Burn out ou dépression – Cahiers Saint-​Raphaël n°160

Les TND, dans quel « tiroit » ? dans quelle école ?

Editorial

Les TND, dans quel « tiroit » ? dans quelle école ?

par le doc­teur Philippe de Geofroy

C’est un vaste tiroir que celui des troubles neuro-​développementaux (TND) ! On y range de nom­breuses patho­lo­gies d’apparences hété­ro­gènes mais l’évolution des connais­sances en psy­cho­lo­gie, en psy­chia­trie et en neu­ro­lo­gie a per­mis de les uni­fier en fai­sant res­sor­tir des élé­ments com­muns. On désigne sous ce vocable un ensemble de troubles qui appa­raissent pré­co­ce­ment, en géné­ral dans l’enfance, et qui affectent le déve­lop­pe­ment du cer­veau. Ils entraînent des dif­fi­cul­tés durables dans des domaines variés comme la com­mu­ni­ca­tion, le com­por­te­ment, l’attention, l’apprentissage, la coor­di­na­tion motrice ou les inter­ac­tions sociales. Ces patho­lo­gies sont en rap­port avec la manière dont le cer­veau se forme et fonc­tionne. Leur carac­tère dis­pa­rate est le reflet de la diver­si­té des fonc­tions céré­brales tou­chées par cette ano­ma­lie du déve­lop­pe­ment. Cela peut expli­quer leur regrou­pe­ment tar­dif dans un dos­sier (ou tiroir !) com­mun. Quel autre rap­port pourrait-​on trou­ver a prio­ri entre un trouble de la motri­ci­té fine et des pro­blèmes de régu­la­tion émo­tion­nelle ou de mau­vaise inter­pré­ta­tion des signaux sociaux ? Les causes trou­vées peuvent être géné­tiques, neu­ro­lo­giques ou sou­vent mul­ti­fac­to­rielles. Les TND évo­luent avec l’âge mais res­tent en géné­ral pré­sents tout au long de la vie. C’est vers la fin du XXe siècle, avec l’évolution des clas­si­fi­ca­tions psy­chia­triques (DSM5-​2013)[1] que des com­por­te­ments et patho­lo­gies d’apparences diverses, et dont le point com­mun n’est pas évident pour le béo­tien, ont rejoint ce même tiroir.

Certaines de ces patho­lo­gies semblent être appa­rues récem­ment, comme celles qui sont liées à notre mode de vie ou à notre envi­ron­ne­ment, d’autres sont pro­ba­ble­ment vieilles comme le monde, mais leur com­pré­hen­sion, qui s’est affi­née pro­gres­si­ve­ment, a per­mis une clas­si­fi­ca­tion sans doute encore appe­lée à évo­luer. Des textes de l’Antiquité ou du Moyen Âge évoquent déjà des enfants lents, rêveurs ou ayant des com­por­te­ments étranges mais sans beau­coup de détails. Il n’y a alors pas vrai­ment de recon­nais­sance médi­cale struc­tu­rée ni de trai­te­ment ration­nel pro­po­sé. Au XVIIIe siècle appa­raissent les pré­mices de la psy­chia­trie moderne avec notam­ment le doc­teur Jean Étienne Dominique Esquirol que nous avions déjà évo­qué dans le numé­ro des Cahiers sur la tri­so­mie. Certains TND étaient décrits à l’époque sous les termes d’« imbé­cil­li­té » ou « idio­tie » deve­nus aujourd’hui insul­tants, selon l’intensité des défi­ciences intel­lec­tuelles congé­ni­tales, à dif­fé­ren­cier de la démence qui est une dété­rio­ra­tion intel­lec­tuelle acquise. Au fur et à mesure, se sont déve­lop­pées des méthodes édu­ca­tives pour ces « enfants arrié­rés », mais éga­le­ment des tests per­met­tant de déter­mi­ner plus pré­ci­sé­ment l’importance du défi­cit cog­ni­tif (mesure du quo­tient intel­lec­tuel). Je laisse les spé­cia­listes com­pé­tents qui vont inter­ve­nir dans ce numé­ro décrire pré­ci­sé­ment ces pathologies.

On peut noter que la grande diver­si­té de ces TND et l’intensité variable de leurs symp­tômes, auront des réper­cus­sions impor­tantes sur les pos­si­bi­li­tés d’inclusion sco­laire, et ulté­rieu­re­ment dans la vie active, des patients pré­sen­tant ces troubles. Un autiste pro­fond néces­si­te­ra le plus sou­vent une prise en charge dans une ins­ti­tu­tion spé­cia­li­sée, cer­tains patients atteints du syn­drome d’Asperger pour­ront pré­tendre à une vie fami­liale ou pro­fes­sion­nelle (au point que des hommes poli­tiques ou chefs d’entreprise situés au-​dessus du panier sont sus­pec­tés, à tort ou à rai­son, d’être atteints de cette mala­die : Elon Musk, Vladimir Poutine…). Des amé­na­ge­ments spé­ci­fiques théo­ri­que­ment garan­tis par la loi du 11 février 2005, mais pas tou­jours faciles à mettre en place, per­mettent d’inclure dans un par­cours sco­laire des enfants pré­sen­tant des troubles défi­ci­taires de l’attention, avec ou sans hyper­ac­ti­vi­té (TDAH), ou éga­le­ment des enfants pré­sen­tant des troubles spé­ci­fiques des appren­tis­sages (DYS). Comme pour les enfants pré­sen­tant des troubles audi­tifs, l’importance du han­di­cap et des adap­ta­tions péda­go­giques néces­saires, la taille des classes, la com­pé­tence des pro­fes­sion­nels et la néces­si­té ou non d’un équi­pe­ment tech­no­lo­gique par­ti­cu­lier seront des élé­ments déter­mi­nants pour la prise en charge. Mais l’individualisation est un casse-​tête pour les ensei­gnants de classes bien rem­plies. Signalons au pas­sage la ques­tion des méthodes de lec­ture, celle dite glo­bale ayant été accu­sée d’être res­pon­sable d’un accrois­se­ment des pro­blèmes de dys­lexie. Des conver­sa­tions que j’ai eues avec des ortho­pho­nistes m’ont sem­blé aller dans ce sens avec quelques nuances. Stanislas Morel, socio­logue, cri­tique aujourd’hui une « médi­ca­li­sa­tion décom­plexée » du milieu sco­laire per­met­tant aux ensei­gnants de se débar­ras­ser des enfants à pro­blèmes en les éva­cuant vers un pro­fes­sion­nel de san­té. Dit autre­ment, celui qui autre­fois colo­ni­sait le fond de la classe, à proxi­mi­té du radia­teur, se retrouve aujourd’hui d’office chez l’orthophoniste ! La médi­ca­li­sa­tion des dif­fi­cul­tés sco­laires s’inclut dans un pro­ces­sus plus large de médi­ca­li­sa­tion de l’existence. Il convient d’établir pré­ci­sé­ment la fron­tière entre les dif­fi­cul­tés sco­laires et les vrais troubles de l’apprentissage. On peut rap­por­ter cette évo­lu­tion à la défi­ni­tion de la bonne san­té de l’OMS publiée en pré­am­bule de sa consti­tu­tion de 1946 : « La san­té est un état com­plet de bien-​être phy­sique, men­tal et social et ne consiste pas seule­ment en une absence de mala­die ou d’infirmité ». Auparavant, dans une vision hip­po­cra­tique, on par­lait plus sim­ple­ment de « silence des organes » c’est-à-dire d’absence de patho­lo­gie. Cela explique que des dif­fi­cul­tés, des gênes, des incon­forts, comme un nez de tra­vers, une gros­sesse non dési­rée ou à évi­ter, soient aujourd’hui consi­dé­rés comme rele­vant de la médecine.

À l’opposé de cette « médi­ca­li­sa­tion décom­plexée », une socio­logue aus­tra­lienne, Judy Singer, a intro­duit le concept de neu­ro­di­ver­si­té, selon lequel ces dif­fé­rences neu­ro­lo­giques sont à appré­hen­der comme l’une des com­po­santes de la diver­si­té humaine, à l’instar des varia­tions phy­siques, remet­tant en cause la vision tra­di­tion­nelle des TND vus comme des défi­cits mais les pré­sen­tant plu­tôt comme une richesse. Le han­di­cap serait donc plus la consé­quence de bar­rières socié­tales que du carac­tère défi­ci­taire de l’individu. Par ana­lo­gie, le han­di­cap du para­plé­gique en chaise rou­lante serait la consé­quence de la pré­sence d’escaliers ! Ce type de rai­son­ne­ment, tout à fait dans l’air du temps, est un peu le même que celui qui jus­ti­fie, au nom du res­pect des droits indi­vi­duels et de l’autonomie, la théo­rie du genre et l’obligation faite à cha­cun de s’adapter au res­sen­ti du dys­pho­rique, toute inéga­li­té étant vue comme une injus­tice devant être cor­ri­gée. Voilà encore un bel ava­tar wokiste de ce que Mathieu Bock-​Côté appelle la socié­té diver­si­taire. Cette socié­té doit trans­for­mer ses ins­ti­tu­tions, ses men­ta­li­tés et ses mœurs pour s’accommoder aux exi­gences de la diver­si­té et de la pri­mau­té de l’individu. Bien enten­du, encore une fois, il s’agit d’une ana­lo­gie et, loin de moi l’idée de vou­loir amal­ga­mer l’enfant atteint de dys­lexie ou de dys­or­tho­gra­phie à l’islamiste enva­his­seur, au végan anti­spé­ciste ou au LGBTQIA+ (j’espère ne rien avoir oublié) qui veut détruire l’institution du mariage et la famille au nom de l’inclusion.

Mais alors il faut trou­ver une place, notam­ment dans le sys­tème sco­laire si c’est pos­sible, pour cet enfant en dif­fi­cul­té, entre inclu­sion sans dis­tinc­tion et exclu­sion bru­tale. Une place qui, si pos­sible, per­mette le déve­lop­pe­ment har­mo­nieux de cet élève han­di­ca­pé sans nuire au bien com­mun de la col­lec­ti­vi­té sco­laire. Et comme cha­cun sait, ce bien com­mun n’est pas la somme ou la moyenne des biens par­ti­cu­liers mais c’est un bien qui trans­cende les inté­rêts indi­vi­duels et vise au bien propre de la com­mu­nau­té dont le fonc­tion­ne­ment har­mo­nieux crée­ra les condi­tions néces­saires à la réa­li­sa­tion de cha­cun. Certains han­di­caps légers sont com­pa­tibles avec ce bien com­mun au prix d’une for­ma­tion et d’une adap­ta­tion du corps ensei­gnant ou de cer­tains amé­na­ge­ments péda­go­giques[2], per­met­tant d’éloigner notre « neu­ro­di­vergent » du radia­teur pour l’intégrer à la classe. L’accueil d’élèves un peu dif­fé­rents sera aus­si l’occasion pour les autres enfants d’accepter l’altérité, d’apprendre l’empathie et la soli­da­ri­té, en un mot, de pra­ti­quer la cha­ri­té chré­tienne. Mais dans d’autres cas, il n’y aura d’autre solu­tion que le pla­ce­ment dans un ins­ti­tut spé­cia­li­sé. Il s’agit là d’une affaire de dis­cer­ne­ment et de pru­dence aux anti­podes de toute idéologie.

Nous abor­dons, sous un autre angle, dans ce nou­veau numé­ro des Cahiers Saint-​Raphaël un sujet déjà trai­té en par­tie dans le numé­ro 137 sur l’autisme. Nous repar­lons aus­si du pro­blème des écrans dont la suru­ti­li­sa­tion peut être res­pon­sable de symp­tômes psy­chia­triques (régres­sifs à l’arrêt de l’exposition). Les TND et les abus d’écrans sont fré­quents et peuvent être res­pon­sables de dif­fi­cul­tés sco­laires et d’inadaptation à la vie en socié­té. Nous espé­rons pou­voir rendre ser­vice aux familles concernées.


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Notes de bas de page
  1. Manuel diag­nos­tique et sta­tis­tique des troubles men­taux et des troubles psy­chia­triques.[]
  2. Détaillés dans le témoi­gnage d’une ensei­gnante spé­cia­li­sée dans ce numé­ro.[]

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