Dans un livre paru le 7 décembre, le cardinal Caffarra évoque les cinq périls pour l’Eglise d’aujourd’hui

Deux évé­ne­ments inté­res­sants se sont pra­ti­que­ment pro­duits ce même jour du 7 décembre.

D’une part la publi­ca­tion aux « Acta Apostolicae Sedis » de ce qui se pré­sente comme l’in­ter­pré­ta­tion offi­cielle et défi­ni­tive du contro­ver­sé cha­pitre huit d’Amoris lae­ti­tia, en faveur de la com­mu­nion des divor­cés remariés.

De l’autre la sor­tie d’un livre conte­nant des homé­lies et des articles du car­di­nal Carlo Caffarra, décé­dé le 6 sep­tembre der­nier, l’un des quatre car­di­naux qui avaient sou­mis au Pape François leurs très sérieux « dubia » sur ce même chapitre.

La pre­mière de ces deux publi­ca­tions est parue début décembre, avec la sor­tie de l’é­di­tion impri­mée du nou­veau volume des « Acta » offi­ciels du Saint-​Siège. Mais la déci­sion d’y faire figu­rer la lettre dans laquelle le pape approuve les cri­tères adop­tés par les évêques de la région de Buenos Aires pour l’ap­pli­ca­tion du cha­pitre huit d’Amoris lae­ti­tia remonte à six mois aupa­ra­vant, au 5 juin der­nier. C’est ce jour-​là que François a ordon­né au Cardinal secré­taire d’Etat Pietro Parolin de pro­cé­der à la publi­ca­tion offi­cielle de ces deux docu­ments, la lettre du pape et le texte des évêques argen­tins, « velut Magisterium authen­ti­cum »1, en tant que magis­tère authentique.

« Magistère authen­tique » mis en pra­tique immé­dia­te­ment par exemple par l’é­vêque argen­tin de Reconquista, Ángel José Macín qui a publi­que­ment et col­lec­ti­ve­ment célé­bré dans sa cathé­drale le retour à la com­mu­nion de trente couples de divor­cés rema­riés qui conti­nuaient à vivre ensemble « more uxorio » ?

Le 5 juin, le jour où François a ordon­né que ces deux docu­ments soient publiés dans les actes offi­ciels du Saint-​Siège, le pape avait depuis un mois2 déjà sur son bureau la lettre à cœur ouvert dans laquelle le car­di­nal Caffarra lui deman­dait audience avec les autres car­di­naux des « dubia », qu’il pro­po­sait à nou­veau en l’é­tat. Comme on le sait, ni les « dubia » ni cette lettre n’ont jamais reçu de réponse et la publi­ca­tion aux « Acta Apostolicae Sedis » de ces deux docu­ments ne peut pas tout à fait être consi­dé­rée comme une réponse.

Le 7 décembre, le jour même de la sor­tie du livre conte­nant les homé­lies et les articles de Caffarra3, « L’Osservatore Romano » a publié un por­trait sin­cère et émou­vant du car­di­nal inti­tu­lé « La luce gen­tile del­la veri­tà » (La douce lumière de la véri­té). On peut y lire ce qui suit4 :

« Il était ces der­nières années très éprou­vé par les mal­en­ten­dus à pro­pos de cer­taines de ses prises de posi­tions théo­lo­giques. Il souf­frait, mais dans la paix. Le 21 décembre 2016, il écri­vait : “Je suis très serein. La seule vraie souf­france est de consta­ter com­bien de cour­ti­sa­ne­rie il y a au sein de l’Eglise et com­bien de refus de faire usage de la lumière de l’intellect. »

Sa souf­france et ses inquié­tudes sur ces « mal­en­ten­dus », le car­di­nal Caffarra les a par­tiel­le­ment expri­mées dans le texte que nous vous pro­po­sons ci-​dessous et qui est d’une actua­li­té brûlante.

La Porte Latine

Cinq périls pour l’Eglise d’aujourd’hui, de Carlo Caffarra

L’alternative à une Eglise sans doc­trine, ce n’est pas une Eglise pas­to­rale mais une Eglise de l’arbitraire, esclave de l’esprit du temps : « praxis sine theo­ria coe­cus in via » disaient les médié­vaux. Ce péril est grave et, s’il n’est pas vain­cu, il cau­se­ra de grands dom­mages à l’Eglise. Ceci pour au moins deux rai­sons. La pre­mière est que, « La Sainte Doctrine » n’étant rien d’autre que la divine Révélation du pro­jet divin pour l’homme, si la mis­sion de l’Eglise ne s’enracine pas en elle, alors qu’est-ce que l’Eglise dit à l’homme ? La seconde rai­son c’est que lorsque l’Eglise ne se garde pas de ce péril, elle risque de res­pi­rer le dogme cen­tral du rela­ti­visme : quant au culte que nous devons à Dieu et au soin que nous devons prendre de l’homme, ce que je pense de Dieu et de l’homme n’a aucune impor­tance. La « quaes­tio de veri­tate » devient une ques­tion secondaire.

Le second péril, c’est d’oublier que la clé inter­pré­ta­tive de la réa­li­té toute entière et en par­ti­cu­lier de l’histoire humaine ne se trouve pas dans l’histoire elle-​même. C’est la foi. Saint Maxime le Confesseur estime que le vrai dis­ciple de Jésus pense toute chose à tra­vers Jésus Christ et Jésus Christ à tra­vers toute chose. Je vais prendre un exemple très actuel. La mise en valeur de l’homosexualité à laquelle nous assis­tons en Occident ne doit pas être inter­pré­tée et jugée en pre­nant comme cri­tère l’opinion publique de nos socié­tés ni la valeur morale du res­pect que l’on doit à chaque per­sonne, ce qui serait un « meta­ba­sis eis allo genos », c’est-à-dire un pas­sage à un autre genre, diraient les logi­ciens. Le cri­tère c’est la « Sainte Doctrine » sur la sexua­li­té, le mariage et le dimor­phisme sexuel. La lec­ture des signes des temps est un acte théo­lo­gal et théologique.

Le troi­sième péril, c’est le pri­mat de la praxis. J’entends par là le pri­mat fon­da­teur. Le fon­de­ment du salut de l’homme c’est la foi de l’homme et non pas son action. Ce qui doit pré­oc­cu­per l’Eglise, ce n’est pas « in pri­mis » de coopé­rer avec le monde à tra­vers de grandes œuvres pour atteindre des objec­tifs com­muns. La pré­oc­cu­pa­tion per­ma­nente de l’Eglise, c’est que le monde croie en Celui que le Père a envoyé pour sau­ver le monde. Le pri­mat de la praxis mène à ce qu’un grand pen­seur du siècle der­nier5 appe­lait la dis­lo­ca­tion des Personnes divines : la seconde Personne n’est plus le Verbe mais l’Esprit Saint.

Le qua­trième péril, qui est très lié au pré­cé­dent, c’est la réduc­tion de la pro­po­si­tion chré­tienne à un dis­cours moral. Il s’agit du péril péla­gien que saint Augustin appe­lait l’horrible venin du chris­tia­nisme. Cette réduc­tion a eu pour effet de rendre la pro­po­si­tion chré­tienne très ennuyeuse et répé­ti­tive. Seul Dieu est tou­jours impré­vi­sible dans ses actions. Et de fait, ce n’est pas l’agir de l’homme qui se trouve au centre du chris­tia­nisme mais l’Action de Dieu.

Le cin­quième péril c’est le silence autour du juge­ment de Dieu, à tra­vers une pré­di­ca­tion de la misé­ri­corde divine faite de telle façon qu’elle risque d’éclipser de la conscience de l’homme qui écoute la véri­té que Dieu juge l’homme.

Cardinal Carlo Caffara

Sources : L’Espresso, Sandro Magister /​vati​can​.va /​edi​zio​nis​tu​dio​do​me​ni​ca​no​.it

  1. RESCRIPTUM « EX AUDIENTIA SS.MI ». Summus Pontifex decer­nit ut duo Documenta quae prae­ce­dunt edan­tur per publi­ca­tio­nem in situ elec­tro­ni­co Vaticano et in « Actis Apostolicae Sedis », velut Magisterium authen­ti­cum. Ex Aedibus Vaticanis, die V men­sis Iunii anno MMXVII, Petrus Card. Parolin, Secretarius Status. []
  2. La lettre deman­dant une nou­velle fois une audience, et res­tée sans réponse, est du 25 avril 2017 []
  3. PREDICHE CORTE TAGLIATELLE LUNGHE, Carlo Caffara – 208 pages aux edi​zio​nis​tu​dio​do​me​ni​ca​no​.it []
  4. La luce gen­tile del­la veri­tà. In ricor­do del car­di­nale Carlo Caffarra, par Soeur Emanuela Ghini, moniale car­mé­lite déchaus­sées très appré­ciée pour ses écrits sur l’Ecriture sainte et la spi­ri­tua­li­té. On lui doit la publi­ca­tion il y a quelques mois d’un ouvrage conte­nant un très inté­res­sant « Lettere a una car­me­li­ta­na scal­za », (Lettres à une car­mé­lite déchaus­sée) qui est échange épis­to­laire de près d’un demi-​siècle avec le théo­lo­gien et ensuite car­di­nal Giacomo Biffi (1928–2015), le pré­dé­ces­seur du car­di­nal Caffarra comme arche­vêque de Bologne. []
  5. Le « grand pen­seur du siècle der­nier » auquel le car­di­nal Caffarra fait réfé­rence est le phi­lo­sophe suisse Romano Amerio (1905–1997), l’auteur de « Iota Unum », une apo­lo­gie magis­trale de la tra­di­tion contre les « varia­tions de l’Eglise catho­lique au XXè siècle ». []