Bulletin du Tiers-Ordre séculier pour les pays de langue française
Editorial de Monsieur l’abbé Louis-Paul Dubroeucq,
aumônier des tertiaires de langue française
Cher frère, Chère sœur,
« Père, je remets mon âme entre vos mains ! » (Lc23, 46)
Suivre Notre-Seigneur jusqu’au Calvaire, c’est le suivre aussi dans son abandon à la volonté de son Père, c’est, dit Dom Vandeur, « la plus parfaite de toutes les voies intérieures […] Ne plus vouloir que ce que Dieu veut, comme Il le veut et surtout parce qu’Il le veut : c’est la plus grande gloire rendue à Dieu, c’est la plus haute sainteté réalisée en nous. »
Voilà l’idéal vers lequel toute âme chrétienne doit tendre, à plus forte raison tout tertiaire. Notre sainteté dépend de l’accomplissement de la volonté divine. Or celle-ci selon saint Bernard peut revêtir différentes formes correspondant aux trois degrés de la perfection chrétienne : « Le débutant, mû par la crainte, endure la croix du Christ patiemment ; le progressant, mû par l’espérance, la porte avec une certaine joie ; le parfait, consommé en charité, l’embrasse avec ardeur. »
L’abandon se distingue des vertus voisines : obéissance, résignation, acceptation, acquiescement, conformité, indifférence. Citons, à ce sujet, la fin d’une page de Mgr Gay sur l’abandon qui nous définit bien l’objet propre de cette disposition d’âme et sa caractéristique spéciale :
« Nous avions le mot de conformité. Il est très convenable, […] cependant ce mot dit plus un état qu’un acte, et l’état qu’il exprime semble préalablement supposer une sorte d’ajustement laborieux…Aurions-nous mieux parlé en nous servant du mot d’indifférence ? C’est un mot négatif. L‘amour en use, mais comme d’un marchepied, car rien n’est définitivement positif comme l’amour. Le mot propre ici était donc l’abandon. L’acte doux, plein, vivant, ineffable qu’il signifie, n’est-il pas en effet l’inclination la plus naturelle, le besoin le plus intérieur, et par là même le plus impérieux, enfin l’acte suprême, l’acte décisif de l’amour ? »
L’indifférence approche de plus près l’abandon, elle y achemine : elle suppose la volonté humaine dans l’attente de la volonté divine, l’âme prête à s’élancer là où elle apercevra le bon plaisir de Dieu. Aussi voit-on St François de Sales appeler souvent l’abandon « la sainte indifférence ». Le saint abandon fruit du pur amour de Dieu s’ajoute, dans toute âme chrétienne, à la confiance en Dieu qui procède de l’espérance. Mais à la racine de ces deux vertus se situe la foi. Nous savons par cette dernière vertu que Dieu mène le monde, que « tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu » (Rm8,28).
L’abandon n’est pas une vertu spéciale, mais plutôt un complexe de vertus. Le Père de Caussade définit cet état comme « un certain mélange de foi, d’espérance et de charité dans un seul acte qui unit le cœur à Dieu et à son action ». Mais quel en est l’élément dominant ? Certains auteurs spirituels y voient l’espérance, d’autres, la charité. Suivant ses Maîtres en spiritualité du Carmel, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus rattache l’abandon à l’espérance, mue par la charité. Mais à la base de son abandon se situe sa foi inébranlable en la paternité divine. La vie d’abandon, chez sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus est comme la synthèse de sa vie théologale et l’axe de sa spiritualité.
Interrogeons la sainte elle-même. Jusqu’en 1893 il ne semble pas qu’elle ait utilisé beaucoup ce terme. Elle parle plutôt de confiance et du découragement qui la menace. Elle veut avoir confiance. Puis vient le temps où la confiance active est assumée dans une confiance passive qu’elle nomme abandon. La contemplation infuse inonde l’âme de sainte Thérèse et la met en face de sa misère et de l’amour miséricordieux. C’est alors qu’elle se jette dans une confiance dont l’initiative vient de Dieu.
Quelles sont, chez sainte Thérèse, les étapes vers l’abandon ? Dieu la prépare vers l’âge de 14 ans à se laisser faire par Lui : « Je m’étais offerte à l’Enfant-Jésus pour être son petit jouet […] sa petite balle de nulle valeur qu’il pouvait jeter à terre, pousser du pied, percer, laisser dans un coin ou bien presser sur son cœur, si cela lui faisait plaisir… » Le 19 octobre 1893, elle écrit à Céline : « En notre Père chéri, Jésus nous a atteintes dans la partie extérieure la plus sensible de notre cœur, maintenant laissons-le faire, il saura achever son œuvre dans nos âmes. » Cette expression, « laissons-le faire », reviendra sur ses lèvres lors de sa dernière maladie : Mère Agnès allait prier pour que la Sainte Vierge diminue son oppression. Elle réagit : « Non, il faut les laisser faire là-haut… Quand on a prié la Sainte Vierge et qu’elle ne nous a pas exaucés, il faut la laisser faire sans insister… » Cette forme se nuance lorsqu’elle écrit en juillet 1893 : « Quand Jésus veut prendre pour lui la douceur de donner, ce ne serait pas gracieux de refuser. Laissons-le prendre et donner tout ce qu’il voudra…ce qui regarde Thérèse, c’est de s’abandonner, de se livrer sans rien réserver. » Il faut donc renoncer à sa science personnelle, se perdre de vue : « Je suis la voie que Jésus me trace. Je tâche de ne plus m’occuper de moi-même en rien, et ce que Jésus daigne opérer en mon âme, je le lui abandonne… » L’âme doit en outre croire à l’action de Dieu en elle : « C’est Jésus qui fait tout et moi je ne fais rien ».
Le « laisser faire » de Ste Thérèse est encore enseigné par Notre Seigneur lui-même, qui fit comprendre à sœur Marie-Angélique de Jésusà quelle condition elle pouvait progresser :
« Étant un jour inquiète parce que mon peu de vertu ne correspondait pas à mon oraison, je craignais beaucoup d’être dans l’illusion. Notre Seigneur me dit intérieurement : Laisse-moi juger ce que je dois faire en toi. Je me sentis en même tempsportée à abandonner complètement mon âme à sa Providence pourm’appuyer sur Lui avec confiance pour tous les progrès que j‘ai à faire ;m’efforçant seulement d’être un vrai néant entre ses mains pour lui laisser toute liberté d’agir enmoi selon son bon plaisir, en m’efforçant seulement de correspondre fidèlement et paisiblement à sa grâce. »
Cependant l’abandon thérésien suppose aussi que l’âme s’applique sans cesse à faire la volonté de Dieu : « Comme je veux m’appliquer à faire avec le plus grand abandon, la volonté du bon Dieu. »L’âme est à la fois active et passive : elle s’applique à aimer Dieu de toutes ses forces et en même temps elle se livre à la volonté de Dieu, pour qu’elle s’accomplisse en elle. Face à cette volonté sainte, elle n’a plus de désirs personnels :
« Je ne désire pas non plus la souffrance, ni la mort […]c’est l’amour seul qui m’attire. […] Maintenant c’est l’abandon seul qui me guide, je n’ai point d’autre boussole ! […] Je ne puis plus rien demander avec ardeur, excepté l’accomplissement parfait de la volonté du bon Dieu sur mon âme… » Il n’y plus de place pour la crainte ou le trouble en son âme :« Si mon âme n’était pas remplie par l’abandon à la volonté du bon Dieu, s’il fallait qu’elle se laissât submerger par les sentiments de joie et de tristesse qui se succèdent si vite sur la terre, ce serait un flot de douleurs bien amer ! Mais ces alternatives ne touchent que la surface de mon âme… Le bon Dieu veut que je m’abandonne comme un tout petit enfant qui ne s’inquiète pas de ce qu’on fera de lui. »
Dans la logique de l’abandon, les demandes superflues cessent d’être exprimées « Je ne demande rien, ce serait sortir de ma voie d’abandon » La Sainte Vierge est là cependant pour communiquer les désirs :« Demander à la Sainte Vierge ce n’est pas la même chose que de demander au bon Dieu. Elle sait bien ce qu’elle a à faire de mes petits désirs, s’il faut qu’elle les dise ou ne les dise pas… enfin c’est à elle de voir pour ne pas forcer le bon Dieu à m’exaucer, pour le laisser faire en tout sa volonté. »
La voie de l’enfance spirituelle c’est, nous dit-elle, « le chemin de la confiance et du total abandon ». Elle avertit l’abbé Bellière que, du ciel, elle lui enseignera comment « naviguer sur la merorageuse de ce monde : avec l’abandon et l’amour d’un enfant qui sait que son Père le chérit et ne saurait le laisser seul à l’heure du danger ».« Jésus ne demande pas de grandes actions, mais seulement l’abandon et la reconnaissance… Jésus se plaît à me montrer l’unique chemin qui conduit à cette fournaise divine, ce chemin c’est l’abandon du petit enfant qui s’endort sans crainte dans les bras de son Père. »
La vertu de charité que Ste Thérèse n’a cessé d’exercer en toute occasion, l’a introduite dans la contemplation infuse dont la pureté fait l’objet de notre admiration. La lumière de l’amour l’a éclairée sur « les profondeurs de son néant »et sur l’Amour miséricordieux de Jésus. En son cœur est née, en même temps, une confiance audacieuse. Elle met à la portée de tous l’enseignement de son Maître St Jean de la Croix et de notre Mère Ste Thérèse de Jésus, rappelant plus spécialement à notre temps le sens de l’espérance chrétienne, une des vertus les plus dynamiques et hélas souvent des moins étudiées par les auteurs spirituels.
Des tertiaires ont vécu dans cette voie de l’abandon : citons le Général de Sonis qui exprime ce que fut sa vie toute livrée à Dieu, dans sa sublime prière déjà citée en partie dans le précédent bulletin et dont voici un passage final : « Je ne désire rien sinon que votre volonté soit faite. Vous êtes mon maître, et je suis votre propriété. Tournez et retournez-moi ; détruisez et travaillez-moi… »
Que la Reine du Carmel daigne former en ses enfants du troisième Ordre cette disposition d’abandon qui les livre sans réserve à l’action purifiante et sanctifiante de Dieu.
† Je vous bénis.
Abbé L.-P. Dubrœucq †
Notes
Dom Eugène Vandeur, o.s.b., L’abandon à Dieu, voie de la paix, p.7, éd. Maredsous, 1938.
I Serm. S. Andreae, 5
De la vie et des vertus chrétiennes considérées dans l’état religieux. De l’abandon à Dieu, II, Paris, 1883, p. 372–374.
Traité de l’abandon à la Providence, Livre II, ch.I et III
Manuscrit A, in Thérèse de Lisieux. Œuvres complètes, Cerf, 2004, p. 177.
Lettre 210, in Lettres de Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus, Éd. du Carmel, 1957.
Novissima Verba, inThérèse de Lisieux,op. cit., p. 1094.
Carnet Jaune, ibidem, p.1107.
Lettre 222.
Lettre 142.
Lettre 223
R.P. Paul Marie de la Croix, o.c.d., Montée d’un âme d’oraison, Librairie du Carmel, 1945, p. 162–163.
Manuscrit A, op. cit., p. 213.
Manuscrit A, op. cit., p. 210.
Carnet Jaune, op. cit., p. 1035.
Carnet Jaune, op. cit., p. 1016.
Histoire d’une âme, ch. XII.
Carnet Jaune, op. cit., p. 1006–1007.
Novissima Verba.
Lettre 424.
Manuscrit A, folio 29.
Manuscrit B, op. cit., p. 220.
Jean des Marets, Le Général de Sonis, Fernand Sorlot, 1934, p.173.
Retraite carmélitaine : du 22 au 27 août 2011, à l’Etoile du Matin. 57230 Eguelshardt Réunion du Tiers-Ordre du Carmel le samedi 18 juin 2011, à 9h30, Comme l’indique l’ordo de 2011,des messes sont célébrées au Mans |