérieure. Le Docteur, le Prédicateur célèbrent la Messe sans arrêt : de l’autel de pierre, ils passent à l’autel de leur lecture, mais, aux pieds des deux, ils commencent par le Confiteor, car pour vitaliser son enseignement il faut lui demander d’abord de nous enseigner à nous-même notre faiblesse, notre mission, nos responsabilités. Tout ce qui est doctrine atteint le secret de Dieu, les secrets ne s’entendent que dans l’intimité de la vie intérieure, autrement on n’enseigne pas un secret, on raconte une nouvelle avec plus ou moins de fatuité.
Le Don
Pourquoi nous est-il si dur de nous donner ? Parce que le don authentique est déjà un écho de la mort. Prononcer des paroles généreuses, c’est fournir à notre être la joie de les prononcer, surcroît d’existence pour notre vie sensible ; les réaliser, c’est emmener notre vie sensible à une diminution d’existence, elle n’aime pas beaucoup cela, même lorsque la Foi lui promet mieux et plus vivant pour l’âme et pour l’esprit. Trop d’âmes rêvent d’un don qui au fond n’en est pas un. Elles se donnent pour recevoir sans vouloir rien abandonner.
Générosité
Nous sommes de puissants imbéciles qui confondons les notions les plus essentielles aux dépens du bonheur que nous voulons tous. Nous pensons richesse et, ce faisant, nous nous approprions, alors qu’il faudrait se délivrer de tout dans un élan enrichissant de tout notre être vers la vie essentielle des vérités et des amours dont la possession nous enlèverait à tout jamais le goût de posséder. La matière acquise pour elle-même nous appauvrit radicalement, car elle fait de nous le propriétaire de ce qui est incapable d’enrichir puisque c’est incapable d’aimer. L’élan n’est autre chose que la projection hors de soi, sous forme d’amour afin de devenir davantage soi en communiquant libéralement ce soi aux autres. Expérimenter sa puissance de don, s’appauvrir volontairement de soi-même, c’est s’enrichir des trésors que l’on porte en soi et qui ne deviennent féconds qu’une fois donnés aux autres. Il n’y a que deux-espèces de pauvres : les appauvris volontaires de biens matériels : ce sont les fortunés de Dieu, les appauvris de Dieu : ce sont les fortunés de la terre.
Grâce
« Ceux qui persévéreront jusqu’à la fin… ». Persévérer dans la grâce : deux mots graves. La persévérance révèle qu’on a compris deux choses : son impuissance personnelle à rester seule dans la ligne de Dieu. Connaître, constater, avouer cette impuissance, c’est déjà la pré-grâce essentielle. Ensuite, comprendre la place de la grâce dans nos vies, dans la zone intellectuelle de nos jugements et la zone effective de nos cœurs. La place de la grâce : un état de grâce, une habitude à laisser le surnaturel gouverner le naturel de nos activités sans discontinuité. On persévère quand on enchaîne ses pensées à ses actions, ses actions a ses travaux, ses travaux à ses devoirs, ses devoirs à ses journées avec le fil de la grâce.
État de grâce
L’homme n’est jamais simplement mécanisme sensible, autrement il serait fixé dans un cycle de manifestations et d’activités qui échapperaient aux lois du perfectionnement ou de la perversion. La perversion réclame un état spirituel autant que la sainteté, l’amour de la torture, un état de conscience autant que l’amour de la pureté. La sensibilité traduira ces états d’âme par la bestialité ou l’héroïsme, mais elle ne remplira qu’un rôle secondaire, celui de servir le maître invisible auquel nous avons librement donné notre cœur. L’homme n’est jamais seul avec lui-même, en lui-même, il n’est jamais nature pure de toute présence étrangère, il n’a qu’une alternative qui sollicite sa liberté et, en le sollicitant, l’achève dans sa déchéance ou l’achève dans son redressement : celle de retrouver ses capacités de grandeur dans le mal en se donnant une âme en état de perversion, dans le bien en se donnant une âme en état de grâce.
Le Christ
C’était presque un paradoxe pour Dieu de vouloir se révéler à nous. Uniquement et fortement spirituel, Il allait se traduire par l’intermédiaire de réalités matérielles. L’intraduisible de la déité allait utiliser pour s’exprimer aux hommes ce qu’il y a de plus rebelle à le traduire : la réalité sensible. La violence de l’opposition serait atténuée par la lumière de Foi, cette manière à Lui de s’installer dans le créé en respectant la transcendance divine qui demeure incommunicable donc invisible, et la liberté du créé qui s’incline sous l’autorité indiscutable des certitudes tout en conservant la liberté de ses consentements. Il n’y a que Dieu à pouvoir parler ainsi sans se tromper.
Lois divines
Les lois de Dieu sont à l’âme ce que les canaux sont au fleuve : elles y conduisent et elles en viennent. Observer la loi c’est établir entre Dieu et nous la possibilité d’un va et vient de connaissances dont l’échange, en glorifiant Dieu, nous rapproche de Lui. La loi n’a de rigidité que dans sa forme, comme le fleuve n’en a que dans ses berges, mais c’est dans le but d’assurer à l’amour qu’elle apporte la possibilité de se traduire avec la tendresse qui le caractérise comme le fleuve se déroule avec la souple nonchalance qui lui est propre, assuré qu’il est de ne pas se répandre en de coupables dévastations grâce aux rives qui lui conservent la droiture de son orientation. Observer une loi, c’est vivre avec sécurité et avec dynamisme, c’est assurer, entre Dieu et nous, une circulation d’amour qui nous apporte quelque chose de Dieu et y emporte quelque chose de nous. La fidélité à la loi porte en elle-même sa récompense : elle augmente la sagesse du cœur et l’intelligence de l’esprit comme l’ascension augmente la vision en élargissant les horizons.
Amour
La valeur d’une affection se reconnaît à son « pondus » car c’est le poids d’un sentiment qui apporte le repos et la stabilité. Toute vitesse, tout déplacement d’une pesanteur a pour terme le repos de l’immobilité. La pesanteur est à la matière ce que la valeur est à la pensée : elle la qualifie. Nos affections sont qualifiées par leur valeur et ces valeurs s’apprécient à leur pesanteur d’amour. Tout autre sentiment mêlé à l’amour l’allège, lui enlève son poids, en fait un amour léger, et rien n’est incapable de repos et de stabilité comme ce qui manque de poids, ce qui est léger. Comme une plume au vent, l’amour léger se déplace en d’incessantes velléités et d’incessants caprices qui en condamnent l’absence de poids par le refus du repos et de la stabilité impossible à laquelle cette légèreté a contraint cet amour frelaté. Il n’y a que les êtres de densité, les sentiments denses de sincérité qui connaissent l’amour car la densité porte avec elle les promesses de la durée qui s’appelle fidélité pour l’amour.
Modernisme
Il n’est pas un est une mentalité. On peut être moderniste avec n’importe quelle philosophie, il suffit d’avoir la passion du bien et de la vérité jusqu’à leur interdire de ne pas être autre chose que ce que l’on a décidé qu’ils seraient indépendamment de ce qu’ils sont de toute éternité. C’est la passion et le culte du moi revêtu des dogmes et des encycliques, car c’est un « moi » qui a le souci du ciel à condition qu’il ne contrarie pas l’individualisme de la terre. Le modernisme est l’une des erreurs les plus dangereuses parce qu’elle naît dans les sacristies aussi facilement que dans les loges, elle naît là où l’homme n’est pas résolu à être le vaincu de Dieu. Elle démolit le règne de Dieu en le poursuivant car elle « rachitise » les idées en les exposant avec une envergure qui n’est que la caricature de la grandeur. Dans le modernisme, l’attrait de Dieu fait qu’on lui donne la préférence, mais la peur qu’on en a, sur le plan du renoncement, explique pourquoi on Lui mesure cette préférence. Le moderniste se procure ce luxe intellectuel pour son orgueil très pieux, de mesurer Dieu avec la règle d’or de ses assurances intellectuelles, et en le mesurant, il L’empêche d’être Dieu et Le force à n’être qu’une divinité sans déité. Dieu fait l’homme à son image et l’homme…
La vie
La pensée est une forme supérieure de la vie, elle n’est pas la vie, sans quoi elle ne s’appellerait pas pensée mais vie. La partie ne peut pas expliquer le tout, la pensée ne peut pas expliquer la vie. Elle lui emprunte la part la plus spirituelle de ce qu’elle est pour en comprendre les aspects inférieurs ou égaux à elle-même pensée, mais elle ne peut dire ce qu’est la vie. Avoir, pour la raison, la prétention de tout comprendre et de tout expliquer, est aussi vain que ridicule, car, du jour où la raison aura compris qu’il existe un domaine incompréhensible pour ses seules forces, et, ce jour-là, elle ne sera plus prétentieuse mais vraie.
R. P. de Chivré O.P.
Pour mieux connaître les écrits et la pensée du Père de Chivré, rendez-vous sur le site de l’Association du Révérend Père de Chivré.