Les 40 ans du rappel à Dieu du R. P. de Chivré – Le Chouan de Dieu

Combattu, mépri­sé, bri­sé, réduit au silence, appa­rem­ment vain­cu… mais tou­jours main­te­nu debout par son union vitale à Notre-Seigneur !


T.R.P. Bernard-​Marie de Chivré O.P.
12 février 1902 – 14 juillet 1984

« Il faut me faire à cette idée, je ne suis pas aimé à cause des idées que j’aime et de la forme d’idéal qui m’a ani­mé depuis tou­jours. Se fian­cer à la Vérité, c’est se condam­ner au divorce d’avec beau­coup d’hommes.[1]»

Artus de Chivré (1850–1911) hérite, de son père en 1881, du châ­teau de Gonneville (Manche) et s’y ins­talle avec son épouse, Berthe Gilliard (1857–1941). De leur union, naissent 1 fils et 5 filles. La pieuse mère de famille se désole de n’avoir pas d’autre fils et, pour l’obtenir, fait le vœu de se rendre en pèle­ri­nage au mont Saint-​Michel si cette grâce lui est accor­dée. Le 12 février 1902, Mercredi des Cendres, un fils voit le jour et est bap­ti­sé : Michel Pierre Marie Gonzague.

Le 12 février 1911, le petit Michel reçoit de sa mère une image où elle écrit « Que tou­jours et par­tout la Sainte Vierge pro­tège mon Michel ». L’image repré­sente Notre-​Dame remet­tant le rosaire à saint Dominique.

Le Jeudi-​Saint, 13 avril 1911, il fait sa pre­mière com­mu­nion à Gonneville. En ce Jeudi-​Saint, jour pour lequel il aura tou­jours une infi­nie véné­ra­tion, se grave en l’âme de l’enfant cette cer­ti­tude : « Je serai Prêtre ».

Le 21 juillet de la même année, l’épreuve frappe la famille avec la mort du père de famille.

Bernard, fils ainé, enga­gé volon­taire à 19 ans, est tué en Belgique le 28 mai 1918. C’est son pré­nom que son frère vou­dra por­ter lorsqu’il aura à choi­sir un nom de reli­gion, asso­cié à celui de la Vierge : il sera frère Bernard-Marie.

Jusqu’en 1912, il suit les cours de l’Institut Saint-​Paul à Cherbourg. A la ren­trée de 1912, il est à Versailles où s’est éta­blie la famille après la mort du chef de famille. Il obtient son bac­ca­lau­réat au col­lège Saint Jean de Béthune.

Il n’a encore que 18 ans, et sent le désir d’aller plus loin et, sur­tout plus haut. La médio­cri­té lui fait hor­reur. « Une vie n’est digne de ce nom que si une volon­té de gran­deur se mêle de la conduire vers les som­mets d’un amour capable de scan­da­li­ser les médiocres et d’enthousiasmer la popu­lace, ain­si que les anges ». Les bons Pères Eudistes ont com­pris cela et vou­draient bien le déci­der à les rejoindre. Ils lui ont même déjà réser­vé une chambre dans leur novi­ciat… mais, son pro­fes­seur de phi­lo­so­phie, un Eudiste qu’il véné­rait, lui dit : « Il vous faut un grand ordre » ! Voici donc notre Michel en retraite à la vil­la Manrèse à Clamart… chez les Pères Jésuites ! Au terme de son séjour, celui-​ci déclare fiè­re­ment aux bons Pères : « Merci, mon Père… je vais chez les domi­ni­cains ».

Il se fait déjà remar­quer en mili­tant, par exemple avec L’Action Française pour l’instauration de la fête de sainte Jeanne d’Arc. Il s’occupe aus­si des jeunes, et avec son confes­seur, l’abbé Richaud[2], futur arche­vêque de Bordeaux, il fonde la pre­mière troupe scoute de France. « Chevalier de France », scout mestre de la 1ère de Versailles en 1922, chef de dis­trict en 1924, « Gazelle tran­quille », tel est son totem, par­ti­cipe au Cours de Chamarande avec le Père Sevin[3], au Jamboree d’Ermelunden (Danemark) en 1924. Il a alors sous sa direc­tion un cer­tain Paul Philippe[4], chef de troupe à Saint-​Cloud, avec qui il res­te­ra ami et qu’il aura la sainte imper­ti­nence de tou­jours appe­ler « Potame », dimi­nu­tif d’un totem dis­gra­cieux, même lorsque le Père Paul Philippe, lui aus­si domi­ni­cain, sera deve­nu Cardinal.

« Il fait ensuite son ser­vice mili­taire à Satory. Enfin, en 1924, il a frap­pé à la porte des domi­ni­cains à Amiens. Quelques années après, je vois et j’entends encore Maman lui deman­der : « Es-​tu heu­reux ? ». C’est alors, je ne devrais pas le dire mais c’est ain­si, il a été entou­ré d’une espèce de lumière et a répon­du com­bien la règle de Saint Dominique lui conve­nait. En tout cas, il n’en est jamais sor­ti et est res­té très ferme sur ses posi­tions mal­gré les tem­pêtes actuelles. Après quelques années de sémi­naire, il m’a dit com­bien il remer­ciait Maman de l’avoir fait attendre[5]».

Il entre au novi­ciat de la pro­vince de France, situé à Kain (Le Saulchoir) en Belgique. Le maître des novices est alors le Père Berger, lequel, dit-​on, « gué­ris­sait de la vani­té et de la pré­ten­tion propres à la jeu­nesse à coup de pieds au der­rière (sic) ». Cela ne fait pas peur à notre novice, moins peur, en tout cas, que ces oppo­si­tions intel­lec­tuelles et spi­ri­tuelles qu’il doit déjà affron­ter, au novi­ciat même, au contact d’un Chenu [6] ou d’un Congar[7], son aîné. Nous sommes en 1925–1930 : le ral­lie­ment à la République, le démo­cra­tisme, le moder­nisme, le Sillon, l’Action Catholique consti­tuent une part de l’ambiance dans laquelle il doit lut­ter pour assu­rer sa fidé­li­té, et lui imposent un devoir de sépa­ra­tion intel­lec­tuelle d’avec cer­tains de ses frères reli­gieux. Déjà, il n’est pas aimé de tous, à cause des idées qu’il aime. Certains, tou­te­fois, l’aimeront et esti­me­ront sa droi­ture. Il noue­ra au Saulchoir de belles et pro­fondes ami­tiés, entre autres avec le R.P. Garrigou-​Lagrange[8], pro­fes­seur au couvent.

Frère Bernard-​Marie fait pro­fes­sion pour trois ans, le 23 sep­tembre 1925, puis pro­fes­sion per­pé­tuelle le 23 sep­tembre 1928, avant d’être ordon­né au sacer­doce le 25 juillet 1930. Le voi­ci enfin tota­le­ment « Frère Prêcheur ». Il a 28 ans. et s’apprête à vivre l’absolu du don de soi : « Le don de soi est la condi­tion de la vie. Plus l’homme s’épanche, plus il se for­ti­fie ; plus sa vie est com­mu­ni­quée, plus elle est concen­trée ; plus elle est géné­reuse, plus elle est maî­tresse d’elle-même ; plus elle est rayon­nante, plus elle est cen­trale. Et l’absorption en soi-​même, qui se donne comme une garan­tie, une sécu­ri­té, une pru­dence de la vie qui se garde, est la condi­tion même de la pour­ri­ture[9] ».

Envoyé au couvent d’études du Havre, il est assi­gné ensuite au couvent d’Amiens. C’est là qu’une pre­mière atteinte grave du can­cer vient le frap­per. Un trai­te­ment aux rayons le laisse sans force, et c’est un pèle­ri­nage à Lourdes qui lui rend défi­ni­ti­ve­ment les forces nécessaires.

Le R.P. Padé, pro­vin­cial, le nomme prieur du couvent de Lille, en 1938. Ces pre­mières années d’apostolat sont déjà celles d’une intense acti­vi­té de pré­di­ca­teur. Il prêche fré­quem­ment à la cathé­drale de Lille. Le car­di­nal Suhard, arche­vêque de Reims, le demande pour y prê­cher un Carême. Ce sera le début d’une sainte ami­tié qui dure­ra jusqu’à la mort du car­di­nal, deve­nu arche­vêque de Paris.

Le R. Père de Chivré, aumô­nier des avia­teurs pen­dant la IIe guerre mondiale.

C’est à Lille que la guerre le trouve. Avec l’autorisation de ses supé­rieurs, il s’engage en tant qu’aumônier mili­taire et est affec­té à une esca­drille d’aviateurs. Lors de la débâcle, son uni­té, mon­tée d’abord en Hollande, redes­cend vers la France et se trouve prise dans le piège de Dunkerque. Alors que les bom­bar­de­ments font rage au sud de Dunkerque, un offi­cier s’adresse au Père : « Tout de même, s’il y avait un peu un Bon Dieu, ces choses n’exis­te­raient pas », et lui de rétor­quer : « Messieurs, voi­là 20 ans que vous vous fou­tez de Dieu, voi­là 2 mois que Dieu se fout de vous, le compte n’est pas encore quitte »[10]. Il est très actif, encou­ra­geant par son calme et sa séré­ni­té les sol­dats : lorsque le com­bat fait rage et que pleuvent les obus, les sol­dats, qui l’avaient sur­nom­mé « la Mascotte », se regroupent autour de lui. Les balles et les obus semblent, en effet, igno­rer l’aumônier. Cela lui mérite une cita­tion à l’ordre de la Brigade aérienne : « Aumônier de Chivré, Prêtre-​soldat au cou­rage simple et tran­quille, s’est tou­jours trou­vé dans l’unité la plus en dan­ger et a tenu à être éva­cué le der­nier. A récon­for­té les faibles aux heures dif­fi­ciles et a su méri­ter par sa pré­sence et sa bra­voure l’estime et l’affection de tous ».

Il est par­mi les der­niers à embar­quer pour gagner l’Angleterre, mais n’y reste pas long­temps. Il regagne donc la patrie (juillet 1940) où il retrouve quelques élé­ments de son uni­té. Avec ses chers avia­teurs, le voi­ci qui se retrouve à Pau. Là, bles­sé à la tête dans un acci­dent de voi­ture, il est démo­bi­li­sé mais reste très fati­gué. Le Père Motte, pro­vin­cial, l’envoie, encore conva­les­cent, aumô­nier d’un pen­sion­nat fon­dé par des sœurs domi­ni­caines réfu­giées de Lille et de Paris, dans un hôtel désaf­fec­té à Sail-​les-​Bains, entre Vichy et Roanne.

C’est alors la reprise d’un apos­to­lat intense. Le P. Motte lui confie la charge de vicaire pro­vin­cial pour la zone sud. Sa tâche est déli­cate car les Pères domi­ni­cains de sa pro­vince, dis­per­sés par la guerre et l’occupation, se mettent par­fois dans des situa­tions dif­fi­ciles vis-​à-​vis de l’occupant ou des auto­ri­tés, et celles-​ci lui demandent de faire obéir ses reli­gieux. Il se porte volon­taire pour la Syrie mais ne reçoit pas l’autorisation de s’y rendre.

Le 7 novembre 1941, sa mère meurt à Gonneville. Le Père ne pour­ra être pré­sent à ses obsèques.

En 1943, après ces années d’apostolat tumul­tueux en zone sud, le Père est nom­mé au couvent du Havre. N’ayant pas les papiers vou­lus pour se rendre en zone inter­dite, il en fait l’objection au Père pro­vin­cial, lequel lui répond comme un bon mili­taire : « Débrouillez-​vous ! ». Le Père com­prend sans peine ce genre de réponse, et se débrouille effec­ti­ve­ment. Avec l’aide des anges gar­diens, il passe sans encombre et retrouve cette Normandie qu’il aimait tant. Il ne la quit­te­ra plus.

Le couvent d’études du Havre, répu­té pour la qua­li­té de ses reli­gieux était très esti­mé des Havrais. Notre Père est man­gé par les apos­to­lats de toutes sortes : pré­di­ca­tions, mis­sions, direc­tions innom­brables, cour­rier écra­sant… Il enseigne la doc­trine et prêche des retraites dans les pen­sions de la ville. C’est au terme d’une de ces retraites prê­chée aux élèves que les reli­gieuses se sont écriées : « une coule de grâce enve­loppe cette mai­son ».

Il est nom­mé prieur du couvent où il res­taure la vie reli­gieuse régu­lière. Il col­la­bore à la fon­da­tion du couvent de Rouen, et son champ d’apostolat le conduit jusqu’à Paris, une semaine par mois. Nommé par la suite au couvent de Rouen, le prieur local trouve notre Père un peu encom­brant et obtient qu’il soit ren­voyé au Havre où il sera à nou­veau prieur. Adversaire achar­né du men­songe qui sévit dans les années sui­vant la Libération, il s’en va prê­cher et crier la véri­té au cours de mis­sions, retour­nant les esprits et les cœurs. En 1950, à Bolbec, il retourne une foule d’ouvriers. En 1952, au cours du Carême, il en est de même pour une assem­blée de paroissiens.

Cet apos­to­lat très intense le fait appré­cier du R.P. Suarez, maître géné­ral de l’ordre, lequel lui pro­met de main­te­nir le couvent du Havre. Le Père aimait évo­quer ce couvent auquel il avait tant don­né de lui-​même. On a pu l’entendre par­ler du « gueu­loir » du P. Monsabré, ce coin du parc domi­nant l’océan où le célèbre pré­di­ca­teur allait s’exercer à décla­mer ses ser­mons. Après le décès du P. Suarez, le 30 juin 1954, le couvent sera fer­mé et c’est au couvent de Rouen qu’appartiendra défi­ni­ti­ve­ment le Père.

En février 1956, Jean Madiran fonde la revue « Itinéraires ». Madiran témoi­gne­ra lui-​même de la place tenue par le Père dans cette fon­da­tion : « Avant d’être per­sé­cu­té pour sa fidé­li­té à la messe, le P. de Chivré était déjà mor­tel­le­ment sus­pect pour son ami­tié mili­tante à l’égard d’Itinéraires. Cette longue ami­tié mili­tante a com­men­cé avec la nais­sance de la revue, et le P. de Chivré l’a main­te­nue jusqu’à sa mort ».

Mais le signe de la Croix est tra­cé à nou­veau sur le Père. En octobre de cette même année 1956, un double sar­come du colon, l’arrête en plein élan. Le méde­cin qui l’opère, lui donne deux mois de vie. Il s’en sort… Après une année de conva­les­cence, le voi­ci de nou­veau apte à la vie active. Il doit se ména­ger et, avec l’accord de ses supé­rieurs, il est contraint de quit­ter Rouen pour Versailles où son ami, Henri David, met un appar­te­ment à sa dis­po­si­tion. C’est, pour lui, un immense sacri­fice que de quit­ter sa vie reli­gieuse régu­lière et sa com­mu­nau­té de Rouen. Il mène­ra désor­mais une vie moins conven­tuelle, mais non pas moins apostolique.

C’est alors que lui revient cette pen­sée déjà ancienne de la néces­si­té d’un centre de réflexion et d’études, sem­blable à ce que fut « la Sapinière » pour faire bar­rage à cette per­ver­sion des esprits qu’il voyait conta­mi­ner l’élite de la socié­té et de l’Église. C’est donc l’aventure d’Ecalles-Alix, petite bour­gade près d’Yvetot, que com­mence une vie apos­to­lique intense, dif­fé­rente mais tout aus­si com­bat­tante… pour l’Eglise, pour l’Ordre et pour la patrie. Monsieur Rousselet, ami nor­mand du Père, met à sa dis­po­si­tion une mai­son qui sera « Notre-​Dame du Granit ». En par­cou­rant le « Livre d’or », on y relève quelques noms : Jean Madiran, André Charlier, Gustave Thibon, Marcel de Corte, Jean Daujat, Pierre Virion, Louis Salleron, Mgr Ducaud-Bourget…

Le R. P. de Chivré à Ecalles-​Alix en Normandie, en 1983.

Sans être à la tête de la contes­ta­tion, il est pré­sent dans la bataille pour la défense de la Tradition. Tout comme Monseigneur Lefebvre ou le Père Calmel, il attire l’at­ten­tion sur la noci­vi­té de la réforme litur­gique. Il est de ceux qui, dès 1966, pré­co­nisent un pèle­ri­nage de la Tradition à Rome : « Dès 1966, le vaillant Père de Chivré, main­te­nant arri­vé dans l’éternité, nous avait encou­ra­gé dans un pro­jet de grand pèle­ri­nage à Rome, après le blâme infli­gé par le Conseil per­ma­nent de l’Épiscopat aux défen­seurs de la Tradition…[11]». Pour la fête du Christ Roi de 1968, il fait par­tie des 170 Prêtres qui signent le « Vade Mecum du Catholique Fidèle ».

En 1972, le Père est ter­ras­sé par une attaque céré­brale. Il se remet­tra peu à peu, obli­gé de réap­prendre à par­ler et à écrire. La pen­sée demeure, intacte, mais ne peut s’exprimer. Un domi­ni­cain sans parole ! Un Prêtre sans voix ! Il doit réap­prendre à célé­brer la Messe. Durant cette épreuve, Dieu accor­de­ra au Père une grâce très déli­cate de pro­tec­tion mariale. En effet, alors qu’un ami priait le rosaire à ses côtés, le Père s’efforçait de dire avec lui les prières. Il n’arrivait pas tou­te­fois à pro­non­cer cor­rec­te­ment les paroles du Pater Noster ni celles du Gloria Patri, mais il pro­non­çait sans tré­bu­cher celles des Ave Maria.

Le Père reprend ses acti­vi­tés et ses contacts avec Ecône et Mgr Lefebvre. Le 4 juillet 1975, après les pre­mières mesures de Rome contre Monseigneur et la Fraternité, le Père dif­fuse une note pour prendre sa défense : « Nous nous voyons obli­gé en conscience, non pas de nous révol­ter, mais d’organiser la résis­tance indomp­table pour l’honneur de la Foi… Nous sommes arri­vés au point de rup­ture qui va déci­der de la sup­pres­sion du sacer­doce médi­tée en secret par plu­sieurs pré­lats mar­qués pour l’éternité du sacre­ment qu’ils pro­fanent chez les autres. Il faut choi­sir sans ambi­guï­té ».

En 1977, il est à Ecône pour la Semaine Sainte et pour les ordi­na­tions. Durant l’été, il va encore voir Monseigneur à Ecône pour essayer d’aider à résoudre une crise qui secoue le sémi­naire, et se rend à Fanjeaux où il prêche la retraite annuelle d’une com­mu­nau­té de vingt sœurs domi­ni­caines, arri­vées à Fanjeaux le 2 juillet 1975, après avoir tout quit­té de ce qui était leur vie, hor­mis leur habit, leur rosaire, leurs consti­tu­tions et leur fidé­li­té à la Messe et à leurs vœux. Sans les connaître encore, il savait qu’il serait com­pris. De fait, il fut aimé à cause des idées qu’il aimait, et de la forme d’idéal qu’il vivait et prê­chait. Treize fois, le Père repren­dra le che­min de Fanjeaux, à la Clarté-​Dieu puis au Cammazou, heu­reux et comme rajeu­ni par ce contact avec des âmes domi­ni­caines qui par­tagent sa fidélité.

Le 25 juillet 1980, entou­ré de ses plus vieux amis, de Mgr Lefebvre et des sœurs de Fanjeaux, le Père fête, au Granit, son jubi­lé sacer­do­tal. Le 20 sep­tembre 1980, il va, pour la der­nière fois, à Ecône pour l’ordination de l’Abbé Simoulin.

Jubilé sacer­do­tal du R. P. de Chivré en com­pa­gnie de Mgr Lefebvre, des sœurs de Fanjeaux et de ses amis, le 25 juillet 1980.

1982 sera pour lui une année dou­lou­reuse : le 14 mai et le 19 mai ver­ront le rap­pel à Dieu de ses sœurs Cécile et Geneviève.

Le Dimanche des Rameaux 1984, 15 avril, le Père désigne le taber­nacle aux fidèles pré­sents à la messe, leur disant : « Vous aurez mieux que moi, plus que moi ». Et le Mercredi-​Saint, 18 avril, le Père prend la route de Fanjeaux. Il veut célé­brer ce Jeudi-​Saint en terre domi­ni­caine, et veut aus­si bap­ti­ser une enfant conver­tie du boud­dhisme et confiée aux sœurs. « Mais une extrême fatigue s’empara du Père au cours de ce voyage trop incon­for­table et trop long pour lui ; il condui­sait néan­moins la réci­ta­tion du Rosaire avant la tra­ver­sée de Chartres, et encore avant notre pas­sage à Romagne… un arrêt près de Bordeaux sem­blait lui avoir ren­du des forces, mais le reste du voyage, inter­mi­nable, devait ache­ver de l’épuiser au point qu’après Castelnaudary il ne savait plus où il était… Le Jeudi-​Saint, après la Messe, le Père fit une grande et pro­fonde génu­flexion, et il trou­va encore la force de se rele­ver en pre­nant appui sur le repo­soir ; peu de temps après, il tom­bait pour ne plus se rele­ver ». Son seul sou­ci sera alors le bap­tême de cette enfant, et il n’acceptera de se lais­ser faire que lorsqu’il sau­ra que l’Abbé Simoulin vien­dra la bap­ti­ser le jour de Pâques. Le len­de­main, Vendredi-​Saint, une ambu­lance le ramène en Normandie où, veillé par ses anges gar­diens, il s’éteindra chez lui, à Notre-​Dame du Granit le 14 juillet. Sa messe d’obsèques, célé­brée le 17 juillet dans l’oratoire amé­na­gé de ses propres mains, sera sui­vie d’une brève céré­mo­nie dans son couvent de Rouen. Il est inhu­mé dans le caveau domi­ni­cain du cime­tière de Notre-​Dame du Bon Secours.

« Pourquoi m’avez-vous ins­crit sur le registre des grands combats…

il est des heures où l’on est comme détruit.

Propos sur notre temps, p.234

Inscrit dès son enfance sur ce registre des grands com­bats, rien n’a jamais pu détruire le Père de Chivré. Combattu, mépri­sé, bri­sé, réduit au silence, appa­rem­ment vain­cu… mais tou­jours main­te­nu debout par son union vitale à Notre-​Seigneur, par la Croix triom­phante, par sa Messe, par l’Hostie de son pre­mier Jeudi-Saint.

Source : D’après la bio­gra­phie rédi­gée par Monsieur l’Abbé Michel Simoulin pour le livre « Le Prêtre »

Notes de bas de page
  1. R. P. de Chivré, Propos sur notre temps, p.121[]
  2. Paul Marie Alexandre Richaud (1887–1968), créé car­di­nal en 1958 par SS Jean XXIII[]
  3. Père Jacques Sevin (1882–1951), Prêtre Jésuite[]
  4. Père Paul-​Pierre Philippe (1905–1984), créé car­di­nal en 1973 par SS Jean-​Paul II[]
  5. Extrait d’une lettre de sa sœur Geneviève[]
  6. Père Marie-​Dominique Chenu (1895–1990)[]
  7. Père Yves Georges Congar (1904–1995)[]
  8. Père Réginal Garrigou-​Lagrange (1877–1964)[]
  9. Ernest Hello, Les pla­teaux de la balance, Isolement et soli­tude[]
  10. Propos recueillis par Mme de la Bretèche[]
  11. Abbé Louis Coache « Les batailles du com­bat de la foi », page 194[]