Propos de table ? Un supposé Magistère « extra cathedram »

Statue de Saint Pierre à Rome. Crédit photo : Dominique Devroye / Pixabay

Un nouveau style

1. Notre temps a vu la nais­sance d’une espèce incon­nue jus­qu’a­lors, celle d’un sup­po­sé Magistère « extra cathe­dram », un Magistère en dehors du Magistère, un Magistère paral­lèle. Il y a là une nou­veau­té abso­lue, si l’on songe que, de tout temps, les Souverains Pontifes ont pris la parole pour ensei­gner avec auto­ri­té et qu’ils le fai­saient en s’ex­pri­mant dans des cadres recon­nus et sous des formes assez clai­re­ment déter­mi­nées. Même si celles-​ci ne pré­sentent pas tou­jours l’al­lure d’une décla­ra­tion solen­nelle infaillible, il reste que le fidèle peut aisé­ment s’a­per­ce­voir qu’il a affaire à ce que les théo­lo­giens dési­gnent comme un « Acte du Magistère ». Par exemple, depuis le début de son pon­ti­fi­cat, le Pape François a publié deux Exhortations apos­to­liques (Evangelii gau­dium du 24 novembre 2013 et Amoris læti­tia du 19 mars 2016), deux Lettres ency­cliques (Lumen fidei du 29 juin 2013 et Laudato si du 24 mai 2015), une Bulle (Misericordiæ vul­tus du 11 avril 2015, pour l’in­dic­tion du Jubilé extra­or­di­naire de la misé­ri­corde). Les Exhortations apos­to­liques, les Lettres ency­cliques, les Bulles comptent par­mi les prin­ci­pales formes sous les­quelles les Papes ont pris l’ha­bi­tude de dis­pen­ser leur ensei­gne­ment de la façon la plus offi­cielle et la plus clai­re­ment acces­sible pour tous [1].

2. Jean-​Paul II inau­gu­ra un nou­veau genre, en publiant à deux reprises un recueil d’en­tre­tiens avec des jour­na­listes [2]. Benoît XVI conti­nua sur la même lan­cée, avec sa tri­lo­gie sur Jésus de Nazareth [3] et ses entre­tiens avec le jour­na­liste alle­mand Peter Seewald [4]. Le Saint-​Père s’ex­pri­mait ain­si, en emprun­tant un canal non offi­ciel, par voie média­tique ou scien­ti­fique, et non plus par voie d’au­to­ri­té magis­té­rielle. Mais, aus­si sur­pre­nante que soit la nou­veau­té de ce pro­cé­dé, somme toute, ce genre d’in­ter­ven­tions qui res­taient encore plu­tôt rares et excep­tion­nelles pou­vait tou­jours se ran­ger dans la caté­go­rie clas­sique des écrits sim­ple­ment théo­lo­giques, où le Pape n’en­gage pas sa fonc­tion de Docteur suprême et s’ex­prime comme un théo­lo­gien par­mi d’autres. Force est de recon­naître qu’il n’en va plus exac­te­ment de même avec François. En effet, dès la pre­mière année de son pon­ti­fi­cat, celui-​ci prit assez vite l’ha­bi­tude de s’ex­pri­mer publi­que­ment en s’a­dres­sant à des jour­na­listes, ou même à des per­son­na­li­tés mar­quantes du monde la culture, dans le cadre d’en­tre­tiens, de dia­logues ou de confé­rences de presse impro­vi­sées [5]. La der­nière en date de ces ini­tia­tives a don­né lieu à la publi­ca­tion d’un livre fai­sant état des « ren­contres » du Pape avec Dominique Wolton [6].

3. Alors, pourrait-​on par­ler des « Propos de table » de François [7]? L’expression est bien connue. Elle désigne, dans l’œuvre de Martin Luther, tout ce que le réfor­ma­teur a pu dire en dehors de sa pré­di­ca­tion pro­pre­ment dite, en dehors de ses ser­mons et de ses homé­lies, mais aus­si en dehors de ses com­men­taires sur l’Écriture, de ses trai­tés théo­lo­giques ou de ses écrits de contro­verse. Ce sont des conver­sa­tions appa­rem­ment sans consé­quences, où Luther se contente de remuer des idées, en effleu­rant un peu tous les sujets. Mais c’est aus­si dans un pareil contexte que Luther pou­vait se don­ner la liber­té d’une cer­taine har­diesse de pen­sée, qui pou­vait ensuite faire tout son che­min dans les esprits. De manière sem­blable, ce que l’on pour­rait appe­ler les « pro­pos d’a­vion » [8] du Pape actuel sont deve­nus le moyen pri­vi­lé­gié d’une réflexion avant-​gardiste. Nous vou­drions indi­quer ici quelques exemples des sérieux pro­blèmes que ce nou­veau genre de « Magistère » pose, chez François, aux catholiques.

La Tradition : « Mouvement », « Conscience », et « dialogue » ?

4. Lors de la ren­contre du mois d’août 2016 avec Dominique Wolton [9], le Pape défi­nit la Tradition comme un « mou­ve­ment ». La Tradition dit-​il, c’est « la doc­trine qui est en che­min, qui avance » [10]. Et d’illus­trer aus­si­tôt son pro­pos : « Par exemple, à pro­pos de la peine de mort. Nos évêques ont décré­té la peine de mort au Moyen Âge. Aujourd’hui, l’Église dit plus ou moins – et on tra­vaille pour chan­ger le caté­chisme sur ce point – que la peine de mort est immo­rale [11]. La tra­di­tion a‑t-​elle donc chan­gé ? Non, mais la conscience évo­lue, la conscience morale évo­lue. C’est la même chose concer­nant l’es­cla­vage. Il y a des esclaves, mais c’est immo­ral. […] Dans la tra­di­tion dyna­mique, l’es­sen­tiel demeure : ne change pas, mais gran­dit. Grandit dans l’ex­pli­ci­ta­tion et la com­pré­hen­sion. Ces trois phases de Vincent de Lérins sont très impor­tantes. Comment gran­dit la tra­di­tion ? Elle gran­dit comme gran­dit une per­sonne : par le dia­logue, qui est comme l’al­lai­te­ment pour l’en­fant. Le dia­logue avec le monde qui nous entoure. Le dia­logue fait croître. Si on ne dia­logue pas, on ne peut pas gran­dir, on demeure fer­mé, petit, un nain. Je ne peux pas me conten­ter de mar­cher avec des œillères, je dois regar­der et dia­lo­guer. Le dia­logue fait gran­dir et fait gran­dir la tra­di­tion. En dia­lo­guant et en écou­tant une autre opi­nion, je peux, comme dans le cas de la peine de mort, de l’es­cla­vage, chan­ger mon point de vue. Sans chan­ger la doc­trine. La doc­trine a gran­di avec la com­pré­hen­sion. Ça, c’est la base de la tra­di­tion [12]

5. La réfé­rence que le Pape donne au Commonitorium est très vague. Saint Vincent de Lérins ne se contente pas de dire que le dépôt de la foi « gran­dit » ou « croît ». Il dit sur­tout que cette « crois­sance » de l’in­tel­li­gence du dogme doit se faire : « exclu­si­ve­ment dans la même croyance, dans le même sens et dans la même pen­sée [13]. » Cette der­nière pré­ci­sion a été lit­té­ra­le­ment reprise par le concile Vatican I : « La doc­trine de foi que Dieu a révé­lée a été pro­po­sée […] comme un dépôt divin confié à l’Épouse du Christ pour qu’elle le garde fidè­le­ment et le pré­sente infailli­ble­ment. En consé­quence, le sens des dogmes sacrés qui doit être conser­vé à per­pé­tui­té est celui que notre Mère la sainte Église a pré­sen­té une fois pour toutes et jamais il n’est loi­sible de s’en écar­ter sous le pré­texte ou au nom d’une com­pré­hen­sion plus pous­sée. « Que croissent et pro­gressent lar­ge­ment et inten­sé­ment, pour cha­cun comme pour tous, pour un seul homme comme pour toute l’Église, selon le degré propre à chaque âge et à chaque temps, l’in­tel­li­gence, la science, la sagesse, mais exclu­si­ve­ment dans leur ordre, dans la même croyance, dans le même sens et dans la même pen­sée » » [14]. Il n’est pas ques­tion ici de « dia­lo­guer » mais de « gar­der fidè­le­ment » et de « pro­po­ser infailli­ble­ment ». Autrement dit, la véri­table (et la seule [15] ) cause appro­priée de l’ex­pli­ci­ta­tion et de la meilleure com­pré­hen­sion des véri­tés révé­lées n’est autre que la pro­po­si­tion auto­ri­sée et infaillible du Magistère de l’Église. Et non un quel­conque « dia­logue » [16] avec le monde. Encore moins une « évo­lu­tion » de la conscience morale [17].

6. D’autre part, saint Vincent de Lérins indique clai­re­ment le cri­tère grâce auquel il est pos­sible de recon­naître l’é­tat plus expli­cite de la véri­table doc­trine catho­lique. « Dans l’Église catho­lique elle-​même », dit-​il encore, « il faut veiller soi­gneu­se­ment à s’en tenir à ce qui a été cru par­tout, tou­jours, et par tous. Car est véri­ta­ble­ment et pro­pre­ment catho­lique, comme le montrent la force et l’é­ty­mo­lo­gie du mot lui-​même, l’u­ni­ver­sa­li­té des choses. Et il en sera ain­si si nous sui­vons l’Universalité, l’Antiquité, le Consentement géné­ral. Nous sui­vrons l’Universalité, si nous confes­sons comme uni­que­ment vraie la foi que confesse l’Église entière répan­due dans l’u­ni­vers ; l’Antiquité, si nous ne nous écar­tons en aucun point des sen­ti­ments mani­fes­te­ment par­ta­gés par nos saints aïeux et par nos pères ; le Consentement enfin si, dans cette anti­qui­té même, nous adop­tons les défi­ni­tions et les doc­trines de tous, ou du moins de presque tous les évêques et les doc­teurs [18]. » Les théo­lo­giens s’en sont tous tenus à ce cri­tère, et par­mi eux, Franzelin et Billot en ont don­né une expli­ca­tion pré­cise et appro­fon­die, qui était encore clas­sique à la veille du concile Vatican II [19]. En témoigne l’in­ter­ven­tion des pères membres du Coetus, qui insistent sur l’im­por­tance de ce cri­tère à l’oc­ca­sion des remarques qu’ils font pour sou­li­gner les fai­blesses du sché­ma de la future consti­tu­tion Dei Verbum [20].

7. Le pro­pos du Pape intro­duit donc une grande confu­sion. La com­pa­rai­son entre la peine de mort et l’es­cla­vage est abso­lu­ment indue, si l’on se rap­pelle que l’Église a tou­jours et par­tout condam­né dans son prin­cipe l’ex­ploi­ta­tion tyran­nique de l’homme par l’homme, tan­dis qu’elle a tou­jours et par­tout légi­ti­mé, là aus­si dans son prin­cipe, la peine de mort [21]. On ne sau­rait donc révi­ser le Catéchisme sur ces deux points pris ensemble : si François se refuse à reve­nir sur la condam­na­tion de l’es­cla­vage, au nom de quoi prétend-​il reve­nir sur la légi­ti­ma­tion de la peine de mort ? Sinon, en défi­nis­sant la « Tradition », dans un sens nou­veau et évo­lu­tion­niste, comme l’ex­pres­sion de l’é­tat actuel de la conscience morale de l’hu­ma­ni­té ? Mais alors, quelle est cette « tra­di­tion » (avec un petit « t » minus­cule) que nous voyons si van­tée par le Saint-​Père ? Est-​ce vrai­ment là la sainte Tradition (avec un « T » majus­cule) assis­tée par l’Esprit de Notre Seigneur, celle de l’Écriture sainte et de la Tradition immuable de la sainte Église, ou est-​ce une « Tradition » selon les concepts et les convic­tions du néo-​modernisme, un moment arrê­té dans l’his­toire de l’après-​Vatican II ?

Mariage et « unions civiles »

8. Dans la suite de son dia­logue avec Dominique Wolton, le Pape, pour don­ner un exemple de dis­con­ti­nui­té au sein de la Tradition, fait allu­sion au mariage homo­sexuel. « Il ne faut pas confondre l’é­vo­lu­tion de la tra­di­tion, la com­pré­hen­sion pas­to­rale, avec la confu­sion sur la nature des choses. Que pen­ser du mariage ces per­sonnes de même sexe ? Le mariage est un mot his­to­rique. Depuis tou­jours, dans l’hu­ma­ni­té, et non pas seule­ment dans l’Église, c’est un homme et une femme. On ne peut pas chan­ger cela comme ça. […] On ne peut pas chan­ger ça. C’est la nature des choses. Elles sont comme ça. Appelons donc cela les unions civiles. Ne plai­san­tons pas avec les véri­tés. Il est vrai que der­rière cela il y a l’i­déo­lo­gie du genre. […] Disons les choses comme elles sont : le mariage, c’est un homme avec une femme. Ça, c’est le terme pré­cis. Appelons l’u­nion du même sexe union civile [22]

9. N’y aurait-​il là, dans l’in­ten­tion du Pape, qu’une simple ques­tion de mots ? La réponse se trouve un peu plus loin [23], lorsque François pré­cise à son inter­lo­cu­teur : « Je ne vou­drais pas que l’on confonde ma posi­tion sur l’at­ti­tude envers les per­sonnes homo­sexuelles avec le sujet de la théo­rie du genre. » En effet, aux yeux du pape, on ne peut pas chan­ger la nature des choses et le mariage est un mot employé pour dési­gner la réa­li­té natu­relle, telle que l’hu­ma­ni­té l’a tou­jours recon­nue : réa­li­té qui est celle de l’u­nion d’un homme avec une femme. On ne sau­rait donc uti­li­ser ce mot pour dési­gner l’u­nion de per­sonnes de même sexe, car nous sommes ici, avec les mots, sur le plan de la défi­ni­tion des choses. Voilà pour­quoi, sur ce plan même, la théo­rie (car il s’a­git bien d’une « théo­rie ») du genre cor­res­pond à une idéo­lo­gie. Il en va autre­ment si nous nous pla­çons sur le plan de la com­pré­hen­sion pas­to­rale, où il s’a­git de qua­li­fier l’at­ti­tude de l’Église à l’é­gard des per­sonnes, dans le contexte de la vie en socié­té. François en revient alors aux don­nées essen­tielles énon­cées par Amoris læti­tia, en son n° 291 : « L’Église se tourne avec amour vers ceux qui par­ti­cipent à sa vie de manière incom­plète », ain­si qu’au numé­ro sui­vant : « L’Église ne cesse de valo­ri­ser les élé­ments construc­tifs dans ces situa­tions qui ne cor­res­pondent pas encore ou qui ne cor­res­pondent plus à son ensei­gne­ment sur le mariage. » Autant dire que le plan de la réa­li­té natu­relle, avec les défi­ni­tions qu’il réclame, et celui de la com­pré­hen­sion pas­to­rale, sont abso­lu­ment hétérogènes.

10. C’est d’ailleurs bien là le vice fon­da­men­tal de cette « auto­no­mie de la conscience », qui est la colonne ver­té­brale de tout le Concile, et avec lui, de tout le post-​concile, prin­cipe et fon­de­ment de ce nou­veau Magistère qui s’est vou­lu « pas­to­ral ». La conscience est affran­chie de toute contrainte de la part des pou­voirs publics, sur le plan de la vie en socié­té. Le mariage et l’u­nion civile peuvent y coexis­ter paci­fi­que­ment, dans de justes limites, qui ne sont plus celles de la foi et de la morale. En somme, la poli­tique n’est plus en conti­nui­té avec la nature. Quoi qu’il en soit des réa­li­tés natu­relles, et des défi­ni­tions néces­saires qu’elles impliquent, la nou­velle doc­trine sociale de l’Église est réso­lu­ment per­son­na­liste : l’at­ti­tude envers les per­sonnes ne découle plus des prin­cipes de la nature. On peut bien refu­ser la théo­rie du genre, pré­ci­sé­ment en tant que théo­rie, comme contraire aux réa­li­tés natu­relles ; mais la pra­tique se charge d’ac­cep­ter ce que la théo­rie réprouve.

11. Dans le trai­té sur les péchés oppo­sés à la ver­tu de foi, lors­qu’il traite de l’hé­ré­sie, saint Thomas se demande s’il faut tolé­rer les héré­tiques [24]. La réponse tient dans une dis­tinc­tion. Autre est la per­sonne au sens méta­phy­sique d’un indi­vi­du doué d’une nature ration­nelle et autre est la per­sonne au sens poli­tique d’un prin­cipe d’o­pé­ra­tions. Du pre­mier point de vue, la per­sonne humaine mérite le res­pect, car elle est bonne onto­lo­gi­que­ment par­lant. Mais du deuxième point de vue, l’hé­ré­tique est prin­cipe d’hé­ré­sie, c’est-​à-​dire d’o­pé­ra­tions mora­le­ment mau­vaises, qui vont por­ter un pré­ju­dice grave au bien com­mun de l’Église, et ce, que l’hé­ré­tique soit de bonne ou de mau­vaise foi. On doit donc l’empêcher de vivre socia­le­ment, en tant qu’­hé­ré­tique, c’est-​à-​dire d’ex­pri­mer son héré­sie, même si la pru­dence peut com­man­der de le tolé­rer. Il doit donc y avoir une cer­taine conti­nui­té (ou une cohé­rence) entre ce que les choses sont et la manière dont on les traite pas­to­ra­le­ment, ou poli­ti­que­ment. L’illusion de François et de sa nou­velle « com­pré­hen­sion pas­to­rale » consiste à éta­blir un hia­tus entre les deux.

Du doute aux dubia

12. Depuis le Concile, ceux qui sont char­gés de pro­cla­mer la véri­té ont pris le par­ti de ne plus empê­cher l’ex­pres­sion publique de l’er­reur oppo­sée à cette véri­té, et de la lais­ser s’ex­pri­mer dans de justes limites, qui ne sont pas celles de la véri­té. Depuis Jean XXIII, « l’Épouse du Christ estime que plu­tôt que de condam­ner elle répond mieux aux besoins de notre époque en met­tant davan­tage en valeur les richesses de sa doc­trine (25). » Socialement par­lant, les hommes d’Église ravalent donc leur mes­sage au rang d’une simple hypo­thèse de recherche, offerte à la liber­té des consciences. Au dogme a ain­si suc­cé­dé, sur le plan de la pra­tique pas­to­rale, le doute, c’est-​à-​dire l’é­qui­va­lence sociale des contraires.

13. Ainsi s’ex­plique le nou­veau Magistère de Vatican II, où l’on a déjà cou­lé dans les cadres habi­tuels des docu­ments pon­ti­fi­caux et des formes tra­di­tion­nelles d’ex­pres­sion une pen­sée contraire à la Tradition. Ainsi s’ex­plique à pré­sent ce nou­veau style de Magistère, en dehors du Magistère, où le Souverain Pontife entre en dia­logue avec ses inter­lo­cu­teurs, pour expri­mer un point de vue par­mi d’autres, en ébran­lant par le fait même les cer­ti­tudes dog­ma­tiques et dis­ci­pli­naires de la Tradition de l’Église. Et voi­ci un Pape qui est sur le point de faire admettre socia­le­ment par les catho­liques la pra­tique de l’u­nion libre, de l’a­dul­tère, voire des unions contre nature. Semant le doute dans les esprits, il s’est atti­ré d’a­bord une mise en doute, avec les cinq Dubia et à pré­sent une mise en demeure, avec la Correctio filia­lis. Car la Tradition de l’Église demeure, mal­gré cette sub­ver­sion néo­ma­gis­té­rielle, à tra­vers l’é­cho que fait entendre le sens catho­lique de l’Église ensei­gnée. Echo de la voix de tous les Papes d’a­vant le Concile, et dont le Magistère condam­ne­ra tou­jours sans espoir ce reje­ton du modernisme.

Abbé Jean-​Michel Gleize, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

Sources : Courrier de Rome n° 602

Notes de bas de page
  1. Voir « Annexe à l’ar­ticle du PÈRE BASILE » dans L’Église, ser­vante de la véri­té. Regards sur le magis­tère. Essais réunis sous la direc­tion de Bruno Le Pivain, Ad solem, 2007, p. 220–224, qui reco­pie et résume l’Epitome juris cano­ni­ci de Vermeersch et Creusen de 1937.[]
  2. N’ayez pas peur, recueil d’en­tre­tiens avec André Frossard, paru en 1982 puis Entrez dans l’es­pé­rance, autre recueil d’en­tre­tiens avec Vittorio Messori, paru en 1994.[]
  3. Du Baptême dans le Jourdain à la Transfiguration, paru en 2007 ; De l’Entrée à Jérusalem à la Résurrection, paru en 2011 ; L’Enfance de Jésus, paru en 2012.[]
  4. Lumière du monde. Le Pape, l’Église et les signes des temps, paru en 2010 ; Dernières conver­sa­tions, paru en 2016.[]
  5. FRANÇOIS, « Interview avec le fon­da­teur du quo­ti­dien ita­lien La Repubblica » dans L’Osservatore roma­no, édi­tion heb­do­ma­daire fran­çaise (ORF) du 4 octobre 2013 ; PAPE FRANÇOIS, Paroles en liber­té, Éditions France Loisirs, 2016. Préface de Caroline Pigozzi. Introduction de Giovanni Maria Vian : l’in­ter­view avec Scalfari y est repris, p. 115–130.[]
  6. PAPE FRANÇOIS, Rencontres avec Dominique Wolton. Politique et socié­té, Éditions de l’Observatoire/​Humensis, 2017.[]
  7. Que toutes les âmes crain­tives de l’Internet et d’ailleurs se ras­surent : res­tant sauf le res­pect dû à la Chaire de Pierre et au Vicaire du Christ, nous recou­rons ici au pro­cé­dé de l’a­na­lo­gie, et, loin de vou­loir sug­gé­rer une iden­ti­té uni­voque entre le Pape et Luther, nous vou­lons seule­ment mani­fes­ter une res­sem­blance qui les relie l’un à l’autre sur un point très par­ti­cu­lier et iso­lé. Nous ne vou­lons pas dire que François est le nou­veau Luther du XXIe siècle. Nous vou­lons seule­ment dire que François recourt à un pro­cé­dé d’ex­pres­sion qui n’est pas sans rap­pe­ler celui auquel recou­rait le père de la Réforme. Et bien enten­du : omnis com­pa­ra­tio clau­di­cat.[]
  8. C’est en effet lors d’un vol en avion (le plus sou­vent au retour d’un voyage) que François a pris l’ha­bi­tude de répondre aux ques­tions des jour­na­listes.[]
  9. Elle est repro­duite au cha­pitre VII du livre déjà cité, p. 315- 350.[]
  10. Ibidem, p. 316.[]
  11. Plus loin, à la p. 337, il dit que « la tor­ture, c’est un péché ». La doc­trine de l’Église fait pour­tant ici une dis­tinc­tion impor­tante : ce qui est immo­ral, c’est de tor­tu­rer un inno­cent. Cf. Prümmer, Manuale theo­lo­giæ mora­lis, t. II, n° 119, p. 112–113. La peine sen­sible de l’Enfer n’est-​elle pas une tor­ture ? Et pour­tant, Dieu l’in­flige aux dam­nés : c’est de foi. Pour jus­ti­fier l’ap­pré­cia­tion de François, il fau­drait dire : soit que Dieu pèche en infli­geant la peine du feu de l’Enfer, soit que cette peine n’existe pas et n’est pas de foi. La pre­mière affir­ma­tion est un blas­phème et la deuxième est une héré­sie. « Ô bon Jésus, pardonnez- nous nos péchés et préservez-​nous du feu de l’Enfer ! ».[]
  12. Ibidem, p. 317–318.[]
  13. SAINT VINCENT DE LÉRINS, Commonitorium, livre I, n° 23, Migne latin, t. L, col. 668.[]
  14. Concile Vatican I, consti­tu­tion Dei Filius, cha­pitre I, DS 3020.[]
  15. L’Église ensei­gnée, avec son sen­sus catho­li­cus, tel qu’il peut s’ex­pri­mer dans la pro­fes­sion exté­rieure de la foi et de la dévo­tion, joue cer­tai­ne­ment un rôle à son niveau, mais c’est seule­ment le rôle d’une occa­sion, non d’une cause.[]
  16. L’idée du dia­logue est l’i­dée maî­tresse de l’Encyclique Ecclesiam suam de PAUL VI (6 août 1964), notam­ment au n° 86, où il est dit qu’il s’a­git de « décou­vrir des élé­ments de véri­té éga­le­ment dans les opi­nions des autres ».[]
  17. Au moment du concile Vatican II, lors de la 93e assem­blée géné­rale du 2 octobre 1964, Son Excellence Mgr Angelo Temiño Saiz avait deman­dé que l’on révi­sât le n° 8 du sché­ma de la future consti­tu­tion Dei Verbum (sur la Révélation divine et la Tradition). L’expression uti­li­sée (« Crescit enim tam rerum quam ver­bo­rum intel­li­gen­tia, tum ex contem­pla­tione cre­den­tium, qui eam confe­runt in corde suo, tum ex inti­ma rerum spi­ri­tua­lium expe­rien­tia ») pou­vait selon lui don­ner à croire que le pro­grès dog­ma­tique décou­le­rait exclu­si­ve­ment de l’é­vo­lu­tion de la conscience (Acta, vol. III, pars III, p. 236).[]
  18. SAINT VINCENT DE LÉRINS, Commonitorium, livre I, n° 2, Migne latin, t. L, col. 640.[]
  19. JEAN-​BAPTISTE FRANZELIN, La Tradition divine, Courrier de Rome, 2008, 4e sec­tion, thèses 22–26, tout par­ti­cu­liè­re­ment la thèse 24, p. 353–358 ; LOUIS BILLOT, Tradition et moder­nisme, Courrier de Rome, 2007, cha­pitres I et II, p. 1–90, sur­tout la 4e thèse du cha­pitre I, n° 52–72, p. 39–52.[]
  20. Interventions : du car­di­nal Ruffini, lors de la 91e assem­blée géné­rale du 30 sep­tembre 1964, Acta, vol. III, pars III, p. 144 ; du car­di­nal Browne, et de Mgr Ferro, lors de la 92e assem­blée géné­rale du 2 octobre 1964, Acta, vol. III, pars III, p. 188 et p. 207. « Veri nomi­nis pro­gres­sus tra­di­tio­nis intel­li­ga­tur opor­tet atten­tis præ­cla­ris ver­bis S. Vincentii Lirinensis : In ipsa catho­li­ca Ecclesia, magno­pere curan­dum est ut id tenea­mus, quod ubique, quod sem­per, quod ab omni­bus cre­di­tum est » (Mgr Ferro).[]
  21. Cf. PRÜMMER, Manuale theo­lo­giæ mora­lis, t. II, n° 118, p. 111–112.[]
  22. Ibidem, p. 321–322.[]
  23. Ibidem, p. 323.[]
  24. Somme théo­lo­gi­que, 2a2æ, ques­tion 11, article 3.[]

FSSPX

M. l’ab­bé Jean-​Michel Gleize est pro­fes­seur d’a­po­lo­gé­tique, d’ec­clé­sio­lo­gie et de dogme au Séminaire Saint-​Pie X d’Écône. Il est le prin­ci­pal contri­bu­teur du Courrier de Rome. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions doc­tri­nales entre Rome et la FSSPX entre 2009 et 2011.