Immigration – Charité personnelle et charité politique

L’Europe vient d’ac­cueillir en quelques mois, bon gré mal gré, plus d’un mil­lion d’im­mi­grants, en pro­ve­nance prin­ci­pa­le­ment de pays isla­miques. C’est un fait assez mas­sif pour être au centre des conver­sa­tions, de nom­breux articles de presse, de décla­ra­tions poli­tiques de tous bords. C’est pour­quoi il m’a sem­blé utile qu’une courte syn­thèse doc­tri­nale sur cette ques­tion de l’im­mi­gra­tion soit réa­li­sée pour cette Lettre, « Un regard chré­tien sur l’im­mi­gra­tion », occa­sion d’une réflexion à par­tir de la doc­trine des papes et des théologiens.

D’autant que, depuis de longues années, la parole des évêques fran­çais sur ce sujet se réduit presque à répé­ter comme un leit­mo­tiv la phrase de l’Évangile : « J’étais un étran­ger et vous m’a­vez accueilli » (Mt 25, 35). Il est incon­tes­table que cette phrase repré­sente un élé­ment clé d’un regard chré­tien sur l’im­mi­gra­tion. Mais lors­qu’elle est consi­dé­rée comme apte à expri­mer seule l’es­sen­tiel d’une posi­tion sup­po­sée « chré­tienne » sur l’im­mi­gra­tion, il s’a­git d’une erreur pro­fonde. Le prin­cipe de « l’ac­cueil incon­di­tion­nel de l’autre », qui consti­tue comme le « fond de sauce » de la doxa épis­co­pale fran­çaise sur l’im­mi­gra­tion, n’est en véri­té abso­lu­ment pas suf­fi­sant pour cela.

Au cœur de cette insuf­fi­sance de la doc­trine épis­co­pale fran­çaise, me semble-​t-​il, on trouve une absence de dis­tinc­tion entre la cha­ri­té (ou la jus­tice, selon les cas) indi­vi­duelle et la cha­ri­té poli­tique. La pre­mière vise pre­miè­re­ment le bien de la per­sonne (et, à tra­vers elle, une part du bien com­mun), la seconde le bien com­mun (et, à tra­vers lui, le bien de toutes les personnes).

Un exemple simple suf­fit à faire com­prendre cette dis­tinc­tion. Si un mal­heu­reux mou­rant de faim se pré­sente chez moi, je vais le nour­rir ; si même il vole un pain dans ma réserve, je vais cha­ri­ta­ble­ment fer­mer les yeux : cela relève de la cha­ri­té indi­vi­duelle. Mais si 500 mal­heu­reux se pré­sentent devant ma mai­son, je ne vais pas les nour­rir ; s’ils com­mencent à piller ma réserve, je vais me défendre pour pro­té­ger ma vie et ma famille, je vais appe­ler la police, les auto­ri­tés publiques inter­vien­dront pour mettre de l’ordre et trou­ver des solu­tions, etc. : cha­ri­té poli­tique.

La notion de « cha­ri­té poli­tique » est en réa­li­té essen­tielle pour abor­der une ques­tion comme l’im­mi­gra­tion qui touche, non seule­ment aux rela­tions entre les indi­vi­dus, mais direc­te­ment au bien com­mun. Méconnaître que la cha­ri­té poli­tique soit la plus haute des cha­ri­tés, parce qu’elle s’a­dresse à plus d’hommes et leur fait un bien plus excellent, voi­là sans doute l’une des prin­ci­pales carences du dis­cours chré­tien cou­rant sur l’immigration.

Abbé Christian BOUCHACOURT, Supérieur du District de France de la FSSPX

Source : Lettre à nos frères prêtres n° 68 de décembre 2015

FSSPX Second assistant général

Né en 1959 à Strasbourg, M. l’ab­bé Bouchacourt a exer­cé son minis­tère comme curé de Saint Nicolas du Chardonnet puis supé­rieur du District d’Amérique du Sud (où il a connu le car­di­nal Bergoglio, futur pape François) et supé­rieur du District de France. Il a enfin été nom­mé Second Assistant Général lors du cha­pitre élec­tif de 2018.