Editorial de la LAB n° 22 de novembre 2015 – Osons l’ambition, par M. l’abbé Ludovic Girod
Notre époque n’est guère celle des grandes figures et des héros. D’ailleurs, que pourraient faire un César ou un Napoléon à l’heure de l’Union Européenne et des normes qu’elle sécrète en permanence ? Non, un « président normal » convient parfaitement à la situation, ou alors un employé des banques internationales comme dans d’autres pays. Ce n’est pas un Rubicon qu’il faudrait franchir, mais des dizaines.
Alors évidemment, dans cette atmosphère déprimante et atone, dans cette Europe languissante, notre jeunesse manque cruellement de grandeur d’âme, de noblesse de caractère, d’idéal élevé. Elle se laisse hypnotiser par les sirènes du monde et limite son ambition à l’achat du dernier gadget électronique. Le désir de réussir en classe ne la préoccupe que quelques jours avant la remise des carnets, mais cette énergie retombe bien vite pour laisser place à une aurea mediocritas chère aux épicuriens. Les masses ont bien ingéré ce slogan d’une entreprise organisant des séjours de loisirs : « le bonheur couché ! ».
Il faut bien constater de plus que nos écoles restent de taille bien réduite, que les élèves se comptent une vingtaine par niveau et peuvent vite se croire doués scolairement alors qu’il n’en est rien. Dans de grands collèges ou lycées, regroupant des milliers d’élèves, les têtes de classe sont autrement douées et animées du désir de réussir. Ce n’est que lorsque les élèves de Terminale auront à fixer leur orientation, à faire connaître leurs choix (s’ils ont réussi à choisir) qu’ils se confronteront à la réalité de la lutte acharnée pour les meilleures places. En outre, nous constatons que les élèves se contentent du minimum pour leur travail personnel : en général, de quoi échapper à de trop mauvaises notes ou à la colle pour manque de travail. C’est ainsi que des élèves dans les grandes classes peuvent consacrer seulement deux ou trois heures à leurs devoirs pendant un week-end, soit autant, voire moins, qu’un élève de CM. Allez vous étonner après d’avoir des résultats décevants.
L’étude de la vertu de magnanimité peut nous aider à mieux comprendre où se situe notre devoir. Cette vertu se rattache à la vertu cardinale de force qui nous fait entreprendre ou supporter des choses difficiles, pénibles, dangereuses pour l’obtention d’un bien. Mais alors que l’homme fort brave le danger, y compris le péril de la mort, en vue du bien, le magnanime s’efforce d’accomplir de grandes actions qui sont dignes d’honneur. Cette vertu constitue un juste milieu entre deux défauts : la pusillanimité d’une part et l’ambition d’autre part.
La pusillanimité consiste à se récuser devant ce qui pourtant ne dépasse pas nos forces. Les motifs de ce refus d’agir vont de l’amour de ses aises, de son petit confort à un attachement désordonné à son point de vue, qui a décidé une fois pour toutes que cette charge nous dépassait [1]. Saint Grégoire le Grand enseigne ceci au sujet de Moïse : « Moïse serait sans doute orgueilleux s’il recevait sans trembler la conduite de ce peuple immense, mais il le serait aussi s’il refusait d’obéir au Seigneur [2] ». Le pusillanime correspond bien à ce portrait des âmes faussement humbles dressé avec talent par Mgr Ducaut-Bourget :
« Enfermées dans le cloître de leur conscience, nourries de lectures pieuses et d’hagiographies, affectant de rechercher le second ou l’arrière-plan, elles déclinent ou refusent toute confiance des supérieurs, toute mission, tout travail, toute responsabilité qui les forceraient à utiliser leurs facultés, leur jugement ; qui risquerait de leur imposer autre chose que leur fantaisie imaginaire, leurs apostoliques fantasmes. Ce genre d’humilité n’est au fond que fausse apparence, qu’égoïsme, lâcheté, paresse camouflés ».
C’est tout à fait l’attitude du serviteur négligent de l’Evangile qui enserre dans un linge le talent confié par son maître afin de l’enterrer soigneusement et de n’avoir surtout rien à entreprendre pour le faire fructifier.
L’ambition quant à elle réside dans un appétit désordonné des honneurs. Saint Thomas expose avec une précision clinique les différentes formes d’ambition : « L’honneur est une marque de respect donnée à quelqu’un et qui témoigne de sa supériorité. Mais il faut remarquer deux choses : d’abord, que ce qui rend un homme supérieur ne vient pas de lui, mais c’est quelque chose de divin en lui, et c’est donc à Dieu surtout que doit en revenir l’honneur. En second lieu, ce qu’un homme a de supérieur lui est donné par Dieu pour le bien de tous, et l’honneur qu’il en reçoit doit donc lui être agréable surtout comme un moyen d’être utile aux autres. Or, le désir de l’honneur peut être désordonné de trois manières :
1. si l’on désire un honneur immérité, pour une supériorité que l’on ne possède pas ;
2. si l’on désire l’honneur pour soi sans le reporter à Dieu ;
3. si l’on désire l’honneur pour lui-même sans le faire servir au bien du prochain » [3].
Il ne s’agit donc pas de tomber dans cette ambition déréglée et peccamineuse, pouvant entraîner des actions dénuées de tout scrupule pour accaparer les honneurs et le pouvoir. Il s’agit de se réveiller de sa torpeur, de sa paresse, de sa veulerie pour correspondre à la volonté de Dieu qui attend de nous des efforts, des travaux, des entreprises proportionnés aux talents qu’il nous a confiés. Nous savons que le péché ne consiste pas que dans des actions, il peut aussi se trouver dans l’omission, quand nous n’accomplissons pas un acte que nous devons et pouvons faire. Celui qui passe à côté d’un blessé sans prévenir les secours est coupable d’une non-assistance à personne en danger. Celui qui enfouit ses talents est coupable d’une négligence, il est injuste envers Dieu et la société.
Il nous faut donc poursuivre un idéal à la hauteur des dons de Dieu. Et c’est à la jeunesse surtout de se donner des buts ambitieux : la jeunesse n’est pas faite pour le plaisir, elle est faite pour l’héroïsme. Le Père Vuillermet s’est penché sur cette question de l’idéal dans l’un de ses livres [4] : « S’il y a parmi la jeunesse d’aujourd’hui tant de médiocrité, de vulgarité ; si l’on rencontre tant de fantoches qui sur les trottoirs de nos grandes villes » traînent au rythme craquant de leurs escarpins vernis, une existence vide de tout, de sentiments comme d’idées » ; s’il y a tant d’âmes banales, effacées, dont l’unique ambition est de suivre paisiblement l’ornière et de se tailler une petite place où elles pourront jouir en paix des douceurs de la vie, c’est que, parmi nous, on ne connaît plus la passion de l’idéal ». Ce qui fait la beauté de la jeunesse, ce n’est pas sa manière de s’habiller conforme aux diktats de la mode, ou la quantité de gel longuement étalé sur la chevelure, mais l’intensité de la flamme qui brille dans ses yeux, flamme d’un pur idéal, d’une grande ambition au service de Notre Seigneur, de l’Eglise, de la patrie.
Car notre idéal ne saurait être purement humain, terre-à-terre. Il nous guide vers le Ciel que nous espérons atteindre avec la grâce de Dieu, il nous entraîne à la suite de Jésus-Christ qui veut régner dans les cœurs et sur les sociétés, car il est le Christ-Roi et le Seigneur des Nations.
A nous d’élever nos cœurs, comme nous y invite la liturgie de la messe avant de nous associer au chant des anges, à nous d’aller au large, comme Notre Seigneur le demande à saint Pierre sur la barque : « Duc in altum ».
Abbé Ludovic Girod, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Sources : Le Courrier de la Ville n° 22 de novembre 2015/LPL du 18 novembre 2015
Intégralité de la LAB n° 22 de novembre 2015 au format pdf
- La pusillanimité peut, d’une certaine manière venir de l’orgueil, lorsque par attachement à ses vues personnelles, on se juge incapable de ce dont on est parfaitement capable » Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa IIæ, 133, article 1.[↩]
- Cité par saint Thomas d’Aquin, ibidem[↩]
- Somme théologique, IIa IIæ, 131, article 1.[↩]
- Père Fernand-Antonin Vuillermet, o.p., Soyez des hommes, Dourdan, Parthénon, 2013, page 225[↩]