En suivant le cercueil qui emmenait vers sa dernière demeure M. l’abbé Louis Coache, une image s’imposait à mon esprit. Ce n’était ni Montjavoult, ni Flavigny, ni Rome, ni Lourdes, ni L’Anti-89, ni le Moulin du Pin. Il s’agissait d’un minuscule événement dont je suis sans doute le seul à me souvenir.
Le 27 février 1977, Saint-Nicolas-du-Chardonnet était rendue au culte catholique. Absent de Paris ce jour-là, je n’avais pu assister à cette aventure extraordinaire. Ce n’est que le mardi suivant que j’entrais dans cette église. Je me plaçai près du chœur, à la petite grille qui donne vers la sacristie. Un prêtre célébrait la messe et l’abbé Coache, au bas des marches de l’autel, surveillait le bon déroulement de l’office. Brusquement, l’abbé Bellégo, curé en titre, ayant revêtu une aube, se dressa sur ses ergots devant la table de communion et se mit à protester contre ce qu’il nommait une « intrusion scandaleuse ».
Je regardais l’abbé Coache à ce moment-là : la réaction fut foudroyante. Il s’écoula à peine une fraction de seconde entre le moment où il identifia la nature de ce brouhaha et l’instant où il entonna d’une voix de stentor « Jésus, doux et humble de cœur », que tous les assistants reprirent avec entrain.
Je crois que cette image s’imposait à moi en cet instant parce qu’elle disait bien qui était l’abbé Coache : homme de foi et de conviction, il était aussi une homme de courage et d’audace, un homme de décisions rapides et efficaces, bref un vrai combattant de la Foi pour s’opposer énergiquement à la Révolution dans l’Église.
Le curé de paroisse
Louis Coache est né le 10 mars 1920 à Ressous-sur-Matz, dans le diocèse de Beauvais, d’une famille très chrétienne. Il était le sixième de sept enfants, dont deux mort-nés. Son père était un simple chef de gare. Son frère mourut accidentellement à 25 ans et l’une de ses sœurs est décédée à 28 ans des suites de la guerre. Ses deux autres sœurs se firent religieuses : l’une est retournée à Dieu en 1977, la plus jeune, Mère Thérèse-Marie, est supérieure des Petites Sœurs de Saint François.
Ayant ressenti très tôt l’appel divin, il fit ses études au petit séminaire du Moncel, à Pont-Sainte-Maxence, puis rejoignit le Séminaire Français de Rome. En raison de la guerre, il dut revenir en France et entra au séminaire de Beauvais alors replié à Versailles pour raison d’occupation allemande. Il y fut ordonné le 24 avril 1943 par Mgr Roland-Gosselin, évêque de Versailles.
En juin 1943, Mgr Roedec, évêque de Beauvais, le nomme vicaire à la cathédrale, poste qu’il occupe jusqu’en décembre 1947. A cette date, il est nommé curé de Salency et desservant de Béhéricourt. Il y fait paraître son premier bulletin paroissial, Avec le Christ. En août 1948, il devient curé de Sacy-le-Grand. En 1950, il se rend à Rome, en 4 chevaux Renault, avec ses parents, pour l’Année sainte : il sera reçu quelques minutes par Pie XII. En 1953, il est atteint d’une maladie grave qui l’oblige au repos. Il obtient alors un congé, durant lequel il poursuit des études canoniques à l’Institut Catholique de Paris, à l’issue desquelles il obtient le Doctorat en soutenant une thèse sur « Le pouvoir ministériel du Pape ». Dans le même temps, il dessert depuis Beauvais la paroisse de La-Neuville-en-Hez et le vicariat de Notre-Dame-de-Thil.
De juillet 1957 à novembre de la même année, il est aumônier de l’hôpital de Senlis. Enfin, à Pâques 1958, quelques mois avant la mort de Pie XII, il est nommé curé de Montjavoult, qui sera sa dernière affectation diocésaine.
Curé… mais catholique
Que retenir de cette première période de sa vie ? Tout d’abord, l’abbé Coache fut un prêtre de paroisse, à la carrière tout à fait classique : vicaire, puis curé d’une petite paroisse, puis curé d’une paroisse moyenne, enfin curé d’une paroisse plus importante. Il est donc, parmi les « chefs de file » de la Tradition, le représentant éminent de ce clergé paroissial qui fait la richesse de l’Église. Il témoigne de ce qu’on lui a enseigné dans son séminaire, de ce qui lui a été recommandé par son évêque, de ce qu’il a vu pratiqué par les anciens, de ce qu’il a réalisé paisiblement dans ses paroisses.
La révolution conciliaire ne pourra effacer ce témoignage éclatant : c’est parce que l’abbé Coache est resté le prêtre de paroisse qu’on lui avait appris à être qu’il a été persécuté, rejeté, condamné. Selon l’expression humoristique de l’abbé Sulmont, il était curé… mais catholique. Et c’est la Tradition tout entière qui, dans le curé Louis Coache, condamne les nouveautés conciliaires. Ensuite, l’abbé Coache est un canoniste. Toutefois, il n’est pas un juriste froid, un légaliste sourcilleux. Ce qu’il a vu dans le droit canonique, c’est l’esprit maternel et pastoral de l’Église, son souci du salut des âmes et de l’honneur dû à Dieu. Il est intéressant de relever les titres de ses publications canoniques : en 1956, une plaquette intitulée Puissance Royale de l’Église… Applications pastorales ; en 1958–1960, Le droit canonique est-il aimable ? qu’il a réédité en 1986 avec une deuxième partie sur le nouveau Code de droit canonique.
Son introduction de 1986 donne bien l’esprit selon lequel il considère le droit canonique : « Si l’on scrute le droit canon comme le chemin de la Volonté aimante de Dieu, alors il devient aimable. (…) A l’étudier de près, on découvre à travers lui toute la bienveillance de l’Église qui prend soin de ses enfants. (…) Cette initiation essaie de mettre en valeur l’objectivité du droit, sa bienveillance pour les personnes, sa valeur théologique et même mystique ; à travers le droit, c’est toute l’Église qui conduit avec zèle et charité ses sujets vers le Royaume du Ciel. (…) La législation authentique de l’Église est un miroir merveilleux qui reflète sa foi, sa charité, sa justice, son zèle et sa force. »
Enfin, toute cette période de sa formation sacerdotale et de ses diverses charges dans le diocèse de Beauvais s’est déroulée pendant le pontificat du « saint pape Pie XII ». C’est donc de ce pontife, qui a su appliquer aux conditions actuelles tout l’enseignement de ses prédécesseurs, que l’abbé Coache recueillit sa ligne de conduite. Pour avoir vécu sous Pie XII durant vingt années ce qu’il continuera à transmettre, l’abbé Coache était absolument certain d’être enraciné dans la Tradition immuable de l’Église.
La foi au goût du jour
En 1958, l’abbé Coache est nommé curé de Montjavoult. C’est là que sa vie va basculer, parce que la crise va durement frapper l’Église après la disparition du grand Pie XII. Pourtant, c’est dès 1955 que l’abbé Coache a ressenti les ravages grandissants du progressisme et qu’il s’est mis à prendre des notes en vue d’un livre qu’il souhaitait intituler Jusqu’où va nous conduire l’esprit du monde ?
L’annonce par Jean XXIII du concile Vatican II fut comme l’ouverture des vannes d’un barrage : en quelques mois, le modernisme fit déferler dans l’Église une vague de remises en cause de la foi et de la morale. L’abbé Coache, effrayé de cette marée montante, décida de publier son livre, mais se heurta à de grandes difficultés : refus de l’Imprimatur par l’évêque auxiliaire de Beauvais, refus des éditeurs emportés dans le flot des idées nouvelles.
Finalement, l’abbé Coache utilisa une partie de sa documentation pour rédiger une Lettre d’un curé de campagne à ses confrères, laquelle fut envoyée pour Noël 1964 aux prêtres du diocèse de Beauvais, ainsi qu’à certains amis et correspondants.
Le 8 septembre 1965, parut la Nouvelle lettre d’un curé de campagne, qui connut une diffusion beaucoup plus importante, l’abbé Coache étant désormais célèbre grâce à son premier écrit. Cette même année 1965 parut, sous le pseudonyme de Jean-Marie Reusson, l’ouvrage préparé depuis 1955. C’est grâce à Michel de Saint-Pierre, rencontré à l’occasion de son livre Les nouveaux prêtres, que la maison d’édition La Table Ronde accepta cette publication sous le titre La foi au goût du jour.
En juin 1966 parut, dans le mensuel Le Monde et la Vie (un magazine illustré de grand format faisant concurrence à Paris-Match) un article de l’abbé Coache intitulé La nouvelle religion. Cet article de quatre grandes pages avait l’honneur de faire la couverture du numéro (avec une saisissante photographie de Paul VI) et d’être introduit par un éditorial du rédacteur en chef, André Giovanni. Il eut un si considérable retentissement qu’il valut à l’auteur un blâme de son évêque et à la revue une condamnation par le Conseil permanent de la Conférence épiscopale de France (en même temps que Défense du Foyer, Lumière et Itinéraires).
En juin 1967 parut la Dernière lettre d’un curé de campagne, dont le tirage total fut de 150 000 exemplaires, preuve de la notoriété qu’avait acquise en quelques années l’abbé Coache.
Cette période est celle où l’abbé Coache agit par l’écrit, afin de s’opposer au déferlement du modernisme. Le curé de Montjavoult ne se voulant pas un écrivain, ses brochures auraient dû trouver un écho limité. Mais, dans la débâcle de la foi, les catholiques fidèles donnent un retentissement très important à ces modestes écrits, ainsi qu’en témoignent les tirages. Encouragés par cette voix audacieuses, des prêtres se ressaisissent, entrent en contact, des fidèles se regroupent, bref, la résistance traditionnelle commence à se mettre en place.
Plus tard, l’abbé Coache continuera d’écrire, au gré des occasions : citons principalement Vers l’apostasie générale (La Table Ronde, 1969) ; En attendant la fin. I. La perfidie du modernisme (Éditions de Chiré, 1976) ; En attendant la fin. II. Jésus trahi par les siens (Éditions de Chiré, 1991) ; Les batailles du Combat de la Foi (Éditions de Chiré, 1993). Ces livres, tout à fait intéressants, n’eurent pas un succès comparable à celui des écrits de la première période, car, entre-temps, la résistance traditionnelle s’était organisée, étoffée, munie d’une presse et de maisons d’éditions.
Cependant, si l’abbé Coache est déjà très mal vu par son évêque, sa situation canonique est parfaitement régulière et il n’a encore entrepris, en dehors de ses écrits, aucune action susceptible de la mettre en cause.
La bataille de Montjavoult
La situation va changer radicalement le 28 février 1968. Ce jour-là, l’abbé Coache, qui a prévu dans sa paroisse une manifestation eucharistique solennelle à l’occasion de la Fête-Dieu pour la clôture de l’Année de la Foi, envoie à Mgr Desmazières une invitation à venir présider cette cérémonie.
L’évêque de Beauvais, qui n’attendait qu’une occasion pour faire barrage à l’abbé Coache, engage immédiatement les hostilités. Il lui répond deux jours plus tard en lui demandant un acte explicite de soumission. La réponse de l’abbé Coache ne l’ayant pas satisfait, il lui intime le 19 mars l’ordre de cesser toutes ses publications et de décommander la manifestation eucharistique.
Devant cette attitude, l’abbé Coache décide de saisir les tribunaux romains pour obtenir justice. Par ailleurs, malgré son acte de soumission canonique, la procession a lieu à Montjavoult le 16 juin, la grève totale des postes-ayant rendu impossible l’annulation prévue.
Le 13 mai 1969, devant la poursuite du combat doctrinal de l’abbé Coache et devant l’annonce d’une nouvelle manifestation eucharistique à Montjavoult, Mgr Desmazières envoie à l’abbé Coache une monition canonique sous peine de suspense ab officio, équivalant à la suppression de sa charge de curé.
L’abbé Coache décide de faire immédiatement appel à Rome, mais, en raison de la grève des postes italiennes, n’envoie pas son recours… qui est pourtant rejeté, en sorte que l’évêque de Beauvais lui inflige le 12 juin la suspense ab officio et le 4 juillet la destitution de sa charge de curé de Montjavoult.
L’abbé Coache décide donc de remettre son affaire aux mains des tribunaux romains le 7 juillet 1969. Ce sera le début d’une longue et tortueuse procédure : pas moins de 80 lettres seront échangées entre l’abbé Coache, Mgr Desmazières et les autorités romaines (cardinal Wright, Mgr Palazzini, cardinal Seper, cardinal Villot, etc.). Ce n’est que le 10 juin 1975 qu’une commission cardinalice approuvera officiellement la suspense ab officio et la destitution de l’abbé Coache. Ce dernier accepte de se soumettre à cette décision, ainsi qu’il l’avait toujours proclamé, et quitte le presbytère de Montjavoult où il continuait à résider, pour se retirer à la maison Lacordaire, à Flavigny [1].
Les « années terribles »
Pendant ce temps, l’abbé Coache n’était pas resté inactif. Dès la fin de 1967, grâce à une dévouée secrétaire, il avait constitué un secrétariat. En février 1968, il fondait le Combat de la Foi, un bulletin destiné à relayer son action. Mais surtout, il rédigeait, avec l’aide du père Noël Barbara, l’œuvre qui devait avoir la plus grande influence dans la constitution du « Traditionalisme » : le très célèbre Vademecum du catholique fidèle. Cette courte brochure, qui rappelait les points essentiels concernant la prière, la confession, la communion, la messe, les lectures, le catéchisme, la presse catholique, la morale, fut un véritable raz de marée. Imprimé à la fin de 1968, il s’en était déjà écoulé 150000 exemplaires à la fin de janvier 1969. En 1975, la quatrième édition (toujours disponible aux Éditions de Chiré) portait le chiffre total du tirage à 360 000 exemplaires, chiffre énorme si on y prête attention.
Ce qui faisait la valeur de ce Vademecum, outre les précieux conseils qu’il contenait, c’était les noms des 400 prêtres qui l’avaient signé, dessinant ainsi la carte de France de la fidélité catholique. Il prit toute sa mesure surtout à partir de l’introduction, en 1969, de la « Nouvelle messe », que l’abbé Coache rejeta sans retard et publiquement. Les catholiques désorientés par la débâcle liturgique n’eurent qu’à consulter le Vademecum pour connaître à proximité de leur domicile le prêtre qui gardait la vraie messe.
Afin de soutenir le Vademecum, l’abbé Coache se dépensait sans compter : processions eucharistiques grandioses à Montjavoult, réunions publiques à la Mutualité et à la salle Wagram (de l’une d’elles, sortira la brochure Évêques, restez catholiques, tirée à 120 000 exemplaires) et pèlerinages.
Les plus importants de ces derniers furent évidemment les « Marches vers Rome » de 1970, 1971 et 1973. Pèlerinages internationaux au cœur de la catholicité pour obtenir la restauration de la foi, de la liturgie et de l’Église, ces marches manifestaient la vitalité de la Tradition. Elles se conclurent en 1975 par un grand pèlerinage, sous la présidence de Mgr Lefebvre, à l’occasion de l’Année sainte.
Toutes ces initiatives eurent une importance primordiale pour encourager les catholiques fidèles, les soutenir, enflammer leur zèle. L’abbé Coache était au cœur de ce combat héroïque, alors que tout ce que nous voyons aujourd’hui était à peine à ses débuts.
La Fraternité Saint-Pie X, en particulier, n’avait été fondée par Mgr Lefebvre qu’en novembre 1970 et s’occupait alors à former ses premiers séminaristes : elle était loin d’avoir atteint le développement qu’elle connut surtout à partir de 1976. Une lettre inédite de Mgr Lefebvre à l’abbé Coache, datée du 25 février 1972, montre combien Mgr Lefebvre, pris par la difficile fondation de sa Fraternité, était encore à ce moment en retrait :
« Cher Monsieur l’Abbé,
Vous pouvez croire que votre invitation me touche vivement et que je suis prêt à me rendre à Flavigny donner tous les encouragements que vous souhaitez.
Mais veuillez comprendre que pour la subsistance de l’œuvre que je poursuis, Dieu sait dans quel dédale de difficultés ! je ne puis rien faire de public et de solennel dans un diocèse sans avoir le placet de l’évêque. (…) J’ai déjà des plaintes contre le séminaire. J’arrive à en démontrer la fausseté et lentement je m’enracine et progresse. Mais toutes les portes me seront fermées pour de nouvelles installations, pour les incardinations, si je me mets publiquement dans mon tort, canoniquement. Cela vaut pour moi, à cause de la survie et du progrès de mon œuvre, cela ne vaut pas nécessairement pour vous et je vous félicite de votre installation à Flavigny. Je souhaite même que nous puissions collaborer, si vous y consentez. (…) Vous me trouverez trop prudent. Mais c’est l’affection que je porte à cette jeunesse cléricale qui me convie à l’être. Je dois m’étendre et essayer d’avoir le Droit Pontifical… »
En quelque sorte, l’abbé Coache fut un de ces soldats de première ligne qui se sacrifient pour tenir coûte que coûte la ligne de front, pendant qu’à l’arrière se forment les jeunes recrues. Toutes les belles communautés que nous observons aujourd’hui dans la Tradition ne sont pas dans une dépendance directe de l’abbé Coache : mais qui peut dire qu’elles seraient aussi florissantes aujourd’hui si, hier, l’abbé Coache et quelques autres n’avaient tant combattu pour la Tradition ?
Une église à Paris
De l’abbé Coache, il faudrait encore citer de nombreuses actions. Il y eut la campagne de destruction des mauvais journaux dans les églises, qui aboutit à plusieurs procès. Il y eut certaines actions de « commando », notamment contre des emblèmes sacrilèges. Il y eut des luttes diverses contre les modernistes, soit à l’occasion de cérémonies scandaleuses, soit pour des congrès de prêtres contestataires. Il y eut des interventions dans les médias, par exemple la Radioscopie du 5 mai 1975 avec Jacques Chancel.
Mais il restait à l’abbé Coache à léguer à la Tradition une de ses plus belles institutions, en tout cas la plus connue dans le monde. L’habitude s’était prise de se rencontrer régulièrement, Mgr Ducaud-Bourget, l’abbé Coache, madame Buisson et quelques amis au restaurant Le Tourville, tout près du domicile de Mgr Ducaud-Bourget. Dès 1974, l’abbé Coache y évoqua la possibilité de prendre une église à Paris. Mgr Ducaud-Bourget, plus tempéré que le bouillant curé de Montjavoult, retardait toujours l’exécution.
Le 20 octobre 1976, une réunion organisée par l’abbé Coache sous la présidence de Mgr Ducaud-Bourget eut lieu à la Mutualité devant 3 000 personnes. Avec la permission de Monseigneur, l’abbé Coache annonça qu’avant six mois, une église parisienne serait prise. La foule s’enthousiasma pour un tel projet.
Cinq personnes furent du secret : Mgr Ducaud-Bourget, l’abbé Serralda, l’abbé Coache, madame Buisson et monsieur Ducaud. Chacun des trois prêtres apportait au projet sa contribution unique : Mgr Ducaud Bourget était le « patron », la figure de proue parisienne qui donnait sa caution morale ; l’abbé Serralda apportait l’église, Saint-Nicolas-du-Chardonnet dont il avait été vicaire et qui se trouvait située juste à côté de la Mutualité ; l’abbé Coache apportait son audace, son sens de l’organisation, ses équipes bien rodées par de nombreuses opérations antérieures.
La suite est désormais bien connue : elle a été abondamment racontée en plusieurs ouvrages. Il y eut la grande réunion de la Mutualité, où le peuple fidèle fut détourné vers l’église proche. Cet envahissement pacifique mais ferme aboutit à la célébration de la messe traditionnelle, la première dans cet édifice depuis de trop longues années.
Ensuite, prêtres comme fidèles, heureux de pouvoir goûter la liturgie catholique dans une église construite pour la célébrer, de pouvoir vivre une authentique vie paroissiale, s’accrochèrent à Saint-Nicolas et (Dieu merci !) ils y sont encore, le cœur plein de reconnaissance pour les valeureux pionniers sans lesquels ils ne jouiraient pas d’une si belle et si consolante paroisse.
Flavigny et les Petites Sœurs
Chassé de sa paroisse par son évêque, l’abbé Coache avait cherché un point de chute. Or, la Providence le guida manifestement dans cette recherche. En mai 1971, le curé de Montjavoult vit arriver au presbytère un homme très corpulent qui lui offrit sans ambages un monastère. Il s’agissait du propre neveu de l’économe de la Province dominicaine de Paris, chargé par ce dernier de vendre le très grand couvent de Flavigny. Grâce à une habile manœuvre, l’abbé Coache put acquérir la Maison Lacordaire sans que ses propriétaires soupçonnent avec quel « monstre d’intégrisme » ils faisaient affaire. Il décida d’y installer ses œuvres et, au premier chef, le Combat de la Foi.
Pourtant, cette maison fut le siège d’une action nouvelle de l’abbé Coache. En effet, il y accueillit en décembre 1971 sa propre sœur, Mère Thérèse-Marie et une autre religieuse, Mère Marie-Xavier, sorties de leur Congrégation d’Angers devenue moderniste. Il offrit à leur complet dénuement un toit, et la possibilité de continuer leur vie religieuse.
Monsieur l’abbé Coache, très connu et très estimé, favorisa largement le recrutement, en sorte que si les sœurs n’étaient encore que 4 en 1975, elles étaient déjà 33 en 1982.
De 1975 à 1984, il assura presque tous les cours du noviciat (théologie, Écriture sainte, histoire de l’Église, etc.). Il présida ou prêcha à plusieurs prises d’habit ou professions religieuses.
Il transmit aux Petites Sœurs sa profonde dévotion eucharistique, son amour de la liturgie et du chant grégorien. Ce fut lui, en particulier, qui initia les religieuses au rubriques du bréviaire et du missel, d’où est sorti le désormais célèbre Ordo avec répertoire des lieux de culte traditionnel. Ses conseils de spiritualité étaient basés sur la foi devaient être des « femmes de devoir » à la piété solide. Il les mettait en garde contre les « dévotionnettes », les fausses apparitions, le sentimentaIisme. Grâce à ses conférences sur les problèmes d’actualité dans l’Église, les sœurs avaient une claire vision de la nocivité des erreurs modernistes et de la nécessité de maintenir le bon cap.
Très ferme, il était aussi d’une bonté simple et familière avec les Petites Sœurs. Les grandes fêtes étaient l’occasion de manifester l’affection de son cœur paternel pour la communauté en la comblant de cadeaux.
Lourdes et la retraite
Après 1977, l’abbé Coache va en quelque sorte « prendre sa retraite ». D’abord, il approche de la soixantaine et l’âge commence à se faire sentir, surtout après tant de souffrances et tant de combats. D’autre part, il voit arriver la relève : jeunes prêtres issus d’Écône, jeunes religieux et religieuses des « congrégations traditionnelles », jeunes foyers solidement chrétiens. Les chapelles de la Tradition se multiplient, les prieurés fleurissent, les écoles s’ouvrent les unes après les autres, les maisons de retraites spirituelles font le plein. L’abbé Coache voit que ses efforts n’ont pas été vains, qu’ils ont porté des fruits de grâce et de sanctification.
Ne croyons pas, toutefois, que l’abbé Coache se repose désormais sur ses lauriers : ce n’est guère son tempérament, et l’état de l’Église n’est pas tel qu’il puisse chanter victoire. La dernière partie de sa vie sera remplie d’œuvres bonnes et excellentes qui ajouteront à sa couronne et lui vaudront de la part de tous les catholiques un surcroît de reconnaissance.
Désormais installé à Flavigny, l’abbé Coache, avec l’aide des Petites Sœurs de Saint François, fait de la Maison Lacordaire un haut lieu de la Tradition. Il y prêche des retraites qui attirent un public nombreux. Il reçoit des hôtes de passage venus se ressourcer spirituellement. Il enseigne et soutient les fidèles par le Combat de la Foi.
Mais surtout, il organise de là les pèlerinages de la Tradition à Lourdes. Ils eurent lieu en 1978, 1979, 1980, 1982, 1983, 1986 et 1991. En raison de la mauvaise volonté des autorités du Sanctuaire, et nommément du père Bordes, ces pèlerinages furent émaillés d’incidents tragi-comiques : polémiques épistolaires, combats par sonorisation interposée, « occupation » de la basilique du Rosaire, tentatives d’intervention policière et judiciaire, etc. Cela n’empêchera jamais ni la ferveur, ni la sanctification, ni le témoignage public de la foi.
En 1984, la Maison Lacordaire fut le siège d’une cérémonie exceptionnelle. En accord avec Mgr Lefebvre, y fut célébré un Triduum de messes ininterrompues, pour obtenir du Ciel la reconnaissance officielle par les autorités romaines du droit à la messe traditionnelle. Ces trois journées de messes célébrées par une soixantaine de prêtres, furent inoubliables et attirèrent sans aucun doute des grâces immenses à la Tradition. D’autant que plus de cent prêtres qui n’avaient pu se déplacer célébrèrent chez eux la messe aux mêmes intentions.
En 1986, Mgr Lefebvre fit demander à l’abbé Coache, par l’intermédiaire de l’abbé Aulagnier, de lui céder la Maison Lacordaire pour y établir un séminaire. C’était à la fois une rupture avec tout un passé émouvant, une obligation de se reloger et une grâce immense. En effet, quelle joie pour un prêtre de voir la maison que l’on a sauvée, restaurée et habitée devenir le lieu où se formeront les prêtres de demain ! Les Petites Sœurs de Saint François partirent donc pour le Trévoux, l’abbé Coache déménagea pour le Moulin du Pin et le Séminaire international Saint Curé d’Ars s’ouvrit à Flavigny.
En 1988, l’abbé Coache soutint sans hésiter Mgr Lefebvre dans sa grave décision de sacrer quatre évêques. L’expérience lui avait montré que, devant la mauvaise volonté obstinée de la Rome moderniste, la Tradition devait se donner les moyens de poursuivre l’œuvre de préservation et de sanctification des âmes, et que cette œuvre passait nécessairement par un authentique épiscopat catholique.
L’abbé Coache fut également le promoteur de la grande journée de réparation des crimes de la Révolution, le 15 août 1989. Cette protestation contre le grand péché, celui de la laïcisation de la société, qui arrache sa couronne au Christ Roi et prive les petits, les pauvres, des secours de la religion, correspondait pleinement au combat de toute sa vie : « Que votre règne arrive ! »
En 1993, l’abbé Coache eut la joie de voir les « vétérans » des combats passés, ainsi que la jeune génération sacerdotale et épiscopale, se rassembler autour de lui pour remercier le Bon Dieu de ses cinquante années de sacerdoce.
Enfin, dans les premières heures du dimanche 21 août 1994, Monsieur l’abbé Louis Coache rendait sa belle âme à Dieu à l’âge de 74 ans. Une grande foule d’évêques, de prêtres, de religieux, de religieuses et de fidèles qu’il avait éclairés, guidés, enthousiasmés pour Notre Seigneur Jésus-Christ l’accompagnèrent à sa dernière demeure, avec les prières traditionnelles de l’Église, pendant que, dans le monde entier, des chrétiens qui lui étaient redevables priaient pour le repos de son âme.
Il reste de l’abbé Coache le souvenir d’un chrétien rempli de zèle pour la gloire de Dieu, d’amour pour Notre Seigneur Jésus-Christ et pour la Vierge Marie, d’attachement à la Sainte Église. Il reste le souvenir d’un homme qui eut le courage de se lever quand les autres se cachaient, de parler quand les autres se taisaient, de maintenir quand les autres abandonnaient, de combattre quand les autres s’enfuyaient. Il reste le souvenir d’un prêtre qui a éclairé les âmes, qui les a nourries, soutenues, encouragées et leur a procuré le salut éternel. Au terme d’une existence qui fut fidélité, rayonnement, enthousiasme, rectitude, nous pouvons lui attribuer le titre qu’il a mérité par sa vie : LE COMBATTANT DE LA FOI.
Source : Alexandre Moncrif, Fideliter n°102, Novembre-Décembre 1994.
- on trouvera tout le dossier de « L’injuste condamnation de l’abbé Coache » dans Itinéraires n° 199, janvier 1976, p. 59–220[↩]