La maladie et la souffrance sont le moyen privilégié pour le chrétien de s’unir à son Sauveur. Le monde s’offusque de ce que même les justes sont affligés, parce qu’il ignore la véritable miséricorde divine.
« Le fait même que les justes subissent des peines en ce monde prouve la justice et la miséricorde de Dieu ; car par ces afflictions ils sont purifiés de leurs fautes légères ; ils s’élèvent au-dessus de l’amour des choses terrestres pour se rapprocher de Dieu, selon ces paroles de saint Grégoire : « Les maux qui nous pressent ici-bas nous obligent à nous réfugier vers Dieu » », dit saint Thomas d’Aquin [1]. Ce dossier de Fideliter le montre à l’envi.
Une maladie mortelle
Mais la maladie ne fait pas nécessairement souffrir. Certaines affections qui ne sont pourtant pas des altérations organiques peuvent néammoins gravement nous troubler : elles gâtent notre jugement, vicient nos appréciations, atteignent notre intelligence.
Et pourquoi ? L’intelligence meurt lorsqu’elle n’est plus capable d’exercer sa fonction propre : juger. Pour cette faculté, vivre c’est penser et penser c’est juger. Pour la plupart de nos contemporains, pour nous peut-être aussi, les moyens de communication sont devenus de véritables abreuvoirs. La gourmandise n’y a aucune limite. On s’y plonge avec frénésie ; on dévore la dernière nouvelle ; on goûte le fait du jour aussi sordide soit-il ; on se bâfre d’annonces publicitaires ; on picore dans les discours de tel ou tel personnage, mais sans les consommer jusqu’au bout ; on butine sur les images plus ou moins propres ; on épilogue sur l’un ou l’autre journaliste, chef d’entreprise, ministre, prêtre, évêque… au bout du compte l’imagination est pleine d’informations gigantesques sans aucun discernement ; elle est bourrée de sensations sans aucun lien.
La voilà, la grande maladie de nos temps actuels, la nouvelle peste. La peste noire avait fait, de 1347 à 1352, environ vingt-cinq millions de victimes en Europe. Combien de victimes cette nouvelle peste fera-t-elle ? Elle est mortelle parce qu’elle diminue, affaiblit, gâte le jugement et par là pourrit la vie sociale.
Avec l’abreuvoir informatique, tout se vaut
Quel est donc ce mal ? Ce n’est pas tant que l’intelligence ne fonctionne plus, c’est qu’elle fonctionne toujours de travers. Revenons encore à saint Thomas d’Aquin. Dans son exposé sur la vertu théologale de foi, il développe le fonctionnement de notre intelligence, et c’est bien normal puisque cette vertu y réside. Ce génie, jamais subverti par les apparences sensibles, précise que nous sommes capables d’une part de réflexion ou de cogitation et d’autre part de jugement ou d’assentiment. On peut très bien, dit-il, faire l’un sans l’autre. Mais alors l’intelligence se met dans des états différents. Ainsi celui qui doute est capable d’assentir. Il tergiverse, il tourne et retourne les arguments, il réfléchit, il cogite, mais n’aboutit pas.
Evidemment, on peut très bien ni cogiter ni assentir : on est tout simplement ignorant, dit le docteur angélique. Mais au contraire on peut être dans cet état tout à fait particulier de cogitation parfaite en même temps que d’assentiment parfait. Etrange ? Non – c’est justement le jugement de foi, par lequel nous croyons à Dieu de façon absolument certaine sans aucune évidence de ce que nous croyons. Croire, dit saint Augustin, c’est « cogiter avec assentiment ».
Mais il y a encore un autre état intellectuel. On peut bien cogiter et aboutir, mais sans vraiment de conviction. On pense bien que ceci pourraît être tel, mais après tout, cela pourraît bien être le contraire. On est fiscé – oui – mais légèrement. En fait on n’est pas très fixé. On doute ? – Non, car on est fixé, mais… ! C’est le funeste soupçon. Le voilà, le mal dont tous sont atteints. Dans l’abreuvoir informatique, toutes les informations ont la même importance ou plutôt n’en ont plus aucune. Toutes les nouvelles sont bonnes à prendre. Après tout, qui sait ? L’autorité n’a pas plus d’importance que le pigiste, l’enfant que le maître. C’est “égalisation totale. Ce n’est plus le prêt à penser, c’est l’absence de pensée. La vérité a tout bonnement disparu de l’horizon intellectuel, on sombre dans le relativisme sans plus aucun repère.
Délivrez-nous du mal
Songeons alors à nous préserver de ce mal funeste qui ronge comme une gangrène notre temps. « Evitons les discours profanes qui gâteront peu à peu ce qui est sain comme un cancer », dit saint Paul à Thimothée. En conclusion, disons du fond du cœur : « Notre Père, délivrez-nous du mal ».
Abbé Benoît de Jorna, Supérieur du District de France de la FSSPX
Sources : Fideliter n° 249
- Somme théologique I, q. 21 a. 4 ad 3[↩]