La longue opposition entre Pie VII et Napoléon Bonaparte constitue l’originalité de cette biographie bien renseignée de Jean-Marc Ticchi.
Né en 1742 en Romagne, Barnaba Chiaramonti est le dixième d’une famille de onze enfants dont cinq sont morts en bas âge. En 1756, il est postulant chez les bénédictins de Césène, sa ville natale. De solides études qu’il achèvera à Rome lui donnent une formation riche et propice aux charges qui l’attendent. Il est ordonné prêtre en 1765 et envoyé à Parme où il découvre la culture française et sans doute aussi les idées des Lumières, le duc de Parme étant marié à une fille de Louis XV. Nommé professeur de théologie et de droit canonique au collège des Bénédictins de Saint-Anselme, équivalent d’une université pontificale, il y reste neuf années. Il sera repéré par le cardinal Braschi, originaire lui aussi de Césène, qui deviendra le pape Pie VI en 1775. C’est donc lui qui le fait évêque de Tivoli en 1782 puis cardinal en 1785. Il reçoit alors la charge du diocèse d’Imola. Comme à Tivoli, l’évêque prend très au sérieux sa charge et, dans l’esprit des directives du Concile de Trente, se dévoue aux fidèles, aux prêtres et aux pauvres de son diocèse.
En 1796, le Directoire entreprend une campagne en Italie confiée à Bonaparte. Ses victoires successives sur l’Autriche et les troupes pontificales, lui permettent d’imposer au pape l’armistice de Bologne, le 23 juin 1796, qui impose de lourdes contraintes territoriales et financières aux États pontificaux. A Imola, le cardinal Chiaramonti gère l’invasion avec tact et tend à apaiser les foules hostiles aux Français. Dans une homélie devenue célèbre du 25 décembre 1797, le cardinal semble demander l’acceptation de la république que les Français imposent aux habitants de Romagne mais il rappelle surtout la nécessité de fondements chrétiens pour toute société. Par ailleurs, il refusera que son clergé prête serment aux autorités républicaines, pour que soient respectés les droits de l’Église.
En février 1798, la France envahit Rome et fait prisonnier le pape Pie VI. Conduit successivement à Sienne, Florence, Grenoble puis Valence, c’est là qu’il meurt le 29 août 1799. Tandis que les Napolitains s’emparent de Rome pour en chasser les Français (2 octobre 1799) un long conclave va s’ouvrir à Venise. Des rapports de force complexes retardent l’élection et aboutissent finalement à celle de l’évêque d’Imola (14 mars 1800) sur lequel personne ne misait quelques mois auparavant. S’ouvre alors le pontificat de Pie VII qui durera jusqu’en 1823. Il sera marqué essentiellement par les rapports conflictuels que le nouveau pape entretiendra avec Bonaparte et sa politique républicaine puis impériale.
Pie VII entre dans Rome en juillet 1800. Jusqu’à une nouvelle entrée des Français dans la Cité éternelle en 1808, le pape conduit une politique modérée par rapport aux jacobins et soucieuse de répondre aux besoins liés à la crise économique que traversent ses États pontificaux. Il a nommé le cardinal Consalvi secrétaire d’État. Amateur et défenseur des beaux-arts, Pie VII met en place une politique que l’on dirait aujourd’hui « culturelle » innovante, lançant des chantiers de fouilles archéologiques et établissant des institutions propices à la préservation du patrimoine artistique qui ont inspiré des mesures toujours actuelles. A Rome, il développe les missions paroissiales et le culte marial.
On retient évidemment de son pontificat la signature du concordat de 1801 avec le Consul Bonaparte qui sera en vigueur en France jusqu’à la séparation de l’Église et de l’État de 1905, puis l’assistance au sacre de Napoléon à Notre-Dame de Paris, le 2 décembre 1804. Se rêvant d’être un nouveau Charlemagne, le soldat corse instrumentalise la papauté à son service et lui rappelle bien vite que ses États pontificaux peuvent lui être retirés puisqu’ils appartiennent au nouvel empire. Ce qui arrivera en 1808. D’abord reclus à Rome, Pie VII sera fait prisonnier à son tour le 6 juillet 1809 et emmené dans la forteresse de Savone où on le traitera dignement pour éviter toute insurrection. En 1812, Napoléon fait conduire le pape à Fontainebleau voulant faire de Paris la capitale politique et spirituelle du nouvel empire d’Occident.
C’est l’ensemble de cette longue opposition entre Pie VII et Napoléon Bonaparte qui constitue l’originalité de cette biographie bien renseignée de Jean-Marc Ticchi.
Persuadé que la Providence guide son serviteur dans l’acceptation des épreuves et dans la force qui lui est donnée pour refuser les mesures inacceptables que cherche à imposer Napoléon, le pape Pie VII ressortira grandi et respecté des cours européennes après la chute définitive de l’Empereur en 1815. Durant les huit dernières années de son pontificat, certains États pontificaux retrouveront après une interruption de 18 ans le gouvernement restauré du pape, ce qui ne se fera pas sans difficultés et annoncera les troubles du milieu du XIXe siècle qui aboutiront à l’unité italienne. La condamnation par Pie VII des carbonari en 1821 qui renouvelle les anathèmes des papes antérieurs portés contre la franc-maçonnerie ne sera pas étrangère aux soulèvements à venir.
Les rapports entre le Pontife spirituel et le Souverain, prince temporel, sont au cœur de cette période troublée de l’histoire. Napoléon qui a cherché en vain à faire accepter au pape les articles gallicans de 1682 a réussi cependant à imposer l’héritage républicain tout en faisant figure, même aux yeux du pape, de sauveur du catholicisme en France. C’est la complexité de ces rapports humains et doctrinaux qu’a su mettre en lumière Jean-Marc Ticchi dans une biographie qui se lit aisément.