Le Combattant de la Foi

En sui­vant le cer­cueil qui emme­nait vers sa der­nière demeure M. l’ab­bé Louis Coache, une image s’im­po­sait à mon esprit. Ce n’é­tait ni Montjavoult, ni Flavigny, ni Rome, ni Lourdes, ni L’Anti-​89, ni le Moulin du Pin. Il s’a­gis­sait d’un minus­cule évé­ne­ment dont je suis sans doute le seul à me souvenir.

Le 27 février 1977, Saint-​Nicolas-​du-​Chardonnet était ren­due au culte catho­lique. Absent de Paris ce jour-​là, je n’a­vais pu assis­ter à cette aven­ture extra­or­di­naire. Ce n’est que le mar­di sui­vant que j’en­trais dans cette église. Je me pla­çai près du chœur, à la petite grille qui donne vers la sacris­tie. Un prêtre célé­brait la messe et l’ab­bé Coache, au bas des marches de l’au­tel, sur­veillait le bon dérou­le­ment de l’of­fice. Brusquement, l’ab­bé Bellégo, curé en titre, ayant revê­tu une aube, se dres­sa sur ses ergots devant la table de com­mu­nion et se mit à pro­tes­ter contre ce qu’il nom­mait une « intru­sion scandaleuse ».

Je regar­dais l’ab­bé Coache à ce moment-​là : la réac­tion fut fou­droyante. Il s’é­cou­la à peine une frac­tion de seconde entre le moment où il iden­ti­fia la nature de ce brou­ha­ha et l’ins­tant où il enton­na d’une voix de sten­tor « Jésus, doux et humble de cœur », que tous les assis­tants reprirent avec entrain.

Je crois que cette image s’im­po­sait à moi en cet ins­tant parce qu’elle disait bien qui était l’ab­bé Coache : homme de foi et de convic­tion, il était aus­si une homme de cou­rage et d’au­dace, un homme de déci­sions rapides et effi­caces, bref un vrai com­bat­tant de la Foi pour s’op­po­ser éner­gi­que­ment à la Révolution dans l’Église.

Le curé de paroisse

Louis Coache est né le 10 mars 1920 à Ressous-​sur-​Matz, dans le dio­cèse de Beauvais, d’une famille très chré­tienne. Il était le sixième de sept enfants, dont deux mort-​nés. Son père était un simple chef de gare. Son frère mou­rut acci­den­tel­le­ment à 25 ans et l’une de ses sœurs est décé­dée à 28 ans des suites de la guerre. Ses deux autres sœurs se firent reli­gieuses : l’une est retour­née à Dieu en 1977, la plus jeune, Mère Thérèse-​Marie, est supé­rieure des Petites Sœurs de Saint François.

Ayant res­sen­ti très tôt l’ap­pel divin, il fit ses études au petit sémi­naire du Moncel, à Pont-​Sainte-​Maxence, puis rejoi­gnit le Séminaire Français de Rome. En rai­son de la guerre, il dut reve­nir en France et entra au sémi­naire de Beauvais alors replié à Versailles pour rai­son d’oc­cu­pa­tion alle­mande. Il y fut ordon­né le 24 avril 1943 par Mgr Roland-​Gosselin, évêque de Versailles.

En juin 1943, Mgr Roedec, évêque de Beauvais, le nomme vicaire à la cathé­drale, poste qu’il occupe jus­qu’en décembre 1947. A cette date, il est nom­mé curé de Salency et des­ser­vant de Béhéricourt. Il y fait paraître son pre­mier bul­le­tin parois­sial, Avec le Christ. En août 1948, il devient curé de Sacy-​le-​Grand. En 1950, il se rend à Rome, en 4 che­vaux Renault, avec ses parents, pour l’Année sainte : il sera reçu quelques minutes par Pie XII. En 1953, il est atteint d’une mala­die grave qui l’o­blige au repos. Il obtient alors un congé, durant lequel il pour­suit des études cano­niques à l’Institut Catholique de Paris, à l’is­sue des­quelles il obtient le Doctorat en sou­te­nant une thèse sur « Le pou­voir minis­té­riel du Pape ». Dans le même temps, il des­sert depuis Beauvais la paroisse de La-​Neuville-​en-​Hez et le vica­riat de Notre-Dame-de-Thil.

L’abbé Coache et ses deux sœurs religieuses

De juillet 1957 à novembre de la même année, il est aumô­nier de l’hô­pi­tal de Senlis. Enfin, à Pâques 1958, quelques mois avant la mort de Pie XII, il est nom­mé curé de Montjavoult, qui sera sa der­nière affec­ta­tion diocésaine.

Curé… mais catholique

Que rete­nir de cette pre­mière période de sa vie ? Tout d’a­bord, l’ab­bé Coache fut un prêtre de paroisse, à la car­rière tout à fait clas­sique : vicaire, puis curé d’une petite paroisse, puis curé d’une paroisse moyenne, enfin curé d’une paroisse plus impor­tante. Il est donc, par­mi les « chefs de file » de la Tradition, le repré­sen­tant émi­nent de ce cler­gé parois­sial qui fait la richesse de l’Église. Il témoigne de ce qu’on lui a ensei­gné dans son sémi­naire, de ce qui lui a été recom­man­dé par son évêque, de ce qu’il a vu pra­ti­qué par les anciens, de ce qu’il a réa­li­sé pai­si­ble­ment dans ses paroisses.

La révo­lu­tion conci­liaire ne pour­ra effa­cer ce témoi­gnage écla­tant : c’est parce que l’ab­bé Coache est res­té le prêtre de paroisse qu’on lui avait appris à être qu’il a été per­sé­cu­té, reje­té, condam­né. Selon l’ex­pres­sion humo­ris­tique de l’ab­bé Sulmont, il était curé… mais catho­lique. Et c’est la Tradition tout entière qui, dans le curé Louis Coache, condamne les nou­veau­tés conci­liaires. Ensuite, l’ab­bé Coache est un cano­niste. Toutefois, il n’est pas un juriste froid, un léga­liste sour­cilleux. Ce qu’il a vu dans le droit cano­nique, c’est l’es­prit mater­nel et pas­to­ral de l’Église, son sou­ci du salut des âmes et de l’hon­neur dû à Dieu. Il est inté­res­sant de rele­ver les titres de ses publi­ca­tions cano­niques : en 1956, une pla­quette inti­tu­lée Puissance Royale de l’Église… Applications pas­to­rales ; en 1958–1960, Le droit cano­nique est-​il aimable ? qu’il a réédi­té en 1986 avec une deuxième par­tie sur le nou­veau Code de droit canonique.

Son intro­duc­tion de 1986 donne bien l’es­prit selon lequel il consi­dère le droit cano­nique : « Si l’on scrute le droit canon comme le che­min de la Volonté aimante de Dieu, alors il devient aimable. (…) A l’é­tu­dier de près, on découvre à tra­vers lui toute la bien­veillance de l’Église qui prend soin de ses enfants. (…) Cette ini­tia­tion essaie de mettre en valeur l’ob­jec­ti­vi­té du droit, sa bien­veillance pour les per­sonnes, sa valeur théo­lo­gique et même mys­tique ; à tra­vers le droit, c’est toute l’Église qui conduit avec zèle et cha­ri­té ses sujets vers le Royaume du Ciel. (…) La légis­la­tion authen­tique de l’Église est un miroir mer­veilleux qui reflète sa foi, sa cha­ri­té, sa jus­tice, son zèle et sa force. »

Enfin, toute cette période de sa for­ma­tion sacer­do­tale et de ses diverses charges dans le dio­cèse de Beauvais s’est dérou­lée pen­dant le pon­ti­fi­cat du « saint pape Pie XII ». C’est donc de ce pon­tife, qui a su appli­quer aux condi­tions actuelles tout l’en­sei­gne­ment de ses pré­dé­ces­seurs, que l’ab­bé Coache recueillit sa ligne de conduite. Pour avoir vécu sous Pie XII durant vingt années ce qu’il conti­nue­ra à trans­mettre, l’ab­bé Coache était abso­lu­ment cer­tain d’être enra­ci­né dans la Tradition immuable de l’Église.

La foi au goût du jour

En 1958, l’ab­bé Coache est nom­mé curé de Montjavoult. C’est là que sa vie va bas­cu­ler, parce que la crise va dure­ment frap­per l’Église après la dis­pa­ri­tion du grand Pie XII. Pourtant, c’est dès 1955 que l’ab­bé Coache a res­sen­ti les ravages gran­dis­sants du pro­gres­sisme et qu’il s’est mis à prendre des notes en vue d’un livre qu’il sou­hai­tait inti­tu­ler Jusqu’où va nous conduire l’es­prit du monde ?

L’annonce par Jean XXIII du concile Vatican II fut comme l’ou­ver­ture des vannes d’un bar­rage : en quelques mois, le moder­nisme fit défer­ler dans l’Église une vague de remises en cause de la foi et de la morale. L’abbé Coache, effrayé de cette marée mon­tante, déci­da de publier son livre, mais se heur­ta à de grandes dif­fi­cul­tés : refus de l’Imprimatur par l’é­vêque auxi­liaire de Beauvais, refus des édi­teurs empor­tés dans le flot des idées nouvelles.

Finalement, l’ab­bé Coache uti­li­sa une par­tie de sa docu­men­ta­tion pour rédi­ger une Lettre d’un curé de cam­pagne à ses confrères, laquelle fut envoyée pour Noël 1964 aux prêtres du dio­cèse de Beauvais, ain­si qu’à cer­tains amis et correspondants.

Le 8 sep­tembre 1965, parut la Nouvelle lettre d’un curé de cam­pagne, qui connut une dif­fu­sion beau­coup plus impor­tante, l’ab­bé Coache étant désor­mais célèbre grâce à son pre­mier écrit. Cette même année 1965 parut, sous le pseu­do­nyme de Jean-​Marie Reusson, l’ou­vrage pré­pa­ré depuis 1955. C’est grâce à Michel de Saint-​Pierre, ren­con­tré à l’oc­ca­sion de son livre Les nou­veaux prêtres, que la mai­son d’é­di­tion La Table Ronde accep­ta cette publi­ca­tion sous le titre La foi au goût du jour.

En juin 1966 parut, dans le men­suel Le Monde et la Vie (un maga­zine illus­tré de grand for­mat fai­sant concur­rence à Paris-​Match) un article de l’ab­bé Coache inti­tu­lé La nou­velle reli­gion. Cet article de quatre grandes pages avait l’hon­neur de faire la cou­ver­ture du numé­ro (avec une sai­sis­sante pho­to­gra­phie de Paul VI) et d’être intro­duit par un édi­to­rial du rédac­teur en chef, André Giovanni. Il eut un si consi­dé­rable reten­tis­se­ment qu’il valut à l’au­teur un blâme de son évêque et à la revue une condam­na­tion par le Conseil per­ma­nent de la Conférence épis­co­pale de France (en même temps que Défense du Foyer, Lumière et Itinéraires).

Avec Mgr Lefebvre à Montjavoult

En juin 1967 parut la Dernière lettre d’un curé de cam­pagne, dont le tirage total fut de 150 000 exem­plaires, preuve de la noto­rié­té qu’a­vait acquise en quelques années l’ab­bé Coache.

Cette période est celle où l’ab­bé Coache agit par l’é­crit, afin de s’op­po­ser au défer­le­ment du moder­nisme. Le curé de Montjavoult ne se vou­lant pas un écri­vain, ses bro­chures auraient dû trou­ver un écho limi­té. Mais, dans la débâcle de la foi, les catho­liques fidèles donnent un reten­tis­se­ment très impor­tant à ces modestes écrits, ain­si qu’en témoignent les tirages. Encouragés par cette voix auda­cieuses, des prêtres se res­sai­sissent, entrent en contact, des fidèles se regroupent, bref, la résis­tance tra­di­tion­nelle com­mence à se mettre en place.

Plus tard, l’ab­bé Coache conti­nue­ra d’é­crire, au gré des occa­sions : citons prin­ci­pa­le­ment Vers l’a­po­sta­sie géné­rale (La Table Ronde, 1969) ; En atten­dant la fin. I. La per­fi­die du moder­nisme (Éditions de Chiré, 1976) ; En atten­dant la fin. II. Jésus tra­hi par les siens (Éditions de Chiré, 1991) ; Les batailles du Combat de la Foi (Éditions de Chiré, 1993). Ces livres, tout à fait inté­res­sants, n’eurent pas un suc­cès com­pa­rable à celui des écrits de la pre­mière période, car, entre-​temps, la résis­tance tra­di­tion­nelle s’é­tait orga­ni­sée, étof­fée, munie d’une presse et de mai­sons d’éditions.

Cependant, si l’ab­bé Coache est déjà très mal vu par son évêque, sa situa­tion cano­nique est par­fai­te­ment régu­lière et il n’a encore entre­pris, en dehors de ses écrits, aucune action sus­cep­tible de la mettre en cause.

La bataille de Montjavoult

La situa­tion va chan­ger radi­ca­le­ment le 28 février 1968. Ce jour-​là, l’ab­bé Coache, qui a pré­vu dans sa paroisse une mani­fes­ta­tion eucha­ris­tique solen­nelle à l’oc­ca­sion de la Fête-​Dieu pour la clô­ture de l’Année de la Foi, envoie à Mgr Desmazières une invi­ta­tion à venir pré­si­der cette cérémonie.

L’évêque de Beauvais, qui n’at­ten­dait qu’une occa­sion pour faire bar­rage à l’ab­bé Coache, engage immé­dia­te­ment les hos­ti­li­tés. Il lui répond deux jours plus tard en lui deman­dant un acte expli­cite de sou­mis­sion. La réponse de l’ab­bé Coache ne l’ayant pas satis­fait, il lui intime le 19 mars l’ordre de ces­ser toutes ses publi­ca­tions et de décom­man­der la mani­fes­ta­tion eucharistique.

Devant cette atti­tude, l’ab­bé Coache décide de sai­sir les tri­bu­naux romains pour obte­nir jus­tice. Par ailleurs, mal­gré son acte de sou­mis­sion cano­nique, la pro­ces­sion a lieu à Montjavoult le 16 juin, la grève totale des postes-​ayant ren­du impos­sible l’an­nu­la­tion prévue.

Le 13 mai 1969, devant la pour­suite du com­bat doc­tri­nal de l’ab­bé Coache et devant l’an­nonce d’une nou­velle mani­fes­ta­tion eucha­ris­tique à Montjavoult, Mgr Desmazières envoie à l’ab­bé Coache une moni­tion cano­nique sous peine de sus­pense ab offi­cio, équi­va­lant à la sup­pres­sion de sa charge de curé.

L’abbé Coache décide de faire immé­dia­te­ment appel à Rome, mais, en rai­son de la grève des postes ita­liennes, n’en­voie pas son recours… qui est pour­tant reje­té, en sorte que l’é­vêque de Beauvais lui inflige le 12 juin la sus­pense ab offi­cio et le 4 juillet la des­ti­tu­tion de sa charge de curé de Montjavoult.

L’abbé Coache décide donc de remettre son affaire aux mains des tri­bu­naux romains le 7 juillet 1969. Ce sera le début d’une longue et tor­tueuse pro­cé­dure : pas moins de 80 lettres seront échan­gées entre l’ab­bé Coache, Mgr Desmazières et les auto­ri­tés romaines (car­di­nal Wright, Mgr Palazzini, car­di­nal Seper, car­di­nal Villot, etc.). Ce n’est que le 10 juin 1975 qu’une com­mis­sion car­di­na­lice approu­ve­ra offi­ciel­le­ment la sus­pense ab offi­cio et la des­ti­tu­tion de l’ab­bé Coache. Ce der­nier accepte de se sou­mettre à cette déci­sion, ain­si qu’il l’a­vait tou­jours pro­cla­mé, et quitte le pres­by­tère de Montjavoult où il conti­nuait à rési­der, pour se reti­rer à la mai­son Lacordaire, à Flavigny [1].

Les « années terribles »

Pendant ce temps, l’ab­bé Coache n’é­tait pas res­té inac­tif. Dès la fin de 1967, grâce à une dévouée secré­taire, il avait consti­tué un secré­ta­riat. En février 1968, il fon­dait le Combat de la Foi, un bul­le­tin des­ti­né à relayer son action. Mais sur­tout, il rédi­geait, avec l’aide du père Noël Barbara, l’œuvre qui devait avoir la plus grande influence dans la consti­tu­tion du « Traditionalisme » : le très célèbre Vademecum du catho­lique fidèle. Cette courte bro­chure, qui rap­pe­lait les points essen­tiels concer­nant la prière, la confes­sion, la com­mu­nion, la messe, les lec­tures, le caté­chisme, la presse catho­lique, la morale, fut un véri­table raz de marée. Imprimé à la fin de 1968, il s’en était déjà écou­lé 150000 exem­plaires à la fin de jan­vier 1969. En 1975, la qua­trième édi­tion (tou­jours dis­po­nible aux Éditions de Chiré) por­tait le chiffre total du tirage à 360 000 exem­plaires, chiffre énorme si on y prête attention.

Ce qui fai­sait la valeur de ce Vademecum, outre les pré­cieux conseils qu’il conte­nait, c’é­tait les noms des 400 prêtres qui l’a­vaient signé, des­si­nant ain­si la carte de France de la fidé­li­té catho­lique. Il prit toute sa mesure sur­tout à par­tir de l’in­tro­duc­tion, en 1969, de la « Nouvelle messe », que l’ab­bé Coache reje­ta sans retard et publi­que­ment. Les catho­liques déso­rien­tés par la débâcle litur­gique n’eurent qu’à consul­ter le Vademecum pour connaître à proxi­mi­té de leur domi­cile le prêtre qui gar­dait la vraie messe.

Afin de sou­te­nir le Vademecum, l’ab­bé Coache se dépen­sait sans comp­ter : pro­ces­sions eucha­ris­tiques gran­dioses à Montjavoult, réunions publiques à la Mutualité et à la salle Wagram (de l’une d’elles, sor­ti­ra la bro­chure Évêques, res­tez catho­liques, tirée à 120 000 exem­plaires) et pèlerinages.

Les plus impor­tants de ces der­niers furent évi­dem­ment les « Marches vers Rome » de 1970, 1971 et 1973. Pèlerinages inter­na­tio­naux au cœur de la catho­li­ci­té pour obte­nir la res­tau­ra­tion de la foi, de la litur­gie et de l’Église, ces marches mani­fes­taient la vita­li­té de la Tradition. Elles se conclurent en 1975 par un grand pèle­ri­nage, sous la pré­si­dence de Mgr Lefebvre, à l’oc­ca­sion de l’Année sainte.

Toutes ces ini­tia­tives eurent une impor­tance pri­mor­diale pour encou­ra­ger les catho­liques fidèles, les sou­te­nir, enflam­mer leur zèle. L’abbé Coache était au cœur de ce com­bat héroïque, alors que tout ce que nous voyons aujourd’­hui était à peine à ses débuts.

La Fraternité Saint-​Pie X, en par­ti­cu­lier, n’a­vait été fon­dée par Mgr Lefebvre qu’en novembre 1970 et s’oc­cu­pait alors à for­mer ses pre­miers sémi­na­ristes : elle était loin d’a­voir atteint le déve­lop­pe­ment qu’elle connut sur­tout à par­tir de 1976. Une lettre inédite de Mgr Lefebvre à l’ab­bé Coache, datée du 25 février 1972, montre com­bien Mgr Lefebvre, pris par la dif­fi­cile fon­da­tion de sa Fraternité, était encore à ce moment en retrait :

« Cher Monsieur l’Abbé,

Vous pou­vez croire que votre invi­ta­tion me touche vive­ment et que je suis prêt à me rendre à Flavigny don­ner tous les encou­ra­ge­ments que vous souhaitez.

Mais veuillez com­prendre que pour la sub­sis­tance de l’œuvre que je pour­suis, Dieu sait dans quel dédale de dif­fi­cul­tés ! je ne puis rien faire de public et de solen­nel dans un dio­cèse sans avoir le pla­cet de l’é­vêque. (…) J’ai déjà des plaintes contre le sémi­naire. J’arrive à en démon­trer la faus­se­té et len­te­ment je m’en­ra­cine et pro­gresse. Mais toutes les portes me seront fer­mées pour de nou­velles ins­tal­la­tions, pour les incar­di­na­tions, si je me mets publi­que­ment dans mon tort, cano­ni­que­ment. Cela vaut pour moi, à cause de la sur­vie et du pro­grès de mon œuvre, cela ne vaut pas néces­sai­re­ment pour vous et je vous féli­cite de votre ins­tal­la­tion à Flavigny. Je sou­haite même que nous puis­sions col­la­bo­rer, si vous y consen­tez. (…) Vous me trou­ve­rez trop pru­dent. Mais c’est l’affection que je porte à cette jeu­nesse clé­ri­cale qui me convie à l’être. Je dois m’é­tendre et essayer d’a­voir le Droit Pontifical… »

En quelque sorte, l’ab­bé Coache fut un de ces sol­dats de pre­mière ligne qui se sacri­fient pour tenir coûte que coûte la ligne de front, pen­dant qu’à l’ar­rière se forment les jeunes recrues. Toutes les belles com­mu­nau­tés que nous obser­vons aujourd’­hui dans la Tradition ne sont pas dans une dépen­dance directe de l’ab­bé Coache : mais qui peut dire qu’elles seraient aus­si flo­ris­santes aujourd’­hui si, hier, l’ab­bé Coache et quelques autres n’a­vaient tant com­bat­tu pour la Tradition ?

Une église à Paris

De l’ab­bé Coache, il fau­drait encore citer de nom­breuses actions. Il y eut la cam­pagne de des­truc­tion des mau­vais jour­naux dans les églises, qui abou­tit à plu­sieurs pro­cès. Il y eut cer­taines actions de « com­man­do », notam­ment contre des emblèmes sacri­lèges. Il y eut des luttes diverses contre les moder­nistes, soit à l’oc­ca­sion de céré­mo­nies scan­da­leuses, soit pour des congrès de prêtres contes­ta­taires. Il y eut des inter­ven­tions dans les médias, par exemple la Radioscopie du 5 mai 1975 avec Jacques Chancel.

Mais il res­tait à l’ab­bé Coache à léguer à la Tradition une de ses plus belles ins­ti­tu­tions, en tout cas la plus connue dans le monde. L’habitude s’é­tait prise de se ren­con­trer régu­liè­re­ment, Mgr Ducaud-​Bourget, l’ab­bé Coache, madame Buisson et quelques amis au res­tau­rant Le Tourville, tout près du domi­cile de Mgr Ducaud-​Bourget. Dès 1974, l’ab­bé Coache y évo­qua la pos­si­bi­li­té de prendre une église à Paris. Mgr Ducaud-​Bourget, plus tem­pé­ré que le bouillant curé de Montjavoult, retar­dait tou­jours l’exécution.

Le 20 octobre 1976, une réunion orga­ni­sée par l’ab­bé Coache sous la pré­si­dence de Mgr Ducaud-​Bourget eut lieu à la Mutualité devant 3 000 per­sonnes. Avec la per­mis­sion de Monseigneur, l’ab­bé Coache annon­ça qu’avant six mois, une église pari­sienne serait prise. La foule s’en­thou­sias­ma pour un tel projet.

L’abbé Serralda et Mgr Ducaud-​Bourget juste avant la prise de Saint-​Nicolas du Chardonnet

Cinq per­sonnes furent du secret : Mgr Ducaud-​Bourget, l’ab­bé Serralda, l’ab­bé Coache, madame Buisson et mon­sieur Ducaud. Chacun des trois prêtres appor­tait au pro­jet sa contri­bu­tion unique : Mgr Ducaud Bourget était le « patron », la figure de proue pari­sienne qui don­nait sa cau­tion morale ; l’ab­bé Serralda appor­tait l’é­glise, Saint-​Nicolas-​du-​Chardonnet dont il avait été vicaire et qui se trou­vait située juste à côté de la Mutualité ; l’ab­bé Coache appor­tait son audace, son sens de l’or­ga­ni­sa­tion, ses équipes bien rodées par de nom­breuses opé­ra­tions antérieures.

La suite est désor­mais bien connue : elle a été abon­dam­ment racon­tée en plu­sieurs ouvrages. Il y eut la grande réunion de la Mutualité, où le peuple fidèle fut détour­né vers l’é­glise proche. Cet enva­his­se­ment paci­fique mais ferme abou­tit à la célé­bra­tion de la messe tra­di­tion­nelle, la pre­mière dans cet édi­fice depuis de trop longues années.

Ensuite, prêtres comme fidèles, heu­reux de pou­voir goû­ter la litur­gie catho­lique dans une église construite pour la célé­brer, de pou­voir vivre une authen­tique vie parois­siale, s’ac­cro­chèrent à Saint-​Nicolas et (Dieu mer­ci !) ils y sont encore, le cœur plein de recon­nais­sance pour les valeu­reux pion­niers sans les­quels ils ne joui­raient pas d’une si belle et si conso­lante paroisse.

Flavigny et les Petites Sœurs

Chassé de sa paroisse par son évêque, l’ab­bé Coache avait cher­ché un point de chute. Or, la Providence le gui­da mani­fes­te­ment dans cette recherche. En mai 1971, le curé de Montjavoult vit arri­ver au pres­by­tère un homme très cor­pu­lent qui lui offrit sans ambages un monas­tère. Il s’a­gis­sait du propre neveu de l’é­co­nome de la Province domi­ni­caine de Paris, char­gé par ce der­nier de vendre le très grand couvent de Flavigny. Grâce à une habile manœuvre, l’ab­bé Coache put acqué­rir la Maison Lacordaire sans que ses pro­prié­taires soup­çonnent avec quel « monstre d’in­té­grisme » ils fai­saient affaire. Il déci­da d’y ins­tal­ler ses œuvres et, au pre­mier chef, le Combat de la Foi.

Pourtant, cette mai­son fut le siège d’une action nou­velle de l’ab­bé Coache. En effet, il y accueillit en décembre 1971 sa propre sœur, Mère Thérèse-​Marie et une autre reli­gieuse, Mère Marie-​Xavier, sor­ties de leur Congrégation d’Angers deve­nue moder­niste. Il offrit à leur com­plet dénue­ment un toit, et la pos­si­bi­li­té de conti­nuer leur vie religieuse.

Monsieur l’ab­bé Coache, très connu et très esti­mé, favo­ri­sa lar­ge­ment le recru­te­ment, en sorte que si les sœurs n’é­taient encore que 4 en 1975, elles étaient déjà 33 en 1982.

De 1975 à 1984, il assu­ra presque tous les cours du novi­ciat (théo­lo­gie, Écriture sainte, his­toire de l’Église, etc.). Il pré­si­da ou prê­cha à plu­sieurs prises d’ha­bit ou pro­fes­sions religieuses.

Il trans­mit aux Petites Sœurs sa pro­fonde dévo­tion eucha­ris­tique, son amour de la litur­gie et du chant gré­go­rien. Ce fut lui, en par­ti­cu­lier, qui ini­tia les reli­gieuses au rubriques du bré­viaire et du mis­sel, d’où est sor­ti le désor­mais célèbre Ordo avec réper­toire des lieux de culte tra­di­tion­nel. Ses conseils de spi­ri­tua­li­té étaient basés sur la foi devaient être des « femmes de devoir » à la pié­té solide. Il les met­tait en garde contre les « dévo­tion­nettes », les fausses appa­ri­tions, le sentimentaIisme. Grâce à ses confé­rences sur les pro­blèmes d’ac­tua­li­té dans l’Église, les sœurs avaient une claire vision de la noci­vi­té des erreurs moder­nistes et de la néces­si­té de main­te­nir le bon cap.

Au Moulin du Pin

Très ferme, il était aus­si d’une bon­té simple et fami­lière avec les Petites Sœurs. Les grandes fêtes étaient l’oc­ca­sion de mani­fes­ter l’af­fec­tion de son cœur pater­nel pour la com­mu­nau­té en la com­blant de cadeaux.

Lourdes et la retraite

Après 1977, l’ab­bé Coache va en quelque sorte « prendre sa retraite ». D’abord, il approche de la soixan­taine et l’âge com­mence à se faire sen­tir, sur­tout après tant de souf­frances et tant de com­bats. D’autre part, il voit arri­ver la relève : jeunes prêtres issus d’Écône, jeunes reli­gieux et reli­gieuses des « congré­ga­tions tra­di­tion­nelles », jeunes foyers soli­de­ment chré­tiens. Les cha­pelles de la Tradition se mul­ti­plient, les prieu­rés fleu­rissent, les écoles s’ouvrent les unes après les autres, les mai­sons de retraites spi­ri­tuelles font le plein. L’abbé Coache voit que ses efforts n’ont pas été vains, qu’ils ont por­té des fruits de grâce et de sanctification.

Ne croyons pas, tou­te­fois, que l’ab­bé Coache se repose désor­mais sur ses lau­riers : ce n’est guère son tem­pé­ra­ment, et l’é­tat de l’Église n’est pas tel qu’il puisse chan­ter vic­toire. La der­nière par­tie de sa vie sera rem­plie d’œuvres bonnes et excel­lentes qui ajou­te­ront à sa cou­ronne et lui vau­dront de la part de tous les catho­liques un sur­croît de reconnaissance.

Désormais ins­tal­lé à Flavigny, l’ab­bé Coache, avec l’aide des Petites Sœurs de Saint François, fait de la Maison Lacordaire un haut lieu de la Tradition. Il y prêche des retraites qui attirent un public nom­breux. Il reçoit des hôtes de pas­sage venus se res­sour­cer spi­ri­tuel­le­ment. Il enseigne et sou­tient les fidèles par le Combat de la Foi.

Mais sur­tout, il orga­nise de là les pèle­ri­nages de la Tradition à Lourdes. Ils eurent lieu en 1978, 1979, 1980, 1982, 1983, 1986 et 1991. En rai­son de la mau­vaise volon­té des auto­ri­tés du Sanctuaire, et nom­mé­ment du père Bordes, ces pèle­ri­nages furent émaillés d’in­ci­dents tragi-​comiques : polé­miques épis­to­laires, com­bats par sono­ri­sa­tion inter­po­sée, « occu­pa­tion » de la basi­lique du Rosaire, ten­ta­tives d’in­ter­ven­tion poli­cière et judi­ciaire, etc. Cela n’empêchera jamais ni la fer­veur, ni la sanc­ti­fi­ca­tion, ni le témoi­gnage public de la foi.

En 1984, la Maison Lacordaire fut le siège d’une céré­mo­nie excep­tion­nelle. En accord avec Mgr Lefebvre, y fut célé­bré un Triduum de messes inin­ter­rom­pues, pour obte­nir du Ciel la recon­nais­sance offi­cielle par les auto­ri­tés romaines du droit à la messe tra­di­tion­nelle. Ces trois jour­nées de messes célé­brées par une soixan­taine de prêtres, furent inou­bliables et atti­rèrent sans aucun doute des grâces immenses à la Tradition. D’autant que plus de cent prêtres qui n’a­vaient pu se dépla­cer célé­brèrent chez eux la messe aux mêmes intentions.

En 1986, Mgr Lefebvre fit deman­der à l’ab­bé Coache, par l’in­ter­mé­diaire de l’ab­bé Aulagnier, de lui céder la Maison Lacordaire pour y éta­blir un sémi­naire. C’était à la fois une rup­ture avec tout un pas­sé émou­vant, une obli­ga­tion de se relo­ger et une grâce immense. En effet, quelle joie pour un prêtre de voir la mai­son que l’on a sau­vée, res­tau­rée et habi­tée deve­nir le lieu où se for­me­ront les prêtres de demain ! Les Petites Sœurs de Saint François par­tirent donc pour le Trévoux, l’ab­bé Coache démé­na­gea pour le Moulin du Pin et le Séminaire inter­na­tio­nal Saint Curé d’Ars s’ou­vrit à Flavigny.

En 1988, l’ab­bé Coache sou­tint sans hési­ter Mgr Lefebvre dans sa grave déci­sion de sacrer quatre évêques. L’expérience lui avait mon­tré que, devant la mau­vaise volon­té obs­ti­née de la Rome moder­niste, la Tradition devait se don­ner les moyens de pour­suivre l’œuvre de pré­ser­va­tion et de sanc­ti­fi­ca­tion des âmes, et que cette œuvre pas­sait néces­sai­re­ment par un authen­tique épis­co­pat catholique.

L’abbé Coache fut éga­le­ment le pro­mo­teur de la grande jour­née de répa­ra­tion des crimes de la Révolution, le 15 août 1989. Cette pro­tes­ta­tion contre le grand péché, celui de la laï­ci­sa­tion de la socié­té, qui arrache sa cou­ronne au Christ Roi et prive les petits, les pauvres, des secours de la reli­gion, cor­res­pon­dait plei­ne­ment au com­bat de toute sa vie : « Que votre règne arrive ! »

Le 15 août 1989 à Paris

En 1993, l’ab­bé Coache eut la joie de voir les « vété­rans » des com­bats pas­sés, ain­si que la jeune géné­ra­tion sacer­do­tale et épis­co­pale, se ras­sem­bler autour de lui pour remer­cier le Bon Dieu de ses cin­quante années de sacerdoce.

Enfin, dans les pre­mières heures du dimanche 21 août 1994, Monsieur l’ab­bé Louis Coache ren­dait sa belle âme à Dieu à l’âge de 74 ans. Une grande foule d’é­vêques, de prêtres, de reli­gieux, de reli­gieuses et de fidèles qu’il avait éclai­rés, gui­dés, enthou­sias­més pour Notre Seigneur Jésus-​Christ l’ac­com­pa­gnèrent à sa der­nière demeure, avec les prières tra­di­tion­nelles de l’Église, pen­dant que, dans le monde entier, des chré­tiens qui lui étaient rede­vables priaient pour le repos de son âme.

Il reste de l’ab­bé Coache le sou­ve­nir d’un chré­tien rem­pli de zèle pour la gloire de Dieu, d’a­mour pour Notre Seigneur Jésus-​Christ et pour la Vierge Marie, d’at­ta­che­ment à la Sainte Église. Il reste le sou­ve­nir d’un homme qui eut le cou­rage de se lever quand les autres se cachaient, de par­ler quand les autres se tai­saient, de main­te­nir quand les autres aban­don­naient, de com­battre quand les autres s’en­fuyaient. Il reste le sou­ve­nir d’un prêtre qui a éclai­ré les âmes, qui les a nour­ries, sou­te­nues, encou­ra­gées et leur a pro­cu­ré le salut éter­nel. Au terme d’une exis­tence qui fut fidé­li­té, rayon­ne­ment, enthou­siasme, rec­ti­tude, nous pou­vons lui attri­buer le titre qu’il a méri­té par sa vie : LE COMBATTANT DE LA FOI. 

Source : Alexandre Moncrif, Fideliter n°102, Novembre-​Décembre 1994.

Notes de bas de page
  1. on trou­ve­ra tout le dos­sier de « L’injuste condam­na­tion de l’ab­bé Coache » dans Itinéraires n° 199, jan­vier 1976, p. 59–220[]