Le bien ne fait pas de bruit. Dans la sainte Armorique, au Trévoux, un monastère de religieuses franciscaines est depuis longtemps tout donné aux choses de Dieu. Cette année marque le vingt-cinquième anniversaire de son installation. Voici le récit d’une journée de fête, pleine de cette joie si complète que l’on ne goûte qu’auprès des couvents.
En ce 21 août 2011, le chant d’action de grâces et de reconnaissance des Petites Sœurs de Saint François s’élève sous la voûte bleue de l’église conventuelle dédiée au Cœur Immaculé de Marie. Il y a vingt-cinq ans, elles arrivaient de Flavigny-sur-Ozerain, ancien berceau dominicain [1], en ce Domaine de Lanorgard, nouvelle terre bénie car ancien berceau des Sœurs de l’Immaculée, fondées en 1855 par mère Marie de Mélient. Devenu ensuite l’Aérium bien connu de Lanorgard, il fut laissé à l’état d’abandon. Mais sainte Anne veillait sur le fief de son enfant immaculée, et, en 1986, les Filles de Saint François en firent l’acquisition, le manoir retrouvant ainsi sa vocation primitive de maison de prière et de louange divine.
Revenons au 21 août dernier. Dans le monastère, les cloches carillonnent gaiement… Adeamus cum fiducia ad thronum gratiæ, dit l’introït de la messe : approchons avec confiance du trône de la grâce. De fait ils sont venus nombreux, parfois de loin, pour témoigner leur reconnaissance et leur attachement au monastère : fidèles, bienfaiteurs, membres du Tiers Ordre franciscain, amis… Dans la foule se détache l’habit blanc des dominicaines enseignantes de l’école primaire de Brest, Stella Maris. Sous la bannière du Cœur Immaculé de Marie, on aperçoit aussi une délégation de jeunes filles et fillettes de la Société Saint-André [2] (S.A.S.) venues apporter le concours de son joyeux et efficace dévouement.
Dans la journée viendront encore des personnalités locales : le maire de la commune et le peintre attitré de toutes les rénovations du monastère !
Haut les cœurs
À 10 h 30, l’abbé Régis de Cacqueray, supérieur du district de France, chante la messe votive solennelle du Cœur Immaculé de Marie. L’abbé Philippe François, nouvel aumônier du monastère, fait fonction de diacre, tandis que l’abbé Roland de Mérode, ancien aumônier en partance pour le prieuré de Lourdes, est sous-diacre. Dans le sanctuaire, l’abbé Ruchot, au monastère depuis de longues années, est présent et, parmi les soutanelles rouges, on remarque deux petites bures capucines sous les cottas…
Si « c’est un honneur et une joie, pour l’abbé de Cacqueray – selon ses paroles – de célébrer cette messe d’action de grâces du Cœur Immaculé en ces vingt-cinq années de présence franciscaine en cette propriété », ce ne l’est pas moins pour la communauté des Petites Sœurs de le voir accepter leur invitation et de l’accueillir en ce jour.
Dans son homélie, le supérieur de district évoque le souvenir de l’abbé Louis Coache, l’un de ces premiers vétérans de la Tradition, dont cette journée marque également le dix-septième anniversaire du rappel à Dieu et dont la sœur de sang, mère Thérèse Marie, fut, par sa fidélité, à l’origine de l’établissement des Petites Sœurs de Saint François en Bretagne, laissant à la Fraternité Saint-Pie X la magnifique propriété de Flavigny pour y installer un séminaire. Signe profond, d’une part, de la fécondité de la vie de ces Sœurs franciscaines qui prient et s’offrent pour obtenir de ferventes vocations sacerdotales et religieuses et, d’autre part, des liens spirituels qui unissent cette communauté et la Fraternité Saint-Pie X. Liens qui n’ont cessé de se renforcer, au cours de ces dernières années, au fur et à mesure qu’elles ont dû faire appel au ministère des prêtres de cette Fraternité comme aumôniers…
Mais, en cette veille du 22 août, l’abbé de Cacqueray n’hésite pas à élever plus haut le regard des fidèles : dès cette terre, il existe un lieu qui ne passe pas et où il fait bon habiter. C’est le Cœur de Marie, paradis de la terre, façonné par Dieu de toute éternité.
Ce Cœur très pur, ce Cœur immaculé, l’Église n’hésite pas à le contempler dans sa réalité de chair. Le cœur n’est-il pas le siège de la passion de l’amour ? Que dire, alors, du Cœur de Marie, « fournaise toujours plus brûlante de charité divine » ? Allons à elle, allons en son Cœur et là, que se réalise pleinement le vœu adressé à notre communauté : « Que chaque religieuse tende toujours plus à être une hostie soumise en tout au bon plaisir divin ; que chaque religieuse vive toujours plus enfouie dans le Coeur de Marie. » Mais, concrètement, qu’est-ce qu”« habiter le Coeur de Marie » ? Pour cela, il nous suffit de regarder la fonction du cœur humain. Il est la « maison du sang ». Après son parcours dans le corps, le sang revient chargé de toxines, et le cœur le purifie, le refait. Ainsi en est-il pour nous dans notre vie spirituelle. Il nous faut sans cesse revenir au Coeur de notre Mère chargés de nos misères et de nos lourdeurs, pour être purifiés et repartir guéris, consolés, remplis de force et d’amour. Oui, il est une demeure sur la terre qui ne change pas, qui est bien plus notre maison que celle où l’on est né et où l’on vit. C’est le Coeur de Marie, ce Coeur où est notre maman, ce Coeur où nous sommes chez nous dès ici-bas et où nous serons pour toujours au Ciel. Qui a jamais entendu dire qu’aucun de ceux qui ont eu recours à sa protection et réclamé ses suffrages ait été abandonné ? Alors, prenons avec ferveur cette corde qu’est le rosaire et suivons-en doucement, patiemment, les cent cinquante-trois grains qui nous mèneront infailliblement au Cœur de Marie… Que cette dévotion ne demeure pas pour nous un mot sans répercussion sur nos âmes… « Et dès cette heure-là, le disciple la prit chez lui – in sua. » (Évangile du jour).
Quand ça fume dans l’église, ça fume à la cuisine…
Ite missa est… Les cloches sonnent à toute volée. Le Magnificat jaillit de tous les cœurs. Les fidèles se retrouvent sur la vaste terrasse pavoisée aux couleurs de Marie et bordée du monastère et de la chapelle, toute blanche sous le ciel bleu.
Cet après-midi, sous le regard de l’Immaculée, la Vierge du puits, Notre Dame de Lourdes, ils pourront se détendre et s’adonner aux jeux variés préparés par les Petites Soeurs. Mais auparavant, il faut songer à refaire ses forces !
Dans une vaste pièce claire, ornée de fleurs, une table de vingt-huit couverts est dressée, avec serviettes en bonnet d’évêque, et la salle à manger « de la Sainte Famille » accueille également une vingtaine de personnes. Pour les autres, c’est le « repas tiré du sac » avec assortiment au choix de pizzas, gâteaux, glaces, boissons… sans oublier les traditionnelles crêpes faites sur place par un véritable Breton !
À 14 h 15, la cloche appelle aux jeux. Enfants et adultes, ayant gardé un cœur d’enfant, y font honneur ! Après le ticket d’entrée, il suffit… « d’entrer dans la danse » ! Jeux d’adresse, jeux d’équilibre, bicyclettes (bien franciscaines au regard de la pauvreté !), trottinettes, quilles, fléchettes, par quelles épreuves ne faut-il pas passer avant d’affronter le parcours du combattant ! Mais que ne ferait-on pas pour gagner le lot convoité ? Maquette de bateau, playmobils, poupées, boîtes décorées… Autant d’objets qui font l’avidité et la joie des enfants.
Aux jeux, l’on voit parfois de jeunes pères de famille aider leurs plus petits dans les moments périlleux, ou les prendre dans leurs bras pour sauter l’obstacle, tout en leur laissant la joie de la victoire. Délicieux tableau illustré de l’enfance spirituelle !
Plus calme mais non moins attrayante, la pêche miraculeuse fait les délices des tout-petits, tandis que les « personnes sages » réalisent leurs rêves à la brocante ou à l’achat de piles de livres sous lesquelles nous les verrons bientôt ployer.
Sous les tilleuls, un lapinodrome galvanise le désir des plus jeunes ! En fin de journée, toutefois, le gagnant remportera… un canard de la basse-cour.
De son côté, la Petite Soeur jardinière offre son panier de fruits et légumes à celui dont l’estimation approche le plus des 15 kg 720, poids net ! Haricots, pommes de terre, courges, aubergines, poivrons, poireaux, carottes…
Par-delà les murs de pierre de la clôture, serait-ce la terre de Canaan ? La paix de la Terre Promise, héritage de ceux qui ont tout quitté ? Oui ! Mais chaque récolte est le fruit d’un dur labeur obtenu à la sueur du front. Le temps où les ronces montaient à l’assaut des fenêtres n’est pas si éloigné. 25 ans ! Deux séances de projection retracent l’épopée de ces temps héroïques… Devant le travail accompli, la pluie de grâces visibles et invisibles accordée, le Magnificat s’élève vers Dieu, auteur de tout bien.
De l’action de grâces à la grâce de l’action 17 h 30…
Les cloches nous appellent à la prière. Comme l’abeille à la fleur, ne devons-nous pas sans cesse revenir au Cœur de notre Père et de notre Mère du Ciel pour nous purifier ? Louange divine des Vêpres. Action de grâces pour cette journée merveilleuse, baignée de joie et de simplicité franciscaines. Prière reconnaissante pour l’abbé de Cacqueray et pour tous ceux qui ont aidé par leur charité discrète et inlassable, parents des religieuses et amis. Dévouement avant, pendant et… après ! Car, le lendemain, la vie reprend son cours et une retraite montfortaine commence, la première prêchée en nos murs, avec vingt-neuf retraitants ! Le groupe de la S.A.S., pour mieux prêter mains fortes, passe la nuit au monastère. Fidèle reflet de la charité rayonnante de Notre Dame, selon sa belle devise : « Mère, que celui qui me regarde Vous voie. »
Le soir tombe sur le monastère. Aux Complies, les Petites Soeurs chantent le Salve Regina… Dernière envolée vers le Cœur de Marie ! Puis c’est le grand silence.
21 août 2011 : journée d’action de grâces que le ciel garda longtemps inscrite dans les mille feux d’un coucher de soleil flamboyant. Soleil couchant qui, sans souci de disparaître, embrasa l’horizon des mille nuances de notre gratitude heureuse, symbole de l’action de grâces de nos cœurs qui, elle non plus, ne voudrait pas s’éteindre et chantera toujours, unie à celle de notre Mère en son Cœur Immaculé : Magnificat !
Les Petites Sœurs de St François
Merci à M. l’abbé Toulza et à Fideliter pour l’autorisation de publication
- La maison Lacordaire, à Flavigny, est aujourd’hui un séminaire de la Fraternité. Mais elle fut jusqu’en 1986 le lieu de prières de la communauté des Petites Sœurs de Saint-François, qui ont quitté cet endroit pour s’installer en Bretagne.[↩]
- Voir Fideliter n° 195 (mai-juin 2010), pages 56 et ss.[↩]