La mixité ou coéducation à l’âge de l’adolescence demeure une innovation récente. Après quelques essais dans des établissements pilotes, elle s’est généralisée dans les années 60 et 70 du siècle dernier, y compris dans les écoles catholiques, soucieuses de ne pas paraître en retard d’une révolution. Les derniers bastions à tomber furent les écoles d’officiers. Pourtant les écoles de ce que nous pouvons appeler « la Tradition catholique » refusent catégoriquement cette mixité pour les classes du secondaire (de la sixième à la terminale). Essayons de creuser les raisons d’une telle opposition sur ce point précis.
L’enseignement de l’Eglise
L’Eglise n’a jamais pratiqué la coéducation à l’âge de l’adolescence avant la crise liée au Concile Vatican II. Si l’instruction secondaire des filles ne s’est développée que tardivement, à l’époque moderne, l’Eglise a encouragé les ordres religieux accueillant des filles tout autant que ceux accueillant des garçons. Jean de Viguerie, dans son livre L’Eglise et l’éducation, remarque ceci :
La première fondation d’un grand institut enseignant à l’époque moderne, concerne l’enseignement des filles et non celui des garçons. C’est la fondation des ursulines en 1537 par Angèle Merici, huit ans avant la fondation des jésuites.
Jean de Viguerie, L’Eglise et l’éducation, DMM, 2001, page 63.
Les premières écoles mixtes sont fondées à la fin du 19° siècle aux Etats-Unis. Le Saint-Office rédigea en 1875 une Instruction destinée aux évêques de ce pays pour interdire la fréquentation par les catholiques de ces écoles :
Ceux-ci [les jeunes catholiques] sont encore menacés d’une corruption certaine du fait que dans ces écoles, ou du moins dans plusieurs d’entre elles, les adolescents des deux sexes sont réunis dans la même salle pour suivre les cours et que garçons et filles doivent s’asseoir sur les mêmes bancs.
Instruction du Saint Office du 24 novembre 1875 aux évêques des Etats-Unis.
Cet enseignement de l’Eglise se retrouve de manière lumineuse et précise dans l’encyclique de Pie XI sur l’éducation, Divini illius Magistri du 31 décembre 1929. La méthode de coéducation est fermement condamnée car elle est fondée « sur un naturalisme négateur du péché originel ».
Ces directives très claires de Pie XI vont continuer à s’appliquer sous Pie XII. Une Instruction sur la coéducation promulguée le 8 décembre 1957 par la Congrégation des Religieux reprend l’encyclique de Pie XI. Ce document précise que lorsque les catholiques n’ont pas la possibilité matérielle d’entretenir deux écoles distinctes, ils pourront accueillir dans ce cas les filles et les garçons dans le même établissement mais en veillant à conserver la plus grande séparation possible. Il ne s’agit nullement de coéducation, toujours prohibée à l’âge de l’adolescence, mais de « co-institution » pour reprendre le terme utilisé par le document.
Comme d’habitude, le Concile Vatican II va ouvrir des portes qui vont introduire dans l’Eglise les torrents de boue jusque-là contenus vaille que vaille à l’extérieur, sous couvert d’ouverture au monde, d’empathie pour l’homme moderne et ses manières de penser. La déclaration conciliaire sur l’éducation, Gravissimum donum, n’a que quelques mots sur le sujet :
Qu’ils [les maîtres] travaillent en collaboration, surtout avec les parents ; qu’en union avec ceux-ci ils sachent tenir compte, dans toute l’éducation, de la différence des sexes et du but particulier attribué à chacun par la providence divine, dans la famille et dans la société.
Concile Vatican II, déclaration De educatione christiana promulguée le 28 octobre 1965, N°8.
Ce petit rappel donne bonne conscience aux évêques conservateurs mais enterre bien la règle de la non-mixité scolaire à l’âge de l’adolescence déjà battue en brèche dans bien des pays. La suite nous la connaissons : une frénésie de mixité avec seuls quelques établissements qui résistent à la pression généralisée.
Les raisons d’une éducation différenciée
1. Raison morale
Les raisons d’une séparation entre les sexes à l’âge de l’adolescence sont de plusieurs ordres. La première est la préservation de la moralité et des bonnes moeurs. Une promiscuité trop généralisée entre garçons et filles à l’âge de l’adolescence comporte un vrai danger moral.
Il ne s’agit pas de nier que l’humanité est composée, de par la volonté du Créateur, d’hommes et de femmes et de refuser une légitime communauté de vie entre eux, de dresser des barrières infranchissables. Les familles sont bien évidemment mixtes, les frères et les soeurs grandissent ensemble et se côtoient dans une atmosphère honnête. Les relations familiales élargies, les relations sociales se déroulent dans le cadre d’une saine mixité, sur laquelle les parents doivent exercer parfois leur devoir de surveillance. Mais il n’empêche qu’en dehors de ce cadre familial élargi, la prudence chrétienne demande que l’éducation soit séparée entre les filles et les garçons.
Il suffit de passer devant un collège ou un lycée mixte pour avoir l’évidence des dégâts immenses causés par cette promiscuité prématurée. A l’heure où le garçon et la fille ont besoin de solides amitiés leur permettant de construire et d’affiner leur personnalité, la coéducation les contraint de se livrer aux amourettes, au flirt permanent. Celui qui n’a pas sa petite amie, son petit ami passe pour un arriéré, un cas social. On ne parle plus, en direct ou via les réseaux sociaux, que de « on sort ensemble », « elle m’a plaqué », « entre nous, c’est le grand amour » et j’en passe pour rester dans les limites de la correction.
L’Abbé Berto a des paroles de sainte indignation contre les promoteurs de cette coéducation :
La mixtité (et non mixité, ces cuistres ne savent pas le français) est en train de ravager tout cela. Ses promoteurs, si haut placés qu’ils soient, sont en état de damnation. Ils jettent par milliers de malheureux enfants dans une occasion prochaine de péché. Et quand ces garçons et ces filles seraient tous sans exception des héros et des héroïnes, qui résisteraient à toutes ces occasions et tentations (mais qui le croira ?), a‑t-on le droit de les y précipiter, de les y maintenir ? « Et moi je vous dis que quiconque regarde une femme avec convoitise, a déjà commis la fornication avec elle dans son cœur ». Et réciproquement ! Seigneur Jésus, qui avez dit aussi que nous devons devenir comme de petits enfants inconscients de leur sexe si nous voulons devenir comme des anges dans votre royaume, que ferez-vous dans votre justice de ces atroces corrupteurs, dont vous avez dit encore : « Celui qui scandalise un de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’il fût jeté au profond de la mer avec une meule au cou » ? Nous pleurons sur l’innocence qu’on pourrit, sur les vocations qu’on ruine, nous combattons selon nos forces, mais aussi nous prenons date, et nous en appelons solennellement à votre tribunal au Jour du votre colère.
Abbé Berto, Leur crime, Itinéraires, N°132, avril 1969., p. 173 – 174.
2. La vocation de l’homme et de la femme diffèrent en se complétant
Au-delà de cette raison morale, l’Eglise sait bien que le garçon et la fille, s’ils partagent la même nature humaine, se différencient cependant fondamentalement. L’homme et la femme n’auront pas le même rôle à jouer dans la famille, l’Etat, l’Eglise. Cette diversité complémentaire entraîne nécessairement une éducation différenciée et une instruction adaptée. L’homme aura à faire vivre sa famille grâce à son activité professionnelle, il devra assurer la protection de ceux qui se confient en lui. Il aura souvent un rôle social et pourra prendre des responsabilités politiques. La femme aura à être l’âme de son foyer, le bon ange qui veille sur tout le monde. Elle assumera une grande part de l’éducation de ses enfants, organisera la vie domestique, se dévouera pour de nombreuses bonnes œuvres. Il faut donc une éducation virile, donnant le goût du travail, le sens des responsabilités, l’ouverture aux problèmes de société pour le garçon et une éducation féminine pour la fille.
3. Une approche éducative différente
Si le but est différent, les méthodes mêmes sont différentes. Une éducation virile passe par une pratique sportive plus intense, la vie au grand air, les exercices pour discipliner la volonté, un rapport franc et direct avec les éducateurs, des cérémonies pleines de panache. C’est ce que nous essayons de faire pour les garçons qui nous sont confiés.
Les rares auteurs qui osent encore défendre la non-mixité s’appuient en général sur ces raisons, pas trop éloignées du politiquement correct, de différence de psychologie entre les filles et les garçons, ainsi que sur la nette différence de maturité. Les filles ont tout simplement une avance de deux ans sur les garçons à l’âge de l’adolescence, tant au niveau de la puberté que de la maturité psychologique et intellectuelle. Les garçons vivent mal cette situation humiliante dans les classes mixtes et ont davantage tendance à développer ce qui à leur yeux les met en valeur : la violence physique, les comportements à risque, la grossièreté, l’addiction aux jeux vidéos et à la pornographie numérique. Le livre du Docteur Stéphane Clerget est à ce sujet très éclairant [1].
Le sujet de la mixité a fait récemment l’objet d’une réflexion de la Plateforme des Organisateurs Chrétiens, réunie par l’AFOCAL à Paris en novembre 2016. Des organisateurs de séjours de vacances n’hésitent pas à revendiquer le choix de la non-mixité. Ainsi, un responsable de l’œuvre des patronages marseillais dans la lignée du Père Allemand explique que cette œuvre gère deux structures : une mixte et une pour garçons seulement. La structure non-mixte leur coûte 15 000 euros de plus car les Caisses d’Allocations Familiales refusent de la subventionner pour ce seul motif. Le responsable avance deux raisons qui justifient cette structure non-mixte : une qualifiée de « non avouable » : la communauté qui gère cette structure est une communauté d’hommes qui ne désire pas s’investir dans l’éducation mixte, l’autre, « avouable », est de permettre de fonder de vrais amitiés, longues, approfondies, et également de permettre aux garçons d’assumer des responsabilités (dans les structures mixtes, les responsabilités sont assumées à 80 % par les filles !) [2].
Le Père Duhr, jésuite, a cette remarque dans son traité sur l’éducation : « Le mot du poète allemand Schiller « le garçon, dans sa fierté, s’écarte de la fille », exprime une vérité psychologique de tous les temps. D’instinct, jeunes gens et jeunes filles s’associent et se groupent à part. Dans ces groupements distincts, ils déploient le plus à l’aise les richesses nouvelles dont se trouvent dotés leur corps, leur esprit et leur âme. La réserve et l’abstention mutuelle contribuent le mieux, à cet âge, au développement normal du caractère particulier des deux sexes » [3].
La non mixité va donc de soi. Elle est un fondement de l’éducation catholique. Vouloir s’en dispenser, c’est se priver d’un travail efficace sur les adolescents et les adolescentes tout en les exposant à des tentations insupportables.
Abbé Ludovic Girod, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Sources : Le Courrier de la Ville n° 27 de juillet 2017
- Docteur Stéphane Clerget, Nos garçons en danger – Ecole, santé, maturité – Pourquoi c’est plus compliqué pour eux et comment les aider, Flammarion, 2015. Cf. également : Florence Brière-Loth, Mixité scolaire – SOS garçons en difficulté, in Famille Chrétienne N°1548 du 15 au 20 septembre 2007, pages 66 à 70.[↩]
- Plateforme des Organisateurs Chrétiens réunie par l’AFOCAL – Actes de la journée du 17 novembre 2016 – Ensemble ou séparés : éduquer des filles et des garçons.[↩]
- Joseph Duhr, S.J., L’art des arts – Eduquer un enfant, Salvator, 1953, page 360.[↩]