La fin programmée de la liberté d’enseignement

Le mar­di 16 février 2021 a été voté en pre­mière lec­ture à l’Assemblée natio­nale le pro­jet de loi « confor­tant le res­pect des prin­cipes de la République », ini­tia­le­ment inti­tu­lé pro­jet de loi contre le « sépa­ra­tisme ». Le Sénat exa­mi­ne­ra le texte à par­tir du 30 mars. Comportant plu­sieurs volets tou­chant à des domaines assez variés, la loi traite notam­ment de l’instruction à la mai­son et des écoles hors contrat.

L’instruction à la maison

L’article 21 de la loi concerne l’instruction à la mai­son. La loi du 26 juillet 2019 avait déjà abais­sé à 3 ans l’âge du début de l’instruction obli­ga­toire, jusqu’à 16 ans. Il s’agit désor­mais de res­treindre au maxi­mum le recours à l’instruction à la mai­son. Son appli­ca­tion pren­dra effet à la ren­trée de sep­tembre 2022.

Le prin­cipe géné­ral est simple : on passe d’un régime de décla­ra­tion à un régime d’autorisation. C’est la fin de la liber­té de l’enseignement telle qu’elle avait été pré­vue notam­ment en 1830 dans la Constitution de la Monarchie de Juillet (et appli­quée par la loi Guizot de juin 1833 pour les écoles pri­maires), ou encore dans celle de 1848 de la IIeRépublique, ce qui avait consti­tué un argu­ment élec­to­ral de la part du can­di­dat à l’élection pré­si­den­tielle Louis-​Napoléon Bonaparte, en décembre 1848, pour s’attirer le vote des catho­liques et conser­va­teurs. Une fois élu, il avait concré­ti­sé cette pro­messe en pro­mul­guant la loi Falloux, en mars 1850, qui accor­da de plus grandes liber­tés à l’enseignement pri­maire et secon­daire libres, en atten­dant une loi sur la liber­té de l’enseignement supé­rieur qui atten­dra 1875. Même dans les débuts de la IIIe République radi­cale (à par­tir des élec­tions de 1877), le droit des parents était encore recon­nu ain­si que la liber­té de choi­sir le mode d’éducation qui convien­drait le mieux à leurs enfants. Les lois de Jules Ferry (gra­tui­té du pri­maire 1881, obli­ga­tion sco­laire et laï­ci­té 1882) pré­ser­vaient le « droit des pères » à choi­sir le type d’instruction de leurs enfants. 

Il faut attendre le minis­tère d’Emile Combes pour assis­ter à la per­sé­cu­tion la plus vio­lente opé­rée depuis la Révolution fran­çaise contre les congré­ga­tions reli­gieuses ensei­gnantes. Entre 1902 et 1904, les demandes d’autorisation d’existence des écoles sont d’abord refu­sées. Le gou­ver­ne­ment décide ensuite d’interdire pure­ment et sim­ple­ment l’existence des écoles reli­gieuses (juillet 1904). Après une période de tolé­rance entre la fin de la Première guerre mon­diale et le début de la Deuxième, on entre dans une ère de réha­bi­li­ta­tion de l’école pri­vée, durant la guerre puis avec la IVe République. La Ve République, fon­dée par le Général de Gaulle, ren­dit consti­tu­tion­nelle cette liber­té d’enseignement qui se mani­fes­tait, comme sous les autres régimes, tant dans la liber­té d’ouverture des écoles que dans celles des parents de choi­sir les moda­li­tés de l’instruction à don­ner obli­ga­toi­re­ment à leurs enfants. La loi Debré de décembre 1959 per­met­tait ain­si que coexistent l’école publique, l’école pri­vée en contrat avec l’Etat conçue pour séduire les écoles reli­gieuses en les ali­gnant sur les pro­grammes et le mode de fonc­tion­ne­ment des écoles publiques, l’école hors contrat, lais­sée libre dans sa péda­go­gie, et l’instruction en famille, ces deux der­nières formes d’instruction étant enca­drées par la loi et contrô­lées par des ins­pec­tions régu­lières. Avec la loi 2021, c’est la fin d’une liber­té vieille de près de deux siècles, même si de rares cas d’instruction à la mai­son seront auto­ri­sés pour une durée d’un an.

Avec la loi 2021, c’est la fin d’une liber­té vieille de près de deux siècles, même si de rares cas d’instruction à la mai­son seront auto­ri­sés pour une durée d’un an.

Ces auto­ri­sa­tions seront en effet limi­tées à des motifs très restreints.

  1. L’état de san­té de l’enfant ou son handicap ;
  2. La pra­tique d’activités spor­tives ou artis­tiques intensives ;
  3. L’itinérance de la famille en France ou l’éloignement géo­gra­phique de tout éta­blis­se­ment scolaire ; 
  4. L’existence d’une situa­tion propre à l’enfant moti­vant le pro­jet édu­ca­tif, sous réserve que les per­sonnes qui en sont res­pon­sables jus­ti­fient de leur capa­ci­té à assu­rer l’instruction en famille dans le res­pect de l’intérêt supé­rieur de l’enfant. Dans ce cas, la demande d’autorisation com­porte une pré­sen­ta­tion écrite du pro­jet édu­ca­tif ain­si que les pièces jus­ti­fiant de « la capa­ci­té à assu­rer l’instruction en famille ». 

« L’autorisation men­tion­née au même pre­mier ali­néa est accor­dée pour une durée qui ne peut excé­der l’année sco­laire. Elle peut être accor­dée pour une durée supé­rieure lorsqu’elle est jus­ti­fiée par l’un des motifs pré­vus au 1°. Un décret en Conseil d’État pré­cise les moda­li­tés de déli­vrance de cette autorisation.

« L’autorité de l’État com­pé­tente en matière d’éducation peut convo­quer les res­pon­sables de l’enfant à un entre­tien afin d’apprécier la situa­tion de l’enfant et de sa famille et de véri­fier leur capa­ci­té à assu­rer l’instruction en famille. « En appli­ca­tion de l’article L. 231–1 du code des rela­tions entre le public et l’administration, le silence gar­dé pen­dant deux mois par l’autorité de l’État com­pé­tente en matière d’éducation sur une demande for­mu­lée en appli­ca­tion du pre­mier ali­néa du pré­sent article vaut déci­sion d’acceptation.

Par ailleurs, la véri­fi­ca­tion de l’application de l’obligation sco­laire fera l’objet d’un nou­vel article dans le Code de l’Education : 

« Art. L. 131–6‑1. – Afin notam­ment de ren­for­cer le sui­vi de l’obligation d’instruction par le maire et l’autorité de l’État com­pé­tente en matière d’éducation et de s’assurer ain­si qu’aucun enfant n’est pri­vé de son droit à l’instruction, chaque enfant sou­mis à l’obligation d’instruction pré­vue à l’article L. 131–1 se voit attri­buer un iden­ti­fiant national. »

Le cas des écoles hors-contrat

L’article 22 de la loi de 2021 concerne, quant à lui, les écoles hors contrat.

Il pré­voit un ren­for­ce­ment des contrôles et une aggra­va­tion des peines encou­rues pour les écoles ouvertes illé­ga­le­ment ou n’assurant pas leur mis­sion d’instruction conforme au socle commun.

IV 2 « 2° Aux insuf­fi­sances de l’enseignement, lorsque celui-​ci n’est pas conforme à l’objet de l’instruction obli­ga­toire, tel que celui-​ci est défi­ni par l’article L. 131–1‑1, et ne per­met pas aux élèves concer­nés l’acquisition pro­gres­sive du socle com­mun défi­ni à l’article L. 122–1‑1 »

Vers un contrôle accru de la population 

La République en Marche (LREM), le par­ti du pré­sident Macron élu par une majo­ri­té de Français en 2017, fait avan­cer à grands pas une forme de socia­lisme qui n’est pas propre à la France et qui se carac­té­rise par un recul des liber­tés indi­vi­duelles et sociales et un contrôle accru de la popu­la­tion. Après le pré­texte de l’épidémie de COVID, c’est le dan­ger de l’islam radi­cal qui sert d’écran à une réduc­tion tou­jours plus forte des espaces bien rela­tifs de liber­té : le culte[1], la famille ou encore le droit d’expression lié à inter­net. Nul doute que les semaines à venir seront cru­ciales en France sur ces ques­tions qui façonnent le visage d’une socié­té et de la concep­tion de la liber­té que l’on s’en fait.

Notes de bas de page
  1. L’article 31 concer­nant les lieux de culte est ajou­té dans le Code pénal. « Art. 167–7 (nou­veau). – I. – Le repré­sen­tant de l’État dans le dépar­te­ment peut pro­non­cer la fer­me­ture tem­po­raire des lieux de culte dans les­quels les pro­pos qui sont tenus, les idées ou théo­ries qui sont dif­fu­sées ou les acti­vi­tés qui se déroulent pro­voquent à la haine ou à la vio­lence envers une per­sonne ou un groupe de per­sonnes ou tendent à jus­ti­fier ou encou­ra­ger cette haine ou cette vio­lence. « Cette fer­me­ture, dont la durée doit être pro­por­tion­née aux cir­cons­tances qui l’ont moti­vée et ne peut excé­der deux mois, est pro­non­cée par arrê­té moti­vé et pré­cé­dée d’une pro­cé­dure contra­dic­toire dans les condi­tions pré­vues au cha­pitre II du titre II du livre Ier du code des rela­tions entre le public et l’administration. « II. – Peuvent éga­le­ment faire l’objet d’une mesure de fer­me­ture selon les moda­li­tés pré­vues au der­nier ali­néa du I des locaux dépen­dant du lieu de culte dont la fer­me­ture est pro­non­cée sur le fon­de­ment du même I et dont il existe des rai­sons sérieuses de pen­ser qu’ils seraient uti­li­sés pour faire échec à l’exécution de cette mesure. La fer­me­ture de ces locaux prend fin à l’expiration de la mesure de fer­me­ture du lieu de culte.[]