Le pape Jean XXIII, interrogé un jour pour savoir combien de personnes travaillaient à la curie, répondit (rapporte la rumeur) : « Oh ! à peu près la moitié. »
Cette classique plaisanterie romaine est un assez bon résumé des critiques qui, tout au long des siècles, furent élevées contre « l’incurie romaine. » On a beaucoup brocardé sa lenteur, son inefficacité, sa lourdeur, sa vénalité, son étroitesse d’esprit, son esprit de cour, ses passe-droits, etc.
Ces critiques ne sont pas toutes infondées. Institution humaine, la curie a inévitablement des défauts. Majoritairement peuplée d’Italiens, elle reflète les traits de ce peuple, donc éventuellement les moins bons. De plus, au cours du temps et de l’histoire, elle a forcément connu des hauts et des bas, des heures de gloire et des moments de décadence. Cependant, ces critiques ne sont pas toutes pertinentes, car elles tendent à oublier le statut même et le but de la curie.
Sa lenteur proverbiale, par exemple, n’est pas due exclusivement, ni même premièrement, au farniente italien : il s’agit d’une véritable stratégie diplomatique, parfaitement voulue et pensée. « Roma aeterna », affirme le dicton, Rome a l’éternité pour elle et elle sait que le temps travaille déjà pour elle.
Par ailleurs, et plus fondamentalement, la critique de la curie prend essentiellement sa source, non dans ses démérites réels ou supposés, mais bien dans son statut propre : être le principal instrument de la papauté. C’est bien le « gouvernement des prêtres », le sacerdoce, le siège apostolique, l’Église, qui sont attaqués, de façon plus ou moins hypocrite, par la plupart des critiques. Ce n’est donc pas l’inefficacité de ce bras armé du pape, c’est au contraire son efficacité pour la diffusion du règne de Dieu qui est le plus ordinairement visé par ces reproches.
En vérité la curie, sans doute humaine et trop humaine, et bien qu’il existe en son sein des moutons noirs, repose sur un véritable dévouement, une dévotion même, à l’égard du souverain pontife. Que l’on songe qu’elle réussit à régir aujourd’hui une Église de plus d’un milliard de baptisés avec moins de 3 000 fonctionnaires mal payés, quand la seule ville de Paris en mobilise plus de 45 000 pour un peu plus de deux millions d’habitants.
Cependant, comme la curie n’est jamais que l’émanation du successeur de Pierre, s’applique à elle le principe : « Tant vaut le pape, tant vaut la curie ». En tenant compte, évidemment, des résistances dues aux clans et aux intérêts, c’est le souverain pontife qui donne l’impulsion à la curie, nomme ses responsables et forme son esprit. On ne peut, évidemment, comparer la curie d’un saint Grégoire le Grand, d’un saint Grégoire VII ou d’un saint Pie X avec celle d’un Jean XI au Xe siècle ou d’un Alexandre VI Borgia au XVI°.
Dans la crise actuelle, la curie est donc forcément à l’image des papes qui se succèdent, eux-mêmes imprégnés plus ou moins de l’esprit de Vatican II. Chaque fois que la curie, à la suite du pape, agit dans le droit fil de la Tradition, elle peut bien faire, les circonstances étant seules responsables d’un éventuel échec. Chaque fois qu’elle agit en vertu de faux principes, il est certain qu’elle fait mal, nonobstant toute bonne volonté.
C’est seulement par l’élimination des erreurs dont nous mourons aujourd’hui que pourra un jour advenir, et le plus tôt possible, la pleine restauration de la curie, comme de l’Église elle-même.
Abbé Régis de Cacqueray †, Supérieur du District de France
Source : Fideliter n° 199