Avant d’entrer dans le vif du sujet, rappelons sommairement quelques éléments relatifs aux jubilés dans la Sainte Ecriture.
L’idée primitive du jubilé se trouve dans l’Ancien Testament :
- tous les sept ans revenait l’année sabbatique pendant laquelle les travaux agricoles de labour, semailles et moissons étaient prohibés. Les fruits qui naissaient spontanément du sol étaient propriété de tous, spécialement des indigents et les dettes étaient remises, sauf celles contractées par les étrangers.
- le jour de la Fête de l’Expiation de la quarante-neuvième année (sept semaines d’années), le son des trompettes sacrées [1] annonçait l’année jubilaire, plus solennelle encore, qui se célébrait tous les cinquante ans. Plus que l’année sabbatique, elle était un temps de rémission : toutes les dettes étaient abolies, les terres et les maisons aliénées revenaient gratuitement à leurs anciens propriétaires, même au cas où l’acquéreur temporaire les avaient vouées au service du temple, les esclaves israélites recouvraient leur liberté.
Même si la mise en pratique de ces prescriptions reste mal connue aujourd’hui, ces différentes préceptes rappelaient aux Israélites qu’il y avait pour eux d’autre intérêts que ceux d’ici-bas, qu’ils n’étaient point les vrais propriétaires d’un sol que Dieu seul leur avait confié et que tous étaient serviteurs de Dieu.
Dans le Nouveau Testament, Notre-Seigneur, au début de son ministère public, lit un passage de la prophétie d’Isaïe qu’il s’applique à lui-même [2] : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur. Il replia le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous, dans la Synagogue, tenaient les yeux fixés sur lui. Alors il commença à leur dire : Aujourd’hui, cette Ecriture est accomplie pour vous qui l’entendez ».
Même si, historiquement, la naissance du jubilé chrétien s’explique par divers facteurs sans lien avec l’Ancien Testament, on peut toutefois trouver des fondements doctrinaux et spirituels dans les prescriptions d’attente de la Sainte Ecriture.
L’appartenance à Dieu, l’homme pécheur, le retour du chrétien à Dieu, la purification, la conversion, le bénéfice de la Rédemption, la miséricorde, le pardon, la rémisison des péchés, la remise de la dette, la communion des Saints sont autant d’éléments qui interviennent dans le Jubilé.
Les origines du Jubilé du Puy.
Aux approches de l’an mil, en une période de grand désordre que ce soit dans l’Église ou dans le monde féodal, bien des phénomènes laissaient présager la fin des temps. Bien que l’Église n’autorisât pas la croyance en la fin prochaine du monde, croyance entretenue par maints visionnaires et illuminés, les multitudes des fidèles partaient en pèlerinage pour se confier à la miséricorde divine. De plus, une croyance était accréditée selon laquelle la fin du monde arriverait lorsque l’Annonciation tomberait un Vendredi Saint. Or, cette rare et mystérieuse coïncidence, unissant dans le même jour du 25 mars les mystères de l’Incarnation et de la Rédemption, s’était produite en 970 et 981. Elle devait se renouveler en 992. En raison des foules nombreuses qui venaient habituellement au Puy, fut institué en cette année 992 un jubilé solennel. Il fut le premier d’une longue série[3]. Il se renouvellera toutes les années où l’Annonciation se rencontrera avec le Vendredi Saint. L’occurrence des deux événements le 25 mars se présentera en l’année 2016 pour la trente-et-unième fois depuis 992. Le jubilé de Notre-Dame du Puy est ainsi le plus ancien de tous les jubilés de l’univers catholique[4].
Tout au long des siècles, les papes se sont plu à enrichir le sanctuaire de nombreuses faveurs et indulgences spirituelles. De plus, le sanctuaire bénéficie du privilège des sept autels ou stations romaines, en sorte qu’en allant prier à sept autels de la cathédrale du Puy, on gagne les mêmes indulgences qu’en allant prier aux sept grandes basiliques de Rome[5] .
Les jubilés aux XVe et XVIe siècles.
En 1407, fut célébré celui qu’on considère ordinairment comme le dixième jubilé, le premier à être bien connu. Il se déroula sous l’épiscopat d’Élie de Lestrange, évêque du Puy de 1397 à 1418 [6]. Il ne dura qu’un seul jour, le 25 mars. Les raisons de venir au Puy étaient nombreuses : essayer de mettre fin au Grand Schisme d’Occident, prier pour la santé du roi Charles VI, lui-même venu au Puy en 1395 et implorer la Vierge Marie pour la paix menacée par la désunion de la famille royale, Jean sans Peur, duc de Bourgogne, rassemblant des troupes et menaçant son cousin Louis d’Orléans [7]. Le pape Benoît XIII d’Avignon ne manifesta aucun empressement envers ce jubilé. Il n’avait d’ailleurs rien fait pour favoriser ou pour interdire l’Année Sainte 1400 et cela avait permis alors aux fidèles de l’obédience avignonnaise de se précipiter à Rome
De la même manière, dans l’espoir de gagner le « pardon général de peine et de coulpe », la foule se pressa en rangs serrés dans l’escalier qui monte à la cathédrale. L’affluence fut telle qu’ il y « eut bien deux cens personnes mortes et esteintes » [8] et que l’évêque demanda à Martin V qu’il avait rencontré au Concile de Constance, d’allonger la durée du onzième jubilé en 1418. Dans sa lettre au pape, l’évêque évoque l’existence du jubilé depuis des « temps immémoriaux ». Le pape prolongea le jubilé jusqu’au mardi de Pâques.
En 1418, le Grand Schisme est achevé et le jubilé est présenté comme « une indulgence salutaire à la louange de la Vierge, et salut des âmes des visiteurs de l’oratoire singulier ». Les pèlerins sont présentés comme des « romyaults » i.e. comme des pèlerins qui se seraient rendus à Rome, des Romées.
En 1429, le douzième jubilé fut un véritable pèlerinage national où s’amorça la délivrance de la France. Il fut prolongé jusqu’au dimanche de Quasimodo.
A l’Annonciation de 1420, le futur Charles VII confia à Notre-Dame du Puy la situation désespérée de la France, juste avant la vente du royaume aux Anglais. Devenu roi, Charles VII reviendra quatre fois encore à l’église angélique. En 1422, au début de son règne, il accourut au Mont Anis pour demander aide et protection. Il y revint en janvier 1424, et en décembre 1425. Sans être présent au jubilé de 1429 qui fut un véritable pèlerinage national, du 25 mars au 3 avril, le roi Charles VII, en raison de « la grande pitié du royaume de France », ainsi que le peuple, mit toute son espérance en le secours de Notre-Dame. Tant de confiance allait être récompensée. Une intervention miraculeuse se produisit : Jeanne d’Arc apparut et la France fut miraculeusement sauvée.
Jeanne d’Arc voulut elle-même mettre son entreprise sous la protection de Notre-Dame du Puy. Elle concevait ce jubilé comme le point de départ de la rédemption de la France. Dans l’esprit de l’héroïne, c’était au moment où la prière de la France entière retentirait sous les voûtes du sanctuaire du Mont Anis que la sainte Vierge manifesterait son intervention miraculeuse en faveur du pays occupé. La conviction de sainte Jeanne d’Arc était si forte que, ne pouvant se rendre au Puy, retenue à Poitiers, elle se fit représenter au jubilé par sa mère, Isabelle Romée, par ses frères Jean et Pierre et par plusieurs chevaliers de son escorte de Vaucouleurs à Chinon. Jeanne d’Arc pria donc au Puy par le truchement de sa famille et de son entourage. Le jubilé s’acheva début avril 1429. Le 29 du même mois, Jeanne entrait dans Orléans et la délivrait totalement le 8 mai suivant. Le 17 juillet de la même année, dans l’octave de la dédicace de Notre-Dame du Puy, Charles VII était enfin sacré à Reims et couronné roi de France. Il n’était pas ingrat. Il voulut manifester sa reconnaissance en venant en 1434 remercier solennellement Notre-Dame du Puy qui avait daigné bénir sa couronne et sauver la France.
Il fut suivi des jubilés de 1502, 1513 et 1524.
En 1502, l’évêque du Puy crut que le récent jubilé de l’Année Sainte romaine de 1500 diminuerait considérablement le nombre des pèlerins du Puy. L’Année Sainte romaine ayant vu « tant de indulgences & remissions », ce jubilé connut une relative impréparation. Aussi l’évêque ne recourut-il pas au Saint-Siège pour obtenir une prolongation du jubilé. Mal lui en prit, car il y eut à partir des Rameaux une foule tellement considérable de pèlerins venus de France, d’Espagne, d’Italie, d’Angleterre et même de Grèce que les trois mille confesseurs dont l’évêque s’était pourvu ne suffirent pas et qu’on dut en ajouter encore un millier. Ils étaient échelonnés dans la basilique ; les églises, les porches, les couvents dans et hors de la ville, les cimetières en étaient bondés. Il faut relever l’émerveillement des chanoines à la venue des Grecs, dont une femme capable de lire les textes saints rédigés dans cette langue que recélait la bibliothèque capitulaire. Un accident qui produisit cent morts fit que la cathédrale dut en partie être fermée et la Vierge Noire et le Saint-Sacrement furent placées devant son entrée. Le parcours emprunté par les pèlerins aux abords et à l’intérieur de la cathédrale se fit sous mode de « conduite forcée ».Un témoin du jubilé de 1502 raconte : « ils allèrent à l’église, passèrent devant la pierre qui guérissait de la fièvre, devant le tableau célèbre des Neuf Preux, devant l’autel où un prêtre donnait sans relâche la bénédiction du Saint-Sacrement, ils s’agenouillèrent aux pieds de la statue glorieuse de Notre-Dame, défilèrent dans la chapelle du Crucifix, et firent toucher des objets aux reliquaires qui étincelaient au milieu des cierges allumés. Ils remirent une aumône avant de s’éloigner ; puis, en une procession imposante et recueillie, ils quittèrent la ville » [9].
En 1513, le jubilé, mieux préparé, fut en tout édifiant « le tout bien rumyné & profundement considéré, soit creu que Nostre Seigneur & la Vierge Marie conduisoient tout cest affaire ». Les pèlerins se confessèrent avant ou pendant le parcours. La vue du Corps du Christ fut « aux poures repentans chose moult lachrimable ».
En 1524, le jubilé donne occasion de définitions plus amples : le Puy est le lieu où l’on trouve la porte du Paradis ouverte. Le jubilé est assimilé au grand passage du Jugement dernier, lequel à son tour est décrit comme « le Grand jubilé au royaume de Paradis ». Médicis [10] assigne à cette date plusieurs événements principaux de l’Histoire sainte. En plus de l’Annonciation et du Vendredi Saint, se rencontrent les occurences suivantes : la création d’Adam, le meurtre d’Abel, l’offrande de Melchisédech, le sacrifice d’Isaac, la décollation de saint Jean-Baptiste, la captivité de saint Pierre, le rachat de saint Jacques sous Hérode, de nombreuses résurrections de saints avec Notre-Seigneur, le salut du bon larron ; à quoi il faut ajouter l’indulgence du Puy.
Que dire de l’implication de la population de Puy à l’occasion de ces jubilés successifs (de 1407 à 1524) ?
Il faut noter que la ville a une longue pratique des pèlerinages massifs et des habitudes d’organisation dans ce domaine, même en dehors du cadre jubilaire.
Mais en 1407, les vivres ont manqué. En 1418, la veille du jubilé, une procession a préparé les esprits.
En 1524, les notations se font plus psychologiques : le Jubilé est une bénédiction pour le ville. Mais les Ponots en sont-ils dignes, face au « travail » souffert par les « étrangers » ? L’interdiction du blasphème, par la commune des seigneurs du Puy, roi et évêque, est une des mesures préparatoires pour une conversion morale préjubilaire, destinée à permettre le bon déroulement de la journée. Quinze jours avant la fête, les chanoines ordonnent une grande procession de préparation, avec sermon sur la place du For et messe à la cathédrale. S’ils ne souffrent pas les peines des pèlerins lointains, les marchands, déjà en 1513, leur donnent « recreations de victuailles », se montrant « humains et caritatifs ». En 1524, les chanoines font distribuer avant l’entrée dans la cathédrale, à la Porte du For, aux pèlerins fatigués, pain et vins stockés dans un local à proximité. La charité privée s’exerce : « est aussi à noter que lesdits habitants compassionnés sur les poures pelerins ainsi serrés aux rues, ungs gectoient pain, à belles menues pieces, trempé en vin, de leurs fenestres, autres le gectoient sans tremper, autres pruneaux et figues, autres de leurs portes donnoient à boire aux pelerins vin, autre eau selon leur povoir, autres confictures & autres retiroient dans leurs domiciles plusieurs personnaiges debilités pour avoir soutenu & trevaillé leurs corps en la dure presse. » En cette même année 1524, la municipalité prend des dispositions diverses : elle fixe le montant des dépenses des pèlerins dans les hôtelleries pour un homme à cheval, pour un homme à pied, elle fait abattre les maisons mal placées et fait ramoner les cheminées par crainte du feu.
Il faut relever, outre l’attachement de la population au catholicisme et outre le prestige des moines et religieux, le nombre élevé de prêtres du clergé séculier. En 1540, pour une population évaluée entre cinq et dix mille personnes, on estime à cinq cents le nombre de prêtres séculiers au Puy.
Les jubilés aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Aux XVIIe et XVIIIe siècle, le Jubilé s’organise mieux : les confesseurs séculiers sont logés au Séminaire et les religieux dans les maisons de leur ordre.
En 1622, le dix-septième jubilé, près d’un siècle après le précédent de 1524, dura sept jours. A la requête de l’évêque appuyé par le roi Louis XIII, le pape Grégoire XV prolongea, à perpétuité, pendant l’octave entière, le privilège accordé par ses prédécesseurs pour le seul jour du Vendredi Saint, allongement suscité par la « quantité (de pèlerins) estouffez èz jubilés précédens, à cause de la presse, et de la briefveté du temps ».
En 1633, le dix-huitième jubilé se déroulera avec un temps très serein, tout à fait inhabituel.
En 1644, malgré le froid et la neige, le succès du dix-neuvième jubilé fut complet. Il se déroula après la consécration de Louis XIII à Notre-Dame du Puy et après la consécration de la France à la Vierge de l’Assomption. Pour la première fois, le jubilé s’organise en groupe. L’indugence est gagnée dans des groupes organisés, chaque « île » ou quartier du Puy et les archidiaconés sous la conduite du clergé paroissial. Paraissent également en corps les confréries de pénitents et les militaires.
Le XVIIIe siècle : siècle des quatre jubilés.
Le XVIIIe siècle est le seul siècle, dans les deuxième et troisième millénaires de l’Histoire de l’Eglise, à compter quatre jubilés.
Les nouveautés dans la préparation des trois premiers jubilés du XVIIIe siècle sont les suivantes :
- en 1701, la ville institue un bureau pour organiser les préparatifs matériels du jubilé et demande à l’évêque de le présider.
- les missions préparatoires, peut-être déjà commencées auparavant. Les dominicains préchèrent la mission au Puy du 1er janvier 1701, année jubilaire, au mercredi des Cendres. La mission s’étend à la plupart des paroisses du diocèse. Le rapport demandé par Mgr de Béthune, évêque du Puy, précise que les églises « où se faisaient les exercice de la mission » étaient pleines et ajoute « qu’on remarque des gens qui étaient ennemis, se demander pardon en sortant des exercices ». La prise en charge des fidèles commence bien avant le jubilé et pousse à la conversion personnelle dès le mois de janvier de l’année jubilaire. Les mêmes exercices sont renouvelés en 1712 et 1785.
- l’édition d’un petit livre de 48 pages rédigé dans un style accessible à tous qui explique le jubilé et les rites permettant de gager l’indulgence[11].
En 1701, à l’occasion du vingtième jubilé, l’affluence des pèlerins n’eut plus de bornes. Après un bon demi-siècle d’accomplissement tardif des réformes du Concile de Trente, se manifestent un fort recueillement et une ferveur générale. Le temps était affreux, mais, malgré tout, les confesseurs, qui siégeaient au tribunal de la Pénitence jusqu’à quatorze heures par jour, ne purent suffire à la multitude des pénitents. Pour éviter l’encombrement de la cathédrale, il fut permis de communier dans n’importe quelle église ou chapelle de la ville. D’après les procès-verbaux de l’époque, on compta quinze mille communions chez les Jésuites, trois mille chez les Cordeliers, six mille chez les Carmes, dix mille chez les Capucins et sans doute autant chez les Dominicains de Saint-Laurent. A la Cathédrale, l’autel de Notre-Dame, la Pierre des fièvres et les issues étaient tenus par un corps de garde spécial, les confessions et les communions ininterrompues.
En 1712, fort de ce qui s’était passé en 1701, le pape Clément XI prolongea le jubilé jusqu’à Quasimodo. Le prieur des Carmes, qui reçut quarante-cinq prêtres étrangers dans son couvent où ils célébrèrent la Messe, raconte qu’en ce jubilé, « il y a bien eu environ 6000 personnes qui ont pris dans notre église le scapulaire, presque toutes étrangères ». Mgr de Béthune, évêque du Puy, s’écria avec une sainte joie : « Béni soit Dieu, ma ville du Puy ressemble à une Ninive convertie. Qu’on n’entendoit de toutes parts que le chant des divins cantiques, des psaumes de la pénitence, et des litanies de la Sainte Vierge ». Il faut noter que les prières jubilaires à réciter dans la cathédrale sont simples : cinq Pater et cinq Ave aux intentions du Souverain Pontife [12].
En 1785, lors du vingt-deuxième jubilé, on pressentait vaguement que le calme complet dont jouissait la France était celui qui précédait la tempête. Aussi les populations coururent-elles en foule se jeter aux pieds de Celle que l’Église invoque du titre d’Étoile de la Mer et, malgré les ravages de l’impiété voltairienne, on ne compta pas moins de quatre-vingt mille pèlerins à ce jubilé.
1796, ou l’année des trois jubilés.
En 1796, le jubilé [13] se présenta sous des auspices tragiques, dans des circonstances extraordinaires. L’évêque non-jureur, Monseigneur de Galard, est réfugié en Suisse. L’évêque jureur, Etienne Delcher, sorti des prisons de la grande Terreur, est réfugié à Brioude. Il ne se risque pas au Puy, il se contente de rouvrir Saint-Julien de Brioude dont il se nomme curé (14). La cathédrale est profanée et la Vierge brûlée. Une créature pécheresse avait osé s’asseoir à la place de la Vierge immaculée et y avait reçu un culte idolâtre. Le sanctuaire était aux mains des schismatiques. Dans cette triste conjecture, l’évêque du Puy exilé en Suisse agit avec prudence :
- le 7 octobre 1795, l’évêque, Monseigneur de Galard, rompt le silence qu’il s’était imposé : il écrit à son clergé, mais rien n’évoque dans sa lettre le jubilé à venir.
- le 1er janvier 1796, il écrit au pape pour demander la tenue du jubilé.
- le 29 janvier 1796, l’évêque obtient de Pie VI une bulle par laquelle le pape, suspendant la faveur octroyée à la cathédrale par ses prédécesseurs, accordait un nouveau pardon que l’on pourrait gagner dans les conditions habituelles (confession et communion, même dans les maisons, récitation des cinq Pater et cinq Ave ; pas de prolongation au-delà de l’octave), en évitant tout contact avec les assermentés. Mais il faut acheminer la bulle en Suisse, la traduire, rédiger le mandement épiscopal que l’on date du 23 février, en faire des copies pour les acheminer par diverses voies dans le diocèse où elles parviennent le 11 mars.
Le jubilé s’ouvre alors que la politique répressive s’accentue à nouveau. La chasse aux réfractaires redevient à l’ordre du jour[14]. A Paris, le 10 mars 1796, les Directeurs instituent un nouveau « serment de haine à la royauté » que doivent prêter les fonctionnaires et les prêtres. Mais, pour le jubilé, il est trop tard pour changer d’avis. Le 24 mars, les administrateurs du département rassemblent au Puy dix brigades de gendarmerie et 150 gardes nationaux tirés de tout le département. Cette intimidation militaire vise à l’évidence à prévenir tout désordre dans le ville du Puy où se trouvent à la fois l’évêque constitutionnel et de nombreux prêtres réfractaires dans leurs oratoires habituels, tout autour de la cathédrale interdite.
Le jubilé connut un beau succès spirituel car la persécution, bien loin d’éteindre la foi, la raviva dans bien des âmes.
Du côté de l’évêque, nous avons le rapport suivant : « Dès le mardi 15 mars et jours suivants, cette grande grâce fut annoncée. Le dimanche des Rameaux, tous les oratoires publics et cachés en retentirent de tous côtés. Ce jubilé a produit des effets merveilleux…Il y a eu en général assez de tranquillité ; la ville du Puy a été un peu agitée ainsi que deux ou trois autres endroits. Néanmoins, le concours a été immense. Il y a eu des prodiges de conversion ». A Beauzac, la garde nationale de Monistrol disperse un rassemblement d’un millier de fidèles, protégés par une centaine de déserteurs. A Monistrol, 3000 hommes étaient présents aux offices du Samedi Saint, chaque paysan remportant sa cruche d’eau bénite. Le dimanche, sept à huit mille personnes débordaient de la cour du château sur l’esplanade. Partout, des rassemblements, c’est-à-dire des messes publiques, des messes de fête, de jubilé. La pari du jubilé a manifestement été gagné. De fait, commence la désapostasie.
Il faut noter que l’évêque avait souhaité la prolongation du jubilé jusqu’à la Trinité. Il écrit le 28 mars à Rome pour obtenir cette « extension », mais Rome, consciente des délais de poste et de route, plutôt que d’accéder à la demande de l’évêque, préfère ouvrir un second temps jubilaire que l’évêque fixe du 29 juin au 6 juillet 1796.
Quant au jubilé de Delcher, nous avons à son sujet les quelques lignes que tient l’abbé Glaize, prêtre jureur qui vivote du côté de Massiac (Cantal) : « Il y a un jubilé au Puy-en-Velay…Delcher [15] (…) a pris une garde de cent hommes à Brioude après y avoir levé une somme de 150 000 francs assignats, et ainsi escorté et payé, il s’est transporté au Puy où il a fait gagner l’indulgence à tous ceux qui y ont eu dévotion ». L’ironie de l’abbé Glaize en dit long sur la démoralisation du clergé assermenté et sur le peu de crédit qu’il accorde à son chef. En somme, son jubilé aura permis à Delcher de prendre possession symbolique de sa cathédrale – et il rejoint bientôt son Brioude !
Les jubilés aux XIXe et XXe siècles.
Après la tourmente révolutionnaire, des catholiques s’étaient interrogés sur le bien fondé de la reprise du jubilé romain en 1825. Les libéraux y étaient franchement hostiles. Malgré cela, le pape Léon XII avait tenu à mettre en place l’Année Sainte romaine de 1825 et la piété des fidèles lui avait donné raison.
Il en fut de même au Puy. La gloire du sanctuaire et du jubilé allait vigoureusement se ranimer au XIXème siècle et jeter au loin une nouvelle splendeur.
En 1842, le vingt-quatrième jubilé dura douze jours et fut digne de ceux qui avaient précédé la tourmente révolutionnaire. Cent quarante-deux mille pèlerins, dont vraisemblablement la reine Marie-Amélie, y assistèrent [16]. Mais la rigueur du temps ne permit pas de donner toute la pompe nécessaire à la cérémonie de clôture [17].
En 1844, l’actuelle statue de la Vierge du Puy prenait place au-dessus du maître-autel de la cathédrale en remplacement de l’ancienne.
En 1853 et 1864, l’affluence des pèlerins jubilaires fut considérable. Les dénombrements qui furent faits en portent le nombre à trois cent mille environ à chaque fois. La Vierge Noire fut solennellement portée en procession dans les rues de la ville.
C’est entre ces deux jubilés de 1853 et 1864 que le pape Pie IX, comme nous l’avons vu, érigea la cathédrale du Puy en basilique mineure, le 11 février 1856. Le 8 juin suivant, la statue de la Vierge trônant au-dessus du maître-autel était couronnée solennellement au nom du pape et par décision du Chapitre de Saint-Pierre de Rome.
En cette année 1856, Monseigneur de Morlhon, évêque du Puy, adressa un mandement à ses fidèles dans lequel il écrivait : « De tous les sanctuaires bâtis en l’honneur de Marie sur le sol sacré de la France, il n’en est pas dont la fondation remonte à une époque plus reculée ! Aucun n’a attiré un plus grand nombre de pèlerins de tout rang, de tout sexe et de toute condition. Enfin, dans aucun, la Reine du Ciel ne s’est plu davantage à répandre ses grâces et ses faveurs sur ceux qui l’invoquent. Encore moins en est-il un autre que les Souverains Pontifes aient doté de plus de privilèges et enrichi de plus d’indulgences. N’y eut-il que son célèbre jubilé, l’église angélique pourrait se glorifier d’être dans un rang suréminent parmi toutes les autres églises consacrées à Marie, non seulement en France, mais dans le monde tout entier ».
Les jubilés du XXe siècle eurent lieu en 1910, 1921 et 1932.
Le jubilé de 1910.
En 1910, saint Pie X étendit la durée du Grand Pardon du 24 mars au 10 avril. Dans sa lettre pastorale pour le jubilé de 1910, l’évêque du Puy, Monseigneur Boutry, évoque avec éloquence la doctrine du trésor des mérites :
« Le sentiment d’un tel lendemain serait de nature à pénétrer l’âme d’une profonde tristesse, si elle n’avait pour se rédimer (racheter) que ses ressources personnelles. Mais le Dieu des justices est aussi le Dieu des pardons. L’Eglise a reçu de lui un trésor, pour me servir de l’expression du pape Clément VI, où elle invite ses enfants à puiser de quoi satisfaire à toutes leurs obligations. Ce trésor est composé des mérites surabondants de Jésus, de Marie et des Saints. Elle se dispose à l’ouvrir à qui voudra s’y enrichir. Qui non habetis argentum, properate, emite. Vous qui êtes dans la détresse, dit-elle, venez, hâtez-vous : achetez sans payer ; on ne vous réclame ni or ni argent. Achetez pour vous-mêmes, ou si la charité filiale ou fraternelle vous presse plus encore que votre intérêt personnel, achetez pour un père, une mère, un frère, une sœur, un ami ».
Par contraste avec les jubilés précédents, le jubilé de 1910 se déroula sans le concours des autorités civiles. Le maire du Puy refusa toutes dérogations aux arrêtés municipaux qui interdisaient les processions depuis 1881 et, ainsi, les solennités extérieures furent donc confinées dans le quartier de la cathédrale. Mais les pèlerins, arrivant au Puy par le train – qui desservait déjà le Puy en 1864, mais uniquement à partir de Saint-Etienne et qui désormais couvre tout le département, sauf en direction de Langogne – ou à pied, s’organisent en défilés à travers les rues de la ville jusqu’à la cathédrale, défilés qui prirent tous l’allure de véritables processions par les chants qui les accompagnaient. Il faut toutefois souligner que les pèlerins du diocèse, à l’occasion des trois jubilés du XXe siècle, par dévotion et esprit de sacrifice, continuent à privilégier le pèlerinage à pied.
Il faut également noter que, si les autorités de l’Etat et de la ville s’abstiennent de toutes manifestations, les élus cantonnaux et locaux ne se privent pas d’accompagner leurs électeurs et d’exhiber leurs ceintures d’élus : les comptes-rendus font état, avec fierté, de ces présences réconfortantes à un jubilé qui se tient dans une ville décorée et qui bénéficie de l’électricité depuis 1906. Le Rocher Corneille et la cathédrale sont illuminés.
Les paroles prononcées dans la cathédrale à l’occasion des différents pèlerinages donnèrent l’occasion aux prédicateurs de manifester leurs dispositions religieuses et politiques.
Le 5 avril, l’archiprêtre de Monistrol-sur-Loire rappelle « les pèlerins qui vinrent en 1873 prier pour le relèvement de la patrie, en 1894, faire amende honorable à la Vierge Noire, dont la statue antique et vénérable avait été brûlée en 1794 par les brutes révolutionnaires, en 1909, protester contre les blasphèmes de la Libre Pensée. Voilà des souvenirs qui remplissent l’âme d’une sainte fierté ».
Dans son sermon du 9 avril, l’évêque de Mende, tonnant contre les hérésies modernes, stigmatisa les catholiques qui respectent et estiment l’Eglise mais ne la regardent que comme une société humaine, les catholiques libéraux qui se contentent d’une Eglise amoindrie et surtout les adorateurs de l’Etat qui visent à « l’assujettissement de l’Eglise par une législation qui viole ses droits et ses libertés ».
Le jubilé de 1921.
En 1921, le jubilé se signale surtout par le changement d’attitude des autorités civiles. La mairie du Puy est redevenue « laïque » depuis 1919, après l’intermède qui durait depuis 1911, mais l’esprit d’« Union sacrée » qui s’est formé au début de la Grande Guerre a rendu le conflit religieux moins aigu. Les processions restent interdites mais le maire prend un arrêté qui autorise une procession religieuse le dimanche 10 avril de 15 heures à 16 heures, en fixant un itinéraire qui sera allongé sur l’intervention de l’évêque. Les membres de la Libre Pensée, après avoir parlé d’organiser des contre-manifestations, se contentent de quitter la ville.
Le jubilé de 1932.
Dans un bref du 31 janvier 1932, le pape Pie XI « confirmait, étendait et rendait perpétuelles les insignes faveurs du jubilé de Notre-Dame du Puy ».
Monseigneur Rousseau, l’évêque du Puy d’alors, annonça le Grand Pardon par une lettre pastorale du 11 février 1932 : « Le jubilé du Puy, écrivit-il, est l’exaltation de l’Incarnation et de la Nativité du Verbe, de la Maternité divine de Marie, et, par suite, l’annonce de la rédemption de beaucoup d’âmes… Il a lieu toutes les fois que le 25 mars, jour béni de l’Annonciation, coïncide avec le Vendredi Saint : c’est la rencontre de l’Incarnation du Verbe avec la mort du Christ. Notre cathédrale, notre cité, notre diocèse ont pour fête patronale Notre-Dame de l’Annonciation : le jubilé est donc comme la consécration des liens qui unissent nos âmes au mystère de l’Incarnation, le plus doux, le plus consolant des mystères chrétiens ».
Le jubilé de 1932 fut le plus important du XXe siècle : 400.000 pèlerins se rendirent au Puy dont 10.000 enfants de la Croisade Eucharistique. Le maire du Puy ne refusa pas d’appartenir au comité de patronage du jubilé. Il autorisa, ainsi que le préfet, deux grandes processions à travers toute la ville.
La journée de clôture, présidée par le Cardinal Verdier, archevêque de Paris, représentant du Pape, entouré de vingt archevêques et évêques, fut une apothéose, avec plus de 100.000 pèlerins présents. Monseigneur Rousseau s’exprima en dernier, adressant à Notre-Dame du Puy l’hommage et consécration solennelle suivante :
« O Vierge du Mont Anis… Reine de France, Mère pleine de miséricorde et de tendresse…Bénissez, ô Reine de la Sainte Église, le père très aimé de nos âmes, Sa Sainteté Pie XI, dont le cœur paternel a étendu, consacré magnifiquement les faveurs spirituelles de notre Grand Pardon…Bénissez l’éminent Cardinal de Paris, le représentant du pape parmi nous. Le prestige de son autorité, l’éclat de sa pourpre apportent à ces fêtes une splendeur incomparable. Supérieur de l’illustre Compagnie de Saint-Sulpice fondée au pied de votre statue d’Anis, archevêque de la capitale de votre Royaume, il est donc le premier de vos fils. Bénissez ces augustes prélats, accourus de tous les points de la France pour déposer à vos pieds l’hommage de l’épiscopat français, le tribut de l’amour fidèle de la Fille aînée de l’Église. Bénissez la France. Si, à juste titre, on a proclamé votre basilique angélique « le plus national parmi les sanctuaires de la Très Sainte Vierge », de ce sanctuaire doit éclater le cri de la prière confiante… Soyez remerciée, ô Mère de la divine grâce… O clémente, ô tendre, ô douce Vierge d’Anis ! ».
Le jubilé de 2005.
Le jubilé de 2005, trentième jubilé fut le dernier. Il a précédé ceux de 2016, 2157 et 2168.
Il a été fixé par Rome du Jeudi Saint 24 mars au lundi 15 août 2005. Il était autrefois annoncé, comme dans l’Ancien Testament, au son de la trompette, par un diacre, avant la messe du 15 août précédant l’Année Jubilaire. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Toutefois, les sonneries de cuivre se sont fait entendre le Jeudi Saint 24 mars à midi place du For, à proximité du sanctuaire, pour annoncer l’ouverture du Jubilé. Voici en quels termes s’exprime le Décret romain de la Sacrée Pénitencerie du 25 mars 2003 concédant les indulgences jubilaires :
« L’église cathédrale du Puy, éminente par le patronage de la Très Bienheureuse Vierge Marie… a été construite à l’époque du Synode d’Éphèse (431)… La dévotion des fidèles, non seulement du Puy, mais encore de toute la Gaule et de presque toute l’Europe, s’est très tôt portée avec un intérêt particulier vers cette église cathédrale, au point que celle-ci est devenue un sanctuaire marial très célèbre… Assurément, cette pieuse célébration du jubilé du Puy est intimement liée au dogme défini au Concile œcuménique d’Éphèse, de l’unique personne et de la double nature dans le Christ Notre-Seigneur et, conséquemment, de la maternité divine de Marie ».
Monseigneur Brincard, évêque du Puy, avait de son côté officiellement annoncé le jubilé dans une Lettre pastorale du 25 mars 2003 :
« … En l’année 2005, où le Vendredi Saint coïncide avec l’Annonciation, nous aurons donc la grâce exceptionnelle d’un nouveau jubilé. Recevons cette grâce comme un don précieux du Seigneur. Nous nous attacherons à vivre ce Grand Pardon dans la joie et l’action de grâce, pour la sanctification de nos personnes et de nos vies.
« Femme, voici ton Fils… voici ta Mère ». Prononcées par Jésus du haut de la croix, ces paroles retentiront profondément dans nos cœurs. Avec Marie, Mère de Dieu, nous ferons mémoire des mystères de notre salut, principalement des mystères de l’Incarnation et de la Rédemption pour contempler, admirer et approfondir le contenu de notre foi et les merveilles de grâces dont le Dieu d’infinie bonté nous a favorisés… Un temps de célébration du Grand Pardon : du Jeudi Saint 24 mars 2005, à la fête de l’Assomption, le 15 août 2005… »
La Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X fixa son pèlerinage national les samedi 23 et dimanche 24 avril 2005.
Furent alors rappelées les conditions pour l’obtention des indulgences jubilaires, second baptême du chrétien :
Conditions générales :
- Confession dans les huit jours précédents ou suivants.
- Communion le jour même de l’accomplissement de l’œuvre.
- Exclusion de toute affection à tout péché, même véniel. (Si cette condition était imparfaitement remplie, l’indulgence serait alors partielle).
De plus, les œuvres prescrites furent les suivantes :
- Effectuer un pèlerinage à la cathédrale Notre-Dame du Puy en priant aux intentions du pape [18] et de l’Église.
- Accomplir un acte significatif de charité envers le prochain.
Abbé Claude Boivin – Décembre 2015
- Le mot jubilé a été inventé par saint Jérôme pour transcrire le mot hébreu yôbel. Il le définit comme une année de rémission. L’étymologie du mot reste problématique : pour les uns, il dérive de jôbel, la corne de bélier utilisée pour inaugurer l’année jubilaire ; pour d’autres, il viendrait de yobil (rappel) ou de yobal (rémission).[↩]
- Lc 4, 17–21[↩]
- Certains auteurs font remonter le premier jubilé à l’année 970. Une certaine imprécision perdure jusqu’au jubilé de 1407.[↩]
- Le premier Jubilé romain remonte à l’an 1300 : c’est lorsque fut presque achevé le cycle des croisades, que le pape Boniface VIII (1294–1303) établit le premier jubilé romain en 1300, par la bulle Antiquorum habet digna fida relatio du 22 février 1300. Les premiers mots de la bulle font allusion aux pratiques passées de l’Église de Rome : « Une relation digne de foi des Anciens rapporte qu’à ceux qui se rendaient à la vénérable basilique du Prince des Apôtres étaient accordées de grandes rémissions et indulgences des péchés. » Le pape accordait dans cette bulle une plenissima omnium venia peccatorum : « Confiant en la miséricorde de Dieu tout-puissant et dans les mérites et l’autorité de ces mêmes apôtres, sur le conseil de nos frères et en vertu de la plénitude du pouvoir apostolique, à tous ceux qui se rendent avec respect dans ces basiliques, qui ont vraiment fait pénitence et se sont confessés dans la présente année et dans chaque centième année qui suivra, nous concéderons et nous concédons un pardon non seulement large et plénier, mais le plus plénier de tous leurs péchés. » Il fallait pour cela être repentant de ses fautes, s’en confesser et visiter les basiliques romaines de Saint-Pierre au Vatican et de Saint-Paul-hors-les-Murs au moins une fois par jour, pendant trente jours si l’on était romain, pendant quinze jours seulement si on ne l’était pas. 200 000 pèlerins accoururent à Rome, répondant largement aux vœux du Pape. Parmi les pèlerins du premier jubilé, il faut citer Dante, Cimabue, Giotto et Charles de Valois, frère du roi de France. Le souvenir de ce premier jubilé perdure à Rome : la basilique du Latran conserve la fresque de Giotto qui représente le pape Boniface VIII annonçant le 22 février 1300 le jubilé, de la loggia de l’ancien palais du Latran.[↩]
- Déjà le pape Alexandre II semble avoir annoncé vers 1063 une indulgence plénière aux soldats chrétiens combattant les Sarrasins.
Le Concile de Clermont, convoqué en 1095 par le bienheureux Urbain II, détermine une semblable indulgence plénière et édicte que pour chacun de ceux qui « par seule dévotion, non pour acquérir honneur ou argent, se seront mis en route vers Jérusalem pour libérer l’Eglise de Dieu, ce chemin leur serait compté comme pénitence complète ». Plus tard, saint Bernard invite les princes chrétiens à prendre part à la deuxième Croisade qui sera « une année agréable au Seigneur, une année de rémission, et surtout une année de Jubilé » (Saint Bernard : Lettres 363 et 458). Le pape Clément VI, dans la bulle jubilaire Unigenitus Dei Filius, du 27 janvier 1343, présente pour la première fois la doctrine du trésor des grâces élaborée par les théologiens à partir du XIIIe siècle comme fondement des indulgences.
« Le Fils unique de Dieu…qui est devenu pour nous sagesse, justice, sanctification et rédemption, non avec le sang des boucs ou des veaux, mais avec son propre sang, est entré une fois pour toutes dans le sanctuaire et nous a acquis une rédemption éternelle. Car ce n’est par rien de corruptible, or ou argent, mais par son sang précieux, le sang de l’Agneau pur et sans tache, qu’il nous a rachetés ; et ce sang, nous le savons, il l’a répandu, innocent immolé sur l’autel de la Croix, non pas en une infime goutte, qui pourtant aurait suffi en raison de son union avec le Verbe à la rédemption de tout le genre humain , mais en abondance, comme un fleuve, tellement que de la plante des pieds au sommet de la tête plus rien d’intact ne se trouvait en lui. Il a donc acquis un trésor si grand à l’Eglise militante, pour que la miséricorde d’une telle effusion ne soit pas inutile, vaine ou superflue ; en bon Père il a voulu amasser des trésors pour ses fils, afin que par là les hommes eussent un inépuisable trésor, où ceux qui y puisent aient part à l’amitié de Dieu. Ce trésor, il a voulu qu’il soit dispensé aux fidèles pour leur salut par le bienheureux Pierre, porteur des clés au ciel, et ses successeurs, ses vicaires sur terre, et que, pour des motifs justes et raisonnables, afin de remettre tantôt partiellement, tantôt complètement la peine temporelle due au péché, il soit appliqué miséricordieusement, en général comme en particulier (comme ils estimeraient devant Dieu qu’il serait utile) à ceux qui, vraiment pénitents, se seraient confessés. A l’abondance de ce trésor contribuent, nous le savons, les mérites de la bienheureuse Mère de Dieu et de tous les élus, du premier juste jusqu’au dernier, et il ne faut pas craindre qu’il s’épuise ou il diminue, aussi bien en raison des mérites infinis du Christ (comme il a été dit) que parce que plus il y a d’hommes amenés à la justice lorsqu’on applique ce trésor, plus s’accroît l’abondance des mérites »[↩] - A noter l’affirmation récente selon laquelle le Jubilé de 1407 serait le premier Jubilé du Puy. « L’an 2000 a été l’occasion de revenir longuement sur l’histoire de cette forme très particulière de pèlerinage que constitue le jubilé : mais l’attention était alors concentrée sur Rome, ville où s’est déroulé le premier d’entre eux en 1300, et qui accueillait de nouveau celui de la fin du deuxième millénaire. Or, ces « pardons », comme les appelaient les textes anciens, ont eu un tel succès que, rapidement après le premier qui eut pour cadre exclusif Rome et ses basiliques, d’autres furent octroyés à divers sanctuaires dispersés dans l’Occident chrétien : ils étaient dépendants d’années exceptionnelles où le calendrier entremêlait l’histoire chrétienne locale et universelle. Ainsi, l’intense culte marial présent au Puy-en-Velay depuis des siècles a été couronné, à partir de 1407, sa première attestation est certaine, par un jubilé : celui s’est trouvé placé les années où la fête mariale de l’Annonciation tombe le même jour que le Vendredi-Saint, réunissant dans une célébration commune l’Incarnation et la Rédemption », dans Jubilé et Culte marial (Moyen Age – Epoque contemporaine) : Actes du colloque international organisé au Puy-en-Velay par le Centre culturel départemental de la Haute-Loire avec le concours du groupe « Inventaire des sanctuaires et lieux de pèlerinage français » du GDR 2516 du CNRS SALVE (Sources, Acteurs et Lieux de Vie religieuse à l’Epoque médiévale), Mercredi 8 juin – Vendredi 10 juin 2005, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2009, page 9[↩]
- Un missel du Puy de la première moitié du XVe siècle comporte une prière qui reprend ces trois intentions : « Prières et oraisons à faire dans le chœur pour la paix et l’union ainsi que la conservation de l’Eglise, et du roi, et du royaume et du peuple du royaume de France ».[↩]
- Juvénal des Ursins : Histoire de Charles VI, Paris, Guyot, éd. 1854, n. 61, p. 442.[↩]
- Maulde La Clavière, ouvrage de 1889.[↩]
- Le Livre de Podio ou Chroniques de Estienne Médicis, bourgeois du Puy, 1ère moitié du XVIe siècle, éd. Le Puy, 1869–1874 et réimpr. Roanne, 1975–1976.[↩]
- Mgr Armand de Béthune, évêque du Puy, Instructions et prières pour le jubilé accordé à tous les fidèles dans l’église angélique et cathédrale de Notre-Dame du Puy, lorsque le Vendredy saint et l’Annonciation se rencontrent dans le même jour comme en cette année 1701.[↩]
- Mgr Armand de Béthune, évêque du Puy, Instructions et prières…[↩]
- Le 25 mars 1796, ou 5 germinal de l’an IV, banal quintidi, est le jour de la poule selon l’Annuaire du cultivateur de Romme, décrété par la Convention et diffusé dans tous les départements[↩]
- La persécution : la loi du 3 brumaire an III (24 octobre 1795) fortifiant la loi du 20 fructidor an III (6 septembre 1795) est remise en vigueur. Les circulaires en ce sens de novembre 1795 à avril 1796 souvent mal accueillies localement. De nombreuses résistances locales empêchent l’arrestation des prêtres ; de plus, il faut relever l’apathie des administrations et la lenteur des juges. Les ordres de Paris sont mal répercutés. L’efficacité est moindre. Toutefois, les persécutions sont encore bien présentes :
- 3 mars 1796 : le bienheureux Pierre-René Rogue, prêtre (Vannes 1758 – Vannes 1796), est guillotiné ; béatifié par Pie XI le 10 mai 1934.
- de plus, 25 février 1796 : Stofflet est fusillé à Angers ; 29 mars 1796 : Charette est fusillé à Nantes.[↩] - Delcher avait déjà été curé de Brioude en 1785. Sous la Convention thermidorienne (28 juillet 1794 au 26 octobre 1795) et sous le Directoire (26 octobre 1795 au 10 novembre 1799), ou du 10 thermidor an II (28 juillet 1794) au 19 brumaire an VIII (10 novembre 1799), c’est-à-dire de la mort de Robespierre à la chute du Directoire et à l’avènement de Bonaparte, on assiste à une oscillation entre répression et liberté, à une alternance d’hostilité et de détente. Toutefois, l’hostilité foncière au catholicisme perdure. Malgré cette hostilité, on assiste au début du réveil du catholicisme.[↩]
- L’affirmation de la venue au Puy de la reine Marie-Amélie en 1842 est tirée de la plaquette de Raymond Faux : Le Puy-en-Velay, cité de la Vierge : historique du pèlerinage , p. 19, Le Puy, 2002.[↩]
- Les risques de printemps incertains : En 1853, le pèlerinage des Estables eut lieu le 27 mars. Les paroissiens partirent à 11 heures du soir au son des cloches. Portant des flambeaux, hommes, femmes, enfants « attelèrent des bœufs à de gros arbres et les poussèrent pour se frayer un chemin dans la neige…Ils marchèrent toute la nuit et arrivèrent à 6 heures du matin dans la petite ville du Monastier, harassés de fatigue et à demi gelés. Après s’être reposés dans les granges et les écuries pendant trois heures, ils se remirent en route. Cette seconde étape fut pour eux moins pénible car la trace avait été faite par les pèlerins du Monastier. A deux heures, les pèlerins entrèrent enfin dans notre ville par la barrière de Saint-Jean : ils paraissaient anéantis. Leurs bas s’étaient gelés sur leurs jambes ». Le récit se termine en indiquant que les boulangers leur offrirent d’entrer chez eux pour se réchauffer. En 1910, les femmes de La Chapelle d’Aurec « cheminèrent pendant deux heures à pied dans une neige épaisse ». Le 31 mars 1910, les pèlerins, partis le matin par un vent glacial, eurent particulièrement à souffrir le soir au milieu des bourrrasques et des tempêtes de neige. Ces récits mettent en relief la résistance physique des habitants mais, aussi et surtout, leur piété qui leur fait supporter peines et privations[↩]
- Les intentions du Souverain Pontife sont les suivantes :
- Exaltation de la Sainte Église.
- Extirpation des hérésies.
- Propagation de la foi.
- Conversion des pécheurs.
- Paix entre les Princes chrétiens[↩]