Par le R. P. de Chivré à Lausanne, Pâques 1965.
Ave Maria
Lausanne – Pâques 1965
Mes Frères,
Dieu, bien avant nous tous, utilise Sa lumière et Sa grâce à informer les consciences et les intelligences de ce qu’il en est de l’homme et de sa destinée.
Lui aussi à Ses méthodes d’information. Il ne me déplaît pas d’en parler avec compétence des grands problèmes humains en les pensant dans la lumière de leur Foi. Car la foi informe le jugement des hommes, et c’est faire œuvre sacerdotale que de vous en parler au profit de vos admirables efforts à aider la raison moderne à ne pas sombrer dans le délire multiforme des interprétations modernistes de la vérité telle que Dieu nous l’a révélée.
Avant de distribuer la vérité, la lumière de Foi l’a fait émerger dans le jugement sous forme d’une densité intellectuelle qui ne laisse de place à aucun enrichissement humain comme on aime tant à le dire de nos jours. L’homme qui croit et qui laisse la Foi agir en lui, ne peut faire autrement que de comprendre plus loin, d’analyser plus profond, d’éclairer plus haut que le rationaliste, même spirituel, qui évolue dans les limites de ses capacités naturelles déjà admirables mais toujours susceptibles d’entendre l’enseignement du Christ lui apprendre sur le même sujet des états d’âme ou des états de vie ou des états de pensée inaccessible à sa droiture impuissante. Disposer de plusieurs millions sans avoir la foi, c’est les apprécier pour ce qu’ils sont sans songer à apprécier ce que soi l’on deviendrait en les utilisant à le faire produire un geste qui ne relève que de Dieu : le détachement formel par amour. Humainement pensée, cette fortune donne Rothschild à l’humanité avec le bien temporel considérable qui en découle pour un grand nombre, mais pensée sous la lumière de la Foi, cette fortune crée le besoin de la dépossession volontaire totale et l’Église réclame saint François d’Assise et beaucoup d’autres. La raison apprécie minutieusement les biens qui rouillent, la Foi apprécie irrésistiblement les biens qui ne rouillent pas.
Et laisser cela dont elle informe les intelligences : il y a les écrivains formés, il y a les écrivains déformés.
Nous sommes faits pour découvrir dans ce qui rouille les valeurs qui durent, indépendamment des pensées qui les expriment, des mots qui les manient, des inventions qui les utilisent… Précisément, notre époque évite de découvrir dans ce qui rouille, les valeurs qui durent. Nous sommes la génération des grands peureux, affolés d’avoir à comprendre que la fortune intellectuelle, comme la fortune financière, doit, sous la lumière de la Foi, créer un besoin de dépossession objective de ses passions sentimentales, sociales, politiques, pour n’exprimer, comme François d’Assise dans sa pauvreté volontaire, que la richesse inépuisable de la perfection du raisonnement, de la vertu qui en découle, de la puissance de rayonnement qui s’en suit. Pour informer les autres des valeurs qui durent, il faut se faire pauvre volontairement des théories qui mettent en vedette des raisonnements brillants comme des lucioles à ras du sol (matérialisme) afin d’organiser la Terre. Le regard de la Foi n’est pas horizontal, il est vertical, d’un vertical digne du regard des lions qui traversent les déserts en se guidant sur les étoiles…
Les lions sont rares, la déception d’en posséder encore quelques-uns agite une catégorie de penseurs, mais… la peur, toujours la peur, d’avoir à apprécier le prestige de leur pensée, les a fait ironiquement dénommer « les chiens ». Ils n’en fixent pas moins les étoiles de la Vérité selon Dieu et de la Foi selon Rome, c’est peut-être ce qui explique la mélancolie et la profondeur de leurs aboiements dans la nuit.
[Le rôle de la persécution est de maintenir le juste dans l’humilité de sa mission : la remplir avec la conscience de sa faiblesse le maintient étroitement uni à Dieu dans le secret de ses oraisons et de sa solitude.]
L’information vient de Dieu quand elle est verticale, digne des altitudes : « Tu solus altissimus », digne des absences d’erreurs : « Tu solus sanctus », digne d’avoir autorité sur notre jugement : « Tu solus Dominus ». Ce genre d’information n’est pas une fuite par en haut, un effort d’éloignement des problèmes sociaux et humains, un mépris du terrestre, une recherche euphorique de solutions tranquillisantes, car la montée en verticale suppose toujours une volonté d’efforts, de courage et d’audace qui assure une vision de la terre plus étendue et plus complète au bénéfice de la joie d’avoir à la connaître en son entier grâce à l’élévation de nos pensées qui ont osé s’en éloigner pour mieux la comprendre.
Informer selon la verticale, c’est faire la synthèse de la situation sans laisser de place à la myopie de l’analyse qui caractérise la vision horizontale uniquement temporelle, même de ce qui ne l’est pas et qui s’appelle la Foi. Pour avoir une vision nouvelle des êtres et des choses, il faut oser s’en éloigner afin de saisir ce qui les définit et les explique, et qui s’appelle leur forme. La vision horizontale livre l’utilité des pensées, la position verticale en livre la forme qui en précise l’utilisation selon la vérité.
Qui veut informer les autres, doit pouvoir décrire la forme des êtres et des choses, et ne pas craindre de s’en éloigner verticalement dans la lumière inchangée des principes naturels et surnaturels, lumière qui l’empêchera de mentir aux autres en escamotant ce qu’ils devraient savoir et qu’ils ignorent à force de ramper à ras du sol, de penser horizontalement les problèmes d’une manière excessives, en les mesurant avec des accents pathétiques et déformants. Le 19ème siècle a connu le romantisme de la description naturelle du monde, le nôtre connaît le romantisme scientifique de la description utilitaire et technique du monde, doublé du romantisme intellectuel qui n’a jamais su dépasser l’homme pour découvrir Dieu sous l’homme, Dieu tel qu’Il est… Voilà le drame.
Mais le drame est beaucoup plus interne qu’externe. Il est un drame de conscience et d’âme : même les croyants, même certains théologiens oublient que leurs exposés sont plus le produit de leur raison décidant de la grâce que de la grâce décidant de leurs raisonnements. Le drame est là, il est affreux, il est un renversement des points de départs du raisonnement.
La grâce ne peut remplir qu’un rôle identique à sa nature, nous le savons et même le sentons bien lorsque, douce et impérieuse, elle insiste en nous, en informant notre raisonnement de lumières et d’états d’âme qui nous mettent en demeure d’accepter et de vivre selon les Béatitudes, de reconnaître qu’il ne sert à rien de gagner l’univers aux dépens de son âme. La grâce nous informe intérieurement de l’au-delà, de ses valeurs inamovibles afin qu’à leurs lumières nous jugions le monde…
Et, voilà le drame moderne : les croyants jugent et décident de leur Foi selon les slogans du monde. Ils n’entendent plus la voix interne inspirer leur vision externe des situations humaines. Les réputés les meilleurs ou les plus intelligents réagissent temporel absolu ou alors ils penseront surnaturel d’une manière absolument personnelle dans une lumière d’immanence qui détruit le surnaturel au moment où ils annoncent qu’ils vont nous en parler merveilleusement. Il est indiscutable que ces âmes parlent de la Foi sans lui accorder la permission d’être Grâce de Foi, secours de l’au-delà passant comme une brise de printemps sur leurs raisonnements desséchants pour l’incliner vers les fraîcheurs de Dieu connu et aimé sans référence au courant de l’histoire… En perdant l’habitude du recueillement et de l’adoration, de la prière et du sacrifice, il y a séparation du raisonnement et de la vie spirituelle, nous avons pris les distances d’avec les sources d’information réservées à Dieu, sans lesquelles nous informerons nos frères d’une manière nécessairement déformante puisqu’incomplète et tellement humaine qu’elle en devient inhumaine. Le paganisme est inhumain, le matérialisme est inhumain, le communisme est inhumain, le progressisme est inhumain, et les enseignements les plus inhumains sont souvent les plus truffés d’humanisme peureux et menteur avec de grands mots chargés de masquer la petitesse du penseur et de la pensée.
Pourquoi inhumain ? Parce qu’en parlant de développement, les théories annoncées stoppent la verticale de la sainteté, la verticale de la vision d’ensemble, la verticale de la Foi, cause des comportements de fierté intellectuelle et de courage, disons-le tout net la verticale de la vie humaine prenant comme point d’appui Jésus-Christ sans personne autre.
Je n’en veux absolument pas à la beauté de l’horizontale, cela ne change rien à sa position de demeurer parallèle au sol avec l’inévitable destinée de ne faire que du rase-motte, l’acrobatie la plus dangereuse pour le pilote et pour les ULM, pour le philosophe et les jeunes gens qui l’entendent, pour les théologiens et les lévites qu’ils déforment.
Lorsque je regarde mon Sauveur sur la Croix, je suis bouleversé de Son courage à prendre Son tragique point d’appui sur la verticale de la Croix, l’élevant de terre et soulevant l’horizontal de l’instrument immobilisant Ses pauvres bras et Lui laissant la tête libre de crier au monde : « Mon Dieu, Mon Dieu pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Que font-ils ? Ils attendent que Je descende de la Croix… eux, les Docteurs de la Loi… Ils sont tous les mêmes, ils me veulent en leur compagnie pour organiser la Terre, alors que J’en appelle au Ciel !
Se laisser informer par Dieu, Messieurs, comme je vous le souhaite pour vous et vos travaux, vous laisser informer par la grâce, par vos grâces, par les grâces de l’Église, par la grâce des encycliques, par celle de la Foi à Rome et au « Tu es Petrus », vous laisser informer par le silence qui contemple les étoiles de la doctrine qui n’est rien autre que la vie intarissable de Dieu, vous laisser informer par vos lumières intérieures accordées sur le « Je crois en Dieu », voilà qui vous maintiendra capables d’informer les autres en toute liberté d’esprit, comme Jésus-Christ inséparablement uni à la contemplation de Son Père qui est dans les Cieux, d’informer les Juifs, Caesar, les docteurs et les puissants du jour en toute liberté d’esprit, respectant leur autorité jusqu’à leur faire l’aumône de la Sagesse.
C’est cela être libre, c’est être si humblement informé sur ce que Dieu veut dire à notre conscience, inspirer à notre jugement, que nous trouvons naturel, charitable, obligatoire de l’exprimer aux autres sans esprit de dictature, lequel n’existe que pour les prisonnier de l’horizontal, du naturalisme, du temporel ou de l’idéalisme.
Thomas d’Aquin allait mourir, il avait 49 ans… 49 ans sans péché grave, 49 ans d’information constante de Dieu en lui, 49 ans d’adorations prolongées, de pénitence fidèle, de prière intense, 49 ans d’illumination divine de sa raison humaine la plus puissante qu’on n’ait jamais connue. Il allait mourir dans la conscience de son néant : « Brûlez tout ce que j’ai écrit, cela m’apparaît comme de la paille ».
Nous y voilà, Messieurs, lorsque l’intellectuel est informé de et par la vie de Dieu, la vie réservée à Dieu et s’écoulant dans son jugement, ce jugement élabore des constructions verticales avec un irrésistible besoin d’adopter l’horizontal de l’humilité et de l’anéantissement pour les exprimer. Ce qu’il dit est d’autant plus sûr qu’il doute de sa valeur, qu’il saisit jusqu’à la torture la différence entre ce qu’il exprime et ce qu’il voudrait exprimer. Les dons du Saint-Esprit le crucifient en l’écartelant sagement entre la lumière qu’il reçoit et les ténèbres dans lesquelles elle tombe. Il sait mais il n’ose pas s’en glorifier. Il comprend mais il craint de ne pas comprendre suffisamment. Il apprend mais il ne refuse pas de se méprendre pour une plus grande mise au point. Il est sage puisqu’il en sait plus long que les autres, en ne se trouvant pas meilleur que les autres. À certains moments, il se demande pourquoi il ne cesse pas d’écrire tellement il voit qu’il ne sait plus traduire. À ce moment-là, il peut affronter les rampants de la pensée, sans craindre ni de les réfuter ni de les mépriser. Il est libre de parler parce qu’il a récupéré la liberté d’aimer au-delà des consignes, au-delà des snobismes, au-delà des théories. Il a permis à Dieu de l’informer, à son tour Dieu lui confie le soin d’informer ses frères les hommes en lesquels il retrouve Jésus-Christ.
Ainsi soit-il.
R. P. de Chivré O.P.
Pour mieux connaître les écrits et la pensée du Père de Chivré, rendez-vous sur le site de l’Association du Révérend Père de Chivré.