Sermon de Mgr Fellay, le jeudi 2 février 2006, à Flavigny

[…] Lorsqu’on parle du Temple (où a eu lieu la puri­fi­ca­tion de la Très Sainte Vierge), on pense à l’Église, et nous aime­rions aujourd’­hui expo­ser briè­ve­ment la situa­tion où nous nous trouvons.

Il n’y a en réa­li­té rien de bien spé­cial, rien de bien nou­veau sinon une agi­ta­tion qui indique que le démon se démène, cette fois-​ci un peu plus for­te­ment que d’ha­bi­tude. Les prêtres, qui connaissent le dis­cer­ne­ment des esprits, savent bien que toute pen­sée qui intro­duit le doute, l’in­quié­tude, la méfiance, ne vient pas de Dieu. C’est pré­ci­sé­ment l’es­prit du démon qui insuffle cette agi­ta­tion fré­né­tique qui par­court cer­tains milieux aujourd’­hui et qui essaie de trou­bler, de jeter une méfiance par­mi les fidèles, par­mi les prêtres, en vou­lant faire croire que le Supérieur Général est en train de faire des tran­sac­tions secrètes pour aller, dit-​on, avant Pâques signer ou obte­nir une admi­nis­tra­tion apos­to­lique. Il n’y a rien de vrai, c’est du vent ! 

La seule chose vraie depuis l’au­dience que nous avons eue avec Benoît XVI au mois d’août est que nous avons ren­con­tré le car­di­nal Castrillón le 15 novembre der­nier. Nous avons à nou­veau expo­sé toutes nos réserves, nos attentes envers Rome en leur disant :

« Écoutez, la vie catho­lique nor­male n’est pas pos­sible dans l’Église aujourd’­hui. Depuis le Concile, cela a été ren­du impos­sible. Vous vou­lez des accords ? Nous n’y sommes pas oppo­sés, mais il faut d’a­bord les rendre pos­sibles. Et comme nous vou­lons abso­lu­ment res­ter catho­liques, il faut que cette vie catho­lique soit de nou­veau ren­due pos­sible. Cela veut dire tout d’a­bord répri­mer les abus, les condam­ner ; cela signi­fie toute une série d’actes, de reprises en main de l’Église. Cela veut dire aus­si des actes posi­tifs : c’est-​à-​dire réin­tro­duire cette vie de la foi catho­lique, avec toutes ses exi­gences. Cela veut dire redon­ner sa liber­té à la messe qui remet­tra l’Église sur ses rails, qui recen­tre­ra l’Église sur Notre-​Seigneur Jésus-Christ. ».

Ensuite nous leur avons dit :

« Nous consta­tons que Rome main­te­nant convient qu’il y a une crise dans l’Église ».

Aujourd’hui cela n’est plus nié à Rome, et nous pou­vons dire que les gens sérieux à Rome sont affo­lés par la situa­tion de l’Église, même si dans cer­tains dis­cours, ils disent le contraire. Nous en sommes abso­lu­ment cer­tains parce que nous l’a­vons enten­du de leur propre voix et qu’ils sont très inquiets de cette situa­tion, le Pape le premier.

Cependant le pro­blème vient de ce que nous ne sommes pas d’ac­cord sur les causes de cette crise. La hié­rar­chie à Rome veut attri­buer cette crise au mal qui secoue le monde. C’est le monde qui est cou­pable de ce que les choses vont mal dans l’Église !

Alors, nous avons expo­sé au car­di­nal Castrillon (le conte­nu) de la lettre de Mgr Lefebvre adres­sée au car­di­nal Ottaviani, un an après le Concile. Nous avons mon­tré, en com­men­tant cette lettre, com­ment Monseigneur décri­vait admi­ra­ble­ment les consé­quences du Concile sans par­ler d’a­bus, sans par­ler de dévia­tion, mais com­ment le Concile – tel qu’il s’est pas­sé – conduit à la crise que nous vivons. Ce texte écrit en 1966 est aujourd’­hui actuel dans tous ses points. Cette vue de Monseigneur est admi­rable pré­ci­sé­ment sur la situa­tion de l’Église, sur le Concile. Nous avons bien insis­té en disant :

« La faute vient du Concile. Mais cela ne veut pas dire que toutes les erreurs que l’on ren­contre aujourd’­hui dans l’Église viennent du Concile. Cela veut dire que le Concile a ramas­sé ces erreurs et les a comme ino­cu­lées dans les veines de l’Église ».

Et j’ai conti­nué en disant :

« Si vous vou­lez sor­tir de cette crise, oubliez un ins­tant la Fraternité, occupez-​vous de résoudre cette crise ! La crise réso­lue, la Fraternité ne sera plus un pro­blème pour vous ».

Après ces longues dis­cus­sions le Cardinal a dit :

« Je constate que tout ce que vous expo­sez ne vous met pas en dehors de l’Église, donc vous êtes dans l’Église ».

Et il a conti­nué en disant :

« Je vous demande d’é­crire au Pape pour lui deman­der qu’il enlève les excommunications ».

Depuis lors, nous en sommes res­tés là, car évi­dem­ment nous n’al­lons pas deman­der qu’on enlève quelque chose que nous ne recon­nais­sons pas. Nous avons tou­jours refu­sé de recon­naître la vali­di­té de ces excom­mu­ni­ca­tions, nous ne pou­vons donc pas deman­der qu’on enlève quelque chose qui n’existe pas. Et avant même de poser cet acte, nous avons deman­dé bien sûr le retrait du décret d’ex­com­mu­ni­ca­tion, son annu­la­tion ; mais même dire « annu­ler » veut déjà dire que l’on recon­naî­trait quelque chose. Nous l’a­vions deman­dé depuis le début ; c’é­tait l’un des préa­lables que nous avions posés. Et, pour la pre­mière fois, Rome semble prendre ce che­min que nous leur avions pro­po­sé en l’an 2000.

Cependant bien évi­dem­ment, avant de faire ce pas, il nous faut essayer de com­prendre pour­quoi tout à coup Rome nous demande cela, où Rome veut-​elle aller, et quel est le but qu’elle pour­suit dans ce chan­ge­ment de tac­tique. Il est assez clair que Rome, le Pape vou­drait régler les affaires de la Fraternité, si je puis par­ler ain­si, et dans leurs pers­pec­tives, rapi­de­ment. De notre côté, nous avons tou­jours insis­té pour dire qu’a­vant un règle­ment pra­tique il fal­lait éli­mi­ner les prin­cipes qui sont d’une part géné­ra­teurs de la crise, et qui d’autre part nous tue­raient si nous les accep­tions. Ainsi nous ne pou­vons abso­lu­ment pas accep­ter. Et nous en sommes aujourd’­hui à ce point-là.

Nous récla­mons, nous deman­dons à Rome d’exa­mi­ner ces prin­cipes mor­ti­fères dans l’Église pour les éli­mi­ner, pour les reje­ter : ce libé­ra­lisme, ce moder­nisme qui sont entrés dans l’Église et qui vrai­ment tuent la vie chré­tienne, qui se mani­festent dans la col­lé­gia­li­té, dans l’o­cu­mé­nisme, dans la liber­té reli­gieuse, dans ce concept aujourd’­hui ava­li­sé par Benoît XVI lui-​même, répé­té com­bien de fois, de l’é­tat laïque.

Le Pape, dans son dis­cours du 22 décembre, nous dit qu’en reve­nant à cet état laïque, l’Église revient à l’Évangile, et pour­tant l’Évangile dit le contraire ! L’Évangile dit : « Il faut qu’Il règne ». Saint Paul expose admi­ra­ble­ment que toute auto­ri­té vient de Dieu, toute auto­ri­té ! Et que s’il nous faut nous sou­mettre aux auto­ri­tés civiles, c’est parce que ce sont des lieu­te­nants de Dieu. C’est de Dieu que ces auto­ri­tés reçoivent l’au­to­ri­té sur les âmes et elles répondent à Dieu, à Notre-​Seigneur Jésus-​Christ de leur manière d’exer­cer l’au­to­ri­té, qu’il s’a­gisse d’Hitler, de Néron, de Gorbatchev, de Chirac, tous ceux que vous vou­lez, tous, au moment de leur mort appa­raissent devant Notre-​Seigneur Jésus-​Christ pour rendre compte de la manière dont ils ont exer­cé le pou­voir parce que Notre-​Seigneur est leur roi. Qu’il s’a­gisse des païens ou des chré­tiens, c’est la même chose : Notre-​Seigneur est le roi de tous !

Il suf­fit de regar­der d’un peu plus près l’in­fluence qu’a la socié­té dans laquelle les hommes vivent. Quelle influence a la socié­té civile sur leur vie ! Il est tel­le­ment évident qu’une socié­té civile impré­gnée des lois de Dieu aide­ra l’âme à faire son salut, et le contraire est tout aus­si évident ! Cette socié­té civile dans laquelle la vie de chaque homme se déroule quo­ti­dien­ne­ment a néces­sai­re­ment une influence sur sa vie. Pour nous cela relève de l’é­vi­dence que la socié­té civile doit être en har­mo­nie avec la socié­té de l’Église, et donc que les prin­cipes, les lois qui dirigent, qui orga­nisent la vie humaine doivent être impré­gnées jus­qu’au bout de la loi de Dieu, du Décalogue. Bien que la fin de cette socié­té civile soit seule­ment tem­po­relle, il n’y a pas contra­dic­tion entre les deux, il doit y avoir néces­sai­re­ment har­mo­nie. Cela relève de l’é­vi­dence pour nous.

Eh bien ! nous osons dire que pour le Pape actuel, il semble que l’Etat laïque soit une évi­dence, soit un axiome, – cela fait par­tie de ces choses qui sont des prin­cipes qui ne se démontrent pas. D’où un immense pro­blème, un point d’a­chop­pe­ment avec les auto­ri­tés romaines que l’on peut résu­mer d’un mot : le Concile, et qu’on per­çoit très net­te­ment sur cette ques­tion de la liber­té religieuse.

Et donc, mes bien chers frères, il faut conti­nuer. Nous conti­nuons tout sim­ple­ment, serei­ne­ment ce che­min si bien indi­qué par notre fon­da­teur, Mgr Lefebvre, et c’est tout. Nous savons que l’Église a les pro­messes de l’in­dé­fec­ti­bi­li­té, les portes de l’Enfer ne pré­vau­dront jamais contre elle. Elle dépas­se­ra un jour cette crise.

A nous de mettre toute notre éner­gie, à notre place évi­dem­ment, pour tra­vailler à ce dépas­se­ment de la crise, et donc for­cé­ment nous aurons des rela­tions avec Rome. C’est une erreur que de pré­tendre qu’il ne faut pas dis­cu­ter avec eux. On attend d’eux qu’un jour ils soient catho­liques, et on vou­drait ne pas dis­cu­ter avec eux ? Saint Paul, par­lant des païens, disait :

« Comment se convertiront-​ils s’ils n’en­tendent pas la foi, si per­sonne ne leur rap­pelle les principes ? »

Est-​ce qu’on veut inven­ter, ou est-​ce qu’on veut récla­mer un miracle conti­nuel de Notre-​Seigneur ? Cela peut arri­ver, mais le che­min habi­tuel du Bon Dieu c’est d’u­ti­li­ser les causes secondes pour tou­cher les âmes. Encore une fois, sans vou­loir nous don­ner de rôle spec­ta­cu­laire ou extra­or­di­naire, nous sommes dans les cir­cons­tances de l’his­toire où le Bon Dieu nous a pla­cés, où il nous faut accom­plir notre devoir d’é­tat de prêtre, d’é­vêque, cha­cun à sa place, en essayant d’ob­te­nir le maxi­mum de bien de ces auto­ri­tés qui sont certes encore enténébrées.

Prions ! Prions le Bon Dieu que cette lumière que nous saluons en Notre-​Seigneur éclate de nou­veau dans l’Église. Ayons vrai­ment un cour d’a­pôtre. Le Bon Dieu a insis­té auprès des apôtres pour dire que cette lumière, on ne la met­tait pas sous le bois­seau. Elle doit éclai­rer ; il faut avoir au cour ce désir de conver­tir les âmes. Si le Bon Dieu nous a don­né, à nous, cette grâce d’y voir clair, eh bien ! c’est un péché que de la gar­der pour soi.

Nous devons avoir au fond du cour ce désir de gagner toutes les âmes – selon bien sûr les dis­po­si­tions du Bon Dieu -, mais il faut tra­vailler, avoir un cour grand comme le cour de Notre-​Seigneur. C’est notre modèle. Chaque jour le prêtre, à la messe, célèbre un sacri­fice d’une valeur infi­nie, d’une puis­sance, on peut dire, uni­ver­selle. Les grâces de la messe touchent le monde entier, toute l’Église. Ce serait quand même ridi­cule de voir un prêtre qui, en même temps qu’il fait cet acte si immense, réduise son cour à une toute petite chose. Bien sûr, il aura des inten­tions par­ti­cu­lières, mais il doit gar­der ces inten­tions immenses qu’il pro­nonce lui-​même tout au début du Canon : il prie pour toute l’Église ; à l’of­fer­toire il prie pour tous les fidèles du monde entier.

Gardons cet esprit, et demandons-​le tous les jours plus grand, à exer­cer ensuite tous les jours, – avec évi­dem­ment la pru­dence, sous la lumière tou­jours de Notre-​Seigneur, de la divine Providence. Confions donc toutes ces grandes inten­tions, inten­tions de nos jeunes sémi­na­ristes, les grandes inten­tions de l’Église à Notre Dame en ce jour. Qu’elle nous pro­tège, qu’elle nous pré­sente à Dieu tous les jours tou­jours plus puri­fiés comme on le demande dans l’o­rai­son afin que, plai­sant chaque jour davan­tage à Dieu, nous obte­nions, par notre coopé­ra­tion à sa grâce, de nous sanc­ti­fier et de sanc­ti­fier les autres.

Ainsi soit-​il !

FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.