Ce numéro de Fideliter présente des figures d’hommes politiques de l’époque moderne qui, en des lieux et dans des circonstances extrêmement différents et difficiles, ont montré de la grandeur d’âme, des vertus naturelles et parfois de l’héroïsme chrétien. Ils se sont efforcés d’œuvrer en faveur du respect de la loi naturelle et ils ont favorisé l’ordre et l’essor du catholicisme autant qu’ils en avaient la possibilité. Outre l’importance de recueillir les leçons qu’ils nous donnent – même si nous admettons volontiers certaines objections qui peuvent être faites à quelques uns de leurs choix – notre revue a privilégié des figures qui appartiennent à un passé encore proche. Bien sûr, l’on pourrait penser qu’il est suffisant de transmettre des principes de droiture et de grandeur sans se sentir obligé de donner des exemples. Si les héros sont conspués par les sociétés, faut-il seulement prendre le risque de s’y référer et de les proposer à nos enfants ? Ou, s’il faut leur en donner, pourquoi ne pas se contenter d’en exhumer de plus anciens qui ne remueront plus des passions que l’on dit apaisées par le temps ?
Cependant, si nous ne donnons plus d’exemples, nous arriverons bientôt à un point d’abstraction et de désincarnation rendant l’idéal que l’on enseigne désespéré car réputé inaccessible. Ou ne sera-t-on pas en droit de penser, s’il faut remonter plusieurs siècles pour dénicher des noms de catholiques dignes d’être cités, que notre religion et notre sang ont fini par devenir stériles ? Qui dira, les yeux dans les yeux, à la génération suivante : « Enfants, suivez donc nos principes mais ne nous demandez pas de modèles car la grâce a cessé d’agir ; la vertu d’exister » ? Pour rendre la vérité introuvable, il n’est que de supprimer les exemples qui l’illustrent ; pour ne plus croire en une Église sainte, de seulement montrer qu’elle ne sanctifie plus. Et les cœurs n’ont-ils pas cessé d’aimer les patries de la terre parce qu’ils n’ont plus connu ces grands noms de leur sang leur signifiant comme il est beau de les servir ?
L’on peut toujours continuer à tout ignorer de cette tragédie, à s’étourdir et à plaisanter quand croulent les sociétés et meurent les âmes ! Le redressement des catholiques a toujours été contré par la classe de ses « modérés » effarouchés des idées un peu libres, des figures un peu fières. Les catholiques modérés portent une grande part de responsabilité dans l’explication de l’avilissement de notre civilisation. Ils se soutiennent si fort les uns les autres qu’il est très difficile d’échapper à la nasse de modération et de stérilisation où ils voudraient tant pouvoir retenir tous les catholiques. Il leur est donc nécessaire d’arborer un visage plutôt compréhensif et indulgent en face de la situation de l’Église et de la société. Même s’ils en sont parfois eux-mêmes effrayés, ils se gardent de trop l’afficher : à trop l’avouer, ne risquent-ils pas de favoriser des idées et des solutions plus radicales et de perdre le contrôle de la nasse ? Bien sûr, ils aimeraient quand même que ne fût pas mise en péril l’existence de leur cocon et ils voudraient tant qu’on les persuadât de la viabilité de leur compromis douillet entre l’Évangile et le monde…
Mais le coup d’arrêt à la décadence ne sera pas donné par la tiédeur et par l’insouciance. Il faut cesser d’espérer si nous ne nous reprenons pas et si nous ne nous éloignons pas des vérités diminuées et des modèles affadis : « Je mesure tout votre malheur. Vous avez absolument besoin que la vérité soit confortable, et il y a une certitude non moins absolue qu’elle ne le sera jamais » disait déjà André Charlier à ses élèves.
Quelle génération de catholiques pourrait bien nous succéder si nous ne présentons plus, à l’admiration et à la vénération de ceux qui nous suivent, que le spectre de l’Église et l’ombre de la France ? A‑t-on déjà vu que l’on embrassait des fantômes, que l’on vivait et que l’on mourait pour eux ? Élève-t-on les cœurs dans l’enseignement de la honte du passé, dans le mépris des patries spirituelle et charnelle ? Et il n’est pas moins nécessaire, pour que vivent et l’Église et les patries, de dire et les noms des saints du Ciel et ceux des chefs des cités terrestres qui se sont efforcés de remplir dignement leur devoir.
Ne rougissons pas d’apprendre leurs noms à nos enfants !
Abbé Régis de Cacqueray †, Supérieur du District de France
Source : Fideliter n° 201