LAB de l’école Saint-Bernard de Courbevoie
Un matin de printemps 1139, les étudiants parisiens se hâtent sur la montagne Sainte Geneviève. Ils sont plus de 3000 à venir écouter les leçons de celui qui se considère comme « le seul philosophe au monde » : Abélard.
Charmés par la vivacité de son esprit et l’originalité de son enseignement, les élèves sont chaque jour plus nombreux et assidus. Pourtant, les autorités ecclésiastiques ne partagent pas cet enthousiasme. Abélard a, en effet, été condamné à brûler publiquement un de ses ouvrages quelques années auparavant, mais son enseignement n’en a pas été modifié pour autant. Le clergé est inquiet de voir se propager si rapidement une doctrine d’une orthodoxie douteuse. Mais Abélard jouit d’une renommée qui dépasse les frontières du Royaume. Qui serait capable de l’affronter ?
C’est alors que tous les yeux se tournent vers l’abbé de Clairvaux. Saint Bernard est actuellement dans son monastère. Il revient à peine d’une nouvelle course apostolique épuisante. Il est malade et n’aspire qu’à une chose : finir paisiblement ses jours à contempler les mystères de Dieu en compagnie de ses moines. Aussi, quand un évêque lui demande de réfuter Abélard, le refus est catégorique. Bernard n’est ni un évêque, ni un docteur, mais un simple moine. Que faire ? L’évêque, rusé, envoie à Clairvaux les œuvres d’Abélard. Bernard s’y plonge, d’abord avec curiosité, bientôt avec effroi. Lorsqu’il achève sa lecture, il est épouvanté. Il affrontera le philosophe, publiquement s’il le faut. Il mènera l’attaque et il ira jusqu’au bout maintenant qu’il est décidé.
Comment expliquer un changement si subit ? Chez Bernard, l’amour de la solitude et de la contemplation est intense, mais plus intense encore est l’amour de la vérité et de l’Église qui en est la gardienne. Il ira jusqu’à s’écrier :
« Il vaut mieux faire naître un scandale que renoncer à la vérité ».
Le pape Pie XII écrira de lui en 1953 :
« Le docteur de Clairvaux ne reste pas enfermé entre les murs de sa cellule, mais partout où la cause de Dieu et de l’Église est en jeu, il accourt en hâte avec sa sagesse, sa parole et son activité ».
Notre saint proclamera au roi de France :
« Nous, fils de l’Église, ne pouvons vraiment pas cacher les insultes adressées à notre Mère, le mépris et l’avilissement où on la tient. Aussi, nous nous lèverons et nous combattrons pour notre Mère, jusqu’à la mort s’il le faut, avec les armes qui conviennent, pas avec le bouclier et l’épée, mais par la prière et l’imploration de Dieu ».
Immédiatement, saint Bernard se met à l’ouvrage et étudie minutieusement les écrits du philosophe suspect. Pendant ce temps, inquiet, Abélard croit habile de prévenir une attaque éventuelle. Il demande qu’un concile se réunisse pour juger s’il y a dans son enseignement quoi que ce soit de contraire à la Foi. Il est fait droit à sa demande.
En 1140, à Sens, se réunissent cardinaux, évêques et chanoines pour l’entendre. L’abbé de Clairvaux est chargé de l’affronter. Le concile de Sens attire la foule des grands jours. On s’attend à une sensationnelle joute oratoire entre deux personnages si différents et si éminents. Les disciples et amis d’Abélard sont venus en masse pour soutenir leur maître. Abélard est sûr de gagner. C’est un jeu pour lui, pense-t-il, de se démontrer bon et fi dèle catholique. Il va se livrer à l’escrime, familière pour lui, des idées. Quelle que puisse être l’infl uence de Bernard sur un concile, il paraît absurde qu’il puisse triompher en dialectique du plus grand orateur du siècle. Mais Bernard ne se laissera pas prendre au piège de l’éloquence et de l’érudition. Il va attaquer de front. Il va accuser.
A peine le concile est-il déclaré ouvert que l’abbé de Clairvaux demande la parole. Il a décidé de mener rondement l’exécution. Il faut prendre de court un bavard malfaisant aussi avisé. Examinant les livres d’Abélard ligne par ligne, il bâtit minutieusement son réquisitoire. Il entasse les matériaux. Abélard parle-t-il de la Trinité ? Il a une saveur de schisme arien ! De la Grâce ? hérésie pélagienne ! De la personne de Jésus-Christ ? On croirait entendre Nestorius ! Impitoyable, inébranlable, Bernard attaque le mur de la rébellion qui s’éboule pierre à pierre. Et de conclure en déclarant avoir relevé chez Abélard dix-sept propositions hérétiques.
La stupeur écrase bientôt les membres du concile qui étaient bien loin de s’attendre à de si effrayantes responsabilités. Que va répondre le philosophe mis au banc des accusés ? Abélard paraît accablé, le front courbé. Après un long et effrayant silence, il balbutie qu’il récuse le concile, qu’il en appelle au Saint Père, puis il quitte la salle en toute hâte, à la consternation de ses disciples stupéfaits. Il ira se réfugier à Cluny. C’est là qu’il apprendra la nouvelle de sa condamnation par le souverain pontife. Il mourra de façon édifiante, réconcilié avec l’Église et avec l’abbé de Clairvaux.
La vérité a triomphé de l’erreur, la pureté doctrinale a trimphé de l’hérésie.
Faut-il reprocher à notre saint une fougue et une sévérité excessives ? Il est vrai que la mentalité actuelle comprend mal que l’amour de la vérité puisse inspirer un tel zèle. Pourtant, Jésus-Christ n’a-t-il pas affirmé :
« Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité » ?
S’il est mort sur la croix, n’est-ce pas pour la vérité ? Si les bourreaux l’ont crucifié, n’est-ce pas par une obstination dans l’erreur ? En cela, saint Bernard, comme tant d’autres saints, n’est que le fidèle disciple du divin maître. Il suit le précepte de saint Augustin :
« Tuez l’erreur, mais aimez les égarés ».
Nous-mêmes, dans l’école placée sous un si glorieux patronage, nous efforçons de suivre ces nobles traces.
L’existence de notre école s’explique elle aussi par l’amour de la vérité . Si nous tenons à être une école « hors-contrat », c’est pour échapper à la dictature intellectuelle actuelle. Nous refusons les erreurs de la pensée unique dont les programmes de l’Éducation Nationale sont les vecteurs.
Avec l’aide de la grâce divine, nous voulons tourner les intelligences de la jeunesse vers leur objet naturel : le vrai.
En contrepartie, chers amis et bienfaiteurs, vous savez que l’État refuse de nous donner la moindre subvention. Il exige même des charges de plus en plus onéreuses. La liberté de notre enseignement est à ce prix. Même si la Providence veille sur notre école, je me permets de faire à nouveau appel à votre générosité.
Nous avons besoin de vos prières et de votre soutien financier. Merci de votre confiance et de votre aide. Et vous, chers parents, merci de votre précieuse collaboration dans le combat que nous menons ensemble pour l’amour de la vérité.
Abbé Bernard de Lacoste, Directeur