Pourquoi Philippe de Bethsaïde a‑t-il suivi le Christ ?
Philippe est le quatrième élu. Mais à la différence d’André et de Jean qui sont allés à Jésus sur la parole de saint Jean-Baptiste, et de Pierre qui est venu au Seigneur sur la parole d’André, personne ne conduit Philippe au Christ. C’est au moment où le Seigneur avait décidé de quitter les rives du Jourdain pour passer en Galilée que la rencontre a lieu.
Saint Jean dans son évangile précise non seulement cette circonstance mais aussi que Philippe était de Bethsaïde, la ville d’André et de Pierre. On pense évidemment que Philippe était connu de ces deux-là, et donc que cette rencontre avait été facilitée. Mais Bethsaïde est aussi en Galilée.
La Galilée pour Notre Seigneur est la région où il a grandi en âge et en sagesse. La Galilée c’est le lieu où cet enfant parfait a reçu l’éducation de la sainte Vierge et de saint Joseph, dans le secret de la vie de la sainte Famille. Ce n’est pas hors-sol que le Verbe de Dieu s’est incarné. C’est aussi en Galilée qu’il attendra les siens le jour d’après la Résurrection, pour leur donner son ultime leçon : c’est en souffrant et en ressuscitant, que le Christ est entré dans la gloire ; eux aussi, ils auront à passer au travers les souffrances temporelles pour entrer dans la joie éternelle.
Philippe avait quitté sa terre, attiré par la prédication du Baptiste ; Notre-Seigneur le ramène à ses racines pour l’éduquer à la vie divine et le faire grandir à son tour en âge et en sagesse… la grâce ne détruit pas la nature mais la perfectionne. Ainsi, au moment d’appeler un nouveau disciple, le Christ veut aller en Galilée.
Rencontrant Philippe, il lui dit « Suis-moi ». Personne n’avait conduit au Christ Philippe et ces deux mots suffirent à le persuader. D’où vient cette obéissance de Philippe à le suivre ? Certes la voix du Christ allumera jusqu’à la fin des temps son amour dans l’âme de tous ceux qui l’entendront.
Mais à l’évidence, si le Christ enlève aussi facilement Philippe, c’est qu’il n’était pas inconnu de Lui : ce nouveau disciple avait lu assidûment Moïse et il y avait trouvé les annonces de celui qu’il cherchait jusqu’à le conduire dans le désert. Le Christ était présent dans son âme depuis bien longtemps. C’est Lui qui lui parlait lorsqu’il lisait la sainte Écriture… c’est Lui qui lui parlait dans ses silences et dans ses désirs… Tu ne me chercherais pas, si tu ne m’avais trouvé.
L’habitude de lire ces récits nous empêche de remarquer leur caractère prodigieux. Le Christ inconnu hier s’impose à ces âmes et les marque. Immédiatement, elles deviennent apôtre. Le souffle que leur communique le Maître, les anime et les fait parler. Ce souffle passe de leur âme dans leurs bouches, et répand par leurs mots le mouvement qui est en elles. A son tour, rencontrant Nathanaël, Philippe devient le héraut du Christ et allume la divine curiosité : « Celui duquel Moïse a écrit dans la Loi, ainsi que les Prophètes, nous L’avons trouvé, Jésus, fils de Joseph, de Nazareth ».
C’est peut-être dans ces derniers mots que nous comprenons pourquoi Philippe embrasse en un instant cette vocation. Il a trouvé Jésus, le fils de Joseph.
Qu’ont fait vos amis, Seigneur, pour vous trouver aussi facilement ? Ils se sont faits petits. Pour découvrir votre immensité, il ne faut pas être grand. Il faut être petit pour découvrir la grandeur. C’est comme cela que Philippe a découvert l’infini de Dieu dans les Écritures. Et dans cette docilité, il n’a pas buté à la surprise de Dieu qui se montre.
Il fallait qu’ils soient petits, les mages et les bergers, pour entrer dans la grotte où l’Enfant était né. « En vérité je vous le dis, si vous ne retournez à l’état des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux. » Aux petits, comme aux pauvres d’esprit de la première béatitude, le Seigneur a promis le royaume des Cieux.
Être petit, ou humble d’esprit, ne correspond ni à une misère ni à une pauvreté matérielle. Il ne s’agit pas non plus d’une ignorance ou d’une conscience pauvre qui n’aurait pas été nourrie moralement ou intellectuellement.
Le petit, le pauvre de l’évangile, c’est celui qui n’oublie pas qu’il n’est qu’un être humain, qu’il n’est qu’une créature, c’est à dire un être en relation, un être dépendant, en manque constitutif et en attente active de son créateur qui seul peut le combler.
Le petit, c’est un homme simple qui ne croit pas tout savoir. Le petit est prêt à se laisser instruire, à retourner en Galilée. Il contemplera la même scène que l’orgueilleux, mais il y verra toujours autre chose…
L’humble a trouvé la sagesse, parce qu’il a été insensé ; il a trouvé la puissance parce qu’il a été faible ; il a trouvé le Dieu infini, immense et éternel, parce qu’il a été petit.
Il faut être petit pour découvrir le Verbe incarné. Il faut être petit pour comprendre ce que seul le Bon Dieu peut dire : « Donne-moi ton humanité, et je te donnerai ma divinité ; donne-moi ton temps, et je te donnerai mon éternité ; donne-moi ton corps fatigué, et je te donnerai la rédemption ; donne-moi ton cœur brisé, et je te donnerai mon l’Amour ; donne-moi ton néant, et je te donnerai tout ».