La Correctio Filialis et Mgr Marcel Lefebvre

Chers Amis et Bienfaiteurs,

Saint Jean de la Croix, célé­bré le 24 novembre, nous encou­rage à tendre aux som­mets de la vie d’union à Dieu car une âme qui y arrive non seule­ment jouit d’une inti­mi­té divine toute spé­ciale mais aus­si devient utile à toute l’Église. « Le plus petit mou­ve­ment de pur amour est plus utile à l’Église que toutes les œuvres réunies. » (Cantique Spirituel) Une sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus par exemple le prouve, elle, car­mé­lite obs­cure pen­dant sa vie, qui est deve­nue après sa mort la patronne des tous les mis­sion­naires (en grande par­tie grâce à nos mis­sion­naires du Grand Nord) !

Un jour vien­dra où l’Église juge­ra bien des ver­tus de Mgr Lefebvre pour nous dire s’il les a pra­ti­quées à un degré héroïque, et ain­si s’il a atteint ces som­mets de la sain­te­té. Ce que nous pou­vons tout de même dire sans peur dès aujourd’hui, c’est que dès son vivant il a eu lui aus­si, et a encore un impact extra­or­di­naire sur toute l’Église. Et c’est loin d’être fini. La der­nière preuve, c’est la lettre remise au pape François le 11 août, inti­tu­lée Correctio Filialis, deve­nue publique le 24 sep­tembre der­nier, et signée à ce jour par 245 théo­lo­giens, phi­lo­sophes, laïcs et clercs, de tous les conti­nents, dont notre Supérieur Général. Cette lettre dénonce sept pro­po­si­tions héré­tiques tirées des ensei­gne­ments divers du pon­tife régnant. Voyons donc le lien logique entre cette lettre et l’impact de Mgr Lefebvre sur l’Église universelle.

Saint Pie X

Commençons en fait avec notre saint Patron, saint Pie X, et son ency­clique Pascendi de 1907 qui donne la clef pour com­prendre l’enjeu du com­bat actuel. En voi­ci quelques pas­sages qui résument toute l’encyclique, qui donnent le prin­cipe duquel le saint pape va déduire une lita­nie de consé­quences mor­telles pour la foi et la morale :

« De là, l’équivalence entre la conscience et la révé­la­tion. De là, enfin, la loi qui érige la conscience reli­gieuse en règle uni­ver­selle, entiè­re­ment de pair avec la révé­la­tion, et à laquelle tout doit s’assujettir, jusqu’à l’autorité suprême dans sa triple mani­fes­ta­tion, doc­tri­nale, cultu­relle, dis­ci­pli­naire. » (n. 8) « Alors, qu’est-ce donc que l’Église ? Le fruit de la conscience col­lec­tive, autre­ment dit de la col­lec­tion des consciences indi­vi­duelles. (…) La conscience reli­gieuse, tel est donc le prin­cipe d’où l’autorité pro­cède, tout comme l’Église, et, s’il en est ain­si, elle en dépend. » (n. 27)1

La « conscience », c’est ici la foi rem­pla­cée par un vague sen­ti­ment reli­gieux, qu’il dénomme « imma­nence vitale », ce qui revient à dire un sen­ti­ment sub­jec­tif vivant, qui change sans cesse. Saint Pie X avait vu clair. Cette « conscience », c’est tout sim­ple­ment l’homme pre­nant la place de Dieu.

Les années 1960

Au Concile, Mgr Lefebvre était à la tête du groupe des Pères conser­va­teurs, nom­mé le Coetus. Leur com­bat le plus ardu fut sans doute celui contre la liber­té de conscience, dite la liber­té reli­gieuse qui attaque la Royauté Sociale de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, qui le décou­ronne, même dans son Église. Lisez le livre « J’accuse le Concile », sur­tout ses der­nières inter­ven­tions pour défendre ce dogme de notre foi. Voici ce qu’il dit dans sa dixième inter­ven­tion, au début de la 4e Session, le 9 sep­tembre 1965 :

« En divers endroits, cer­taines affir­ma­tions (de Gaudium et Spes) contre­disent la doc­trine de l’Église. Par exemple : tou­jours l’Église a ensei­gné et enseigne l’obligation, pour tous les hommes, d’obéir à Dieu et aux auto­ri­tés consti­tuées par Dieu, afin qu’ils reviennent à l’ordre fon­da­men­tal de leur voca­tion et recouvrent ain­si leur dignité.

Le sché­ma dit au contraire : « La digni­té de l’homme est dans sa liber­té de conscience, telle qu’il agisse per­son­nel­le­ment, per­sua­dé et mû par le dedans, à savoir de bon gré et non sous la simple impul­sion d’une cause externe ou de la contrainte ». Cette fausse notion de la liber­té et de la digni­té de l’homme porte aux pires consé­quences : elle conduit notam­ment à la ruine de l’autorité, par exemple chez le père de famille ; elle ruine la valeur de la vie reli­gieuse. »((J’accuse le concile))

Les années 1970

Dans les années 1970, ce même com­bat devint le com­bat pour la messe tra­di­tion­nelle et le sacer­doce, moyens pri­vi­lé­giés pour faire régner Notre-​Seigneur. Ici ce fut par­fois même violent, tant contre Mgr Lefebvre qui fut trai­té de tous les noms aptes à ébran­ler n’importe qui dans l’Église – « rebelle », « contre le Pape », « déso­béis­sant », « hors de l’Église », « fau­teur de schisme », etc. – que contre les prêtres et fidèles qui cher­chaient à gar­der la foi de leur pères à tout prix et qui en récom­pense se voyaient chas­ser de leurs églises, refu­ser la com­mu­nion, ce qui arri­va même à des enfants, dénon­cés publi­que­ment en chaire et dans les jour­naux. Ici au Canada, un nom per­son­ni­fie cette période, celui du cher curé Yves Normandin, dont le livre « Un curé dans la rue » raconte les péri­pé­ties héroïques et à qui la plu­part de nos centres de messe, a mari usque ad mare, doivent leur origine.

Dans son allo­cu­tion consis­to­riale du 24 mai 1976, le pape Paul VI recon­naît clai­re­ment que Mgr Lefebvre est la figure de proue du mou­ve­ment de résis­tance aux réformes litur­giques. Il est aus­si fort sur­pre­nant d’y lire le pape affir­mer que « C’est au nom de la Tradition que nous deman­dons à tous nos fils, à toutes les com­mu­nau­tés catho­liques, de célé­brer avec digni­té et fer­veur la litur­gie réno­vée ».((Allocution pro­non­cée par S. S. Paul VI au cours du consis­toire secret du 24 mai : « C’est au nom de la Tradition que nous deman­dons à tous nos fils, à toutes les com­mu­nau­tés catho­liques, de célé­brer, dans la digni­té et la fer­veur, la litur­gie rénovée. »))

Mgr Lefebvre de son côté s’appuyait évi­dem­ment sur la Tradition pour conti­nuer son œuvre :

« Si, en toute objec­ti­vi­té, nous cher­chons quel est le motif véri­table qui anime ceux qui nous demandent de ne pas faire ces ordi­na­tions, si nous recher­chons leur motif pro­fond, nous voyons que c’est parce que nous ordon­nons ces prêtres afin qu’ils disent la messe de tou­jours. Et c’est parce que l’on sait que ces prêtres seront fidèles à la messe de l’Église, à la messe de la Tradition, à la messe de tou­jours, qu’on nous presse de ne pas les ordon­ner. » (29 juin 1976)2

Tradition contre Tradition ? En fait, il s’agit de la Tradition au sens sub­jec­tif, ceux qui sont assis « dans la chaire de Moïse », contre la Tradition au sens objec­tif, le conte­nu de la Foi trans­mis inchan­gé depuis vingt siècles. Ceci est un exemple de plus de l’importance de bien défi­nir les mots selon la méthode scolastique.

Les années 1980

Si la liber­té reli­gieuse et la nou­velle messe attaquent la Royauté Sociale dans son prin­cipe et son appli­ca­tion litur­gique, l’œcuménisme des années 1980 met­tait bien Jésus et Barabbas sur le même bal­con. Ce fut l’exaltation de la nais­sance de Luther en 1983, la visite du pape à la syna­gogue en avril 1986 et, som­met de l’impiété, la réunion inter­re­li­gieuse d’Assise en octobre 1986. Qui osa lever la voix contre ces abo­mi­na­tions ? Mgr Lefebvre. Voici son cri d’alarme à huit car­di­naux avant la réunion d’Assise :

« C’est le pre­mier article du Credo et le pre­mier com­man­de­ment du Décalogue qui sont bafoués publi­que­ment par celui qui est assis sur le Siège de Pierre. Le scan­dale est incal­cu­lable dans les âmes des catho­liques. L’Église en est ébran­lée dans ses fon­de­ments. Si la foi dans l’Église, unique arche de salut, dis­pa­raît, c’est l’Église elle-​même qui dis­pa­raît. Toute sa force, toute son acti­vi­té sur­na­tu­relle a cet article de notre foi pour base. (…) Où sont les Macchabées ? »3

Cette lettre à huit car­di­naux du 27 août 1986 res­ta sans réponse.

Les Sacres des évêques du 30 juin 1988

Avant même la fin de cette messe his­to­rique, on annon­çait à la radio l’excommunication des six évêques. La rai­son de cet acte soit disant schis­ma­tique ? « À la racine de cet acte schis­ma­tique, on trouve une notion incom­plète et contra­dic­toire de la Tradition. »4 (Ecclesia Dei Adflicta, 2 juillet 1988) Une notion de la Tradition qui ne s’adaptait pas aux chan­ge­ments contem­po­rains, une Tradition qui n’était pas vivante (d’où « incom­plète »), et qui n’avait pas le droit de com­pa­rer l’enseignement des auto­ri­tés de l’Église d’aujourd’hui avec celui d’hier (d’où « contra­dic­toire »). Mais Notre-​Seigneur n’a‑t-il pas dit : « Allez donc ensei­gner toutes les nations… leur appre­nant à obser­ver tout ce que je vous ai com­man­dé » (Mt., XXVIII, 19–20) Mgr Lefebvre ne fai­sait que trans­mettre ce qu’il avait lui-​même reçu. Comme pour la ques­tion de la Messe, le fon­de­ment de cette condam­na­tion était la notion même de Tradition, désor­mais falsifiée.

Pris de peur, une petite par­tie de ses prêtres et des fidèles l’abandonna. Mais en s’écartant de Mgr Lefebvre à cause des sacres, consi­dé­rés acte schis­ma­tique, ces prêtres qui for­mèrent les dif­fé­rents groupes Ecclesia Dei (FSSP, IBP, Campos…), pour avoir un apos­to­lat approu­vé, devaient alors accep­ter logi­que­ment la « racine » de cette condam­na­tion, c’est-à-dire cette nou­velle concep­tion de la « Tradiion vivante », qui ulti­me­ment atta­quait l’immutabilité du Règne de Notre-​Seigneur Jésus et de son Église Unique. Obéissance oblige !

Le Pape François

Et main­te­nant François entre en scène. Il applique fidè­le­ment les prin­cipes du Concile : « Chacun a sa propre concep­tion du bien et du mal, et cha­cun doit choi­sir et suivre le bien et com­battre le mal selon l’idée qu’il s’en fait ».5 (2013) Il va publier ce docu­ment « Amoris Laetitia », qui sera une tache hon­teuse dans l’histoire de la papau­té. Avec ses appli­ca­tions et inter­pré­ta­tions offi­cielles (telle celle des évêques d’Argentine), et avec beau­coup d’autres prin­cipes emprun­tés à Luther même, cela pro­voque tout de même une saine réac­tion de la part d’âmes géné­reuses, car ici on touche à la notion même du mariage, de la loi natu­relle, de la grâce et du péché. Ça va trop loin !

Mais au nom de quoi va-​t-​on réagir contre ces scan­dales, qui ne sont qu’une conti­nui­té dans la nou­veau­té de Vatican II ? Sinon au nom de la Tradition – la vraie cette fois – et non la soi-​disant « vivante » qui est en fait la cause réelle de ces nou­velles pro­po­si­tions héré­tiques dénon­cées par la Correctio Filialis en sep­tembre 2017. Les signa­taires de la lettre citent abon­dam­ment le Denzinger (DH) qui est la réfé­rence des théo­lo­giens depuis presque deux siècles, étant le recueil des ensei­gne­ments du Magistère depuis les débuts de l’Église, le livre de réfé­rence de la Tradition. Or, le 10 sep­tembre der­nier, en Colombie, d’un revers de la main, le pape écar­tait cette réfé­rence magis­té­rielle pré­ci­sé­ment en faveur d’une conscience vivante, voire priante :

« Une homme qui ne prie pas, une femme qui ne prie pas ne peut pas être un théo­lo­gien ou une théo­lo­gienne. Que l’on devienne un Denzinger ambu­lant, que l’on sache toute la doc­trine qui existe ou qui est pos­sible, cela ne sera pas de la théo­lo­gie. Ce sera un com­pen­dium, un manuel où tout est écrit. Mais aujourd’hui la ques­tion de savoir com­ment est-​ce que toi tu expliques Dieu… »6)

Et voi­là 2000 ans de Tradition mis de côté pour cet « aujourd’hui » tra­gique, cette conscience moderne qui prend la place de Dieu – « com­ment est-​ce que toi tu expliques Dieu » !

Soyons logiques

Si c’est au nom de la vraie Tradition que l’on doit défendre la loi natu­relle, le mariage et les points de morale atta­qués aujourd’hui, il ne faut pas oublier que c’est au nom de la même Tradition qu’il défen­dait de tout son être et qui était cepen­dant consi­dé­rée alors « incom­plète et contra­dic­toire », que Mgr Lefebvre fut condam­né en 1988 ; c’est en s’appuyant sur l’enseignement de toute la Tradition que Mgr Lefebvre condam­na l’œcuménisme, la col­lé­gia­li­té, la liber­té de conscience, la liber­té reli­gieuse, la nou­velle messe des­truc­trice du règne de Notre-Seigneur…

Mgr Fellay expli­qua pour­quoi il avait accep­té, à la demande des signa­taires, de signer cette cor­rec­tion filiale importante.

« Il faut sou­hai­ter qu’elle per­mette une prise de conscience plus nette de la gra­vi­té de la situa­tion de l’Église de la part des clercs et des fidèles. Oui, comme l’a recon­nu Benoît XVI, « la barque de Pierre prend l’eau de toute part »((Cardinal Ratzinger au Chemin de Croix du Colisée : la barque de Pierre prend l’eau de toute part – 25 mars 2005)). Ce n’était pas une image poé­tique, c’est une réa­li­té tra­gique. Dans la bataille pré­sente, ce sont la foi et la morale qu’il faut défendre !

« On peut éga­le­ment espé­rer que d’autres sou­tiens se mani­festent de la part de ceux qui ont charge d’âmes. Les signa­taires de la Correctio filia­lis, en expo­sant ces pro­po­si­tions objec­ti­ve­ment hété­ro­doxes, n’ont fait que dire tout haut ce que beau­coup savent au fond. N’est-il pas temps, pour ces pas­teurs, de le dire haut et fort ? »((Mgr Fellay : pour­quoi j’ai signé la Correctio filia­lis – 26 sep­tembre 2017))

Prions donc pour que tous ces signa­taires et com­prennent cette logique et aient la grâce de l’embrasser jusqu’au bout.

Que Notre-​Dame du Rosaire, forte comme une armée ran­gée en bataille, accroisse son armée et nous accorde de voir le triomphe de son Cœur Immaculé le plus tôt possible !

En Jésus et Marie Immaculée,

Abbé Daniel Couture, Supérieur du District du Canada

Sources : District du Canada

  1. Pascendi Domini gre­gis []
  2. Sermon des ordi­na­tions sacer­do­tales du 29 juin 1976 []
  3. Lettre de Mgr Lefebvre aux car­di­naux à pro­pos de la future ren­contre d’Assise – 27 août 1986 []
  4. Motu pro­prio Ecclesia Dei adflic­ta de Jean-​Paul II du 2 juillet 1988 : 4. Huius autem schis­ma­ti­ci actus radix dignos­ci potest in ipsa ali­qua imper­fec­ta et pugnan­ti sibi notione Traditionis [À la racine de cet acte schis­ma­tique, on trouve une notion incom­plète et contra­dic­toire de la Tradition]» []
  5. Entretien avec Scalfari du 1er octobre 2013 à La Reppublica []
  6. « Un uomo che non pre­ga, una don­na che non pre­ga, non può essere teo­lo­go o teo­lo­ga. Sarà il volume del Denzinger fat­to per­so­na, saprà tutte le dot­trine esis­ten­ti o pos­si­bi­li, ma non farà teo­lo­gia. Sarà un com­pen­dio, un manuale dove c’è tut­to. Ma oggi la ques­tione è come espri­mi Dio tu… » (Voir ici []