L’abbé Grégoire Celier, de la Fraternité Sacerdoptale Saint-Pie X, commente la décision du Conseil d’Etat relative au burkini. du 23 septembre 2016.
– Certains ont rapproché « l’affaire du burkini » de la question du port de la soutane. Peut-on évoquer le port de ces deux vêtements à connotation religieuse en les mettant sur le même plan ?
– Effectivement, on peut faire ce rapprochement, même s’il paraît audacieux. Dans l’effervescence de l’après Séparation de l’Eglise et de l’Etat, certains maires anticléricaux ont pris des arrêtés pour interdire le port de la soutane sur l’étendue de leur commune. Ces arrêtés ont été systématiquement cassés par le Conseil d’Etat. Il n’était donc pas très difficile de prévoir la décision récente du Conseil d’Etat à propos du burkini, dans la droite ligne de sa doctrine constante.
– Quelle est cette doctrine du Conseil d’Etat ?
– C’est tout simplement la doctrine réelle, et non fantasmée, de la laïcité française. Il faut bien comprendre, en effet, que la loi de 1905 est le point d’orgue de la laïcisation des institutions publiques : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » (article 2). En revanche la société civile, dans la conception française de la laïcité, n’est aucunement laïque. Elle est, au contraire, le lieu légitime d’expression des diverses opinions et de leur paisible confrontation : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public » (article 1).
N’importe quel citoyen, dans l’espace public, peut donc manifester librement ses opinions religieuses avec une soutane, une calotte ou un burkini, comme chacun peut exprimer ses opinions politiques avec un drapeau rouge ou la flamme tricolore du Front national, pourvu qu’il respecte ce qu’on pourrait appeler des « règles de savoir- vivre politique ».
En revanche, un représentant de la puissance publique (un policier, un militaire, un agent administratif, etc.) doit conserver la neutralité et ne pas manifester par un vêtement, un insigne, un tatouage, etc. qu’il soutient telle opinion particulière.
Un arrêté insuffisamment motivé
– Il était donc logique que le Conseil d’Etat casse tout arrêté municipal interdisant le burkini ?
– Le Conseil d’Etat n’a pas décidé que, d’une façon absolue, le burkini ne pouvait être interdit par un arrêté municipal : il a affirmé, avec raison, que l’arrêté attaqué n’était pas suffisamment motivé et, de ce fait, restreignait indûment des libertés fondamentales. Dans un cas précis, et avec des limites raisonnables de temps et de lieu, l’arrêté d’une municipalité prohibant le burkini (ou la soutane) avec un fondement suffisant, en rapport direct avec le maintien de l’ordre public, pourrait sans doute être validé par le Conseil d’Etat. Si, par exemple, comme à Sisco, une bagarre éclatait sur une plage entre des porteuses de bikini et des porteuses de burkini, le maire pourrait probablement, sur cette plage précise et pour une durée limitée (le temps que les esprits se calment), proscrire le bikini et le burkini. Mais interdire de façon générale et illimitée, c’est mettre en péril des libertés constitutionnelles fondamentales, comme la liberté d’expression, la liberté d’aller et de venir, que la puissance publique, dans le système politique actuel, a précisément pour objet de protéger.
Quelles réactions devant la soutane ?
– Vous qui portez la soutane dans l’espace public, voyez-vous une évolution dans la façon dont les gens réagissent dans la rue à la vue de ce vêtement ?
– Lorsque je suis revenu à Paris il y a vingt ans et que j’ai recommencé à circuler dans les transports en commun tout en portant la soutane, il y avait un fond général d’indifférence, un peu de curiosité et quelquefois une certaine hostilité (même si, vu mon poids et ma taille, je n’ai jamais été agressé au sens propre). Le fond d’indifférence et de curiosité (par exemple chez les jeunes enfants) est toujours présent mais, depuis quelques années, en fait depuis le moment où les Français ont commencé à comprendre que le terrorisme islamique allait les frapper, j’ai constaté un certain changement. Dans les regards, dans les attitudes, parfois dans les mots, les gens se sont mis à exprimer à peu près ceci : « Nous ne sommes sans doute pas pratiquants, peut être même pas croyants, mais vous, vous représentez notre civilisation, notre histoire, notre culture, nos valeurs, tandis que « les autres » sont nos ennemis. Alors, on vous soutient et on vous félicite de vous afficher comme prêtre, publiquement. »
– Constatez-vous des réactions encore plus marquées depuis le martyre du père Hamel ?
– Depuis ce moment, les gens s’expriment encore beaucoup plus clairement. Des personnes qui m’auraient croisé sans rien dire il y a quelques mois prennent désormais la peine de saluer le prêtre qu’ils rencontrent. Des hommes, des femmes issus apparemment de pays musulmans viennent s’excuser de ce qu’ont fait ces lâches assassins et affirmer à un ecclésiastique en soutane qu’ils ne partagent aucunement cette idéologie de mort. Et, de façon plus générale, les gens s’adressent désormais plus facilement au prêtre pour lui demander, en particulier, de prier à leurs intentions.
Sources : Présent/Propos recueillis par Anne Le Pape anne-le-pape@present.fr/La Porte Latine du 23 septembre 2016