Pour en finir avec le crétin digital. Recension.
Après avoir démontré la nocivité des écrans et des outils numériques qui ont envahi la vie contemporaine, dans son désormais célèbre Fabrique du crétin digital, Michel Desmurget apporte dans son nouvel ouvrage une pierre à l’édifice d’une saine éducation naturelle en exposant les bienfaits de la lecture.
Riche des nombreuses études scientifiques ou enquêtes qui traitent du déclin de la lecture « classique » de la part des jeunes mais surtout des effets bénéfiques qu’elle apporte à celui qui se donne la peine de lire régulièrement, l’auteur conforte scientifiquement la pratique de ceux qui louaient et défendaient la lecture de livres édités en support papier, pourtant menacée par l’addiction aux supports numériques. Les défenseurs du « progrès » font croire que les jeunes lisent autant qu’avant, puisqu’ils passent leurs journées (et une partie de leurs nuits !) sur leur smartphone à lire et écrire des messages, dévorent des mangas, des bandes dessinées ou des magazines « people ». Malheureusement, l’indigence des échanges et des contenus de cette littérature de gare appauvrit tragiquement le cerveau et la culture des jeunes et des moins jeunes.

La lecture pratiquée régulièrement est pourtant un gage de réussite scolaire. Elle doit même commencer avant que l’enfant sache lire par ce que l’on appelle la lecture partagée. L’adulte lit à l’enfant une histoire et échange avec lui par un questionnement simple sur le contenu du récit, le vocabulaire rencontré, les sentiments suscités, la trame narrative, pour en favoriser une compréhension qui éveille la curiosité et l’imaginaire de l’enfant. Cette lecture accompagnée développe non seulement la possession de la langue, enrichit le lexique, mais aiguise aussi le goût de la lecture autonome. Contrairement à une idée reçue, il n’est pas vrai que les enfants à qui l’on lit une histoire alors qu’ils savent déchiffrer le texte risquent de ne pas aimer la lecture autonome. C’est l’inverse qui se vérifie à l’aune de nombreuses études croisées sur la question. Et c’est durant ces temps de lecture partagée que l’enfant découvre et retient des mots et des tournures syntaxiques ou grammaticales que le langage oral, plus pauvre, ne possède pas.
Lisant moins, les enfants vivant dans des pays où l’écran numérique et récréatif prédomine perdent le plaisir de lire tout autant que la capacité de lire et de comprendre ce qu’ils lisent. La littérature leur devenant inaccessible, les attendus scolaires sont revus à la baisse, de peur de stigmatiser ceux qui sont entrés dans une spirale d’illettrisme.
Pourtant, la démarche inverse devrait piloter les politiques éducatives : plus un enfant lit, plus son cerveau engrange de capacités qui se répercutent sur de nombreux aspects de l’intelligence humaine. « L’information irrigue quasi instantanément l’ensemble du cerveau, depuis les zones émotionnelles, jusqu’aux régions de l’intelligence sociale en passant par les aires sensorielles et du contrôle moteur ; parce que les livres, notamment de fiction, immergent le lecteur dans l’histoire et, ce faisant, lui permettent d’éprouver toutes sortes de ressentis (empathie, colère, joie, etc.), à travers la stimulation des zones cérébrales qui s’activeraient s’il était confronté à ces situations dans la vraie vie. » (p. 98) Mais contrairement à toutes les choses de ce monde consumériste, la lecture ne peut s’acheter. Il faut la pratiquer pour en acquérir les vertus et les effets bienfaisants. La capacité d’accéder au sens d’un texte qui caractérise la maîtrise de la lecture ne peut exister sans une appropriation quotidienne de son exercice.
Et ce sont les parents, plus que l’école, qui ont la charge délicate de déclencher cet appétit de la lecture et du plaisir consécutif qui rendra durable l’envie de lire. Michel Desmurget expose de nombreux exercices et jeux d’apprentissage à destination des adultes chargés de faire entrer les jeunes dans le monde des livres. L’enfant qui est un bon lecteur en CE2 réussira immanquablement son collège et accédera facilement aux études supérieures.
Même si l’ouvrage de Michel Desmurget est parsemé de principes évolutionnistes qui n’apportent rien à sa démonstration, on salue la démarche salutaire qui l’anime. Les enjeux scolaires et humains qui se nouent entre l’invasion des écrans délétères et le maintien ou la restauration du primat de la lecture dans les loisirs d’intérieur sont tels qu’il n’est pas exagéré d’affirmer que la maîtrise de la lecture, façonnée dès le plus jeune âge, prépare l’élite de demain, dans tous les domaines et permet la transmission de la culture dont des pans entiers sont issus des œuvres littéraires.
Seuil, 2023, 414 pages, 22,50 €
Image : CC0 1.0 Universal